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Date : 20190507


Dossier : IMM-4938-18

Référence : 2019 CF 593

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 7 mai 2019

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

JUN ZHANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  La présente demande de contrôle judiciaire concerne la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) par laquelle le commissaire a conclu que le demandeur n’avait pas la qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger. Le demandeur est un citoyen chinois qui a demandé l’asile aux motifs qu’il craint de subir une stérilisation forcée et d’être persécuté pour ses croyances religieuses en tant qu’adepte du Falun Gong.

[2]  La question fondamentale en l’espèce renvoie aux conclusions de la SPR relativement aux croyances et pratiques religieuses du demandeur. La SPR affirme que :

Le demandeur d’asile s’est fait poser un certain nombre de questions mettant à l’épreuve ses connaissances au sujet du Falun Gong. Il s’est fait demander quelle était la nature de la cultivation et comment il faisait pour se cultiver. Il a répondu qu’il faisait les exercices et qu’il étudiait le Fa. Il s’est fait demander s’il faisait autre chose, et il n’a fourni aucune autre information.

Le tribunal souligne encore une fois, comme il l’a fait pour ses questions au sujet de l’amélioration de l’état de santé du demandeur d’asile après trois mois de pratique, que maître Li avait affirmé que le simple fait de faire les exercices et de lire le Zhuan Falun ne suffisait pas, que le demandeur d’asile devait vivre selon les principes du Falun Gong : la vérité, la bonté et la tolérance, et qu’il devait aussi renoncer aux attachements comme la jalousie, ce sur quoi insiste maître Li.

Le tribunal tire une inférence défavorable de l’incapacité du demandeur d’asile de décrire un enseignement fondamental du Falun Gong comme la cultivation. Le demandeur d’asile a fourni de l’information à propos de [traduction] « diffuser une pensée vertueuse », bien qu’une partie de cette information fût vague. Le demandeur d’asile a également été en mesure de décrire la signification du karma et comment il était possible de remplacer le karma, une substance noire, par la vertu, une substance blanche.

Le demandeur d’asile s’est fait demander quel était le but de l’exercice 3, et il n’a pas été en mesure de donner une réponse. Il s’est aussi fait demander quel était le but de l’exercice 4, mais il n’a pas mentionné qu’il servait à corriger les parties anormales du corps.

[Décision, lignes 201 à 223]

[3]  La SPR a conclu que :

Le tribunal estime que, même si le demandeur d’asile avait une certaine connaissance du Falun Gong, celle-ci était beaucoup moindre que ce à quoi il aurait été raisonnable de s’attendre de la part d’une personne qui aurait été un adepte sincère pendant environ sept ans.

[Décision, lignes 225 à 227]

[4]  Le demandeur fait valoir que les conclusions de la SPR relativement à la preuve qu’il a présentée au sujet de la pratique du Falun Gong étaient microscopiques et rigoureuses à outrance. De plus, le demandeur soutient que les conclusions sont fondées sur l’opinion subjective de la SPR quant à ce qu’il aurait dû affirmer dans son témoignage. Selon le demandeur, la SPR a rendu une conclusion négative en matière de crédibilité simplement parce qu’il n’a pas utilisé un [traduction] « vocabulaire spécifique » lorsqu’il parlait du Falun Gong.

[5]  À mon avis, le demandeur a raison. À la lecture de la transcription, il est évident qu’il a répondu aux questions de la SPR. Il n’a toutefois pas utilisé les mots exacts auxquels la SPR semblait s’attendre. Le passage suivant illustre cette dynamique :

[traduction]

COMMISSAIRE : Je veux vous poser des questions sur la pratique et la théorie du Falun Gong. Que signifie la cultivation?

DEMANDEUR : Ça (inaudible) à un niveau supérieur.

COMMISSAIRE : Et comment vous cultivez-vous?

DEMANDEUR : En faisant les cinq exercices et en étudiant l’enseignement de Fa en même temps, le principal.

COMMISSAIRE : Autre chose?

DEMANDEUR : Lire le livre, participer à la roue de la loi.

[…]

COMMISSAIRE : Autre chose?

DEMANDEUR : J’étudie et je travaille aussi.

[…]

COMMISSAIRE : Ok, vous étudiez et vous travaillez; autre chose pour vous cultiver?

DEMANDEUR : J’assiste à des cours du maître Li et j’étudie la théorie.

COMMISSAIRE : Bien, maître Li dit que juste étudier Zhuan Falun et faire les exercices n’est pas suffisant ?

DEMANDEUR : Diffuser des pensées vertueuses.

[6]  La SPR tire essentiellement une conclusion défavorable en matière de crédibilité contre le demandeur parce qu’il n’a pas mentionné les principes de « vérité, bonté et tolérance » ou le « renoncement aux attachements comme la jalousie » en réponse aux questions du commissaire.

[7]  Une dynamique similaire peut être observée dans le passage suivant de la transcription :

[traduction]

COMMISSAIRE : Quelle est la fonction du quatrième exercice?

DEMANDEUR : Les méridiens sont ouverts et le corps circule bien.

COMMISSAIRE : Autre chose?

DEMANDEUR : Tous les méridiens sont ouverts; le corps circule bien.

COMMISSAIRE : Le maître Li dit que la roue de la loi est utilisée pour rectifier des parties anormales dans le corps humain.

DEMANDEUR : Par la roue de la loi pour ajuster une partie anormale dans le corps humain.

COMMISSAIRE : C’est ce que je viens de dire. Pouvez-vous réciter le verset du deuxième exercice?

[Le demandeur a récité le verset]

COMMISSAIRE : C’est juste.

[8]  Dans la décision, la SPR a tiré une conclusion négative en matière de crédibilité contre le demandeur parce qu’il n’a pas utilisé le langage escompté en réponse au questionnement relatif à la fonction du quatrième exercice. À mon avis, cela est déraisonnable et contraire à l’énoncé de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Ross c Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 RCS 825, au paragraphe 70, à savoir « qu’il n’appartient pas à [la] Cour de décider quelle religion il faut professer ».

[9]  Dans la décision Zhang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 503, aux paragraphes 14 et 18, j’ai déclaré ce qui suit au sujet des pièges à éviter lorsque l’on interroge des demandeurs au sujet de leurs croyances et pratiques religieuses :

Il y a cependant une question de toute première importance à se poser à cet égard : en toute équité, que signifie l’incapacité d’une personne à répondre à une question concernant tel ou tel élément d’une doctrine religieuse ? On peut imaginer de multiples réponses possibles : la question n’a pas été comprise, de sorte que la réponse n’est pas pertinente; la personne interrogée n’a pas bonne mémoire en général ou elle a eu un trou de mémoire en l’occurrence; elle n’a pas acquis les connaissances nécessaires pour répondre sur ce point précis si considérablement qu’elle ait étudié par ailleurs; elle croit sincèrement avoir donné la bonne réponse même si la personne qui l’interroge pense autrement; et ainsi de suite. À mon avis, de tels facteurs étant en jeu, l’incapacité à répondre ne signifie pas grand-chose. Les implications de ce point apparaissent clairement dans la présente espèce.

[…]

Essentiellement, la pratique de l’interrogatoire en matière religieuse permet au commissaire de la SPR d’être son propre expert touchant le point de savoir quelles questions il peut poser et quelles réponses il est en droit d’attendre. Comme il a été établi dans les décisions citées plus haut, le caractère hautement subjectif de cette pratique de la part d’un décideur risque certainement de donner lieu à des abus. Ladite pratique consiste à appliquer une sorte d’idée stéréotypée que se fait le commissaire de la SPR de ce qu’un chrétien devrait connaître. Décider que les réponses ne sont pas satisfaisantes revient essentiellement à conclure au défaut de plausibilité des déclarations du demandeur d’asile, c’est‑à‑dire que si celui‑ci ne répond pas comme le commissaire le voudrait aux questions destinées à établir sa connaissance du christianisme, ledit commissaire s’estime fondé à conclure qu’il n’est pas vraisemblable que ledit demandeur soit chrétien.

[10]  Comme je l’ai conclu dans la décision Zhang, les règles de droit applicables aux conclusions d’invraisemblance sont très claires. Ces conclusions doivent être tirées en fonction d’une norme de preuve rigoureuse, comme l’a énoncé le juge Muldoon dans la décision Valtchev c Canada (Ministre de la Citoyenneté), [2001] ACF n1131, au paragraphe 7 :

Un tribunal administratif peut tirer des conclusions défavorables au sujet de la vraisemblance de la version des faits relatée par le revendicateur, à condition que les inférences qu’il tire soient raisonnables. Le tribunal administratif ne peut cependant conclure à l’invraisemblance que dans les cas les plus évidents, c’est-à-dire que si les faits articulés débordent le cadre de ce à quoi on peut logiquement s’attendre ou si la preuve documentaire démontre que les événements ne pouvaient pas se produire comme le revendicateur le prétend. Le tribunal doit être prudent lorsqu’il fonde sa décision sur le manque de vraisemblance, car les revendicateurs proviennent de cultures diverses et que des actes qui semblent peu plausibles lorsqu’on les juge en fonction des normes canadiennes peuvent être plausibles lorsqu’on les considère en fonction du milieu dont provient le revendicateur.

[Non souligné dans l’original]

[11]  En l’espèce, d’après les réponses fournies lors de l’interrogatoire qui a été mené, la SPR a tiré une conclusion d’invraisemblance selon laquelle le demandeur ne pouvait pas être un adepte du Falun Gong depuis sept ans. Compte tenu de la norme établie dans les décisions que je viens de citer, je conclus qu’il est inacceptable de recourir à cette forme de conjoncture non étayée pour juger de l’authenticité des croyances religieuses du demandeur.

[12]  Pour les motifs exposés ci-dessus, en ce qui concerne la conclusion de fait de la SPR sur l’allégation du demandeur selon laquelle il est un adepte du Falun Gong, je conclus que la décision faisant l’objet du contrôle est entachée d’une erreur susceptible de contrôle et qu’elle est par conséquent déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM-4938-18

LA COUR STATUE que la décision faisant l’objet du présent contrôle judiciaire est annulée et que l’affaire est renvoyée à un tribunal différemment constitué pour nouvelle décision.

Il n’y a pas de question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 12e jour de juin 2019.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DoSSIER :

IMM-4938-18

 

INTITULÉ :

JUN ZHANG c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 AVRIL 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DES MOTIFS :

LE 7 MAI 2019

COMPARUTIONS :

Zainab Jamal

 

POUR LE DEMANDEUR

Nicole Paduraru

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kaminker and Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DéFENDEUR

 

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