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Date : 20040227

Dossier : T-1659-01

Référence : 2004 CF 300

OTTAWA (ONTARIO), LE 27e JOUR DE FÉVRIER 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

GRAHAM F. JARVIS, MICHEL J.M.E. BROUILLETTE,

JEAN-PIERRE BRUNELLE, ROBERT DELISLE,

RAYMOND DIOTTE, FRANÇOIS T. DUFRESNE,

RÉJEAN DUPUIS, CLAUDE FOISY,

MARCEL FOURNIER, ANDRÉ GAGNÉ,

ROGER GASPÉ, BENOIT MONTPETIT,

JEAN-PIERRE NAUD, BERNARD PAGÉ,

DANIEL SIMON, NORMAN TATLOCK,

LOUISE TREMBLAY

                                                                                                                                       Demandeurs

                                                                          - et -

SA MAJESTÉ LA REINE TELLE QUE REPRÉSENTÉE PAR

LE CONSEIL DU TRÉSOR

                                                                             

                                                                                                                                     Défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Les demandeurs travaillent à Industrie Canada comme agents de conformité (section des poids et mesures) ou agents d'installation (section électricité et gaz). Les demandeurs ont déposé des griefs réclamant notamment que des modifications ou des ajouts soient effectués par l'employeur à leurs descriptions d'emploi actuelles. L'article M-32.01 de la convention collective prescrit :

M-32.01 Sur demande écrite, l'employé-e reçoit un exposé complet et courant de ses fonctions et responsabilités, y compris le niveau de classification du poste et, le cas échéant, la cote numérique attribuée par facteur à son poste, ainsi qu'un organigramme décrivant le classement de son poste dans l'organisation.

[2]                Conformément à l'article 92 de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, L.R.C. (1985), ch. P-35 (la Loi), les griefs des demandeurs ont éventuellement été référés à l'arbitrage. L'affaire a été entendue par Jean-Pierre Tessier, commissaire à la Commission des relations de travail dans la fonction publique (l'arbitre). Celui-ci a fait droit en partie aux griefs et a notamment déterminé qu'il faudrait ajouter aux descriptions d'emploi des éléments pour couvrir l'effort physique, la santé et sécurité, et aussi la collaboration occasionnelle ou étroite, selon le cas, avec d'autres employés (laboratoire). En conséquence, l'arbitre a ordonné à l'employeur de transmettre aux employés concernés une description complète (qui devra inclure un libellé assimilable à celui qu'il a précisé dans sa décision), et il a réservé compétence pour déterminer le libellé exact en cas de désaccord.


[3]                Par la présente demande de contrôle judiciaire, les demandeurs recherchent maintenant l'annulation de la décision susmentionnée et le renvoi de l'affaire à l'arbitrage conformément aux instructions de la Cour. Les demandeurs se plaignent que certaines fonctions qu'ils prétendent exercer (tel que le calibrage et la certification de wagons étalons, la formation légale et la formation sur-le-champ, le rôle de témoin expert et la ré-inspection) n'ont pas été ajoutées aux descriptions d'emploi ou sont incorrectement décrites. Sans reprendre ici chacun des arguments soulevés par les demandeurs, ceux-ci allèguent en substance que l'arbitre n'a pas tenu compte de diverses admissions de témoins de l'employeur (dont André Lauzon et Robert Martineau), qu'il a confondu la preuve (grief de Graham Jarvis), qu'il a incorrectement rapporté ou modifié des témoignages (notamment ceux de Michel Brouillette et Benoît Montpetit), qu'il a ignoré des preuves pertinentes (tel que les témoignages de André Gagné et Jean-Pierre Naud) ou que la décision rendue est autrement contraire à la preuve documentaire (pièces F-12, S-12 et S-13).

[4]                Pour les motifs qui suivent, la Cour a décidé de rejeter cette demande.


[5]                En premier lieu, je ne crois pas que la simple omission de mentionner dans la décision certains éléments de preuve constitue un manquement aux principes de justice naturelle ou d'équité procédurale. D'une part, la décision permet tant aux parties qu'à la Cour de voir clairement quels aspects principaux de la preuve ont été considérés et retenus par l'arbitre. D'autre part, il n'existe aucune obligation légale de faire état dans la décision d'un tribunal de chaque élément de preuve, de toutes les questions soulevées par les parties ou de toutes les conclusions qui ont mené à la décision (Scheuneman c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 1759 au para. 22 (C.F. 1re inst.) (QL); (1999), 176 F.T.R. 59). Ceci étant dit, bien que l'analyse de la preuve et des arguments des parties que l'on retrouve dans la décision soit fort succincte, - ce qui peut certes prêter à la critique considérant qu'il y a eu ici huit jours d'audition -, le raisonnement de l'arbitre est clairement articulé. Enfin, sa décision est à tous égards conforme à l'article 83 des Règlements et règles de procédures de la C.R.T.F.P. (1993), D.O.R.S./93-348 qui se lit comme suit :

83. La décision de l'arbitre de grief ou du conseil d'arbitrage contient :

a) un sommaire du grief;

b) un sommaire des observations des parties;

c) les motifs de la décision.

[6]                Deuxièmement, il est admis par les parties que la détermination du caractère complet ou incomplet des descriptions d'emploi actuelles des demandeurs est une décision de nature factuelle qui dépend exclusivement de l'évaluation par l'arbitre de l'ensemble des preuves au dossier. En ce qui à trait aux conclusions de fait, l'alinéa 18.1(4)(d) de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7 indique les circonstances selon lesquelles cette Cour doit intervenir :


(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises si la Cour fédérale est convaincue que l'office fédéral, selon le cas :

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

[mon soulignement]

(4) The Federal Court may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;



[7]                Il a été établi que dès qu'il existe une preuve qui supporte les conclusions de fait tirées par l'arbitre, cette Cour n'a pas à se prononcer sur l'appréciation de la preuve, et ce, en dépit du fait qu'elle serait peut-être arrivée à une conclusion différente. En l'espèce, si l'on examine la décision, et ce, tant dans le contexte de la preuve elle-même que celui des prescriptions de l'article M-32.01 de la convention collective, je suis d'avis que l'arbitre a rendu une décision qui, dans son ensemble, s'appuie raisonnablement sur la preuve présentée, de sorte que les conditions précisées à l'alinéa 18.1(4)(d) de la Loi sur les cours fédérales ne sont pas rencontrées en l'espèce.

[8]                Troisièmement, les parties reconnaissent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision manifestement déraisonnable. Je suis d'accord avec cette proposition. L'exercice d'évaluation auquel a procédé l'arbitre est hautement technique et commande ici le plus grand degré de déférence judiciaire (Syndicat canadien de la Fonction publique, section locale 963 c. Société des alcools du Nouveau-Brunswick, [1979] 2 R.C.S. 227 aux pp. 235-36 (C.S.C.); Barry c. Canada (Conseil du Trésor), [1997] A.C.F. no 1404 (C.A.F.) (QL); (1997), 221 N.R. 237; Piotrowski c. Canada (Agence canadienne d'inspection des aliments), [2003] A.C.F. no 990 aux paras. 17-19 (C.F. 1re inst.) (QL); et Canada (Procureur général) c. King, [2003] A.C.F. no 777 au para. 13 (C.F. 1re inst.) (QL)).


[9]                L'employeur a effectivement fourni des descriptions de fonctions aux demandeurs (pièces F-2 et S-1) et l'arbitre a procédé à leur examen en tenant compte des modifications réclamées par les demandeurs (pièces F-8 et S-3). Or, les descriptions fournies par l'employeur comportent une dizaine de pages ou plus et contiennent un nombre important d'informations générales ou particularisées portant sur une multitude de facettes regroupées sous les thèmes responsabilité, habileté, effort et conditions de travail. Il est donc déraisonnable d'exiger qu'un tel document ait un caractère exhaustif et la rigueur d'un précis mathématique. Il y aura toujours une part de subjectivité dans le choix des informations et l'énonciation des fonctions courantes décrites dans un tel document. À cet égard, l'arbitre reconnaît explicitement dans sa décision que la description de fonctions ne peut omettre de mentionner une fonction ou une responsabilité particulière que le fonctionnaire doit remplir, mais que cela ne veut pas dire, par contre, que celle-ci doit préciser dans les moindres détails toutes les variations ou combinaisons de fonctions possibles. Je suis d'accord avec l'approche générale de l'arbitre. Or, il incombait exclusivement à l'arbitre de déterminer la force probante que chaque élément de preuve devrait recevoir. Aussi, on ne peut pas dire ici que les conclusions de fait de l'arbitre, même incorrectes, puissent être qualifiées de capricieuses ou d'irrationnelles.


[10]            Enfin, même en admettant que l'arbitre ait pu ignorer ou confondre certains éléments de la preuve, il ne s'agit pas ici d'un cas où, même cumulativement, les erreurs isolées qui lui sont reprochées laissent planer un doute sur la justesse de ses conclusions générales (Haji c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2000] A.C.F. no 1266 aux paras. 10-14 (C.F. 1re inst.) (QL). Ceci étant dit, la Cour ne devrait pas s'engager dans un examen microscopique des motifs de la décision de l'arbitre (Cole c. Canada (Conseil du Trésor), [1996] A.C.F. no 364 (C.F. 1re inst.) (QL). En l'espèce, les réserves que la Cour peut avoir quant à certains aspects secondaires du raisonnement de l'arbitre ne justifient pas ici l'annulation, en tout ou en partie, de la décision et le renvoi de l'affaire à l'arbitre ou à un autre arbitre.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire des demandeurs soit rejetée avec dépens.

                   « Luc Martineau »                  

                                                                                                     Juge                                 


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1659-01

INTITULÉ :               GRAHAM F. JARVIS ET AL. c. SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                        OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 23 FÉVRIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                             LE 27 FÉVRIER 2004

COMPARUTIONS :

Me JAMES CAMERON                                  POUR LES DEMANDEURS

Me JENNIFER CHAMPAGNE                       POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

JAMES CAMERON                                  POUR LES DEMANDEURS

RAVEN, ALLEN, CAMERON & BALLANTYNE

OTTAWA (ONTARIO)

M. MORRIS ROSENBERG                             POUR LA DÉFENDERESSE

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA


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