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Date : 20190507


Dossier : IMM-4787-18

Référence : 2019 CF 596

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 7 mai 2019

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

DINESH NEWMAL PALLIYARALALAGE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire concerne la décision de la Section d’appel des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (la SAR) datée du 27 août 2018. La SAR a confirmé la décision par laquelle la Section de la protection des réfugiés (la SPR) a conclu que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 ou du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka. Il soutenait craindre d’être persécuté au motif que les forces armées sri-lankaises l’auraient accusé à tort d’avoir commis des crimes et de soutenir les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (TLET).

[3]  La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur au motif qu’il manquait de crédibilité. La SAR a trouvé des erreurs dans la décision de la SPR, mais a maintenu plusieurs de ses conclusions en matière de crédibilité. La SAR a également tiré des conclusions supplémentaires quant à la crédibilité du demandeur.   

[4]  Le demandeur prétend que la SAR a porté atteinte à son droit à l’équité procédurale en tirant des conclusions en matière de crédibilité supplémentaires à celles de la SPR. Premièrement, la SAR a tiré une nouvelle conclusion selon laquelle un article de journal présenté à l’appui de la demande du demandeur n’était pas authentique. Après avoir validé les conclusions de la SPR selon lesquelles peu de poids devrait être accordé à l’article, la SAR a énoncé : 

[…] Elle [la SAR] conclut en outre, selon la prépondérance des probabilités, que l’article de journal n’est pas authentique. La SAR fait remarquer que la présentation d’un document faux ou irrégulier peut avoir une incidence sur le poids qui sera accordé aux autres documents produits par l’appelant, surtout s’ils ont une corrélation avec ledit document, ainsi que sur la crédibilité de l’appelant en général.

(Décision, paragraphe 20)

[5]  La SAR a tiré de nouvelles conclusions supplémentaires concernant des contradictions apparentes entre les déclarations du demandeur au point d’entrée (PDE) et celles figurant dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA). La SAR affirme que :

L’appelant a déclaré au PDE qu’il avait été relâché en échange d’un pot-de-vin et que l’armée était ensuite venue le voir et lui avait dit que son ami s’était présenté à quelques reprises comme il devait le faire, après quoi il s’était caché. Il a affirmé que l’armée était venue chez lui puisqu’elle était à la recherche de son ami, et qu’elle lui avait dit que cet ami ne s’était pas présenté; elle l’a averti qu’il ne devait pas signaler cette rencontre à la Commission des droits de la personne, sans quoi il en subirait les conséquences. Cependant, l’appelant a déclaré dans son formulaire FDA qu’il s’était caché quand il avait été relâché. La SAR fait observer que l’appelant a déclaré au PDE qu’il craignait de retourner au Sri Lanka parce que l’armée le soupçonnait d’aider son ami dans ses plaintes à la police et à la Commission des droits de la personne; or, cette crainte n’est mentionnée nulle part dans son formulaire FDA. La SAR ajoute que l’appelant a affirmé, dans le formulaire Annexe A, qu’il avait été arrêté par une organisation tamoule coopérante, ce qui ne concorde pas avec la déclaration dans son formulaire FDA selon laquelle il avait été arrêté par l’armée.

La SAR remarque que l’appelant a précisé dans son formulaire FDA qu’il avait été averti, à sa remise en liberté, de ne pas raconter ce qui lui était arrivé à des organisations de défense des droits de la personne, et qu’il s’était ensuite caché. Il a ajouté que, au moment où il était caché, il avait appris de son épouse que l’épouse de son ami était bouleversée et menaçait de signaler ce que l’armée avait fait à son époux à une commission des droits de la personne. De plus, pendant qu’il se cachait, il a appris de son épouse que des membres de l’armée s’étaient présentés chez lui pour tenter de le retrouver, parce que son ami avait disparu et ne s’était pas présenté; ils ont averti son épouse qu’il aurait des problèmes s’il ne leur disait rien. Cette information ne concorde pas avec la déclaration de l’appelant au PDE selon laquelle l’armée lui a parlé directement de la disparition de son ami et craignait que cet ami dépose une plainte à la police et à une organisation de défense des droits de la personne.

(Décision, paragraphe 31 et 32).

[6]  Le demandeur soutient qu’on aurait dû lui accorder la possibilité de répondre à ces conclusions puisqu’il s’agissait de nouvelles conclusions en matière de crédibilité. Pour soutenir cette thèse, il s’appuie sur la décision Ojarikre, où le juge Annis de notre Cour a affirmé ce qui suit :  

La Cour souscrit aux observations de la demanderesse selon lesquelles la SAR n’a pas compétence pour examiner une question qui, même si elle a été examinée à fond à l’audience devant la SPR, n’a pas été prise en compte dans sa décision et qu’elle ne constituait donc pas l’objet de l’appel interjeté par la demanderesse.

En sus des arguments soulevés dans les décisions Jianzhu et Ching, la Cour relève que la SAR, en soulevant une question qui n’avait pas été tranchée par la SPR et qui ne faisait pas l’objet d’un appel interjeté par l’une ou l’autre partie, a porté atteinte aux droits procéduraux garantis à la demanderesse par la loi. La demanderesse a été privée du droit, qui lui est conféré au titre du paragraphe 110(4) de la Loi, de présenter des éléments de preuve additionnels se rapportant à la nouvelle question soulevée par la SAR, puisqu’elle ignorait que la décision de la SAR traiterait de cette question.

(Ojarikre c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 896, aux paragraphes 20 et 21)

[7]  Le demandeur s’appuie ensuite sur les commentaires du juge Hughes dans la décision Husian :

Nous en arrivons au motif du renvoi de l’affaire à la SAR pour qu’elle rende une nouvelle décision. Si la SAR s’était contentée d’examiner les conclusions de la SPR quant au caractère adéquat des éléments de preuve fournis par le demandeur et souscrit à celles-ci, l’affaire aurait été réglée. Ce n’est pas ce qu’elle a fait. Pour une raison quelconque, la SAR a fourni des motifs supplémentaires, fondés sur sa propre appréciation du dossier, quant aux raisons pour lesquelles les éléments de preuve produits par le demandeur n’étaient pas crédibles. Elle a affirmé, au paragraphe 43, qu’elle n’avait pas trouvé le moindre élément de preuve à l’appui de l’affirmation du demandeur selon laquelle il appartenait au clan Dhawarawayne. Il s’agissait d’une erreur; il existe de tels éléments de preuve dans les réponses aux Demandes d’information. Les commentaires de la SAR à propos des différences observées dans les procédures aux États-Unis et dans les procédures au Canada en ce qui concerne l’orthographie du nom du demandeur sont absurdes; il y a forcément des différences lorsqu’il s’agit d’une langue et d’un alphabet différents, comme le somali et l’anglais. J’ai aussi relevé d’autres erreurs.  

Le fait est que si la SAR décide de se plonger dans le dossier afin de tirer d’autres conclusions de fond, elle devrait prévenir les parties et leur donner la possibilité de formuler des observations.

(Husian c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 684, aux paragraphes 9 et 10)

[8]  Le défendeur fait valoir qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité dans la présente instance. Le défendeur soutient que lorsque la crédibilité d’un demandeur est déjà en cause devant la SPR, comme c’était le cas en l’espèce, la SAR n’a pas à donner avis lorsqu’elle trouve un motif additionnel pour remettre en cause la crédibilité du demandeur au moyen de la preuve présentée à la SPR. Pour étayer cette thèse, le défendeur s’appuie sur la décision Adeoye c Canada (Ministre de la Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 246, de notre Cour, aux paragraphes 11 à 15.

[9]  À mon avis, le demandeur a raison de dire que la SAR a manqué à l’équité procédurale en tirant de nouvelles conclusions en matière de crédibilité sans l’aviser et sans lui donner l’occasion de répondre. Par conséquent, je conclus que la décision est entachée d’une erreur susceptible de contrôle.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4787-18

LA COUR STATUE que la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire est annulée et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

Il n’y a aucune question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de juin 2019.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-4787-18

 

INTITULÉ :

DINESH NEWMAL PALLIYARALALAGE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 AVRIL 2019

JUDGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MAI 2019

COMPARUTIONS :

Osasenaga Obazee

POUR LE DEMANDEUR

David Joseph

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Osasenaga Obazee

Avocat

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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