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Date : 20190508


Dossier : IMM‑5029‑18

Référence : 2019 CF 622

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 8 mai 2019

En présence de monsieur le juge Campbell

ENTRE :

PREM BAHADUR GURUNG (également appelé Gurung, Prem Bahadur)

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Dans une décision datée du 11 août 2017, la SPR a accepté la preuve du demandeur selon laquelle il risque d’être persécuté dans son pays d’origine, le Népal, mais a conclu qu’il y existe une possibilité de refuge intérieur (PRI). La SPR a conclu que le demandeur courait le risque d’être ciblé personnellement à son retour :

[traduction] En résumé, le demandeur allègue qu’il craint d’être persécuté au Népal par les maoïstes, dont la Young Communist League (YCL), et leurs alliés en raison de ses opinions politiques réelles et perçues. Le demandeur d’asile craint que les maoïstes et/ou l’YCL l’enlèvent, le torturent ou le tuent parce qu’il ne s’est pas conformé à l’obligation de se joindre à leur parti et de faire des « dons » s’élevant jusqu’à 1 000 000 roupies. Il allègue qu’il a été enlevé et que son père a été agressé parce qu’il ne leur avait pas obéi.

(paragraphes 2 et 3)

[…]

Le tribunal juge donc crédible, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur d’asile était membre la Nepali Student Union (union étudiante du Népal) entre 2003 et 2005. Les maoïstes ont tenté de le recruter au sein de l’YCL en septembre 2006. Le demandeur d’asile a travaillé en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis pendant différentes périodes allant d’octobre 2006 à août 2012. En 2012, il a obtenu un permis de travail pour le Canada et a déménagé à Calgary en septembre 2012. Le père du demandeur d’asile a été agressé et grièvement blessé lors d’une agression en mars 2011. Le demandeur d’asile a été enlevé et agressé en juillet 2012.

(paragraphe 9)

[…]

Toutefois, comme il a été mentionné ci‑dessus, le tribunal ne considère pas que les préoccupations en matière de crédibilité à elles seules ou prises ensemble servent à réfuter la présomption de véracité entourant les allégations fondamentales, à savoir que le demandeur a été ciblé par les maoïstes et qu’il craint d’être persécuté à l’avenir parce qu’il ne s’est pas conformé aux exigences du passé.

(paragraphe 17)

Toutefois, le tribunal conclut que le demandeur d’asile ne risque pas sérieusement d’être persécuté au Népal parce qu’il existe des régions de ce pays où il serait en sécurité.

(paragraphe 18)

[2]  La demande actuelle concerne l’appel interjeté par le demandeur devant la SAR, uniquement sur la conclusion de l’existence d’une PRI tirée par la SPR. Dans une décision datée du 17 septembre 2018, sans tirer de conclusion défavorable claire quant à la crédibilité, la SAR a entrepris de réfuter les éléments de preuve convaincants présentés par le demandeur à l’appui de sa position selon laquelle Katmandou n’est pas une PRI sûre. Dans ce processus, à mon avis, cinq conclusions de la SAR rendent déraisonnable la décision faisant l’objet du présent contrôle. 

[3]  En ce qui concerne le risque actuel, la SAR cite des éléments de preuve selon lesquels les maoïstes ont réduit leurs activités d’extorsion et de prédation :

La SAR a analysé la possibilité que l’appelant soit exposé à un risque s’il déménageait à Katmandou, étant donné son profil en tant que personne recherchée à des fins d’extorsion par le groupe local de l’YCL dans la ville où il demeurait. L’appelant soutient que l’YCL ou les maoïstes se sont dotés d’un réseau national et qu’ils peuvent le repérer partout au Népal.

La SAR fait remarquer qu’il a été demandé à l’appelant s’il avait la preuve que les divers groupes de maoïstes dans son village ont des liens avec d’autres régions. L’appelant a répondu par l’affirmative en déclarant que le groupe de l’YCL dans son village avait des liens avec d’autres villes. Lorsqu’il a été demandé à l’appelant d’expliquer comment il savait cela, il a déclaré : [traduction] « Les gens de l’YCL, ils avaient l’habitude de discuter de ces sujets, ils ont ce réseau. » La SAR est d’avis que, dans son explication, l’appelant n’a pas répondu à la question qui lui a été posée et qu’il s’agit d’une simple hypothèse quant à la capacité de communiquer du groupe en question.

La SAR a examiné la preuve documentaire présentée à la SPR, qui comprend le cartable national de documentation (CND) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (Commission) et la preuve documentaire de l’appelant. La SAR conclut que la preuve objective de la Commission démontre que l’YCL s’est dotée d’un [traduction] « réseau national », mais qu’en dehors de cela, les renseignements contenus dans ce document relativement aux actions menées par l’YCL contre les personnes associées à des opinions politiques contraires ne fournissent pas de précisions additionnelles concernant la capacité des diverses factions de communiquer et d’échanger des renseignements aux quatre coins du pays. Le SAR a examiné les articles présentés par l’appelant dans le dossier, et elle y trouve peu d’éléments de preuve démontrant la force des liens entre les régions au sein du grand réseau de l’YCL, ainsi que la possibilité pour les différentes régions de coordonner et d’échanger de l’information, notamment dans des situations comme celle de l’appelant, et la façon dont elles s’y prennent. La SAR a de plus évalué les articles mentionnés dans la Réponse à la demande d’information de la Commission et elle constate que les activités établies de l’YCL semblent prendre pour cibles les opposants politiques actifs et viser la perturbation lors d’élections. La SAR ajoute qu’il y a peu d’éléments de preuve concernant l’extorsion de violence envers les personnes qui ont un profil semblable à celui de l’appelant. La SAR ajoute aussi que si quelques articles mentionnent que les maoïstes ou l’YCL pourraient participer à des activités à Katmandou, la preuve ne montre pas qu’ils y ont mené des actes d’extorsion et d’enlèvement.

(paragraphes 12 à 14)

[4]  Les commentaires suivants découlent des déclarations de la SAR.

[5]  Premièrement, comme l’a fait valoir l’avocat du demandeur, la SAR passe à côté du fait que le risque auquel est exposé le demandeur n’est pas fondé sur un [traduction« profil »; il est fondé sur un risque personnalisé établi :

[traduction] Il faut souligner, avant tout, que le profil apolitique du demandeur n’a rien à voir avec les risques auxquels il est exposé au Népal. Le demandeur n’a jamais été ciblé en raison de son profil politique. Il a été ciblé en raison de ses antécédents personnels et de son antagonisme à l’égard de l’YCL, en particulier en raison du fait qu’il n’a pas répondu aux exigences de cette dernière par le passé. Qu’il ait ou non un profil politique ne change pas ces antécédents histoire, et c’est simplement ces antécédents qui le mettent en danger au Népal aujourd’hui. (mémoire supplémentaire du demandeur, paragraphe 7)

[6]  Deuxièmement, la preuve faisant autorité en matière de « réseau national » déposée au dossier et confirmée par la SAR constitue une preuve que le demandeur est exposé à un risque à l’échelle nationale. Je souscris à l’argument de l’avocat du demandeur selon lequel l’absence de preuve concernant l’efficacité du réseau n’est pas un point pertinent. Le fait est que l’agent de persécution, qui comprend 700 000 personnes, risque de constituer un risque pour le demandeur partout au Népal.

[7]  Afin de réfuter la preuve et l’argument du demandeur quant au risque auquel il serait exposé dans l’ensemble du pays, la SAR s’appuie sur trois hypothèses. La première hypothèse est la suivante :

La SAR souligne aussi qu’une bonne partie de l’infrastructure des communications du Népal a été détruite par le tremblement de terre de 2015. Le système de communication téléphonique du pays est décrit comment étant [traduction] « médiocre », son réseau cellulaire mobile est décrit comme étant [traduction] « passable » et la pénétration internet atteint 17,6 p. 100 de la population. La SAR conclut que la preuve documentaire confirme que les communications sont limitées.

[Non souligné dans l’original.]

(paragraphe 19)

[8]  Rien ne permet de penser que le réseau national est limité de quelque façon que ce soit aujourd’hui ni qu’il le deviendra à l’avenir.

[9]  La deuxième hypothèse de la SAR est la suivante :

 La SAR fait également remarquer que l’appelant a prétendu, dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA et dans ses déclarations devant la SPR, que son père avait été attaqué en 2011 par des membres de l’YCL en raison de son association avec lui. La SAR est d’avis qu’il y a un lien clair entre les menaces de l’YCL ou des maoïstes et tous les membres de la famille de l’appelant. La SAR estime que le témoignage de l’appelant confirmant que les membres de sa famille vivent depuis environ cinq ans à Katmandou sans avoir subi de problèmes de la part de l’YCL ou des maoïstes est une preuve convaincante que l’appelant est exposé à moins qu’une simple possibilité de persécution dans l’endroit proposé comme PRI.

(paragraphe 29)

[10]  J’estime que la déclaration est non seulement hypothétique, mais inintelligible. Le fait que les membres de la famille du demandeur n’aient pas eu de problèmes ne peut être extrapolé pour conclure que le demandeur n’aura pas de problèmes. 

[11]  La troisième hypothèse a trait à la question du caractère raisonnable de la PRI. La SAR a émis l’hypothèse que le demandeur n’aurait aucune difficulté à trouver un emploi à Katmandou. La réponse du demandeur explique clairement pourquoi les questions de risque et de caractère raisonnable sont inextricablement liées :

Il a été demandé à l’appelant s’il aurait des difficultés à se trouver un emploi à Katmandou. Il a répété son témoignage antérieur selon lequel les maoïstes découvriraient son histoire avec l’YCL dans sa région d’origine, et que cela mènerait en fin de compte à des problèmes d’emploi. Lorsque l’interrogatoire a été réorienté et qu’il s’est fait demander s’il serait exposé à d’autres problèmes dans la recherche d’un emploi, l’appelant a déclaré qu’il n’existe pas beaucoup de possibilités d’emploi à Katmandou et qu’il ne gagnerait pas un bon salaire pour prendre soin de sa famille.

La SAR conclut, comme l’a fait la SPR, que, dans les circonstances particulières de l’appelant – il a une famille et un logement et ne fait pas face à d’importants obstacles pour trouver un emploi à Katmandou –, il pourrait raisonnablement subvenir à ses besoins et à ceux de sa famille à Katmandou. Les critères pour qualifier une PRI de déraisonnable sont élevés, et la SAR est d’avis que la possibilité que l’appelant gagne un salaire moins élevé à Katmandou que ce qu’il gagne au Canada ne permet pas de conclure que l’emplacement de la PRI n’est pas raisonnable. Par conséquent, le tribunal juge qu’il ne serait pas objectivement déraisonnable pour l’appelant de déménager à Katmandou.

[Non souligné dans l’original.]

(paragraphes 35 et 36)

[12]  Examiné sur une base cumulative, je conclus que les erreurs de la SAR relevées ci‑dessus rendent la décision faisant l’objet du contrôle déraisonnable.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5029‑18

LA COUR STATUE que la décision soumise au contrôle est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre décideur pour qu’il rende une nouvelle décision.

Il n’y a pas de question à certifier.

« Douglas R. Campbell »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de juin 2019.

Claude Leclerc, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


Dossier :

IMM‑5029‑18

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

PREM BAHADUR GURUNG (également appelé Gurung, Prem Bahadur) c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er mai 2019

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE CAMPBELL

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

Le 8 mai 2019

COMPARUTIONS :

Xianchan An

POUR LE DEMANDEUR

Erin Estok

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

EME Professional Corporation

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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