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Date : 20190430


Dossier : IMM‑3862‑18

Référence : 2019 CF 547

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2019

En présence de madame la juge McDonald

ENTRE :

SAMUEL NNAEMEKA OGAULU

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, un citoyen du Nigéria, sollicite le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) qui confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) de rejeter sa demande d’asile au Canada. Il affirme qu’il est exposé à des risques au Nigéria parce que son église soutient les droits des LGBT.

[2]  Pour les motifs qui suivent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée parce que la décision de la SAR est raisonnable et que le demandeur n’a soulevé aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour.

Contexte

[3]  Le demandeur dit craindre d’être persécuté au Nigéria parce que son église soutient les droits des gais et lesbiennes en Afrique du Sud. Il affirme qu’il a été agressé pour cette raison à plusieurs reprises en Afrique du Sud et à une reprise au Nigéria. Il prétend qu’il a été agressé en mai 2016 pendant un court séjour au Nigéria même s’il vivait en Afrique du Sud avec son épouse et ses enfants depuis de nombreuses années. Le demandeur allègue qu’il est perçu comme un membre de la communauté LGBT parce qu’il soutient et protège ses droits.

[4]  Bien que, pour trancher la demande d’asile du demandeur, la SPR et la SAR aient analysé la situation en Afrique du Sud et au Nigéria, elles considéraient le Nigéria comme le seul pays de référence. Le demandeur ne s’est pas opposé à ce raisonnement.

[5]  La SPR a rejeté la demande d’asile du demandeur en raison de diverses incohérences et omissions dans son témoignage. La SPR a conclu que le demandeur n’avait pas de crainte subjective. Le demandeur a interjeté appel auprès de la SAR.


Décision faisant l’objet du contrôle

[6]  Le demandeur n’a pas demandé à la SAR d’admettre de nouveaux éléments de preuve ou de tenir une audience. Lors de l’examen de l’appel interjeté à l’encontre de la décision de la SPR, la SAR a tenu compte des Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (l’OSIGEG).

[7]  La SAR a signalé qu’il y avait d’importantes incohérences relativement à l’agression qui serait survenue en mai 2016 au Nigéria, qui est le fondement de la demande d’asile du demandeur. La SAR a conclu que le témoignage du demandeur sur certains aspects de l’agression était évasif et manquait de détails. La SAR a souscrit à la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas établi, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait été agressé au Nigéria ou qu’il y serait exposé à des risques.

[8]  La SPR a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité du demandeur parce qu’il n’a pas mentionné dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (le formulaire FDA) que son frère était présent au moment de l’agression survenue en mai 2016. Selon son témoignage et les affidavits sur lesquels il entendait s’appuyer, son frère était présent. La SAR a conclu lors de son examen que cette omission n’était pas un détail sans importance, car le frère du demandeur aurait non seulement été présent au moment de l’agression, mais il aurait aussi joué un rôle primordial pendant l’incident selon le témoignage du demandeur et l’affidavit du frère. Par conséquent, les explications fournies par le demandeur pour expliquer pourquoi il n’avait pas mentionné ce fait dans son formulaire FDA n’étaient pas suffisantes.

[9]  Dans son formulaire FDA, le demandeur a fourni peu de détails au sujet des agressions dont il aurait été victime en Afrique du Sud. Plus particulièrement, il n’a pas fourni les dates de ses agressions ni le moment auquel il a commencé à conseiller et à soutenir les personnes LGBT au nom de son église, ce qui serait l’activité qui l’a mis en danger. Étant donné que ces agressions ont poussé le demandeur à fuir l’Afrique du Sud, la SAR a souscrit à l’opinion de la SPR selon laquelle ces omissions importantes ont également miné la crédibilité du demandeur.

[10]  Le demandeur a également omis certains autres petits détails dans son formulaire FDA, dont le nom d’un ami qui serait décédé et les appels faits à son épouse et à un ami pendant son agression. Bien que ces omissions soient mineures par rapport aux autres incohérences et omissions plus importantes, la SAR a conclu qu’elles appuyaient les conclusions de la SPR quant à la crédibilité.

[11]  Lorsqu’elle a évalué la crainte subjective, la SPR a constaté que le demandeur détenait un visa de visiteur valide aux États‑Unis et qu’il s’y était rendu en octobre 2016 (après l’agression de mai 2016), mais il n’a pas présenté de demande d’asile à partir de ce pays. De plus, il est retourné en Afrique du Sud et y est resté pendant neuf mois malgré les agressions et le harcèlement dont il aurait été victime. La SPR a conclu que ces actes démontraient l’absence d’une crainte subjective. La SAR a souscrit à cette conclusion en appel.

[12]  La preuve documentaire sur laquelle le demandeur s’est appuyé comprenait les affidavits de son épouse, de son frère et de deux amis, des photos d’un défilé de la fierté gaie, des photos prises avec un pasteur d’une église de Toronto, et une lettre du pasteur de Toronto. Toutefois, peu de poids a été accordé à ces documents à l’appui compte tenu des incohérences et des omissions importantes dans le témoignage du demandeur et dans les éléments de preuve qu’il a produits au sujet de l’incident principal à l’origine de sa demande d’asile.

[13]  Bien que son analyse soit différente, la SAR a conclu, tout comme la SPR, que le demandeur n’a pas établi qu’il avait été agressé en Afrique du Sud et au Nigéria, et qu’il serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution, à une menace à sa vie ou au risque de traitements ou peines cruels et inusités s’il devait retourner au Nigéria.

Questions en litige

[14]  Le demandeur soulève les questions suivantes à l’égard de la décision de la SAR :

  • a) Les conclusions quant à la crédibilité qu’a tirées la SAR en se fondant sur les omissions dans le formulaire FDA étaient‑elles raisonnables?

  • b) La SAR a‑t‑elle analysé trop minutieusement les omissions dans le formulaire FDA?

Norme de contrôle applicable

[15]  La façon dont la SAR applique le droit aux faits d’une affaire et sa décision concernant les conclusions tirées par la SPR quant à la crédibilité doivent être contrôlées selon la norme de la décision raisonnable (Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1028).

Analyse

Les conclusions quant à la crédibilité qu’a tirées la SAR en se fondant sur les omissions dans le formulaire FDA étaient‑elles raisonnables?

[16]  Le demandeur soutient que la SAR a commis une erreur en tirant une conclusion défavorable quant à sa crédibilité parce qu’il a omis de mentionner dans son formulaire FDA que son frère était présent lors de son agression au Nigéria. Selon le demandeur, la présence de son frère est mentionnée dans d’autres documents déposés pour appuyer sa demande d’asile, et ces documents devaient être pris en compte dans le cadre de l’examen de l’ensemble de sa demande. Quoi qu’il en soit, le demandeur affirme que cette omission dans son formulaire FDA n’est pas une erreur puisque l’exposé circonstancié de son formulaire FDA est axé sur l’agression elle‑même.

[17]  En fait, dans son formulaire FDA, le demandeur a déclaré qu’aucun des membres de sa famille n’était avec lui lorsqu’il a été agressé. Or, cette déclaration contredit directement son témoignage selon lequel son frère était présent. Le demandeur a expliqué qu’il parlait des membres de sa famille immédiate, qui étaient en Afrique du Sud à ce moment‑là. Cette explication a été rejetée, car, dans son formulaire FDA, le demandeur a mentionné la présence d’un ami lors de son agression, mais il n’a pas mentionné celle de son frère qui, selon son témoignage, avait joué un rôle plus important au moment de cet incident.

[18]  Les exigences relatives à la production d’un formulaire FDA sont établies dans les Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012‑256, et sont mentionnées dans les Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257. Le formulaire FDA doit contenir des détails sur le demandeur et sa famille, des documents connexes et ses voyages antérieurs et, surtout, les raisons pour lesquelles il demande l’asile. La Cour a confirmé à plusieurs reprises que tous les faits et détails importants d’une demande d’asile doivent figurer dans le formulaire et que l’omission de les mentionner peut affecter la crédibilité d’une portion ou de la totalité d’un témoignage (Zeferino c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 456, au paragraphe 31).

[19]  Le demandeur soutient qu’il a simplement fourni d’autres détails pendant son témoignage pour étayer l’exposé circonstancié de son formulaire FDA. En s’appuyant sur la décision Selvakumaran c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 623, au paragraphe 21 [Selvakumaran], il affirme que ce fait ne doit pas être utilisé pour mettre en doute sa crédibilité. Cependant, il est mentionné explicitement au paragraphe 20 de la décision Selvakumaran que le témoignage des demandeurs n’est pas utilisé pour mettre en doute leur crédibilité, à moins que l’incident omis ait une incidence importante sur l’issue de leur demande d’asile, et ce, même si leur témoignage contient des détails qui ne figurent pas dans leur formulaire de renseignements personnels.

[20]  En l’espèce, les détails de l’agression sont importants, car ils touchent le cœur même de la demande d’asile du demandeur. Par conséquent, leur omission dans le formulaire FDA n’est pas un détail mineur ou une information accessoire, mais plutôt un élément important pour la demande d’asile du demandeur. Les omissions et les contradictions constituent un fondement valable pour douter de la crédibilité d’un demandeur (Jele c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 24, au paragraphe 50).

[21]  En tenant compte des omissions de même que des incohérences importantes, la SAR a raisonnablement conclu que la demande d’asile du demandeur manquait de crédibilité.

La SAR a‑t‑elle analysé trop minutieusement les omissions dans le formulaire FDA?

[22]  Le demandeur soutient que la SAR a examiné la preuve trop minutieusement et qu’elle a eu tort de supposer qu’il se souviendrait des détails exacts. Il s’appuie sur la décision Sheikh c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 190 FTR 225 (CF) [Sheikh], au paragraphe 28, pour faire valoir que sa revendication du statut de réfugié ne devrait pas être réglée sur la base d’un test de mémoire visant à démontrer qu’il est capable de se souvenir des détails exacts.

[23]  En l’espèce, la SAR a conclu que le défaut du demandeur de présenter des éléments de preuve cohérents sur les agressions qui seraient survenues en Afrique du Sud et le principal incident qui se serait produit au Nigéria manque de crédibilité. En plus de l’omission importante mentionnée précédemment, le demandeur a également omis de mentionner les dates pertinentes des agressions qui seraient survenues en Afrique du Sud, le moment auquel il a commencé à pourvoir aux besoins des personnes LGBT ou l’élément qui serait à l’origine de l’agression dont il aurait été victime au Nigéria.

[24]  On ne peut qualifier ce type d’analyse de « test de mémoire »; la SAR a plutôt analysé correctement les détails et les éléments de preuve qui ont été présentés à l’appui de la demande d’asile du demandeur. Cette façon de faire est appropriée et nécessaire dans le cadre de l’examen d’une demande d’asile, et elle cadre parfaitement avec le pouvoir discrétionnaire de la SAR.

[25]  Après avoir effectué cette analyse, il était loisible à la SAR de tirer une conclusion défavorable en raison de l’incapacité du demandeur de se souvenir de manière précise et cohérente des détails importants des incidents. L’interrogatoire de la SAR ne s’est pas déroulé de la même façon que dans l’affaire Sheikh, puisque les questions en l’espèce étaient importantes et portaient sur le fondement de la demande d’asile du demandeur.

[26]  De plus, la SAR n’a pas omis d’apprécier la preuve en l’espèce. La preuve documentaire a été examinée et appréciée, mais elle n’était pas suffisante pour dissiper les doutes importants qui subsistaient quant à la crédibilité du témoignage présenté par le demandeur. Les éléments de preuve ne sont pas appréciés indépendamment de la demande d’asile dans son ensemble, et si le témoignage et les éléments de preuve personnels du demandeur ne sont pas crédibles, il est raisonnable que la SAR ait des doutes sur la crédibilité de la preuve documentaire présentée à l’appui de la demande, surtout lorsqu’elle la compare aux renseignements contenus dans le formulaire FDA. En l’espèce, la SAR a également tenu compte des affidavits, mais elle ne leur a accordé que très peu de poids.

[27]  Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, le rôle de la Cour n’est pas de soupeser à nouveau les éléments de preuve ou de les interpréter de façon différente (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61).

[28]  Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3862‑18

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Il n’y a aucune question aux fins de certification.

« Ann Marie McDonald »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de juin 2019

Manon Pouliot, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3862‑18

INTITULÉ :

SAMUEL NNAEMEKA OGAULU c MCI

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 FÉVRIER 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCDONALD

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

Le 30 AVRIL 2019

COMPARUTIONS :

Nicholas Owodunni

Matthew Tubie

POUR LE DEMANDEUR

Meva Motwani

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Matthew Nicholas LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Ministère de la Justice du Canada

Bureau régional de l’Ontario

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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