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Date : 20020315

Dossier : DES-7-01

Référence neutre : 2002 CFPI 290

ENTRE :

NICHOLAS RIBIC

                                                                                                                                                       requérant

- et -

SA MAJESTÉ LA REINE et le

SERVICE CANADIEN DU RENSEIGNEMENT DE SÉCURITÉ

                                                                                                                                                           intimés

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

(prononcés oralement àOttawa (Ontario)

le vendredi 15 mars 2002)

LE JUGE HUGESSEN


[1]                 À l'audience, tenue en présence des deux avocats plus tôt ce matin, j'ai décidé que j'allais examiner les extraits masqués de sept documents produits par le Ministère public mais émanant du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS). Les motifs de ma décision se résument comme suit : premièrement, je suis parfaitement au courant de la procédure en deux étapes qu'a suivie le juge en chef Thurlow dans l'affaire Goguen, approuvée plus tard par la Cour d'appel, et suivie plus tard par d'autres juges de la présente Cour : Goguen c. Gibson, [1983] 1 C.F. 872 (C.F. 1re inst.). Toutefois, j'estime que le juge en chef Thurlow n'établissait pas une règle de droit à suivre dans chaque cas, mais qu'il exposait simplement son raisonnement pour justifier, dans les circonstances de l'espèce, qu'il était approprié qu'il exerce son pouvoir discrétionnaire.

[2]                 Le libellé de l'article 38 de la Loi sur la preuve au Canada, L.R.C. 1985, ch. C-5, tel qu'il existait à l'époque de l'affaire Goguen et de décisions subséquentes a maintenant été modifié. À mon avis, il ressort encore plus clairement du nouveau libellé que le juge désigné jouit d'un très large pouvoir discrétionnaire, qui inclut la question de savoir s'il doit ou non examiner les documents supprimés avant d'entreprendre le processus de mise en équilibre que prévoit la loi.

[3]                 Toutefois, même s'il s'avère que les opinions que j'exprime ci-dessus sont erronées, j'estime que dans les circonstances de l'espèce, le requérant a satisfait au critère de prouver que les documents supprimés sont susceptibles de se rapporter à une question soulevée dans cette affaire. Plusieurs facteurs me mènent à cette conclusion.


[4]                 Le premier facteur est le fait que le juge de la Cour supérieure de l'Ontario qui est chargé d'instruire le procès sur les accusations portées contre le requérant a indiqué qu'à son avis, il serait utile qu'il prenne connaissance des passages supprimés des documents. Même si cette opinion ne me lie évidemment pas, je pense néanmoins qu'elle mérite le plus grand respect car elle provient de la personne qui, en fin de compte, devra décider de l'admissibilité et de la pertinence de la preuve au procès.

[5]                 Il ressort très clairement des extraits non supprimés des sept documents en cause qu'ils concernent directement et essentiellement soit l'accusé soit, plus particulièrement, l'incident de la prise d'otages dont il est accusé. Les obligations de divulgation du Ministère public dans le cadre d'une poursuite criminelle constituent une évolution relativement récente et il me semble que lorsqu'il a été décidé qu'une partie d'un document devrait être divulguée, il s'agit d'une très bonne indication que la partie non divulguée est aussi susceptible d'être pertinente.

[6]                 Tout ce débat survient dans le contexte d'accusations criminelles très graves. Tout document qui peut avoir une incidence sur la capacité du Ministère public à prouver cette accusation au-delà d'un doute raisonnable constitue, à mon avis, un document qui se rapporte aux questions soulevées dans le cadre de cette affaire. L'intérêt à l'égard d'un procès équitable ne se limite pas à l'accusé : le Ministère public a aussi tout intérêt à s'assurer que l'accusé subit un procès dont le verdict résistera à un examen en vertu de la Charte. La question de savoir si les documents supprimés devraient être divulgués ou non, est, évidemment, une toute autre affaire qui dépendra de l'équilibre entre les intérêts concurrents en cause, un processus que je me propose maintenant d'entreprendre.

[Plus tard]


[7]                 Après avoir décidé d'examiner les extraits supprimés des documents en cause, j'ai tenu une audience à huis clos et ex parte en la présence de l'avocat du Service canadien du renseignement de sécurité et d'un représentant de ce service qui a témoigné à l'appui de la déclaration sous serment figurant aussi dans la partie confidentielle de ce dossier. Dans le cadre de discussions avec l'avocat du requérant et conformément à la limite qu'il a lui-même fixée à la portée de sa demande, j'avais déjà exclu des renseignements concernant les sources, les noms des agents du Service, les renseignements sur l'acheminement, les codes et des éléments de cette nature technique qui ne présentent en fait aucun intérêt pour la défense. À ces éléments, j'ai ajouté des analyses effectuées par le Service de renseignements qui sont essentiellement de nature prospective et qui se présentent sous la forme de prévisions de ce qui pouvait se passer, ce qui constitue un élément essentiel de tout service de renseignements de sécurité et qui, je le répète, ne présentent selon moi aucun intérêt pour la défense; et dans le même ordre d'idées, les renseignements qui étaient manifestement postérieurs aux événements en cause en l'espèce et qui n'avaient aucune incidence directe sur les accusations portées contre le requérant ne sont pas pertinents et resteront soustraits à la vue du public.


[8]                 J'ai aussi exclu certains mots et titres de rubrique lorsque j'étais convaincu, d'après la preuve, qu'ils étaient de nature à aider un profane à déchiffrer des codes; c'est-à-dire que les renseignements ont été transmis sous forme de code et qu'un cryptologue compétent pourrait utiliser certains de ces mots parce qu'ils sont présentés sous forme de modèle et se répètent ainsi de façon assez constante dans tous les documents, ce qui pourrait permettre de déchiffrer les codes en cause. Je puis affirmer que dans chaque cas, les mots eux-mêmes sont anodins et ne présentent aucun intérêt concevable pour l'accusé dans la conduite de sa défense.

[9]                 J'ai aussi exclu des renseignements qui ne se rapportaient aucunement à l'accusé ainsi que des renseignements qui seraient susceptibles d'avoir une incidence sur les relations internationales du Canada et qui, toujours à mon avis, ne présentaient aucun intérêt concevable pour l'accusé ou ne lui étaient d'aucune utilité dans la conduite de sa défense.

[10]            J'ai aussi exclu des renseignements qui seraient susceptibles de révéler des techniques d'enquête, toujours sans intérêt pour l'accusé, ainsi que toutes les mentions d'autorisations sollicitées ou obtenues en vertu de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

[11]            Ayant exclu ces éléments, j'ai décidé d'ordonner qu'un certain nombre de paragraphes des documents soient divulgués. Tous les documents sont commodément énumérés en tant qu'annexes A à G inclusivement, et ils sont en la possession du requérant accusé sous leur forme révisée, les passages supprimés étant noircis.


[12]            Je consacrerai quelques minutes au document désigné en tant qu'annexe A juste pour indiquer pourquoi de larges extraits de ce document ne sont pas révélés, et je poursuivrai ensuite pour indiquer quels autres paragraphes de ce document et ainsi que d'autres documents, à mon avis, devraient être divulgués dans l'intérêt de l'administration de la justice, en dépit de l'intérêt qu'ils présentent sur le plan de la sécurité. À mon avis, le droit de l'accusé à une défense pleine et entière l'emporte sur cet intérêt. Selon moi, cet intérêt est relativement minime et le droit de l'accusé a préséance.

[13]            Pour ce qui est de l'annexe A, à la première page, je suis bien convaincu que tous les renseignements supprimés ne présentent aucun intérêt pour le requérant; il s'agit de renseignements sur le chiffrement, de renseignements d'acheminement, de renseignements sur l'objet, de renseignements dont la révélation permettrait de déchiffrer des codes. À la deuxième page, il n'y a qu'une petite suppression de peu d'importance pour la défense. J'ai ordonné que soit divulgué à l'accusé le paragraphe figurant à la troisième page, vers le bas de la page et qui constitue les paragraphes 6 et 7 de l'annexe A. Là encore, je suis tout à fait convaincu que les renseignements qu'ils renferment, peu importe leur degré de confidentialité, et celui-ci est peu élevé, ne sont pas de nature à porter gravement préjudice à la sécurité nationale ou aux relations internationales du Canada et sont de nature à aider l'accusé à se défendre contre les accusations qui sont portées contre lui. Après cette page, les autres renseignements figurant à la fin de ce document constituent encore des renseignements d'acheminement, des renseignements concernant des noms de personnes qui travaillent pour le Service et des renseignements de cette nature; ces renseignements ne présentent aucun intérêt pour l'accusé et n'ont pas à être divulgués.


[14]            Pour ce qui est de l'annexe B, je suis convaincu que le gros de ce document a été divulgué, les extraits supprimés qui figurent aux première et dernière pages ne sont pas pertinents pour la défense de l'accusé et peuvent toujours ne pas être divulgués à l'accusé pour les motifs valables que j'ai déjà mentionnés.

[15]            Pour ce qui est de l'annexe C, je suis convaincu là encore qu'aucune partie de cette annexe ne devrait être divulguée, les parties qui ont été supprimées l'ont été à juste titre et n'ont aucun rapport avec un moyen de défense possible dont l'accusé peut disposer à l'égard des accusations qui sont portées contre lui.

[16]            Pour ce qui est de l'annexe D, on me dit qu'un long passage de ce document qui avait initialement été supprimé a maintenant été divulgué. Reste le paragraphe numéro 2 qui se trouve vers le bas de la deuxième page du document, et j'ai ordonné qu'il soit divulgué, à l'exclusion des numéros et des dates de messages, parce qu'il se rapporte aux moyens de défense possibles de l'accusé et qu'il n'est pas de nature à porter préjudice à la sécurité nationale ou aux relations internationales du Canada ou d'une autre manière.

[17]            Pour ce qui est de l'annexe E, j'ordonne que les paragraphes 4 et 5, qui se trouvent à la troisième page de ce document, soient divulgués sous réserve de modifications mineures, de suppressions de noms et de numéros de code et de renseignements de cette nature qui ne présentent aucun intérêt pour l'accusé, mais les renseignements figurant dans le reste de ces paragraphes présentent un intérêt. Les autres passages de ce document qui ont été supprimés ne seront pas divulgués pour le motif usuel dont j'ai déjà traité.


[18]            Pour ce qui est de l'annexe F, je suis convaincu que toutes les suppressions n'ont pas de rapport avec la défense et que les parties importantes de ce document ont été divulguées adéquatement.

[19]            L'annexe G constitue un cas quelque peu particulier, en partie parce qu'il porte une date nettement postérieure aux incidents en cause survenus en 1997, de sorte qu'il est de nature historique. J'ai néanmoins conclu que certains extraits de ce document devraient être divulgués et il s'agit des paragraphes 2 et 4 de la cinquième page de ce document. Au paragraphe 2, seules les onze premières lignes, à mon avis, devraient être divulguées, le reste consistant en une analyse et en renseignements prospectifs qui sont, de toute façon, nettement postérieurs aux faits. Le paragraphe 4, avec des suppressions mineures, devrait aussi être divulgué. Le reste de ce document constitue une répétition du même document en français. Au besoin, j'ordonnerai la divulgation des mêmes parties du document en français de la même manière que ce qui a déjà été décidé pour le document anglais, mais j'imagine qu'il ne sera probablement pas nécessaire de le faire. Je suis tout à fait convaincu que tous les autres éléments du document ont été masqués à juste titre pour l'un des motifs que j'ai déjà mentionnés.


[20]            En résumé, j'ordonne donc que les paragraphes que j'ai indiqués soient divulgués dans la mesure où je l'ai mentionné. Je suis convaincu que tous les renseignements autrement masqués sont sans rapport avec une question quelconque, qui, selon moi, serait susceptible de survenir au cours du procès criminel à venir. Une ordonnance est rendue en ce sens.

   

ligne

                                   Juge

Ottawa (Ontario)

Le 15 mars 2002

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.



                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                               DES-7-01

INTITULÉ :                           Nicholas Ribic c. Sa Majesté la Reine et le Service canadien du renseignement de sécurité

  

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :    Le 15 mars 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :           Le 15 mars 2002

   

COMPARUTIONS :

D'Arcy DePoe                                                                  POUR LE REQUÉRANT

Alain Préfontaine

Jon Brongers                                                                      POUR LES INTIMÉS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Beresh, DePoe & Cunningham

Edmonton (Alberta)                                                           POUR LE REQUÉRANT

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                                  POUR LES INTIMÉS

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