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Date : 20190427


Dossiers : IMM-2646-19

IMM-2647-19

IMM-2648-19

Référence : 2019 CF 558

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 27 avril 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

MEHMET YUSUF TARTIK

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le demandeur a présenté une requête pour que la Cour suspende la mesure d’expulsion tant que ne sera pas rendue la décision sur le contrôle judiciaire sous-jacent visant le rejet d’une demande de report du renvoi. Comme je l’expliquerai ci‑après, je n’estime pas que le demandeur a soulevé une question sérieuse en vertu du seuil élevé prescrit par la jurisprudence.

Contexte

[2]  La Cour a reçu une demande de dernière minute de sursis à l’exécution de la mesure de renvoi [le sursis] pour un vol prévu à 23 h ce soir, le 27 avril 2019, à destination de la Turquie. Le demandeur a demandé dans le dossier IMM-2646-19 que le sursis soit accordé jusqu’à ce que deux demandes en instance soient tranchées, à savoir une deuxième évaluation du risque avant renvoi [l’ERAR], pour laquelle le demandeur a sollicité un mandamus dans le dossier IMM-2647-19, et une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire présentée au Canada, pour laquelle le demandeur a sollicité un mandamus dans le dossier IMM‑2648‑19.

[3]  La demande de sursis était fondée sur ces trois dossiers. Les documents relatifs à la requête en sursis, ainsi que les documents antérieurs et postérieurs à l’audience sur la demande de sursis présentés par le demandeur et les parties qui ont répondu à la plainte déposée au Barreau par le demandeur [la plainte] (voir l’analyse ci-dessous) comprennent environ 500 pages.

[4]  Le demandeur a tenté de déposer les documents de la requête en sursis auprès du greffe de la Cour l’après-midi du 25 avril 2019, mais ils étaient incomplets et inacceptables pour le dépôt. Toutefois, la signification des documents au défendeur a eu lieu ce jour-là. Les documents relatifs à la demande de sursis ont été dûment déposés au greffe de la Cour à la fin de la matinée du 26 avril 2019.

[5]  J’ai reçu les documents de la requête en sursis par voie électronique à 13 h le 25 avril 2019. Après avoir vu la quantité de documents à examiner eu égard au temps requis pour rendre une décision, j’ai immédiatement demandé au greffe de communiquer avec le ministère de la Justice [le MJ] pour voir s’il prenait position sur le sursis. Le MJ a répondu qu’il s’opposait en fait à la fois (i) à l’audience sur le sursis en raison du dépôt de dernière minute et (ii) aux motifs invoqués pour demander le sursis.

[6]  Par conséquent, et sachant que le défendeur était sous pression pour préparer son dossier de réponse, j’ai convoqué une téléconférence de gestion de l’instance à 13 h 30 pour entendre les observations des parties sur la question de savoir si la demande de sursis serait entendue.

[7]  L’avocate du défendeur a soutenu lors de la téléconférence que la Cour ne devrait pas entendre la demande de sursis. Bien qu’elle n’ait pas eu le temps de fournir à la Cour les observations de son client, elle a indiqué que le MJ s’opposait fortement à ce que la demande de sursis soit entendue sur le fond en raison de sa présentation à la dernière minute. Elle a souligné que, bien que le demandeur ait présenté une demande de report du renvoi en temps opportun le 11 mars 2019, son avocate a demandé que le prononcé de la décision soit retardé.

[8]  Au cours de la téléconférence, l’avocate du MJ a indiqué que, à la suite de la demande de sursis de dernière minute, elle avait elle-même fait des pieds et des mains pour comprendre la nature de la demande complexe, y compris son fondement étant donné les trois contrôles judiciaires sous-jacents, et qu’elle avait lu les documents jusqu’à bien après minuit la veille et le jour même en tentant de digérer les centaines de pages déposées et les observations faites sur les trois contrôles judiciaires et la demande de sursis, et qu’elle travaillait toujours à ses observations sur le fond.

[9]  Plus précisément, l’avocate du MJ a souligné que le demandeur avait demandé à l’agent de différer la décision de report du renvoi jusqu’à ce que son avocate actuelle puisse présenter d’autres observations découlant d’une plainte déposée en mars 2019 auprès du Barreau de l’Ontario dans laquelle le demandeur accusait divers anciens avocats et un interprète de négligence.

[10]  L’agent a acquiescé à la demande de différer la décision, ce qui explique que la décision concernant le report du renvoi n’a été rendue que le 24 avril 2019. La requête a ensuite été déposée deux jours plus tard.

[11]  Ainsi, la première chose à faire était d’essayer de comprendre comment, compte tenu du très court délai accordé à la Cour, le demandeur pourrait être en mesure de concentrer les arguments très généraux présentés, et donc les documents sur lesquels il se fonde parmi la grande quantité de documents signifiés et déposés. L’avocate du demandeur a utilement indiqué qu’elle fonderait ses arguments relatifs à la demande de sursis uniquement sur le refus de report dans le dossier IMM-2646-19, et non sur les deux autres contrôles judiciaires sous-jacents par lesquels le demandeur cherchait à obtenir réparation au moyen d'un mandamus pour sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et sa seconde demande d’ERAR.

[12]  Cela étant dit, lorsqu’on lui a demandé quels documents pourraient plus précisément être visés par la demande de sursis, l’avocate du demandeur a indiqué que la majeure partie des documents seraient pertinents étant donné les graves allégations de négligence et d’inconduite formulées dans la plainte à l’endroit de trois anciens avocats et d’un interprète. Selon l’avocate, ces allégations ont miné toutes les procédures d’immigration remontant à la demande d’asile initiale présentée en 2015, y compris toutes les analyses de risque et les décisions qui ont été rendues depuis, ainsi que les divers affidavits, les observations des avocats et les documents relatifs à ces procédures qui avaient été inclus dans l’important dossier.

[13]  L’audience s’est déroulée en deux parties : une audience initiale de deux heures à la fin de l’après-midi du 26 avril, qui a été ajournée et suivie d’une réponse lorsque l’audience sur le sursis a repris plus tard ce soir-là. Tous les arguments ont été examinés à fond à la lumière de la volumineuse documentation déposée. Comme la Cour l’a dit aux avocates, elles ont bénéficié de suffisamment de temps pour présenter toutes leurs observations à la Cour. Elles ont toutes deux déclaré à la fin de l’audience qu’elles estimaient que tous les arguments avaient été présentés.

Le droit

[14]  Le critère sous-jacent aux sursis interlocutoires découle du droit d’origine jurisprudentielle (voir l’explication de l’élaboration du critère à trois volets dans l’arrêt EG et al c Child and Family All Nations, 2012 MBCA 65, paragraphes 25 à 27). Bien que ces sursis soient reconnus aux articles 48 et 50 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, ch 27 [la Loi], ils sont différents des autres types de sursis prévus par la loi ou des sursis administratifs (voir, par exemple, les articles 50, 68 et 114).

[15]  L’article 48 contient un libellé clair sur l’obligation des agents de mettre en œuvre les mesures de renvoi exécutoire qui ont pris effet et qui « ne [font] pas l’objet d’un sursis » (paragraphe 48(1)). Si la mesure est exécutoire, « l’étranger visé par la mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être exécutée dès que possible » (paragraphe 48(2)).

[16]  Toutefois, la jurisprudence a établi qu’un sursis provisoire (interlocutoire) peut être accordé, mais seulement si le demandeur convainc la Cour (i) qu’il existe une question sérieuse qu’elle doit trancher, (ii) qu’il subira un préjudice irréparable si un sursis n’est pas accordé et (iii) que la prépondérance des inconvénients milite en sa faveur (Toth c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1988), 86 NR 302 (CAF), RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 (CSC); R c Société Radio-Canada, 2018 CSC 5).

[17]  Ce critère de l’arrêt Toth est conjonctif. Le demandeur doit satisfaire à tous les volets. La délivrance d’un sursis constitue une réparation extraordinaire pour laquelle le demandeur doit démontrer l’existence de « circonstances spéciales et impérieuses » qui justifieraient une « intervention judiciaire exceptionnelle » (Zuniga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 992, paragraphe 5). Comme l’a déclaré la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Es-Sayyid c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CAF 59 :

7. Pour accorder un sursis, la Cour doit être convaincue qu’il existe une question sérieuse à juger, que l’appelant subirait un préjudice irréparable si le sursis à l’exécution de la mesure de renvoi n’est pas accordé et que la prépondérance des inconvénients est favorable au sursis. Le critère est conjonctif. Il faut satisfaire aux trois volets énoncés.

[18]  En plus des exigences auxquelles le demandeur doit satisfaire pour obtenir une injonction provisoire à l’égard de son renvoi, la présente requête est assujettie à une norme élevée en ce qui concerne l’établissement de l’existence d’une question sérieuse. En effet, la raison invoquée à l’appui de la requête — le refus de reporter le renvoi d’un demandeur — se elle est admise, ferait en sorte que la réparation demandée dans la demande de contrôle judiciaire sous-jacente serait de fait accordée (Wang c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 148).

[19]  Le pouvoir discrétionnaire d’un agent de reporter un renvoi est très limité et peut faire l’objet d’un contrôle selon la norme de la décision raisonnable, de sorte que le demandeur doit présenter des arguments très solides (Baron c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2009 CAF 81, paragraphes 66 et 67).

Analyse

[20]  Bien que j’aie accepté d’entendre et de trancher l’affaire sur le fond en raison des allégations graves soulevées à propos de la représentation du demandeur jusqu’à maintenant, je suis tout à fait d’accord avec le principe général qui sous‑tend la position initiale adoptée par l’avocate du défendeur lors de la téléconférence sur la gestion de l’instance, qu’elle a ensuite répétée dans sa plaidoirie à l’audience sur la demande de sursis, soit qu’elle s’opposait vigoureusement à l’audience sur cette question. En effet, les cas de dernière minute doivent être évités dans la mesure du possible.

[21]  Il n’est pas étonnant que la Cour décourage fortement les requêtes minute en sursis de dernière et que la simple production tardive puisse fonder un refus d’examiner le bien-fondé d’une demande de sursis. La Cour a reconnu à de nombreuses occasions que les requêtes de dernière minute évitables doivent être découragées puisqu’elles ne sont pas dans l’intérêt de la justice (Beros c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 325; Khan c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 1275; Ocaya c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 Canlii 8561 (CF); Miranda c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 1057).

[22]  Comme l’indiquent clairement les étapes énoncées sous le titre Contexte ci‑dessus, le court délai a nui au défendeur en limitant sa capacité d’obtenir les documents d’information pertinents en matière d’immigration; son dossier ne comprenait que ses observations écrites, car il n’avait pas eu le temps d’obtenir quoi que ce soit d’autre. En fait, une grande partie de ces observations écrites se sont avérées non pertinentes puisqu’elles étaient consacrées à des questions qui ont été par la suite abandonnées par l’avocate du demandeur (à savoir que la demande de sursis était fondée sur les deux contrôles judiciaires sous-jacents visant l’obtention d'un mandamus).

[23]  Contrairement aux procédures de sursis déposées en temps opportun et en contraste frappant avec le volumineux dossier du demandeur, le défendeur n’a remis que des observations écrites et pas d’affidavit ou de preuve contextuelle. En fait, le défendeur s’est fondé uniquement sur les documents que le demandeur a présentés dans son dossier.

[24]  Non seulement la présentation tardive de requêtes en sursis limite la capacité des avocats de présenter des positions convaincantes au nom de leurs clients, mais elle limite également la capacité de la Cour d’examiner les documents et de se préparer à l’audience. Les juges qui statuent sur ces questions pendant les semaines de service ou les semaines de séances générales où les sursis sont entendus se heurtent invariablement à des demandes incompatibles, y compris d’autres sursis.

[25]  Plus important encore, les requêtes présentées en temps opportun permettent d’éviter de telles questions et permettent au défendeur et à la Cour de veiller à ce qu’il y ait suffisamment de temps pour que le processus suive son cours correctement, équitablement et efficacement. Cela permet ensuite de s’assurer que la décision sur le fond la plus juste, la plus expéditive et la plus économique possible concernant chaque procédure de sursis soit finalement obtenue, conformément à l’article 3 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106.

[26]  Bien entendu, le système accusatoire comporte des contraintes qui peuvent fonctionner dans les deux sens lorsque le processus en question vise une demande de sursis d’exécution d’une mesure de renvoi. Comme le gouvernement exerce un contrôle sur le renvoi, sous réserve de diverses contraintes administratives, y compris de la part du pays qui recevra la personne renvoyée, les demandeurs ne sont pas en mesure de contrôler les dates de renvoi (par opposition à un départ volontaire du Canada).

[27]  Par conséquent, le retard est certainement un facteur bidirectionnel et, dans bien des circonstances, les demandeurs n’ont pas été avisés suffisamment à l’avance pour organiser leurs affaires, y compris présenter une requête en sursis en temps opportun.

[28]  Ayant reconnu les problèmes qui peuvent survenir pour les deux parties dans un litige sur un sursis, j’estime que l’affaire qui nous occupe était loin d’être un cas d’avis de renvoi inadéquat donné au demandeur. En effet, le demandeur a été informé de son renvoi plusieurs semaines avant sa date de renvoi (prévue aujourd’hui, le 27 avril 2019), ayant déposé la première « partie » de sa demande de report le 11 mars 2019, dans laquelle il a demandé à l’agent de ne pas prendre de décision. Son avocate n’a donné suite aux observations que le 16 avril 2019 (l’avocate du défendeur note dans ses observations que [TRADUCTION] « le demandeur n’a rempli sa demande que le 18 avril 2019 »).

[29]  Quoi qu’il en soit, les divers documents laissés à l’agent chargé des renvois étaient volumineux — ils contenaient d’autres documents et renseignements importants en pièces jointes et renvoyaient à d’autres documents et renseignements importants, y compris la plainte. De plus, le demandeur avait embauché son avocate actuelle beaucoup plus tôt, selon un de ses affidavits au dossier, soit après le refus de son ERAR en mars 2018. Il était donc déjà prêt pour le renvoi depuis plus d’un an.

[30]  Bien que le demandeur ait lui-même été responsable du retard, étant donné qu’il a demandé à l’agent chargé des renvois de ne pas rendre de décision, j’ai décidé d’entendre la demande de sursis malgré les vives objections du défendeur, en raison des allégations graves contre un interprète et trois des avocats du demandeur qui ont été soulevées dans la plainte déposée auprès du Barreau de l’Ontario et des volumineux documents joints à la plainte (il y avait un quatrième avocat en immigration que le demandeur a embauché, qui a déposé sa demande d’ERAR infructueuse, qu’il n’a pas inclus dans sa plainte).

[31]  J’ai examiné chacune des questions sérieuses soulevées par le demandeur et je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’aucune d’entre elles ne satisfait au seuil élevé exigé par les décisions Baron et Wang.

[32]  En bref, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que l’analyse de l’agent, contenue dans la lettre de refus de cinq pages datée du 24 avril 2019, n’est pas déraisonnable quant à ses conclusions. Bien qu’elle ne soit pas parfaite, la perfection n’est pas la norme requise pour les décisions concernant un éventuel report. Elles doivent plutôt contenir des questions sérieuses sur la norme élevée énoncée dans les décisions Baron et Wang. Je ne considère pas que le demandeur ait présenté des arguments solides.

[33]  J’ai examiné chacun des points soulevés par le demandeur (tels qu’ils ont été formulés à l’audience) qui soulève une question sérieuse au regard de la décision, à savoir que l’agent :

[traduction]

  • (i) a commis une erreur de droit ou de fait en n’évaluant pas adéquatement l’effet des nouveaux éléments de preuve relatifs aux risques, compte tenu des conclusions antérieures sur l’incidence de ces nouveaux éléments de preuve;

  • (ii) a traité les évaluations antérieures des risques comme déterminantes malgré les inférences défavorables tirées dans ces évaluations malgré la négligence des avocats;

  • (iii) n’a pas expliqué de manière satisfaisante pourquoi il a conclu que les longues observations et les détails de la plainte du demandeur ne constituaient pas des éléments de preuve suffisants, dans diverses conclusions de fait et de droit, par exemple :

    1. la preuve était insuffisante pour expliquer pourquoi l’interprétation n’était pas adéquate ;

    2. la preuve relative aux risques n’avait pas été présentée à la SPR, à la SAR et à l’ERAR en temps opportun ;

    3. les observations relatives à l’ERAR ne tenaient pas compte des questions en litige alors qu’il n’y avait pas d’observations juridiques de fond dans cette ERAR.

[34]  Après avoir examiné le dossier et pris en considération les arguments présentés par les deux parties, je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’aucune de ces questions n’atteint le seuil exigé par les décisions Baron et Wang quant à la présentation d’arguments solides établissant l’existence d’une question sérieuse.

[35]  L’analyse de l’agent, contenue dans sa lettre de refus de cinq pages, à simple interligne, datée du 24 avril 2019, n’est pas déraisonnable dans aucune de ses conclusions, y compris en ce qui concerne le fond de la plainte, qui, selon le demandeur, constituait le cœur de ses arguments.

[36]  Je suis d’accord avec le demandeur pour dire que la décision n’était pas parfaite et qu’elle n’était pas parfaitement adéquate. Toutefois, la perfection n’est pas le critère requis pour juger du caractère adéquat des décisions administratives (Chemin de fer Canadien Pacifique Company c Univar Canada Ltd, 2019 CAF 24, paragraphe 30) ; la perfection n’est certainement pas le critère requis pour les décisions concernant le report d’un renvoi, qui sont par nature rendues en vertu d’un pouvoir discrétionnaire très limité (Baron, paragraphes 66 à 67), et dans des délais très limités.

[37]  En fin de compte, la faiblesse de l’analyse du demandeur tient au fait qu’il affirme que la négligence de ses trois anciens avocats dans les instances devant la SPR, la SAR et lors du contrôle judiciaire de la décision de la SAR ainsi que la conduite inappropriée de l’interprète ont mené à des décisions fondamentalement déraisonnables devant ces divers tribunaux. Si les nouveaux éléments de preuve avaient été dûment examinés et n’avaient pas été retenus contre le demandeur parce qu’ils n’avaient pas été présentés à temps, ils auraient très bien pu donner lieu à des résultats fondamentalement différents, étant donné que les éléments de preuve en question n’ont ni (i) été dûment pris en compte ni (ii) été retenus contre le demandeur comme facteur négatif clé en matière de crédibilité.

[38]  Le demandeur présente essentiellement un argument relatif à un effet chaîne, à savoir que, si la décision appropriée avait été prise à l’égard des nouveaux éléments de preuve à la première audience (devant la SPR), le tribunal aurait peut-être rendu une décision entièrement différente, et il est alors tout à fait possible que les deux procédures suivantes, soit la procédure devant la SAR et l’ERAR, auraient été complètement différentes – et ces procédures n’auraient peut-être même pas été nécessaires. En bref, le demandeur soutient que l’agent n’a pas tenu compte de ces faits ou des éléments de preuve présentés dans la demande de report du renvoi parce que, s’il l’avait fait, cette conclusion aurait été évidente.

[39]  Je ne suis pas d’accord avec ces arguments ni avec aucun des arguments avancés par le demandeur dans la « question sérieuse » soulevée ci-dessus. Après avoir lu ce que le demandeur décrit comme la décision pivot de la SPR, qui mène à la réaction en chaîne, je ne constate aucune telle erreur.

[40]  Premièrement, la SPR a examiné les nouveaux éléments de preuve, même si leur dépôt n’avait pas initialement été accepté. La SPR les a clairement examinés et n’a pas reproché au demandeur d’avoir effectué le dépôt après l’audience.

[41]  Deuxièmement, et plus important, les conclusions défavorables quant à la crédibilité reposaient sur de nombreux autres motifs, principalement en ce qui concerne l’existence d’une crainte subjective. Aucune de ces conclusions n’aurait changé si les nouveaux éléments de preuve avaient été examinés parce qu’ils mettaient en cause la conduite du demandeur en Turquie comme au Canada, ce que la SPR (puis la SAR) a jugé incompatible avec une crainte subjective.

[42]  Le seul avertissement, c’est que je ne peux faire de commentaires sur la décision sur l’ERAR puisqu’elle n’a pas été versée au dossier, mais, bien sûr, une demande d’ERAR sur papier (présentée sans l’aide d’un avocat, selon l’avocate actuelle du demandeur) ne donnerait pas lieu aux mêmes conclusions de fait et en matière de crédibilité que l’une ou l’autre des procédures devant la SPR ou la SAR. En fin de compte, le cœur des arguments du demandeur repose sur les conclusions relatives à la crédibilité et sur ses arguments concernant la preuve documentaire qui sous-tend ces conclusions.

[43]  Sur la foi de cette preuve documentaire, qui est également au cœur des critiques formulées à l’égard de la plainte, ainsi que des arguments concernant la décision de l’agent, ces décisions ont été mises en doute en raison de leur contenu à la lumière de tous les autres éléments de preuve présentés, y compris le propre comportement du demandeur.

[44]  Le demandeur insiste pour dire que même l’avocate subséquente, dans ses observations présentées à la SAR (la deuxième avocate du demandeur), admet que la SPR a tiré une inférence négative quant à la crédibilité du demandeur en raison du dépôt tardif.

[45]  Premièrement, je remarque que ce n’est pas parce que l’argument est inclus dans les observations de l’avocate du demandeur qu’il est retenu.

[46]  Deuxièmement, j’ai de la difficulté à comprendre pourquoi le demandeur s’appuie sur les positions de fond de son avocate de la SAR figurant dans ses observations présentées à la SAR, alors qu’il a fait de graves allégations contre elle dans sa plainte déposée au Barreau pour incompétence, négligence et manque de professionnalisme.

[47]  Troisièmement, je ne suis pas convaincu que la SPR a effectivement tiré cette conclusion, d’autant plus qu’elle a finalement accepté le dépôt et examiné le fond de chaque nouvel élément de preuve. Au contraire, il semble que la SPR a plutôt estimé que le demandeur avait amplement eu de temps pour obtenir ses documents de la Turquie et qu’il ne l’a pas fait, même s’il a finalement déposé tardivement lesdits documents.

[48]  Même si je devais accepter que la SPR a tenu compte de cette question pour sa conclusion défavorable sur la crédibilité du demandeur, ce que je ne fais pas, je conclus encore une fois que cette question constituait au mieux une partie périphérique de la conclusion de la SAR en appel. Il s’agit d’une des nombreuses observations d’une décision très détaillée rendue en appel par la SAR. Cette décision n’a jamais fait l’objet d’un contrôle judiciaire.

[49]  Enfin, je remarque que, si le demandeur avait voulu contester l’interprétation comme il le fait maintenant, le moment approprié pour le faire était devant la SPR, après l’audience de la SPR avec les documents fournis après l’audience, ou devant la SAR. Ce n’est pas trois ans plus tard, dans le cadre d’une requête en sursis, que la Cour doit être saisie de ce qui semble être la première allégation de ce genre.

[50]  Enfin, en ce qui concerne la plainte, sur laquelle le demandeur s’est concentré pendant l’audience, je formulerai deux points.

[51]  Premièrement, je ne suis pas un décideur principal dans la demande de report du renvoi ni dans la plainte, mais plutôt un examinateur de la décision de l’agent et des éléments de preuve fournis dans cette plainte, ainsi que de l’affidavit en réponse présenté à la Cour par l’un des avocats contestés et l’interprète contesté. Toutefois, dans mon rôle d’examen limité, je remarque que le demandeur semble avoir présenté des positions incohérentes dans son affidavit très détaillé déposé au Barreau, qu’on a demandé à l’agent d’examiner, y compris en ce qui concerne l’interprète. La réponse de l’agent à cette plainte était raisonnable compte tenu des éléments dont il disposait.

[52]  Deuxièmement, le défendeur a présenté des arguments convaincants dans son affidavit (et dans sa plaidoirie) concernant la plainte. Ses arguments écrits peuvent être lus aux paragraphes 28 à 55 de ses observations écrites.

CONCLUSION

[53]  En conclusion, je juge que le demandeur n’a pas satisfait au seuil élevé énoncé dans l’arrêt Baron; il n’a pas présenté d’arguments suffisamment solides pour satisfaire au premier volet du critère de l’arrêt Toth qui porte sur la question sérieuse.

ORDONNANCE

1. La requête en sursis est rejetée. L’expulsion vers la Turquie peut se poursuivre comme prévu ce soir.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 14e jour de mai 2019

Sandra de Azevedo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :

IMM-2646-19, IMM-2647-19, IMM-2648-19

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

MEHMET YUSUF TARTIK c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 



REQUÊTE INSTRUITE PAR TÉLÉCONFÉRENCE LE 26 AVRIL 2019, DEPUIS

OTTAWA (ONTARIO) ET TORONTO (ONTARIO)

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 27 AVRIL 2019

 

OBSERVATIONS ORALES ET ÉCRITES :

Pantea Jafari

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Maria Burgos

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jafari Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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