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Date : 19990611

Dossier : T-2185-88

OTTAWA (ONTARIO), LE 11 JUIN 1999

EN PRÉSENCE DE M. LE JUGE EVANS

ENTRE :

TICKETNET CORPORATION,

demanderesse,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE,

défenderesse.

JUGEMENT

            L'appel est rejeté. Les avocats pourront présenter leurs observations écrites sur la question des dépens dans les 14 jours suivant la date du présent jugement.

John M. Evans               

_________________________

J.C.F.C.                   

OTTAWA (ONTARIO)

Le 11 juin 1999

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules

Date : 19990611

Dossier : T-2185-88

ENTRE :

TICKETNET CORPORATION,

demanderesse,

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE,

défenderesse.

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE EVANS

A.         Introduction

[1]         Ticketnet Corporation a réclamé un crédit d'impôt à l'investissement pour des dépenses de 2 millions de dollars effectuées en 1985 et 1986 à des fins de recherche et de développement entrepris dans le but de produire un logiciel de billetterie automatisée. Revenu Canada n'a pas admis la déduction et Ticketnet a formé un appel contre cette cotisation.

[2]         La dépense sur laquelle se fonde Ticketnet pour son crédit d'impôt à l'investissement est une obligation contractuelle de payer 2 millions de dollars à Air Canada, avec qui elle a travaillé au développement du logiciel. La réponse à la question de droit qui se pose ici dépend de l'interprétation du contrat. Ticketnet allègue que le 30 juin 1986, la date pertinente pour la présente affaire, elle avait une obligation inconditionnelle de payer 2 millions de dollars à Air Canada, même si le paiement n'était pas encore exigible à cette date.


[3]         Revenu Canada, par contre, interprète le contrat comme n'imposant à Ticketnet qu'une obligation conditionnelle, qui ne deviendrait inconditionnelle que dans l'éventualité où il se produirait un évènement futur et incertain qui, dans les faits, ne s'est jamais produit. Il est convenu que si Revenu Canada a raison d'interpréter le contrat comme n'imposant qu'une obligation éventuelle, l'alinéa 18(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu empêche Ticketnet d'obtenir un crédit d'impôt pour ces activités de recherche scientifique et de développement en vertu du paragraphe 37(1) de la Loi. Inversement, si l'interprétation de Ticketnet prévaut, elle aura alors droit au crédit d'impôt. De plus, puisque Ticketnet est un contribuable qui utilise la méthode de la « comptabilité d'exercice » , le crédit d'impôt serait valable pour l'année d'imposition où l'exigibilité du paiement survient, et non pas au moment où le paiement est effectivement fait.

B.         Les faits

[4]         David Clark et Gilles Lamarre se sont rencontrés à Ottawa au milieu des années 1970. Monsieur Clark s'y connaissait en électronique et en systèmes informatiques, et M. Lamarre était le gérant du service de billetterie au Centre national des Arts. Vers la fin des années 1970, la firme de conseil technique de M. Clark aidait le CNA, à automatiser la vente de ses billets.

[5]         Monsieur Clark et Monsieur Lamarre ont eu une très bonne idée. Ils ont pensé qu'il devrait être possible de mettre au point un logiciel qui permettrait à une personne ayant accès à un ordinateur n'importe où au Canada de réserver des billets pour un spectacle ayant lieu n'importe où ailleurs au pays. Le programme afficherait la disposition des sièges de l'auditorium ou de l'aréna, et les places encore disponibles. Après que le consommateur aurait acheté son billet, la place choisie serait affichée comme vendue pour le prochain consommateur se servant du programme pour savoir quelles sont les places encore disponibles pour ce spectacle.

[6]         En 1984, M. Clark et M. Lamarre ont constitué en personne morale Ticketnet pour réaliser ce projet, sur lequel ils ont commencé à travailler tous les deux à temps plein. Mais, ils avaient besoin de capital pour le financer. Au printemps 1984, ils ont réussi à intéresser les dirigeants d'Air Canada à leur projet qui, bien sûr, pouvait aussi servir à la vente de billets d'avion.

[7]         L'élément essentiel de la relation commerciale projetée entre Air Canada et Ticketnet pour le développement du logiciel a été exposé dans un échange de lettres survenu en décembre 1984 entre M. Clark et M. Ingham, le directeur général d'Air Canada, responsable des communications, de l'informatique, du marketing et des ventes. Air Canada allait supporter presque tous les coûts de développement du logiciel en fournissant son propre personnel et d'autres ressources, et en embauchant du personnel pour le projet. À ce stade, les coûts pour Air Canada étaient évalués à 1,4 million de dollars, chiffre qui a été par la suite augmenté à 2 millions de dollars afin d'ajouter 0,6 million de dollars de profit.

[8]         Ticketnet serait responsable des coûts occasionnés en cours de projet. Il a toujours été entendu que Ticketnet serait propriétaire du produit final. Air Canada allait recouvrer ses frais de développement sur la vente de billets effectuée par l'entremise du logiciel : à cette fin, cinq sous par billet vendu seraient versés par Ticketnet à Air Canada.

[9]         À ce stade, il y avait encore des points importants à clarifier, comme le nombre d'années durant lesquelles le paiement sur les ventes de billets serait effectué : M. Clark a proposé les cinq premières années. La possibilité d'accorder à Air Canada une option d'achat sur les actions de Ticketnet a aussi été envisagée. Des ententes de marketing devaient aussi être conclues. Ces questions, ainsi que d'autres points, ont été réglés pendant les six mois précédant la signature du contrat, ci-après appelé l'entente relative au développement du logiciel, le 23 juillet 1985.

[10]       Monsieur Clark se souciait aussi, depuis le début, des aspects fiscaux des ententes. Dans une lettre adressée à M. Ingham, en date du 12 décembre 1984, il écrit :

[TRADUCTION] L'ensemble du projet devrait être structuré de façon à ce que vos ressources de développement soient perçues comme étant sous contrat avec Ticketnet. Cette entente permettra aux services R & D [recherche et développement] d'obtenir des crédits d'impôt qui seront utilisés par Ticketnet (sur la base d'émission d'actions) afin d'améliorer ses chances de succès, sans porter préjudice à Air Canada. Air Canada facturera ensuite les sommes dépensées à Ticketnet.

[11]       Dans sa réponse du 17 décembre 1984, M. Ingham confirme l'approbation officielle du projet par Air Canada :

[TRADUCTION] Tel que convenu, Air Canada fournira des services de recherche et de développement à Ticketnet afin de développer ces nouveaux produits logiciels. Il est attendu que nos dépenses totales à cet égard, calculées selon notre taux d'établissement des coûts des salaires et des frais généraux applicables, s'élèvent à 1,4 million de dollars. Le remboursement sans intérêt de cette somme par Ticketnet sera effectué sur la base d'un versement de cinq sous par billet vendu par l'entremise du produit logiciel.

[12]       En d'autres termes, les parties voulaient que, grâce au crédit d'impôt qui s'élèverait éventuellement à cent pour cent des dépenses admissibles, les contribuables remboursent à Ticketnet les 2 millions de dollars qu'elle avait accepté de payer à Air Canada sur le fruit des ventes de billets. Cependant, il ne suffit pas simplement à Ticketnet de démontrer que les parties ont toujours eu l'intention de structurer leurs ententes dans le but de permettre à Ticketnet de se prévaloir du bénéfice du crédit d'impôt. La question est plutôt de savoir si les modalités du contrat qui a été ultimement conclu entre les parties ont réussi à concrétiser cette intention en imposant à Ticketnet une obligation qui, interprétée comme il se doit, peut être qualifiée d'obligation inconditionnelle et, par conséquent, de dépense effectuée pour la recherche et le développement, rendant ainsi la dépense admissible au crédit d'impôt à l'investissement.

[13]       Avant d'aborder les dispositions pertinentes de l'entente relative au développement du logiciel survenue entre les parties, il y aurait lieu de s'attarder un peu plus sur les faits du présent litige.

[14]       Le projet de Ticketnet paraît avoir soulevé une controverse chez Air Canada, et tout ne s'est pas déroulé sans problème. Par exemple, possiblement parce que les coûts réels ont dépassé l'évaluation initiale, Air Canada est venue près d'annuler le projet, mais elle a plutôt insisté pour obtenir une plus grande part des profits qui seraient générés par le logiciel. Air Canada semble aussi s'être interrogée sur la possibilité que Ticketnet vende le logiciel à une autre compagnie aérienne. En conséquence, cela a pris plus de temps que ne l'avait prévu Ticketnet pour que les parties signent le contrat, et la date cible prévue pour l'achèvement du logiciel a été repoussée de 1985 au printemps 1986. En outre, certains aspects du logiciel ont posé des problèmes techniques qui se sont avérés difficiles à résoudre, particulièrement la présentation visuelle à distance de la répartition des places des auditoriums.

[15]       Pour des raisons qui ne sont pas pertinentes au présent litige, la relation entre Ticketnet et Air Canada s'est terminée avant que le développement du logiciel ne soit terminé. Au printemps 1986, bien que certaines unités de programme étaient encore sujettes à des « bogues » et que les unités de programme n'avaient toujours pas été testées en tant que système pour s'assurer que le logiciel fonctionnait bien, le travail était presque achevé. Ticketnet avait approuvé les composantes du logiciel telles qu'elles avaient été conçues, mais le produit final n'a pas été délivré ni approuvé par Ticketnet.

[16]       Air Canada a continué de travailler sur le projet jusqu'à la fin de juin 1986. À cette époque, le développement du logiciel était complété, même s'il y avait encore quelques petites choses à fignoler dans certaines unités de programme et le système n'avait toujours pas été testé. Au mois d'août 1986, Air Canada a exclu Ticketnet du site de développement du projet. Cela a effectivement eu pour effet de mettre fin au projet.

[17]       Entre-temps, au début de l'année 1986, American Airlines faisait connaître son grand intérêt pour le logiciel et fournissait à Ticketnet des fonds de fonctionnement pour la première partie de l'année. En bout de ligne, Ticketnet a été achetée par American Airlines en novembre 1986, par l'entremise de sa société de portefeuille, qui bénéficiera du crédit d'impôt s'il est conclu que Ticketnet a droit au crédit d'impôt à l'investissement pour les années 1985 et 1986 relativement à l'obligation de payer à Air Canada la somme de 2 millions de dollars.

[18]       Le différend contractuel entre Air Canada et Ticketnet a donné lieu à un procès qui a duré quatre mois à la Cour de l'Ontario (Division générale), devant le juge Farley, qui a conclu que le contrat survenu entre Air Canada et Ticketnet était valide et obligatoire, et que Air Canada avait commis une violation de l'entente relative au développement du logiciel qui constituait une répudiation de celle-ci : Ticketnet Corporation c. Air Canada (Cour de l'Ont., div. gén.; no du greffe 161251/86; le 10 février 1993).

[19]       Le juge Farley a évalué la perte brute de Ticketnet à environ 13,5 millions de dollars, mais au moment d'accorder les dommages-intérêts contre Air Canada, il a déduit la somme de 2 millions de dollars relativement à l'obligation contractuelle de Ticketnet de payer Air Canada, même si le paiement « [TRADUCTION] n'était pas encore exigible » : op. cit., paragraphe 111. Le juge Farley a fondé son évaluation des dommages sur le principe bien connu que les dommages-intérêts accordés en vertu de la violation d'un contrat sont censés placer les parties dans la situation où elles se seraient trouvées si le contrat avait été exécuté : op. cit., paragraphe 126. Cependant, il a aussi reconnu (au paragraphe 125) qu'évaluer les profits futurs a toujours été une tâche ardue qui

[TRADUCTION] nécessite de conférer un degré de certitude à ce qui ne s'est pas encore produit (et qui peut-être ne se serait en fait jamais produit même si le défendeur n'avait pas violé le contrat).

[20]       Il a aussi été ordonné à Air Canada de remettre le logiciel à Ticketnet, et une demande reconventionnelle présentée par Air Canada a été rejetée. Le 17 novembre 1997, la Cour d'appel de l'Ontario a accueilli l'appel formé par Air Canada, mais seulement pour réduire le montant des dommages-intérêts payables d'environ 1,3 million de dollars : Ticketnet Corporation c. Air Canada (1997), 154 D.L.R. (4th) 271 (C.A. Ont.).

C.         Le contrat

[21]       Aux fins de la présente affaire, il n'est nécessaire de se pencher que sur quelques-unes des dispositions de l'entente relative au développement du logiciel survenue entre Air Canada et Ticketnet. Une des clauses clé, la clause 1.2, stipule :

[TRADUCTION]

AC convient de développer le logiciel, conformément à la conception graphique et aux spécifications fonctionnelles, pour un montant a de 2 millions de dollars. [...] AC remettra des factures à TN sur une base régulière, la dernière facture, portant la somme totale de 2 millions de dollars, devant être présentée le 30 avril 1986 [la date cible pour l'achèvement du logiciel]. AC convient de faire crédit à TN de la somme de 2 millions de dollars facturée, qui devra être remboursée conformément à la clause 3 ci-dessous.


[22]       La clause 3 s'intitule [TRADUCTION] « Paiement » :

[TRADUCTION]

3.1 Pendant les cinq premières années suivant l'approbation du logiciel, tel que défini dans les spécifications fonctionnelles, AC recevra un montant de 5 sous par billet vendu par TN, ou par d'autres détenteurs d'une licence consentie par TN, comme remboursement de l'avance faite en vertu de la clause 1.2 ci-haut. Advenant que cette avance serait remboursée avant que la période de 5 ans ne se soit écoulée, AC continuera de recevoir la somme de 5 sous par billet vendu comme prime sur l'investissement. [...] Pour la cinquième année, le revenu obtenu par AC en vertu de la formule ci-dessus ne dépassera pas la somme de 1 million de dollars.

3.2 À titre de compensation additionnelle, TN paiera aussi à AC une redevance de 5 sous par billet vendu par l'entremise du logiciel pendant les cinq premières années suivant l'approbation du logiciel.

3.3 Les modalités suivantes s'appliquent au remboursement effectué en vertu de la clause 3.1. Au taux de 5 sous par billet vendu, l'échéancier de paiement minimum suivant est convenu :

                                Mois écoulés depuis            Paiement périodique dû                      Paiement cumulatif dû

                                l'approbation

                                                36                                             300 000 $                                                 300 000 $

                                                48                                             700 000 $                                             1 000 000 $

                                                60                                         1 000 000 $                              2 000 000 $

(b) À la fin de chacune de ces périodes, si le paiement cumulatif minimum dû n'a pas été reçu par AC, celle-ci pourra acquérir de Ticketnet les droits sur le logiciel au prix de 2 millions de dollars, à condition que TN rembourse le solde du montant avancé par AC en vertu de la clause 1.2 en même temps qu'elle reçoit le paiement.

[23]       L'approbation du logiciel par Ticketnet a aussi une grande importance contractuelle en raison de la clause 2.2, qui s'intitule [TRADUCTION] « Responsabilités » . L'alinéa 2.2d) stipule :

[TRADUCTION] Suivant l'approbation du logiciel par TN, tel que décrit dans les spécifications fonctionnelles, il est convenu que tous les frais d'entretien, d'amélioration et de vérification ultérieurs du logiciel seront à la charge et sous la responsabilité de TN. De plus, TN ne peut utiliser le logiciel avant l'approbation finale pour générer un revenu sauf dans les circonstances convenues réciproquement avec AC pour le développement du marché, la mise à l'essai ou la mise en oeuvre par étapes du logiciel.

D.         Analyse

[24]       L'avocate de Ticketnet a proposé des interprétations subsidiaires du contrat, qui, allègue-t-elle, mènent toutes à la conclusion que le 30 juin 1986, Ticketnet devait 2 millions de dollars à Air Canada, et que bien que le paiement ne fût pas exigible à cette date, il ne dépendait pas de la survenance d'un évènement incertain.

           

(i) la théorie des deux contrats : services et prêt

[25]       Le premier et principal fondement de l'argumentation de l'avocate est que l'entente relative au développement du logiciel comprenait deux parties distinctes et indépendantes. La première partie était un contrat prévoyant la fourniture par Air Canada de services pour le développement du logiciel de Ticketnet, pour une valeur de 2 millions de dollars. La deuxième partie du contrat consistait en un prêt sans intérêt d'une somme de 2 millions de dollars consenti par Air Canada à Ticketnet afin de permettre à cette dernière de payer les coûts des services offerts par Air Canada. Le prêt devait être remboursé par l'entremise d'une redevance sur la vente des billets, et si les redevances excédaient la somme de 2 millions de dollars, l'excédent serait considéré comme une prime sur l'investissement.

[26]       Selon le mécanisme du prêt étaient, au fur et à mesure que Air Canada remettait périodiquement des factures à Ticketnet pour les services rendus jusque-là, un montant équivalent était soustrait du prêt de 2 millions de dollars jusqu'au 30 avril 1986, date à laquelle la dernière facture a été présentée relativement à la portion finale du prêt de 2 millions de dollars. Air Canada aurait pu faire un chèque à Ticketnet au montant de chaque facture qu'elle avait présentée, et Ticketnet aurait pu faire un chèque à Air Canada pour un montant équivalent afin de payer la facture. Mais, comme le dit l'avocate, que les parties se soient réciproquement fait des chèques ou qu'elles aient simplement porté ces sommes à leur débit et leur crédit dans leurs livres respectifs ne devrait pas faire de différence quant à la nature réelle de l'obligation. Le fait que Ticketnet approuve le logiciel ne constituait, pour les parties, qu'une formalité ne servant qu'à déterminer le moment à partir duquel le remboursement du prêt et le paiement de la compensation supplémentaire, sous forme de redevances, débuteraient.

[27]       L'avocate appuie sa théorie des deux contrats sur les termes employés dans l'entente, sur les états financiers vérifiés de Ticketnet et sur des considérations d'équité.

                        a) les termes employés dans l'entente

[28]       La clause 1.2 de l'entente prévoit le développement du logiciel pour un montant fixe de 2 millions de dollars et que la remise de factures sur une base régulière par Air Canada, le compte final devant être facturé au 30 avril 1986. Air Canada accepte aussi, dans cette clause, de [TRADUCTION] « faire crédit » du montant de 2 millions de dollars à être facturé, montant qui doit être remboursé conformément à la clause 3.1. L'avocate met l'accent sur le terme [TRADUCTION] « rembourser » , qui, selon elle, indique clairement le remboursement de l'argent prêté, et non le paiement de frais pour services rendus.

[29]       Elle souligne que la même idée se trouve dans la clause 3. En effet, la clause 3.1 traite du montant de cinq sous par billet vendu comme du [TRADUCTION] « remboursement des sommes avancées en vertu de la clause 1.2 » (non souligné dans l'original), et elle prévoit plus loin que si cette [TRADUCTION] « avance est remboursée » avant la fin de la période de cinq ans, le paiement de cinq sous versé à Air Canada sur chaque billet vendu se poursuivrait comme [TRADUCTION] « prime sur l'investissement » .

[30]       De la même façon, la clause 3.3 expose les modalités applicables au [TRADUCTION] « remboursement fait en vertu de la clause 3.1 » (non souligné dans l'original). De plus, la clause 3.3(b) stipule que si les paiements minimaux dus en raison de la vente de billets ne sont pas reçus par Air Canada, celle-ci pourra acquérir de Ticketnet les droits sur le logiciel au prix de 2 millions de dollars [TRADUCTION] « à condition que TN rembourse le solde du montant avancé par AC [...] en même temps qu'elle reçoit le paiement » (non souligné dans l'original).

[31]       Cet argument est faible notamment du fait que l'entente n'emploie nulle part les mots [TRADUCTION] « prêt » ou [TRADUCTION] « montant prêté » par Air Canada à Ticketnet. Le fait que les états financiers vérifiés décrivent l'obligation de Ticketnet relative aux 2 millions de dollars comme un [TRADUCTION] « prêt sans intérêt de Air Canada » n'apporte pas grand chose de plus à la question. Néanmoins, je suis disposé à accepter l'idée que la référence aux termes [TRADUCTION] « fai[re] crédit » et [TRADUCTION] « montant avancé » , associés à l'obligation corrélative de Ticketnet de [TRADUCTION] « rembourser » ce montant, n'est pas incompatible avec une interprétation de l'entente relative au développement du logiciel voulant qu'elle contienne un contrat de prêt autonome.

[32]       Cependant, l'avocat du ministère public fait valoir un point plus important, soit le fait qu'une des caractéristiques essentielles d'un prêt est la promesse de rembourser le montant prêté, avec ou sans intérêts, et que Ticketnet n'a pas fait de promesse expresse ou implicite de rembourser Air Canada, sauf dans les cas prévus à l'entente. Il en est de même puisqu'au 30 avril 1986, il n'était pas clair que Ticketnet aurait un jour l'obligation de [TRADUCTION] « rembourser » les 2 millions de dollars à Air Canada, étant donné que le [TRADUCTION] « remboursement » ne devait avoir lieu qu'après l'approbation du logiciel par Ticketnet et que si les ventes de billets parvenaient à générer un montant minimum de 2 millions de dollars, au taux de cinq sous par billet vendu pendant une période de cinq ans.

[33]       Il se peut bien qu'au 30 juin 1986, le développement du logiciel était presque terminé; cependant, il y avait encore des « bogues » à régler dans certaines unités de programme et le système en tant qu'ensemble n'avait pas encore été testé. En fait, pour d'autres raisons, Ticketnet n'a jamais approuvé, au sens du contrat, le logiciel. Le contrat ne traite nulle part du devoir de [TRADUCTION] « rembourser » si survenait une telle éventualité, et étant donné que les dispositions relatives au remboursement par l'entremise de la vente de billets sont formulées d'une façon très précise, et aussi en raison de la possibilité traitée dans le prochain paragraphe, je ne pense pas qu'une obligation à cet effet puisse être présumée.

[34]       L'entente prévoyait expressément la possibilité qu'une fois le logiciel approuvé, Ticketnet pourrait ne pas être en mesure de payer à Air Canada la somme de cinq sous pour chaque billet vendu par l'entremise du logiciel en conformément à l'échéancier prévu. Cela pourrait se produire si le logiciel n'était pas un succès commercial et si un nombre insuffisant de billets étaient vendus pour générer les montants minimaux payables aux échéances prévues. Cela pourrait aussi se produire dans le cas où même si les montants générés étaient suffisamment élevés, mais que Ticketnet faisait défaut de paiement.

[35]       Peu importe la raison qui ferait que Ticketnet n'effectuerait pas les paiements prévus, l'entente prévoyait l'option pour Air Canada d'acheter le logiciel pour la somme de 2 millions de dollars, option selon laquelle Ticketnet devait payer le solde du 2 millions de dollars qu'elle n'avait toujours pas remboursé à Air Canada grâce à la vente des billets. Le contrat ne prévoyait pas qu'Air Canada pouvait, dans de telles circonstances, poursuivre Ticketnet en justice pour recouvrer la partie du prêt n'ayant pas été [TRADUCTION] « remboursée » au lieu d'exercer son option d'achat.

[36]       L'avocate de la demanderesse m'a renvoyé à l'arrêt Société d'assurance-dépôts du Canada c. Banque commerciale du Canada, [1992] 3 R.C.S. 558, quant à l'affirmation qu'une opération ne perd pas sa qualité de prêt parce qu'elle inclut des dispositions ayant pour effet de faire participer le prêteur aux profits que génèrent les activités de l'emprunteur. La question en litige dans l'affaire Société d'assurance-dépôts était de savoir si une telle entente hybride constituait fondamentalement un prêt auquel les autres éléments étaient accessoires.

[37]       En concluant que l'entente était fondamentalement un prêt (à la page 599), le juge Iacobucci a fait remarquer plus particulièrement la disposition de l'entente par laquelle l'emprunteur promettait d'indemniser ceux qui lui prêtaient le capital de toute perte qu'ils pouvaient subir si les profits étaient insuffisants pour couvrir le montant prêté. Cependant, dans la présente affaire, je ne peux conclure que Ticketnet a promis inconditionnellement de rembourser les 2 millions de dollars : il n'y a donc pas de contrat de prêt.

[38]       L'avocat du ministère public se fonde sur la décision Alberta and Southern Gas Co. Ltd. c. La Reine, (1976), 76 D.T.C. (C.F. 1re inst.), où la Cour a rejeté la prétention que l'opération juridique était un prêt parce que Amoco, le prétendu emprunteur, ne s'était pas engagé personnellement à rembourser. En application de l'entente, le juge Cattenach dit (à la page 6368) :

[TRADUCTION] la demanderesse, afin d'obtenir son remboursement, ne pourra se tourner que vers les matières pétrolières, jusqu'à concurrence de la part d'Amoco qui lui a été attribuée à cet égard.

[39]       Il peut sembler que la présente affaire se distingue de l'affaire Alberta and Southern Gas en ce que Ticketnet n'a pas cédé les redevances à Air Canada, mais a plutôt assumé la responsabilité personnelle de [TRADUCTION] « rembourser » les 2 millions de dollars à partir de celles-ci. Cependant, conformément à la clause 3.3(b) de l'entente relative au développement du logiciel, si Air Canada ne recevait pas le paiement minimal indiqué à une échéance prévue, elle avait la possibilité d'acheter le logiciel de Ticketnet pour une somme de 2 millions de dollars, somme de laquelle Air Canada pouvait obtenir compensation du montant impayé du « prêt » que Ticketnet se devait de payer à même la vente de billets.

[40]       Ainsi, tout comme la demanderesse dans l'affaire Alberta and Southern Gas a cherché à obtenir son remboursement à même les matières pétrolières, Air Canada pouvait ultimement recourir à sa possibilité d'acheter le logiciel pour obtenir son remboursement, dans l'éventualité où elle ne recevrait pas les paiements convenus devant provenir de la vente des billets.

[41]       L'argument de l'avocate de la demanderesse voulant que l'entente soit un prêt indépendant de la livraison et de l'approbation du logiciel est également problématique en ce que sa seule justification commerciale semble être le bénéfice fiscal. Abstraction faite des renvois aux termes [TRADUCTION] « remboursement » et [TRADUCTION] « montant avancé » par Air Canada, l'essence même de l'opération est que Air Canada supportera pour Ticketnet une partie importante des coûts de développement du logiciel et, en retour, recevra une part préétablie des profits anticipés. De façon subsidiaire, on peut considérer que Air Canada offrait simplement des services à crédit, services que Ticketnet devait rembourser à partir des profits générés par l'utilisation du logiciel. Cela, bien sûr, ne fait pas du contrat un contrat de prêt.

[42]       Évidemment, si une interprétation correcte des termes de l'entente crée une relation de prêteur et d'emprunteur entre Air Canada et Ticketnet en imposant clairement à Ticketnet une obligation soit expresse, soit implicite de rembourser, alors cela serait concluant, et Ticketnet aurait droit au crédit d'impôt. Cependant, si les modalités du contrat ne sont pas claires à cet égard, en l'absence d'une justification commerciale autre que l'obtention du crédit d'impôt, la Cour ne devrait pas, à mon avis, s'efforcer d'interpréter le contrat de la façon proposée par l'avocate de la demanderesse.

            b) la preuve comptable

[43]       Pour pallier tout défaut de l'entente relative au développement du logiciel, l'avocate de Ticketnet allègue qu'un certain poids devrait être accordé à la façon dont est qualifiée l'obligation de Ticketnet par ses vérificateurs dans ses états financiers, préparés en conformité avec les principes comptables généralement reconnus au Canada.

[44]       Ainsi, pour l'année 1985, les dépenses de la compagnie comprenaient un élément appelé [TRADUCTION] « sous-traitance, 1 192 800 $ » ; c'est le montant pour lequel Air Canada a soumis un état de compte le 3 janvier 1986. Ce même chiffre apparaît aussi comme [TRADUCTION] « Dette à long terme » , accompagné de la note explicative suivante :

[TRADUCTION] Prêt sans intérêt consenti par Air Canada, remboursable au taux de 5 sous par billet vendu par le système, des paiements minimaux devant être faits suite à l'approbation du logiciel, de la façon suivante : 15 % après 36 mois, 35 % après 48 mois et 50 % après 60 mois.

[45]       Des inscriptions similaires se trouvent dans les états financiers du vérificateur de Ticketnet pour la période de 6 mois se terminant le 30 juin 1986. Pour cette période, cependant, les dépenses attribuables à la sous-traitance sont de 807 200 $ et la dette à long terme due à Air Canada apparaît comme étant de 2 millions de dollars, avec la même note explicative qui apparaissait dans le document de 1985.

[46]       Je ne trouve pas cette preuve convaincante. Premièrement, la question de savoir si l'obligation de Ticketnet envers Air Canada peut à juste titre être considérée comme naissant d'un prêt ou de la fourniture de services, ou comme obligation inconditionnelle ou obligation éventuelle, est une question de droit qui dépend de l'interprétation du contrat entre Air Canada et Ticketnet. Cela ne relève pas des principes comptables généralement reconnus.

[47]       Cela est compatible avec l'opinion exprimée par le juge Iacobucci dans l'arrêt Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147, aux pages 165 et 166. Il dit que, bien que les principes comptables ou les principes d'affaires généralement reconnus peuvent aider à interpréter un terme d'une loi fiscale pour lequel le Parlement n'a pas donné de définition,

[...] des principes commerciaux reconnus ne sont pas des règles de droit et, partant, il est possible qu'un principe donné ne s'applique pas à tous les cas. Fait plus important encore, ces principes doivent nécessairement occuper un rang subordonné par rapport aux règles de droit qui régissent la question.

En conséquence, la question de savoir si l'obligation de Ticketnet était « éventuelle » aux fins de l'alinéa 18(1)e) de la Loi de l'impôt sur le revenu, ou celle de savoir si l'avance était un prêt, ne peut être tranchée péremptoirement par son inclusion dans les états financiers sous la rubrique [TRADUCTION] « dette à long terme » .

[48]       De plus, comme en a témoigné M. Machado, responsable de la vérification fiscale à Revenu Canada, l'objet d'un état financier est de donner aux investisseurs une description complète et précise de la situation financière de la compagnie. Dans ce contexte, il serait avisé d'inclure une dette, peu importe qu'il s'agisse d'une dette éventuelle ou d'une dette échue mais payable dans l'avenir. Aux fins de l'impôt, par contre, la distinction entre obligation éventuelle et obligation inconditionnelle est déterminante : J.-L. Guay Ltée c. Ministre du Revenu national, (1971) 71 D.T.C. 5423, aux pages 5426 et 5427 (C.F. 1re inst.); conf. par (1975), 6 N.R. 550 (C.S.C.); Canderel Ltée c. Canada (précité), à la page 179.

[49]       Monsieur Machado a aussi soulevé une question à propos de la nature des documents fournis à Ticketnet par Air Canada qui décrivent le travail effectué et qui fixent un montant calculé sur la base de 8 400 $ dollars par [TRADUCTION] « personne\mois » ayant travaillé sur le projet. Il a souligné que tous ces documents, sauf un, ont été décrits comme des [TRADUCTION] « relevés » et ont été signés par le directeur du projet et non par une personne du service de comptabilité d'Air Canada. Il était d'avis que ces documents s'apparentait davantage à des rapports d'étapes informatifs qu'à des factures faisant état de sommes dues, comme Ticketnet les a qualifiés. De plus, parmi tous les documents de l'année 1985, le document constituant sans équivoque une « facture » faisait état d'une somme de 2 millions de dollars, tandis que le relevé soumis par Air Canada ne faisait état que d'une somme de 1 192 800 $, soit le montant utilisé par les vérificateurs dans les états financiers.

[50]       Je n'accorde pas beaucoup d'importance à ces divergences : le contrat exigeait de Air Canada qu'elle [TRADUCTION] « remett[e] des factures à TN sur une base régulière » , et le fait que Air Canada ait pu être négligente dans l'exécution de son obligation ne peut pas être reproché à Ticketnet.

[51]       Cependant, la façon apparemment imprécise et peu diligente dont certains de ces relevés ainsi que la facture paraissent avoir été établis peut tendre à démontrer que, comme l'allègue Ticketnet, même si ces relevés ou factures avaient pour effet de faire baisser les versements sur le prêt de 2 millions de dollars, cela ne revêtait pas une grande importance sur les plans comptable et commercial pour Air Canada. Il n'est guère surprenant que je ne dispose d'aucune preuve à propos des documents internes d'Air Canada traitant d'un prêt consenti à Ticketnet.

                        c) considérations d'équité

[52]       L'avocate de Ticketnet allègue aussi que des considérations d'équité appuyaient l'analyse de l'entente faite par Ticketnet. Elle allègue qu'il ne devrait pas y avoir, en principe, d'objection au fait qu'une partie, Air Canada, ait deux identités contractuelles : celle de fournisseur de services et celle de prêteur de l'argent utilisé pour payer ces services. Après tout, dit-elle, si Ticketnet avait emprunté l'argent d'un tiers pour payer les états de compte que Air Canada lui remettait périodiquement pour services rendus, il n'y aurait eu aucun doute quant au droit de Ticketnet de bénéficier du crédit d'impôt à l'investissement pour les dépenses ainsi occasionnées, sous la forme d'une obligation de rembourser un prêt encouru dans le but de financer la recherche et le développement. Il serait injuste, allègue l'avocate, de refuser à Ticketnet le bénéfice du crédit d'impôt simplement parce que Air Canada fournissait tant le service que le financement de ce service.

[53]       Cet argument fait abstraction de l'essentiel. Le problème n'est pas que le fournisseur du service et le prêteur soient une seule et même personne, mais bien que les modalités du contrat n'imposent pas à Ticketnet une obligation non équivoque de rembourser l'argent prêté, l'une des caractéristiques juridiques déterminantes d'un prêt. Si Ticketnet avait trouvé un tiers acceptant de financer le développement du logiciel par Air Canada aux mêmes conditions que celles convenues avec Air Canada, mon analyse de l'opération aurait été la même.

                        d) conclusion

[54]       Pour ces motifs, je ne suis pas convaincu que les modalités du contrat créent deux relations juridiques indépendantes entre Ticketnet et Air Canada, c'est-à-dire celle de prêteur et d'emprunteur, et celle de fournisseur de services et de bénéficiaire de services. Malgré les arguments raffinés présentés pour le compte de Ticketnet, l'avocat du ministère public a raison de dire que les obligations légales assumées par Ticketnet en vertu du contrat n'étaient pas celles d'un emprunteur et que la réalité commerciale sous-jacente, à part les considérations fiscales, n'appuie pas une telle interprétation. Je ne trouve rien non plus dans la preuve comptable qui puisse faire changer l'idée que je me suis faite sur la base du document contractuel.

            (ii) la théorie du contrat unique

                        a) l'obligation inconditionnelle

[55]       Dans le cas où la théorie du contrat double ne m'aurait pas convaincu, ce qui est le cas, l'avocate de Ticketnet a proposé une théorie subsidiaire sur laquelle se fonderait la réclamation du crédit d'impôt de Ticketnet. Cette théorie est que l'obligation contractuelle de Ticketnet de payer pour les services qu'elle a obtenus de Air Canada ne dépendait pas de son approbation du logiciel. L'argument veut que le contrat portait sur la fourniture de services, et non sur la livraison d'un produit.

[56]       Monsieur Clark a témoigné que puisque Ticketnet avait accepté le logiciel à ses diverses étapes de développement, l'approbation finale n'était qu'une simple formalité. En effet, dit-il, au 30 juin 1986, le travail avait progressé au point que le logiciel était à toutes fins pratiques complété. À vrai dire, Ticketnet avait avisé Air Canada qu'elle était prête à accepter le logiciel tel qu'il était, avant même que les derniers tests soient effectués et que les « bogues » du programme aient été éliminés.

[57]       L'avocate a insisté fortement lorsqu'elle a demandé s'il était vraiment possible que Ticketnet échappe à son obligation de payer pour le travail fait par Air Canada, en refusant arbitrairement d'approuver le logiciel. Sûrement pas, dit-elle, vu que Ticketnet se retrouverait, de cette façon, propriétaire d'un logiciel de grande valeur sans avoir eu à payer pour les améliorations qui y ont été apportées à sa demande par Air Canada, dans l'expectative d'être payée pour le travail.

[58]       De plus, soumet-elle, il serait faux de penser que Ticketnet n'avait pas droit au crédit d'impôt au motif qu'elle n'avait pas subi de perte réelle. Au contraire, dans l'action civile opposant Air Canada et Ticketnet, le juge Farley a réduit de 2 millions de dollars le montant des dommages-intérêts qu'il aurait accordés à Ticketnet pour [TRADUCTION] « opérer compensation » du montant de son obligation contractuelle envers Air Canada.

[59]       À mon avis, le jugement dans Ticketnet Corporation c. Air Canada n'est d'aucune utilité pour la demanderesse, parce qu'en déduisant les 2 millions de dollars des dommages-intérêts accordés à Ticketnet pour [TRADUCTION] « opérer compensation » de sa perte, le juge Farley n'a pas jugé qu'au 30 juin 1986, l'obligation de Ticketnet envers Air Canada était inconditionnelle. Pour accorder les dommages-intérêts, il s'est plutôt fondé sur une estimation des profits nets que Ticketnet aurait pu faire si le contrat avait été exécuté. Si le contrat avait été exécuté et si les évènements s'étaient déroulés comme l'avaient prévu les parties, les profits de Tickenet auraient été réduits d'une somme de 2 millions de dollars qu'elle aurait dû payer à Air Canada à même le produit de la vente de billets par l'entremise du logiciel.

[60]       En d'autres termes, il n'y a rien dans les jugements du juge Farley et de la Cour d'appel qui contredise la prétention du ministère public que dans la présente affaire, le contrat portait sur le développement et la livraison d'un produit, à savoir un logiciel conforme aux spécifications graphiques et fonctionnelles exigées par Ticketnet. De plus, jusqu'à ce que le produit fini soit livré par Air Canada et approuvé par Ticketnet, l'obligation de payer de Ticketnet n'était qu'éventuelle : elle n'aurait peut-être jamais eu à payer quoi que ce soit.

[61]       Il ne découle pas nécessairement de cette interprétation du contrat que Ticketnet aurait pu refuser d'approuver le logiciel sans avoir une raison valable. Évidemment, au moment d'accepter ou de refuser le logiciel, Ticketnet aurait été tenue de prendre sa décision en toute bonne foi. Aucune cour ne ferait droit à une demande présentée par Ticketnet voulant qu'elle ait eu droit, en vertu du contrat, de s'enrichir aux dépens de Air Canada simplement en refusant sans raison valable d'approuver le logiciel, évitant ainsi de déclencher l'application des dispositions du contrat portant sur le paiement d'une part du produit de la vente des billets.

[62]       Supposons, en revanche, que pour des raisons qui lui seraient propres, Air Canada aurait décidé de laisser tomber le projet avant qu'il ne soit terminé, ou qu'elle aurait livré un logiciel qui ne fonctionne pas en tant que système conformément aux spécifications, de sorte que Ticketnet fût pleinement justifiée de ne pas l'approuver. Dans ces circonstances, je n'estime pas que Air Canada pourrait réclamer un paiement de 2 millions de dollars. Ce n'est tout simplement pas ce que prévoit le contrat : les paiements dépendent du succès commercial du développement et de la mise en marché d'un logiciel conçu pour accomplir une fonction définie. Le contrat ne prévoit pas non plus une obligation de payer quantum meruit, compte tenu des dispositions contractuelles fixant clairement la manière dont Ticketnet devait payer pour le développement du logiciel.

[63]       Le fait que Ticketnet ne serait pas tenue de payer si Air Canada manquait à son obligation de livrer le logiciel ou si elle n'approuvait pas le logiciel livré pour une raison valable suffit pour considérer la dette comme une éventualité, telle que définie dans Samuel F. Investments Ltd. c. Ministre du Revenu national, (1988) 88 D.T.C. 1106 (C.C.I.).

[64]       Pour ces motifs, je suis convaincu que le 30 juin 1986, l'obligation de Ticketnet de payer 2 millions de dollars à Air Canada était éventuelle. L'approbation était une condition nécessaire « à la naissance » de l'obligation : le droit de Air Canada de recevoir le paiement ne dépendait pas seulement de l'écoulement du temps.

                        b) condition résolutoire

[65]       Le dernier argument de l'avocate de Ticketnet était que même si je décidais, comme je l'ai fait, que l'approbation du logiciel par Ticketnet était une condition reliée à son obligation envers Air Canada, l'entente devrait être interprétée comme imposant une condition résolutoire, et non une condition suspensive. Selon ce point de vue, l'obligation de Ticketnet n'était pas, le 30 juin 1986, de nature éventuelle, mais, tout au plus, l'obligation aurait pu être annulée par la survenance, ou, plus précisément, par la non survenance d'un évènement, à savoir le refus de bonne foi de Ticketnet d'approuver le logiciel.

[66]       La question de savoir si une condition est suspensive ou résolutoire dépend entièrement de l'interprétation de l'acte juridique à l'origine de l'obligation conditionnelle en question. L'avocate n'a pas fait ressortir quoi que ce soit de la formulation de l'entente relative au développement du logiciel pour appuyer son interprétation. En réalité, je suis d'avis qu'il ressort clairement du contrat que Ticketnet n'assumait aucune obligation inconditionnelle de payer avant que le logiciel ne soit approuvé et que des billets ne soient vendus. Si le logiciel était approuvé, mais que des paiements moindres que ceux stipulés étaient faits à partir de la vente de billets, Ticketnet aurait alors eu l'obligation, si Air Canada le lui demandait, de lui vendre les droits sur le logiciel pour un montant dépendant de la proportion du 2 millions de dollars déjà payée par Ticketnet à partir du produit de la vente de billets.

[67]       L'avocate cite l'arrêt Canadian Pacific Ltd. c. Ministre du Revenu national, (1998) 41 O.R. (3d) 606 (C.A. Ont.), comme exemple d'une affaire où il a été décidé que l'existence d'un évènement futur et incertain ayant une incidence sur l'obligation du contribuable a été considérée comme une condition résolutoire. Cependant, dans cette affaire, l'incertitude ne portait que sur le montant de l'obligation et non sur l'obligation même : de plus, tout changement dans le montant a été considéré par le juge d'appel Borins (à la page 621) comme susceptible d'entraîner [TRADUCTION] « relativement peu de conséquences » .

[68]       La distinction faite entre l'incertitude de l'obligation par opposition à l'incertitude du montant de l'obligation s'appuie sur la décision J.L. Guay Ltée (précitée), ou il a été décidé que l'incertitude a eu pour effet de faire de la dette une dette éventuelle parce que

[TRADUCTION] nous avons affaire à des sommes retenues qui non seulement sont incertaines quant à leur quantum advenant qu'une réparation partielle soit accordée en raison d'un travail mal fait, mais qui ne seront plus exigibles ou payables si le montant des dommages excède la somme retenue.

[69]       Les parties ont pu évidemment s'entendre pour dire que Ticketnet avait l'obligation de payer les 2 millions de dollars à Air Canada pour les services rendus par celle-ci et que cette obligation serait annulée advenant la non approbation de bonne foi du logiciel. À mon avis, cependant, ce n'est pas ce que prévoit le contrat.


E.          Conclusion

[70]       Pour ces motifs, la demande est rejetée. Les avocats pourront présenter leurs observations écrites sur la question des dépens dans les 14 jours suivant la date du présent jugement.

John M. Evans                

__________________________

J.C.F.C.                   

OTTAWA (ONTARIO)

Le 11 juin 1999.

Traduction certifiée conforme

Martin Desmeules


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                             T-2185-88

INTITULÉ DE LA CLAUSE :              Ticketnet Corporation c. Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                                 TORONTO (ONTARIO)

DATES DE L'AUDIENCE :                 les 13 et 14 avril 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR LE JUGE EVANS

EN DATE DU :                                                 11 juin 1999

ONT COMPARU :

M. Terence SweeneyPOUR LA DEMANDERESSE

Mme Eva M. Krasa

M. Donald G. GibsonPOUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS AU DOSSIER :

Borden & ElliotPOUR LA DEMANDERESSE

Toronto (Ontario)

M. Morris RosenbergPOUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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