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Date : 20190225


Dossier : T‑279‑19

Référence : 2019 CF 225

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Montréal (Québec), le 25 février 2019

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

LA COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA

demanderesse

et

GIBRALTAR MINES LTD.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La demanderesse, la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le CN), sollicite une ordonnance portant que tous les renseignements et documents déposés dans le cadre de la présente procédure de contrôle judiciaire soient produits et conservés sous le sceau de la confidentialité. La défenderesse, Gibraltar Mines Ltd. (Gibraltar), s’oppose à la requête.

[2]  Pour les motifs énoncés ci‑dessous, la requête sera rejetée.

I.  CONTEXTE

[3]  Le CN a déposé une demande de contrôle judiciaire (la demande) de la décision rendue par un arbitre (la décision) sous le régime de la partie IV de la Loi sur les transports au Canada, LC 1996, ch 10 (la Loi).

[4]  Dans une lettre datée du 10 octobre 2018 et envoyée à l’Office des transports du Canada (l’Office) pour solliciter l’arbitrage de l’offre finale, arbitrage qui a donné lieu à la décision, Gibraltar a également demandé, conformément à l’article 167 de la Loi, que les renseignements relatifs à l’arbitrage demeurent confidentiels.

[5]  Le CN indique que cette demande de Gibraltar constitue le fondement de sa requête, et allègue plus précisément ce qui suit :

  1. les documents en question doivent, en vertu d’une règle de droit, être considérés comme confidentiels; ainsi, ils satisfont aux exigences de l’article 152 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles);
  2. même à supposer que l’article 152 ne s’applique pas, une ordonnance de confidentialité est justifiée en vertu de l’article 151 des Règles.

II.  ARTICLE 152

[6]  Le paragraphe 152(1) des Règles est ainsi libellé :

Identification des documents confidentiels

Marking of confidential material

152 (1) Dans le cas où un document ou un élément matériel doit, en vertu d’une règle de droit, être considéré comme confidentiel ou dans le cas où la Cour ordonne de le considérer ainsi, la personne qui dépose le document ou l’élément matériel le fait séparément et désigne celui-ci clairement comme document ou élément matériel confidentiel, avec mention de la règle de droit ou de l’ordonnance pertinente.

152 (1) Where the material is required by law to be treated confidentially or where the Court orders that material be treated confidentially, a party who files the material shall separate and clearly mark it as confidential, identifying the legislative provision or the Court order under which it is required to be treated as confidential.

[7]  L’article 167 de la Loi, auquel le CN renvoie pour appuyer son argument selon lequel les documents doivent être considérés comme confidentiels, se lit comme suit :

Caractère confidentiel

Confidentiality of information

167 La partie à un arbitrage qui désire que des renseignements relatifs à celui-ci demeurent confidentiels en avise l’Office et :

167 Where the Agency is advised that a party to a final offer arbitration wishes to keep matters relating to the arbitration confidential,

a) l’Office et l’arbitre prennent toutes mesures justifiables pour éviter que les renseignements soient divulgués soit de leur fait, soit au cours des procédures d’arbitrage à quiconque autre que les parties;

(a) the Agency and the arbitrator shall take all reasonably necessary measures to ensure that the matters are not disclosed by the Agency or the arbitrator or during the arbitration proceedings to any person other than the parties; and

b) les motifs des décisions donnés en application du paragraphe 165(5) ne peuvent faire état des renseignements que les parties à un contrat sont convenues de garder confidentiels.

(b) no reasons for the decision given pursuant to subsection 165(5) shall contain those matters or any information included in a contract that the parties agreed to keep confidential.

[8]  Le CN affirme que le législateur a employé un libellé général pour définir les renseignements qui doivent demeurer confidentiels à la demande d’une partie conformément à cette disposition. Il allègue que l’exigence de confidentialité relative à l’arbitrage de l’offre finale s’étend à une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la décision afférente d’un arbitre. Le CN affirme que l’ordonnance prononcée le 17 septembre 2013 par le protonotaire Roger R. Lafrenière (plus tard juge à la Cour fédérale) dans l’affaire National Gypsum (Canada) Ltd. c Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada, dossier T‑1323‑13 de la Cour fédérale [National Gypsum], constitue un précédent pour ce qui est d’accorder une ordonnance de confidentialité du même type que celle demandée dans la présente requête.

[9]  Gibraltar allègue que l’effet de l’article 167 de la Loi est restreint à l’arbitrage de l’offre finale dont il est question en l’espèce, et que l’article n’est pas censé s’étendre aux procédures judiciaires relatives à une demande de contrôle de la décision d’un arbitre. En dehors du fait qu’il n’est nullement mentionné à l’article 167 que l’effet de celui‑ci s’étend au‑delà de l’arbitrage lui‑même, Gibraltar souligne également le principe bien connu selon lequel le processus judiciaire devrait être ouvert et public. À cet égard, la défenderesse renvoie à la décision rendue par la Cour suprême de la Colombie‑Britannique dans l’affaire McHenry Software Inc. c ARAS 360 Incorporated, 2014 BCSC 1485, dans laquelle la Cour a déclaré ce qui suit au paragraphe 35 : [traduction] « il n’existe aucun principe général qui prévoit que la confidentialité de la procédure d’arbitrage s’applique aux instances judiciaires lorsque l’arbitrage fait l’objet d’un appel. Au contraire, ces instances sont généralement publiques ». Gibraltar fait aussi une distinction entre la présente affaire et la décision National Gypsum, puisque celle‑ci était fondée sur le consentement de la défenderesse, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

[10]  Je suis d’accord avec Gibraltar. Je ne puis admettre que le législateur ait eu pour objectif que l’article 167 de la Loi s’étende aux procédures judiciaires qui peuvent avoir lieu à la suite d’un arbitrage. Rien, dans le libellé de la disposition, ne prévoit un tel effet étendu, et le principe général de processus judiciaire ouvert et public devrait s’appliquer, à moins d’indication contraire.

[11]  Il peut être approprié, dans certaines circonstances, de prononcer une ordonnance de confidentialité dans le cadre du contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre, mais il devrait exister des circonstances telles que les exigences établies à l’article 151 des Règles et dans l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sierra Club du Canada c Canada (Ministre des Finances), 2002 CSC 41 [Sierra Club] soient remplies, comme il en sera question à la section suivante.

III.  ARTICLE 151

[12]  L’article 151 des Règles est libellé de la manière suivante :

Requête en confidentialité

Motion for order of confidentiality

151 (1) La Cour peut, sur requête, ordonner que des documents ou éléments matériels qui seront déposés soient considérés comme confidentiels.

151 (1) On motion, the Court may order that material to be filed shall be treated as confidential.

Circonstances justifiant la confidentialité

Demonstrated need for confidentiality

(2) Avant de rendre une ordonnance en application du paragraphe (1), la Cour doit être convaincue de la nécessité de considérer les documents ou éléments matériels comme confidentiels, étant donné l’intérêt du public à la publicité des débats judiciaires.

(2) Before making an order under subsection (1), the Court must be satisfied that the material should be treated as confidential, notwithstanding the public interest in open and accessible court proceedings.

[13]  L’arrêt Sierra Club prévoit ce qui suit, au paragraphe 53 :

Une ordonnance de confidentialité en vertu de la règle 151 ne doit être rendue que si :

a)  elle est nécessaire pour écarter un risque sérieux pour un intérêt important, y compris un intérêt commercial, dans le contexte d’un litige, en l’absence d’autres options raisonnables pour écarter ce risque;

b)  ses effets bénéfiques, y compris ses effets sur le droit des justiciables civils à un procès équitable, l’emportent sur ses effets préjudiciables, y compris ses effets sur la liberté d’expression qui, dans ce contexte, comprend l’intérêt du public dans la publicité des débats judiciaires.

[14]  La Cour suprême du Canada a ajouté que « trois éléments importants » étaient compris dans le premier volet du critère :

  • a) le risque en cause doit être réel et important, être bien étayé par la preuve et menacer gravement l’intérêt commercial en question (paragraphe 54);

  • b) l’« intérêt commercial important » en question ne doit pas se rapporter uniquement et spécifiquement à la partie qui demande l’ordonnance de confidentialité; il doit s’agir d’un intérêt qui peut se définir en termes d’intérêt public à la confidentialité (paragraphe 55);

  • c) l’expression « autres options raisonnables » oblige le juge non seulement à se demander s’il existe des mesures raisonnables autres que l’ordonnance de confidentialité, mais aussi à restreindre l’ordonnance autant qu’il est raisonnablement possible de le faire tout en préservant l’intérêt commercial en question (paragraphe 57).

[15]  Le CN soutient que les documents et les renseignements qu’il cherche à protéger comprennent des renseignements commerciaux de nature délicate dont la divulgation publique pourrait lui nuire. Il prétend également que, pour assurer l’intégrité du processus d’arbitrage, il est nécessaire de respecter des attentes des parties en matière de confidentialité des documents et des renseignements présentés dans le cadre de ce processus. La demanderesse ajoute que les effets bénéfiques de l’ordonnance demandée l’emportent sur les effets préjudiciables, puisque celle‑ci ne ferait que maintenir le traitement confidentiel préexistant qui protège l’intérêt des parties, et qu’elle ne compromettrait pas l’intérêt public. Enfin, le CN affirme que le refus de lui accorder l’ordonnance sollicitée pourrait l’obliger à refuser de communiquer l’ensemble du dossier d’arbitrage pour protéger son intérêt, ce qui nuirait à sa capacité à présenter ses arguments.

[16]  Gibraltar allègue pour sa part que la plus grande partie des renseignements qui seraient assujettis à l’ordonnance demandée sont déjà du domaine public, et qu’ils ne devraient donc pas être soustraits à l’attention de la Cour. Elle note l’absence de preuve démontrant que les documents en question satisfont aux exigences établies dans l’arrêt Sierra Club. La défenderesse reconnaît que certains des renseignements présentés dans le contexte du processus d’arbitrage peuvent répondre au critère de l’arrêt Sierra Club, mais elle allègue qu’on ne dispose pas de suffisamment de renseignements pour rendre l’ordonnance à ce stade‑ci. Elle propose de laisser au juge saisi de la demande le soin de rendre une décision relative à la confidentialité.

[17]  Je suis d’accord avec Gibraltar dans l’ensemble. Outre le fait que Gibraltar a demandé que les renseignements relatifs à l’arbitrage demeurent confidentiels, il n’y a aucune preuve démontrant que les documents en question satisfont aux exigences établies à l’article 151 des Règles et dans l’arrêt Sierra Club. Compte tenu des éléments de preuve dont je dispose, il m’apparaît qu’au moins une partie des renseignements en question sont déjà du domaine public et que, par conséquent, ils ne sont pas confidentiels. Si, comme le reconnaît Gibraltar, certains des renseignements visés sont bien confidentiels, la portée de toute ordonnance de confidentialité doit être limitée à ce qui est nécessaire pour les protéger.

IV.  CONCLUSION

[18]  Je rejetterai la requête du CN. En fonction des éléments de preuve dont je dispose à l’heure actuelle, il serait inapproprié de rendre l’ordonnance de confidentialité demandée. Cependant, je reconnais que l’une des parties — ou les deux — pourrait éventuellement vouloir déposer des documents confidentiels. Lorsque l’une ou l’autre des parties sera en mesure de démontrer que les documents satisfont aux exigences relatives à une ordonnance de confidentialité, elle pourra soumettre une nouvelle requête à cet effet.


ORDONNANCE dans le dossier T‑279‑19

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée avec dépens.

« George R. Locke »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 13e jour de mai 2019.

Karine Lambert, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑279‑19

INTITULÉ :

COMPAGNIE DES CHEMINS DE FER NATIONAUX DU CANADA c GIBRALTAR MINES LTD.

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) en vertu de L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDoNNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

DATE DES MOTIFS :

LE 25 FÉVRIER 2019

COMPARUTIONS :

Douglas C. Hodson, c.r.

POUR LA DEMANDERESSE

Louis J. Zivot

POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MLT Aikins

Avocats

Saskatoon (Saskatchewan)

POUR LA DEMANDERESSE

McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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