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     T-456-97

MONTRÉAL (QUÉBEC), CE 5e JOUR DE JUIN 1997

EN PRÉSENCE DE ME RICHARD MORNEAU, PROTONOTAIRE

ENTRE:

     AUTOCAR CONNAISSEUR INC.

     Requérante

     ET

     ME JEAN-PAUL LALANCETTE, C.R.I.

-et-

DANIEL POMERLEAU

-et-

DANIEL MERCIER

-et-

ALAIN MARCIL

-et-

NORMAND OUELLETTE

     Intimés

     ORDONNANCE

     Cette requête est rejetée.

     Richard Morneau

     Protonotaire

     T-456-97

ENTRE:

     AUTOCAR CONNAISSEUR INC.

     Requérante

     ET

     ME JEAN-PAUL LALANCETTE, C.R.I.

-et-

DANIEL POMERLEAU

-et-

DANIEL MERCIER

-et-

ALAIN MARCIL

-et-

NORMAND OUELLETTE

     Intimés

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ME RICHARD MORNEAU,

PROTONOTAIRE:

     Par la présente requête, la requérante recherche en vertu de l'article 18.2 de la Loi sur la Cour fédérale (la Loi) le sursis d'exécution d'une sentence arbitrale rendue sous l'égide du Code canadien du travail. Pour plus de sûreté et sans doute motivée par le libellé employé par les autorités fédérales impliquées administrativement dans le présent dossier, la requérante recherche également une suspension de l'instance arbitrale en vertu de l'alinéa 50(1)b) de la Loi.

Contexte de la requête

     Le 17 mars 1997, la requérante a déposé au greffe de cette Cour une demande de contrôle judiciaire d'une sentence arbitrale confirmant un ordre de paiement intimant à la requérante de payer aux intimés un montant de près de 40 000 $ en réclamation de temps supplémentaire et de jours fériés impayés.

Analyse

     Il est acquis que les remèdes recherchés dans la requête à l'étude sont assujettis à l'analyse que la Cour suprême a rappelée comme suit dans l'arrêt RJR - MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311, à la page 334:

         L'arrêt Metropolitan Stores établit une analyse en trois étapes que les tribunaux doivent appliquer quand ils examinent une demande de suspension d'instance ou d'injonction interlocutoire. Premièrement, une étude préliminaire du fond du litige doit établir qu'il y a une question sérieuse à juger. Deuxièmement, il faut déterminer si le requérant subirait un préjudice irréparable si sa demande était rejetée. Enfin, il faut déterminer laquelle des deux parties subira le plus grand préjudice selon que l'on accorde ou refuse le redressement en attendant une décision sur le fond.         

     Même en admettant pour les fins de la présente étude que les diverses erreurs de droit et de compétence soulevées dans l'avis de requête de la requérante établissent en sa faveur une question sérieuse à juger, il ne m'apparaît pas que la preuve soumise par la requérante établisse que le paiement des diverses sommes mentionnées dans la décision arbitrale lui causerait un préjudice irréparable.

     En effet, le seul allégué soumis en preuve est de nature beaucoup trop générale pour que la Cour puisse tirer une telle conclusion. Cet allégué se lit comme suit:

         6)      Si la (sic) Autocar Connaisseur Inc. paye ces sommes aux intimés, elle subira un préjudice irréparable puisqu'il est à craindre que les démarches pour récupérer les sommes payées seront sinon illusoires, à tout le moins fort onéreuses;         

     De plus, cet allégué se retrouve à un affidavit souscrit par le procureur qui a plaidé au nom de la requérante la requête à l'étude.

     C'est là, tel que l'a souligné le procureur des intimés, une pratique inacceptable. À mon avis, ledit allégué se trouve par là vidé de tout poids qu'il pourrait par ailleurs avoir, si tant est qu'il en ait un.

     Comme la deuxième étape de l'analyse édictée par l'arrêt Metropolitan Stores, n'est pas franchie, il n'y a pas lieu de regarder le troisième élément de cette analyse, soit l'équilibrage des préjudices en présence.

     Pour les mêmes motifs, toute suspension de l'instance arbitrale, si tant est que cette question se pose réellement, doit également être rejetée.

     Cette requête sera donc rejetée avec frais à suivre.

     Par ailleurs, lors de l'audition de cette requête et alors que la Cour s'apprêtait à entendre les représentations du procureur des intimés, un procureur du Procureur général du Canada (le PG) s'est levé et a cherché au nom de ce dernier à s'adresser à la Cour vraisemblablement pour soutenir le rejet de la présente requête.

     On doit remarquer ici que le PG n'est ni requérant ni intimé dans la présente affaire et n'a pas en aucun temps requis le droit d'intervenir par requête dans le dossier en vertu de la règle 1611 des Règles de la Cour fédérale (les règles).

     De fait, le procureur du PG a affirmé d'entrée de jeu à l'audition que le PG en raison de son rôle traditionnel n'avait pas à requérir la permission d'intervenir pour pouvoir s'adresser à la Cour. Selon lui, ce statut est reflété dans le libellé du paragraphe 18.1(1) de la Loi et celui de la règle 1611. Il y a donc lieu ici de se porter à ces textes.

     Le paragraphe 18.1(1) se lit comme suit:

         18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.         

     Suivant le PG, puisque ce paragraphe prévoit que ce dernier peut présenter toute demande de contrôle judiciaire, il s'ensuit a fortiori que le PG peut intervenir dans toute demande de contrôle judiciaire sans autre formalité et, surtout, sans devoir requérir le statut d'intervenant sous la règle 1611. Dans des représentations écrites soumises à la demande de la Cour, le procureur du PG confirme cette vision des choses. Voici les paragraphes pertinents de ses représentations:

         6.      Le procureur général du Canada soutient avec égard qu'il possède aux termes de l'effet combiné de l'article 5 de la Loi sur le ministère de la Justice et de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale le droit le plus stricte (sic) d'intervenir dans toutes demandes de contrôle judiciaire où il estime que l'intérêt public commande son intervention;         
         7.      Le procureur général du Canada soutient de plus que ce droit strict d'intervention ne peut être restreint par une règle de procédure qui assujettirait ce droit à une autorisation préalable de la Cour;         
         8.      Le procureur général du Canada reconnaît toutefois que la Cour a le droit de régir les modalités d'intervention du procureur général du Canada;         
         (...)         
         16.      Reste la question de l'intérêt public. Au regard de cette question, le procureur général du Canada soutient que la Cour ne possède aucun droit de juger si l'intervention du procureur général du Canada va dans le sens de l'intérêt public ou non;         
         (...)         
         21.      Puisque le droit que possède le procureur général du Canada d'intervenir dans une affaire relative à un contrôle judiciaire découle de l'effet combiné de l'article 5 de la Loi sur le ministère de la Justice et de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, la Règle 1611 des Règles de la Cour fédérale ne peut pas avoir pour effet de limiter de quelque façon ce droit;         
         (mes soulignés)         

     Je ne partage pas ce point de vue. Le paragraphe 18.1(1) de la Loi aborde uniquement le rôle du PG à titre de requérant afin de s'assurer, peut-on imaginer, que l'intérêt public est défendu dans des circonstances où aucune autre partie ne cherche à se porter requérante. Même à titre de requérant, le PG n'est pas de par la Loi dispensé de se soumettre aux règles applicables à tout requérant en contrôle judiciaire. À mon sens, le paragraphe 18.1(1) de la Loi ne vise aucunement à contrôler le rôle ou le statut du PG dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire là où il n'a pas choisi d'être requérant. De plus, l'article 5 de la Loi sur le ministère de la Justice ne sert point à avancer ici le débat.

     Quant à la règle 1611, son premier paragraphe - celui qui nous importe -se lit comme suit:

         Règle 1611. (1) Quiconque, y compris l'office fédéral dont la décision fait l'objet de la demande de contrôle judiciaire, désire intervenir à l'audition d'une demande de contrôle judiciaire dépose un avis de demande d'autorisation d'intervenir et en signifie copie aux parties.         
         (mon souligné)         

     Suivant le PG, puisque ce dernier est distingué du mot "quiconque" au paragraphe 18.1(1) de la Loi, lorsque le paragraphe 1611(1) des règles utilise ce même mot à son tout début, on doit forcément conclure que le PG n'est pas visé par cette expression et que, partant, l'institution de "l'intervention" prévue par la règle 1611 ne lui est pas forcément applicable. Il lui serait donc loisible, tel qu'il a tenté de le faire dans le cadre de la présente requête, de se présenter en cour à tout moment, sans avertissement aucun, et procéder à s'adresser à cette dernière.

     Je ne peux également partager d'aucune manière cette façon de voir les choses.

     À mon avis, l'économie du paragraphe 1611(1) n'appuie en rien l'approche soutenue par le PG. Ce paragraphe en son tout début se veut des plus inclusifs. Suivant ma compréhension des choses, les rédacteurs des règles ont pris bien soin de prévoir un régime de participation unique pour tous ceux qui ne sont ni requérants ni intimés. On a même tenu à stipuler qu'il visait les offices fédéraux qui de façon traditionnelle ont un rôle limité en matière de contrôle judiciaire de leurs décisions. Selon moi, le paragraphe 1611(1) des règles est pleinement applicable au PG et ce dernier doit donc s'y soumettre lorsqu'il veut s'adresser à la cour dans toute demande de contrôle judiciaire où il n'est pas déjà partie ou intervenant reconnu. Certes, le rôle traditionnel tenu par le PG pourrait amener cette Cour à lui reconnaître plus aisément et plus souvent qu'autrement le statut d'intervenant. Toutefois, je ne vois rien dans les représentations verbales et écrites soumises par le PG qui le dispense de requérir sous la règle 1611 la permission d'intervenir.

     De plus, par son approche présente, il m'appert que le PG cherche à échapper aux enseignements qui se dégagent de l'arrêt Syndicat des journalistes de Radio-Canada (CSN) c. Société Radio-Canada (décision inédite de cette Cour en date du 27 septembre 1996, dossier T-502-96, confirmée en appel par l'Honorable juge Pinard le 17 janvier 1997).

     Dans cette dernière affaire, il fut établi que le PG ne pouvait s'insérer à titre de mis en cause dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire et que toute participation de ce dernier - de même que de toute autre personne - se devait d'être à titre de requérant, d'intimé ou d'intervenant reconnu. De façon plus précise, voici ce qui y fut déclaré:

              À mon avis, la règle 1604 de par les exigences qu'elle recèle constitue l'amorce véritable de toute intervention que le Procureur général du Canada ou l'office fédéral voudrait jouer. La règle 1611 prend effet au terme de la règle 1604 et dispose que quiconque, y compris l'office fédéral, désire participer à la demande de contrôle obtient par requête le statut d'intervenant et intervient aux conditions fixées par la Cour.         
              Ce que cherche à consacrer en toute bonne foi le Procureur général du Canada par des requêtes telles que la présente, c'est une institution à l'intérieur des règles 1600 et suivantes que je qualifierais de "médiane" entre la situation d'une personne intéressée au sens des règles mais qui n'entend point suivre l'affaire et une même personne qui, par requête, requiert le statut d'intervenant.         
              L'avocat du Procureur général du Canada a indiqué en plaidoirie que bien souvent l'office fédéral et le Procureur général du Canada ne peuvent déterminer sur la base des documents dont ils reçoivent signification en vertu de la règle 1604 s'ils doivent intervenir (au sens de la règle 1611) ou pas.         
              Selon lui, cette possibilité d'être retenus à l'intitulé de cause à titre de mis en cause permet au Procureur général du Canada et à l'office fédéral de recevoir, au gré de l'évolution d'une demande de contrôle judiciaire, copie des divers documents et procédures émanant des parties principales au dossier voire même du greffe de cette Cour. Cette pratique, en retour, permettrait à l'office fédéral et au Procureur général de comprendre et de suivre plus aisément l'évolution des enjeux d'une demande et de prendre éventuellement une décision, à tout moment donné, de présenter une demande d'intervention en vertu de la règle 1611.         
              On peut comprendre le Procureur général de vouloir ainsi un tel statut de mis en cause, ne serait-ce que pour la commodité administrative que cela lui apporte dans toute demande de contrôle judiciaire où il est inclus au départ comme mis en cause ou lorsqu'il réussit, après requête, à le devenir. Il peut alors suivre sans autre vérification ou déplacement de ses procureurs l'évolution d'une affaire.         
              Ce résultat est peut-être souhaitable. Toutefois, cette institution médiane n'est pas prévue par les règles gouvernant maintenant le contrôle judiciaire devant cette Cour. Je pense même, tel que mentionné précédemment, que les règles 1604 et 1611 rejettent par leur économie cette institution en ce qu'elles obligent le Procureur général et l'office fédéral à faire leur lit - c'est-à-dire intervenir ou non - sur la base des documents dont ces règles prévoient la signification.         
              Même si l'institution de la mise en cause n'était pas une question dont avait à décider la Cour d'appel dans l'affaire Frank Bernard, je pense que les propos suivants du juge Décary, en page 461, indiquent qu'au niveau de la partie V.1 des règles, l'ensemble des personnes intéressées dans un débat ne peuvent y figurer qu'à titre d'intervenantes si elles ne peuvent être requérantes ou intimées:         
                 La procédure prévue dans les nouvelles Règles pour l'intervention, devant la Cour, d'un tribunal qui ne saurait être constitué partie en l'occurrence, est assez simple. Puisque l'avis de requête nomme le tribunal visé par la demande et expose les motifs de celle-ci (Règle 1602(2)d) et e)), et puisque le requérant signifie au tribunal à la fois son avis de requête et les affidavits (Règle 1604(1)b)), le tribunal a largement l'occasion de décider, en temps utile, s'il entend prendre part aux procédures. S'il le décide effectivement, il demandera qu'on lui reconnaisse la qualité d'intervenant au titre de la Règle 1611. Si c'est à tort qu'un tribunal est cité à titre d'intimé, il n'aura pas intérêt pour agir à ce titre et ne pourra pas prendre part à la procédure, sauf à obtenir, au titre de la Règle 1611, l'autorisation de participer à titre d'intervenant. Il est peut-être utile de noter que la Règle 1619(1) [édictée par DORS/92-43, art. 19] offre en tout temps à la Cour la possibilité de déroger, en tout ou en partie, à la Règle 1611.                 
                      La Partie V.I des Règles définit en termes clairs qui est un intimé et qui peut être admis à titre d'intervenant. Les rédacteurs ont veillé à ce que la Règle 1611 s'applique aux tribunaux administratifs, ajoutant à cette fin une formule précise.                 
                 (mes soulignés)                 

     Il ne saurait donc être ici question de laisser le PG du Canada s'adresser à la Cour sans qu'il ait requis et obtenu le statut d'intervenant. Le paragraphe 2 de la règle 1611 permet à la Cour de moduler toute intervention. Le PG n'est donc pas dirigé vers un véhicule dont le cadre est rigide et assurément trop large pour bien des questions qui pourraient le préoccuper.

     Voilà pourquoi le 26 mai 1997 j'ai refusé au procureur du PG le droit de s'adresser à la Cour. Je ne lui ai pas par là refusé le droit de présenter une requête en intervention au sens de la règle 1611.

     Si le PG entend porter la présente décision en appel, il devra à mon sens, et en toute logique, requérir et obtenir en vertu de la règle 1611 le statut d'intervenant, le tout sous réserve évidemment du droit d'un intervenant de porter en appel une décision.

     Richard Morneau

     Protonotaire

Montréal (Québec)

le 5 juin 1997

             T-456-97

AUTOCAR CONNAISSEUR INC.

             Requérante

ME JEAN-PAUL LALANCETTE, C.R.I.

-et-

DANIEL POMERLEAU

-et-

DANIEL MERCIER

-et-

ALAIN MARCIL

-et-

NORMAND OUELLETTE

             Intimés

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU DOSSIER DE LA COUR:

INTITULÉ DE LA CAUSE:

T-456-97

AUTOCAR CONNAISSEUR INC.

     Requérante

ET

ME JEAN-PAUL LALANCETTE, C.R.I.

-et-

DANIEL POMERLEAU

-et-

DANIEL MERCIER

-et-

ALAIN MARCIL

-et-

NORMAND OUELLETTE

     Intimés

LIEU DE L'AUDIENCE:Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE:le 26 mai 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR:Me Richard Morneau, protonotaire

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE:le 5 juin 1997

COMPARUTIONS:


Me Normand Laurendeau

pour la requérante


Me François Garneau

pour les intimés, Daniel Pomerleau, Daniel Mercier, Alain Marcil et Normand Ouellette


Me Raymond Piché

pour le Procureur général du Canada

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:


Me Normand Laurendeau

Guy & Gilbert

Montréal (Québec)

pour la requérante


Me François Garneau

Desjardins, Ducharme, Stein, Monast

Montréal (Québec)

pour les intimés, Daniel Pomerleau, Daniel Mercier, Alain Marcil et Normand Ouellette


Me Claude Lauzon

Lauzon et Poulin

Saint-Jean-sur-Richelieu (Québec)

pour l'intimé, Me Jean-Paul Lalancette


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