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Date : 20040126

Dossier : T-261-00

Référence : 2004 CF 124

ENTRE :

                                                SEASPAN INTERNATIONAL LTD.

LAFARGE CANADA INC.

TILBURY MANAGEMENT #1 LTD.

WEST BAY SONSHIP LTD.

B.J. MARINE HOLDINGS LTD.

                                                                                                                                demanderesses

                                                                             et

                                                            LE NAVIRE _ EWA _

MATSON NAVIGATION CO. INC.

PETER MURRAY

                                                                                                                                         défendeurs

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE                      


[1]                Pour résumer le contexte, l'action qui sous-tend la présente requête en vue d'obtenir les réponses à des questions posées à l'interrogatoire préalable, dont certaines portent sur l'existence de documents, et une nouvelle audition de témoins, concerne le navire à vapeur Ewa enregistré à Honolulu, qui aurait navigué sur le fleuve Fraser à une vitesse excessive en février 1998. Ceci aurait eu pour conséquence une production excessive et inusitée de vagues et de remous qui ont brisé les amarres d'un certain nombre de barges qui étaient amarrées à différents endroits le long du fleuve Fraser et qui sont ainsi parties à la dérive. Plusieurs des barges en question, dont certaines appartenaient à la première demanderesse, Seaspan International Ltd. (Seaspan), sont entrées en collision avec des quais et d'autres installations sur la rive, en l'espèce des installations qui appartenaient aux autres demanderesses, de la deuxième à la cinquième, causant des dommages. Les demanderesses, qui agissent toutes en leur propre nom, par opposition à l'action en subrogation ou à la cession, ont retenu les services d'un même avocat.

LA PRÉSENTE REQUÊTE

[2]                Les défendeurs introduisent la présente requête pour une nouvelle audition du témoin de West Bay Sonship Ltd. (West Bay) soumis à l'interrogatoire préalable, M. Vermeulen, une nouvelle audition du témoin de Lafarge Canada Inc., M. Brulé, soumis à l'interrogatoire préalable, pour qu'ils répondent aux questions auxquelles ils avaient refusé de répondre. Ceci m'amène aux catégories générales de questions auxquelles les deux témoins dont il s'agit refusent de répondre.


[3]                Les questions auxquelles les témoins ont refusé de répondre et qui font l'objet d'une nouvelle audition peuvent, pour des raisons de commodité, se regrouper en trois catégories. La première catégorie, la question no 2 à Vermeulen (ci-après Vermulen 2) et les questions 2, 6 et 7 à Brulé (ci-après Brulé 2, 6 et 7) cherchent à déterminer s'il y avait, entre Seaspan d'un côté et West Bay et Lafarge de l'autre, des ententes relatives aux dommages-intérêts. Alors que le fond de la question relative à l'existence d'ententes n'est pas précisé, je m'appuie sur le fait que les défendeurs renvoient à la décision B.C. Children's Hospital c. Air Products Canada Ltd. (2003) 11 B.C.L.R. (4th) 28 (C.A.C.-B) pour dire que les défendeurs cherchent à savoir s'il y a eu conclusion d'ententes, et en particulier si certaines portions de ces ententes constituent des actes de désistement, des engagements à ne pas entamer des poursuites ou des réservations de droits; des clauses contenant des aveux; et des clauses traitant d'ententes relatives à la preuve. Il appert que les défendeurs cherchent en l'espèce à savoir différentes choses, y compris s'il y a eu des aveux ou compromission des droits de recouvrement. Ceci pourrait être, jusqu'à un certain point, un interrogatoire à l'aveuglette fait pour recueillir des renseignements qui pourraient renforcer la défense générale.

[4]                La deuxième catégorie de questions porte sur le fait de savoir si une réclamation avait été faite par West Bay et Lafarge d'une part contre Seaspan d'autre part. En l'espèce, les questions ne sont pas nécessairement semblables. Vermeulen 1 porte sur les réclamations par opposition à l'action judiciaire. Brulé 4 porte sur la revendication _ formelle _ d'un droit alors que Brulé 5 cherche à savoir si Lafarge a jamais introduit une instance judiciaire contre Seaspan ou la barge Seaspan 433.               

[5]                La troisième catégorie de questions, Brulé 3 et 8, porte sur l'existence possible d'échanges de lettres entre Seaspan et Lafarge, Brulé 1 étant une question indirecte pour savoir si chez Lafarge, quelqu'un d'autre que M. Brulé était chargé de négocier avec Seaspan sur les dommages causés par Seaspan 433.


ANALYSE

La portée de la communication de documents

[6]                Les défendeurs qui, sur les questions qui font l'objet d'objection, cherchent à obtenir principalement des documents, commencent par une affirmation générale tirée de Everest & Jennings Canada Ltd. c. Invacare Corporation, [1984] 1 C.F. 856 (C.A.F.), fondée sur Boxer and Boxer Holdings Ltd. c. Reesor (1983) 43 B.C.L.R. 352 (C.S.C.-B.), à la page 359, que les parties qui cherchent à obtenir la communication de documents ont le droit de consulter tout document [TRADUCTION] _ susceptible de les lancer dans une enquête qui pourra, directement ou indirectement, bénéficier à leur cause ou nuire à celle [...] _ de la partie adverse.

[7]                La décision Everest & Jennings a été rendue sous le régime des Règles en vigueur avant les modifications de 1990 qui ont été à leur tour suivies par d'autres modifications en 1998. J'ai tenu compte de l'arrêt Smithkline Beecham Animal Health Inc. c. Sa Majesté la Reine, [2002] 4 C.T.C. 93 (C.A.F.), pour vérifier si le critère de Jennings est toujours valable, vu les Règles actuelles, en particulier le paragraphe 222(2) des Règles, quant au fait qu'_ [...] un document d'une partie est pertinent si la partie entend l'invoquer ou si le document est susceptible d'être préjudiciable à sa cause ou d'appuyer la cause d'une autre partie _ et l'article 223, qui exige que l'affidavit de documents contienne la liste de tous les documents pertinents, ce qui a fait dire parfois à d'aucuns que les dispositions de 1998 relatives à la communication de documents sont plus étroites que celles appliquées sous le régime des diverses Règles qui existaient auparavant.


[8]         L'arrêt Smithkline est fondé sur les articles des Règles de la Cour canadienne de l'impôt relatifs à la communication de documents. Cependant, en examinant le domaine en question, la juge Sharlow de la Cour d'appel a renvoyé aux décisions généralement citées, y compris Everest & Jennings, pour la formulation et l'application du critère du lancement d'une enquête. La Cour d'appel a conclu que la formulation du critère par le juge Bonner de la Cour canadienne de l'impôt, dans la décision de première instance Smithkline, [2001] 2 C.T.C. 2086, à la page 2095, était correcte :                                  

Au cours de l'interrogatoire préalable, la partie interrogatrice peut chercher à obtenir de l'information et des aveux qui l'aideront non seulement à démolir la thèse de son adversaire, mais aussi à promouvoir la cause qu'elle cherche à faire valoir.                                                                                                              (Page 2095)

Cette formulation est essentiellement celle qui figure au paragraphe 222(2) des Règles, qui définit la pertinence afin qu'on sache quel document inclure dans l'affidavit de documents :

[...] un document d'une partie est pertinent si la partie entend l'invoquer ou si le document est susceptible d'être préjudiciable à sa cause ou d'appuyer la cause d'une autre partie.                                        

Dans l'arrêt Smithkline, à la page 107, la Cour d'appel a adéquatement conclu que le concept de démolition de la thèse de la partie adverse ou de promotion de la cause qu'on cherche à faire valoir équivalait au critère du lancement d'une enquête. Ainsi, malgré les modifications apportées aux articles des Règles qui portent sur la communication de documents, le critère énoncé dans Everest & Jennings demeure applicable.


[9]         L'avocat des défendeurs prétend que la portée de la communication de documents décrite dans Everest & Jennings est large. Dans Everest & Jennings, la Cour d'appel n'a pas analysé la portée du critère en question relativement à la communication de documents dans les brefs motifs qu'elle a exposés, se fondant presqu'entièrement sur des citations de la décision Boxer, précitée, de la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Ainsi, les vues exprimées par le juge en chef McEachern dans la décision Boxer sont pertinentes.

[10]       Dans Boxer, le juge en chef McEachern a mentionné la recherche exhaustive de documents et la nature de la recherche en question. Il a également tenu compte de l'approche large pour la communication de documents adoptée dans The Peruvian Guano case (1882) 11 Q.B.D. 55 (C.A.) avant de faire la mise en garde suivante :

[TRADUCTION]

[...] les parties ont le droit, chacune en ce qui la concerne, de préparer adéquatement leur cause ou leur défense _ mais il doit toujours y avoir des limites raisonnables _. (Page 359)

Il a ajouté, dans Boxer, que les demandeurs auraient eu accès à tout document [TRADUCTION] _ [...] susceptible de les lancer dans une enquête qui pourra, directement ou indirectement, bénéficier à leur cause ou nuire à celle du défendeur [...] _, mais que dans certains cas, les demandeurs en avaient trop demandé. Il s'est alors penché sur chaque document demandé pour voir s'il entraînait le lancement d'une enquête raisonnable.


[11]       L'avocat des défendeurs renvoie à deux décisions qui concernent le genre de documents dont les cours ont demandé la communication et dans certains cas, ont refusé la communication dans des situations impliquant plusieurs parties.

[12]       Dans Canadian Pacific Forest Products Ltd. c. Termar Navigation Co. (1994) 87 F.T.R. 1 (C.F. 1re inst.), les demandeurs sollicitaient la communication par la défenderesse Termar des documents portant sur les litiges ou arbitrages antérieurs ou en instance entre Termar et la co-défenderesse, Forest Products Carriers. Dans l'affaire en question, Termar était propriétaire du navire, Forest Products étant le transporteur et l'émetteur du connaissement. Les questions en litige portaient sur le désarrimage et les frais de ré-arrimage engagés par les défenderesses et réclamés aux demandeurs. Les deux défenderesses, représentées par des avocats différents, avaient présenté une demande reconventionnelle pour l'ensemble des frais de ré-arrimage, la demanderesse répondant que l'une ou l'autre des défenderesses n'avait pas d'intérêt juridique pour réclamer le montant total. En effet, les documents communiqués révèlent qu'il y avait un litige persistant entre les défenderesses. Le témoin de Termar, soumis à l'interrogatoire préalable, avait refusé de répondre aux questions relatives à l'existence d'un litige ou d'un arbitrage ainsi qu'à l'état des instances en question et à leur résultat. Les demanderesses sollicitaient la communication des documents en question parce qu'ils pourraient permettre une défense valable contre les deux demandes reconventionnelles ou l'une des deux. Il appert que le juge Dubé a convenu que les deux défenderesses étaient engagées dans un arbitrage et, en accueillant la requête pour communication de documents, il a écrit à la page 3 :


En l'espèce, la procédure d'arbitrage entre les deux défenderesses-demanderesses reconventionnelles serait pertinente en ce qu'elle pourrait montrer si l'une d'entre elles ou toutes les deux avaient un intérêt dans l'affaire en instance en qualité de demanderesses reconventionnelles. En conséquence, en l'absence de toute conclusion que ces documents sont protégés, ils doivent être produits. Je veux dire par là les seuls documents, questions et réponses ayant un rapport avec l'action et la demande reconventionnelle en instance, et non pas ceux qui concernent quelque autre litige entre les deux défenderesses.

Bien évidemment, il s'agissait tout particulièrement dans Termar Navigation d'un dédoublement de la demande, ce qui n'est pas le cas en l'espèce.


[13]       La deuxième décision à laquelle l'avocat des défendeurs renvoie est B.C. Children's Hospital c. Air Products Canada Ltd. (2003) 11 B.C.L.R. (4th) 28. Dans la décision en question, plusieurs personnes et sociétés avaient plaidé coupables plus tôt à des accusations de complot pour fixer les prix portées contre elles en vertu de la Loi sur la concurrence. La décision B.C. Children's Hospital avait suivi, avec divers hôpitaux qui avaient intenté une action en responsabilité conjointe et solidaire pour le préjudice subi et pour dommages-intérêts légaux et en common law contre les défendeurs. Les demandeurs et certains défendeurs s'étaient finalement entendus, convenant que la négociation du règlement demeurerait confidentielle. Il en avait résulté une entente de règlement, là encore un document confidentiel, mais un document dont les défendeurs qui n'étaient pas parties à l'entente voulaient la communication. Le juge en chambre a refusé une communication intégrale, mais il a effectivement demandé que soient communiquées des parties de l'entente qui constituaient des actes de désistement, des engagements à ne pas entamer des poursuites, des réservations de droits, des aveux et des clauses relatives à la preuve. Bien que n'étant pas unanime, la Cour d'appel avait effectivement décidé que l'entente de règlement, dans son intégralité, ne devait pas être communiquée. La majorité de la Cour d'appel a alors examiné les différents documents qui y étaient liés et dont le juge en chambre avait ordonné la communication, premièrement : tout acte de désistement, toute entente de ne pas entamer des poursuites ou toute réservation de droits; deuxièmement, tout aveu portant sur les actes de procédure et troisièmement, des clauses portant sur les ententes relatives à la preuve. Le juge Hall, qui a écrit l'opinion de la majorité dans la décision B.C. Children's Hospital, est arrivé à diverses conclusions.              

[14]       Bien que le juge Hall ait eu des réserves sur la communication d'un acte de désistement, d'une entente de ne pas entamer des poursuites ou la communication de la réservation de droits, en particulier pour le motif qu'il doutait [TRADUCTION] _ [...] de la validité devant la Cour de l'ancienne règle relative au fait que l'acte de désistement de certains auteurs du délit dans une responsabilité conjointe entraîne le désistement de tous [...] _(page 50), il n'avait pas manqué d'autoriser la communication de l'information au motif que les défendeurs pourraient en faire l'usage qu'ils voulaient. Cependant, en l'espèce, je ferais remarquer qu'il n'y a apparemment aucune entente de règlement entre les demanderesses.

[15]       En ce qui concerne les aveux, le juge Hall a douté que des aveux de personnes entre lesquelles il y avait eu une entente aient une pertinence pour la continuation du litige. En l'espèce, il n'y a apparemment, de toute façon, aucune entente de règlement.

[16]       Enfin, en ce qui concerne les ententes relatives à la preuve, le juge Hall a renvoyé à l'arrêt de principe Middelkamp c. Fraser Valley Real Estate Board (1992) 96 D.L.R. (4th) 227 (C.A.C.-B.), rendu par une formation de cinq juges :


[TRADUCTION]

Le juge en chef McEachern a fait remarquer dans Middelkamp que les ententes relatives à la preuve conclues conjointement avec une entente de règlement pourraient être l'objet même d'une ordonnance de communication. À mon avis, il en est ainsi parce que de telles ententes pourraient révéler la qualité de la preuve ou la motivation du témoin. La nature des ententes pourrait ainsi influer sur la valeur qu'une cour pourrait conférer à la preuve. Voir Vancouver Community College c. Phillips, Barrat (1987), 20 B.C.L.R. (2d) 289 (C.S.C.-B.). Cependant, je pense qu'il serait prématuré de rendre une telle ordonnance dans le cadre de la présente instance à ce stade du litige. Ce genre de communication m'apparaîtrait convenable soit au procès soit juste avant le procès lorsque la présentation de la preuve est en vue. Je ne confirmerais donc pas la directive contenue au sous-paragraphe c) du paragraphe 44 des motifs du juge Neilson.

(Page 50)

Ce qui est à noter dans l'arrêt en question, c'est que si le même juge Hall était d'avis que la communication des ententes relatives à la preuve devait être exigée parce qu'une telle communication [TRADUCTION] _ [...] pourrait révéler la qualité de la preuve ou la motivation du témoin _, il n'avait pas exigé que l'information soit communiquée dans le cadre ou pour les besoins de l'interrogatoire préalable. Cette observation découle naturellement de l'opinion du juge Hall que les ententes relatives à la preuve pourraient être appréciées en temps et lieu, c'est-à-dire par le juge au procès. La demande était donc prématurée et, en conséquence, elle a été rejetée.


[17]       Pour résumer, dans l'arrêt B.C. Children's Hospital, le juge Hall a conclu qu'une entente de règlement est confidentielle en grande partie et il a ajouté que de possibles aveux de défendeurs qui étaient déjà parvenus à un règlement sont sans pertinence, que les ententes sur la preuve sont plus adéquatement communiquées soit au procès soit peu avant le procès lorsque la présentation de la preuve est en vue, mais que les clauses relatives au désistement ou à des ententes de ne pas entamer des poursuites ou à des réservations de droits sont de l'information à communiquer, même s'il avait des doutes, et je pense à ce sujet que le principe est qu'en cas de doute, un document doit être communiqué.                      

[18]       En l'espèce, même si les demanderesses ont produit une lettre de Lafarge à Seaspan, qui est en partie l'objet de la présente requête, il n'existe apparemment aucune entente de règlement entre les demanderesses qui ont, chacune en ce qui la concerne, retenu les services du même avocat. Cependant, en examinant la requête, j'ai demandé si l'avocat des défenderesses envisageait d'avoir accès au dossier de l'avocat des demanderesses; la réponse a été affirmative, au moins pour les sujets relativement restreints abordés par les questions de l'interrogatoire préalable.

Le caractère sacré du dossier de l'avocat


[19]       La question de l'accès au contenu du dossier de l'avocat était l'objet de la décision Queen of Alberni (Le) (1997) 132 F.T.R. 241, dans laquelle la jurisprudence portant sur le caractère sacré du dossier de l'avocat a été examinée. Dans la décision en question, j'ai conclu à la page 246, que l'état du droit au Canada est que le dossier de l'avocat n'est pas protégé en vertu du secret professionnel entre l'avocat et son client, mais qu'il est plutôt un domaine réservé auquel la partie adverse n'a pas accès. Cependant, ceci est tempéré par un énoncé tiré de Susan Hosiery Ltd. c. Minister of National Revenu, [1969] C.T.C. 353 (C. de l'É.) à la page 360, où le président Jackett a fait remarquer que les règles de la cour [TRADUCTION] _ [...] n'offrent pas une protection contre l'examen de faits qui sont ou pourraient être utiles pour décider les points en litige _. Plutôt, l'exemption de communication se rapporte aux documents créés pour le dossier de l'avocat et _ les faits ou documents qui se trouvent reflétés dans ces communications ou ces pièces ne sont pas protégées contre une enquête préalable lorsque la partie serait tenue par ailleurs de les communiquer _(décision précitée). Dans la décision Queen of Alberni (Le), précitée,l'effet que cela produit est, selon les motifs exposés des pages 244 et 245 à la fin, que si un témoin interrogé apprenait à partir du dossier d'un avocat que quelque chose existait à un endroit et que le témoin est allé à cet endroit, a regardé et a vu la chose en question, ce que le témoin a observé ne serait pas protégé ou exempté de communication, même si sa connaissance provient du dossier de l'avocat. Cependant, une question de l'interrogatoire préalable demandant la communication du contenu du dossier de l'avocat ou la connaissance issue de la lecture du dossier de l'avocat, n'est pas admissible. J'applique à présent ces principes aux diverses questions en litige.

Questions liées aux ententes entre les demanderesses

[20]       En examinant les questions en litige pour ce qui concerne la présente requête, je ne les ai pas numérotées dans l'ordre dans lequel elles apparaissent dans les transcriptions, mais plutôt telles qu'elles sont numérotées dans les listes des questions auxquelles des réponses ont été refusées par les témoins à l'interrogatoire préalable, Messieurs Vermeulen et Brulé.


[21]       La première catégorie de questions porte sur l'existence d'ententes entre Seaspan et deux des demanderesses, West Bay et Lafarge.

[22]       Dans Vermeulen 2, on a demandé aux témoins s'il y avait une entente entre West Bay et Seaspan relativement aux dommages causés aux installations de West Bay. Si j'ai bien compris, aucune entente écrite quant à un procès ou à un règlement n'existe en fait. C'est seulement si une telle entente existe en dehors du dossier de l'avocat qu'elle pourrait être vulnérable et, à ce moment-là, seulement en ce qui concerne la communication des actes de désistement, des ententes de ne pas entamer des poursuites ou la réservation de droits, toute entente en matière de preuve n'étant communiquée qu'aux abords du procès. Cependant, cela ne signifie pas que la simple question ne mérite pas une réponse, ou il faut le noter encore une fois en se fondant sur les principes fondamentaux énoncés dans B.C. Children's Hospital, l'existence comme telle d'une entente serait l'objet d'une question pertinente. Brulé 6 et 7 tombent aussi sous le coup de la présente analyse et doivent être traitées en conséquence lors de l'interrogatoire préalable. Si ces questions, malgré ma compréhension de la preuve, révèlent des documents qui ne figurent pas dans le dossier de l'avocat, l'accès à ces documents sera guidé par l'analyse que j'ai effectuée ci-dessus de B.C. Children's Hospital, quant à ce qui ce qui peut être communiqué.


[23]       Brulé 2, même si elle est inscrite dans cette catégorie, cherche à savoir si quelqu'un de Seaspan, et cela n'inclut pas l'avocat qui représente aussi bien Seaspan que Lafarge, a jamais dit que Seaspan paierait les frais et les dommages-intérêts de Lafarge. Je ne juge pas une telle question pertinente, étant entendu que chaque demanderesse agit pour son propre compte et que la question n'est pas couverte par les principes énoncés dans B.C. Children's Hospital, la décision sur laquelle se fondent les défendeurs dans la présente instance. Il est possible que l'avocat des défendeurs puisse approcher ce sujet sous l'angle de la négligence concourante, comme dans les actes de procédure, mais tel n'est pas l'objet de la question.

Questions portant sur les réclamations des co-demanderesses contre Seaspan

[24]       La deuxième catégorie de questions, Vermeulen 1 et Brulé 4 et 5, cherche à savoir si des réclamations ont été faites par West Bay ou Lafarge contre Seaspan. Ni dans ses brèves observations écrites, ni dans sa longue plaidoirie, l'avocat des défendeurs n'a pu me convaincre que la simple allégation de l'existence de réclamations entre les demanderesses, agissant pour leur propre compte et utilisant les services d'un même avocat, est pertinente et nécessite une réponse, malgré la décision Termar Navigation.


[25]       Plus précisément, dans Termar, les deux défenderesses, avec des intérêts et des statuts différents, avaient introduit une action en responsabilité pour les mêmes montants et les mêmes préjudices : l'une des défenderesses, comme le soutenaient les demandeurs, n'avait certainement pas un intérêt pour agir. Dans la décision Termar, il y avait en fait eu un arbitrage entre les deux défenderesses, ce qui avait débouché sur des documents qui, selon le juge pourraient révéler si l'une ou les deux défenderesses avaient un intérêt pour agir dans une demande reconventionnelle : cela était certainement pertinent. À l'opposé, dans la présente situation, il n'existe aucune preuve d'une réclamation ou d'une action entre les demanderesses, chacune agissant pour ses propres dommages-intérêts par l'entremise d'un avocat commun. Il n'existe aucune indication d'une preuve pertinente. Il s'agit d'un interrogatoire à l'aveuglette sans pertinence tombant dans la catégorie des documents qui dépassent les limites raisonnables. Sur ce point, je renvoie à un plus long extrait de la décision Boxer, précitée, à la page 359, dont j'ai déjà cité une partie :

[TRADUCTION]

Même si la décision Peruvian Guano, précitée, énonce le droit applicable en l'espèce, on m'excusera si je renvoie également à ce que j'ai dit dans Allarco Broadcasting Ltd. c. Duke (1981), 34 B.C.L.R. 7, aux pages 10 et 11, 26 C.P.C. 13 (C.S.), à propos des interrogatoires préalables mais qui s'applique également à la communication de documents, savoir, que les parties ont le droit, chacune en ce qui la concerne, de préparer adéquatement leur cause ou leur défense _ mais il doit toujours y avoir des limites raisonnables _ et plus loin, à la page 12 :

[...] En dernière analyse, il est en définitive impossible de fournir des lignes directrices sur ce qui est permis en matière de communication des documents. Cela relève comme je l'ai dit du sens professionnel.

Les demandeurs ont incontestablement le droit de consulter tout document susceptible de les lancer dans une enquête qui pourra, directement ou indirectement, bénéficier à leur cause ou nuire à celle du défendeur, particulièrement sur la question vitale de la probabilité que la version du contrat donnée par une partie soit plus exacte que celle de l'autre. Tel étant le cas, il me semble que les demandeurs doivent avoir gain de cause sur certains aspects de la demande. À mon avis, avec respect pour l'avis contraire, les demandeurs en demandent trop pour d'autres parties.                          

[26]       En l'espèce, les questions sur les réclamations entre les demanderesses dont la possibilité de l'existence n'était mentionnée ni dans les actes de procédure, ni dans les documents, ni dans quelque preuve que ce soit, sont non seulement sans pertinence, mais dépassent les limites raisonnables et en demandent trop. Les questions portant sur les réclamations des co-demandeurs contre Seaspan ne nécessitent pas de réponse.              


Correspondance entre Seaspan et Lafarge et les droits d'action contre Lafarge

[27]       La troisième catégorie de questions et d'objections, Brulé 1 et Brulé 3 et 8 cherche d'abord à savoir si une autre personne que M. Brulé ou Lafarge était chargée des communications avec Seaspan relativement aux dommages causés par la barge de Seaspan et à l'existence d'échanges de lettres entre Seaspan et Lafarge.

[28]       Brulé 1 se lit comme suit :

[TRADUCTION]

Quelqu'un d'autre à Lafarge Canada Inc. aurait-t-il été chargé des communications avec Seaspan relativement aux dommages causés par leur barge?

Je m'oppose à cette question. Elle est sans pertinence relativement aux actes de procédure qui ont été présentés dans l'instance. Je demande au témoin de ne pas répondre à ce genre de question.

L'avocat qui procédait à l'interrogatoire a répondu :

[TRADUCTION]

[...] Je soutiens que les dommages ont été causés par l'omission de Seaspan de maintenir ses barges, ses installations et ainsi de suite; j'ai donc le droit d'aborder les questions en litige entre Seaspan et toute autre personne.

L'avocat des demanderesses a alors contesté la pertinence de cette question pour les actes de procédure.


[29]       La question est très pertinente et elle est une simple proposition en défense qui vise entre autres le mouillage de diverses barges de Seaspan qui, après avoir rompu leurs amarres, sont parties à la dérive, et les dommages que les barges de Seaspan ont en conséquence causés aux installations de Lafarge. Il s'agit d'une question qui se situe dans une approche libérale et raisonnable de l'interrogatoire préalable. Il s'agit d'une question qui satisfait manifestement aux exigences de ce qu'est une question d'interrogatoire préalable pertinente et qui nécessite une réponse, comme cela a été énoncé dansReading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corporation (1988) 25 F.T.R. 226, à la page 230. Brulé 1 qui, fait l'objet d'une objection, nécessite une réponse.

[30]       Les questions 3 et 8 qui ont été posées à M. Brulé et auxquelles il a refusé de répondre à l'interrogatoire préalable, cherchent à savoir s'il y avait eu des échanges de lettres entre Lafarge et Seaspan et elles ont porté sur une lettre qui a été produite.

[31]       La question ayant donné lieu à l'objection numéro 3 [TRADUCTION] _ Existait-il des échanges de lettres entre Lafarge et Seaspan relativement à cet incident? _ est une question simple. C'est à une question de ce genre qu'on doit s'attendre. Elle ne touche pas au dossier de l'avocat. Elle ne tombe pas dans le champ d'application des ententes ou des ententes de règlement entre les parties en question. Elle ne semble pas violer le secret professionnel et aucune revendication n'a été faite dans ce sens. En effet, on s'est opposé à la question, sans plus. Cette question n'a rien de contestable. Elle découle des actes de procédure et elle doit obtenir une réponse.


[32]       Brulé 8 est relative à une lettre produite par les demanderesses que M. Brulé a adressée à Seaspan et qui porte sur un règlement. M. Brulé écrit :

[TRADUCTION]

En raison de l'expansion de la cimenterie, certains ouvrages maritimes dans la zone sinistrée peuvent nécessiter une relocalisation ou un changement de forme. En conséquence, nous ne pouvons procéder aux réparations et nous proposons qu'un règlement porte sur une estimation des frais de réparations. Nous vous saurions gré de répondre à notre proposition.

L'avocat qui procédait à l'interrogatoire a été informé par le témoin qu'il ne se souvenait pas de la réponse de Seaspan ou si quelqu'un de chez Seaspan avait téléphoné pour répondre.

[33]       Cette question ne traite pas d'un règlement. Je ne vois pas non plus l'échange de lettres entre les demanderesses comme ayant été fait en prévision d'un procès. En effet, les affidavits établissent seulement la possibilité du secret professionnel ou d'une exemption à l'interrogatoire préalable en ce qui concerne la négociation de l'avocat pour le compte des demanderesses en vue d'une entente, ce qui pourrait être mentionné dans le dossier de l'avocat et non, selon moi, une entente officielle entre les demanderesses.


[34]       Brulé 8 semble avoir trait à la communication entre Seaspan et Lafarge avant l'intervention de l'avocat car la lettre initiale a apparemment été produite sans aucune revendication de secret professionnel. Il s'agit d'une question raisonnable, encore une fois selon les critères énoncés dans Reading and Bates, précitée, et qui doit obtenir une réponse. En effet, si M. Brulé ne peut pas se souvenir s'il y a eu une réponse, il devrait faire des recherches, bien évidemment sans divulguer le dossier de l'avocat, si c'est là que la lettre de Lafarge à Seaspan devait immédiatement le mener.

Nouvelle audition des témoins

[35]       Il n'existe aucun motif valable pour une nouvelle audition de M. Vermeulen pour lui soumettre une question sur l'existence d'un règlement qui pourrait être communiqué. Cela pourrait se faire par écrit, sans préjudice pour une nouvelle audition de M. Vermeulen si, de façon inattendue, celui-ci donne une réponse affirmative.

[36]       En ce qui concerne une nouvelle audition de M. Brulé, les questions auxquelles il doit répondre sont plus complexes. Ses réponses pourraient bien donner lieu à d'autres questions légitimes. Étant donné que M. Brulé est un témoin local, l'avocat des défendeurs peut exiger de lui une nouvelle audition sans payer d'autres montants au titre de frais de déplacement, mais tous les autres frais pour une nouvelle audition doivent suivre l'issue de la cause.

[37]       Les résultats étant partagés, les dépens suivront l'issue de la cause.                    

_ John A. Hargrave _

Protonotaire

Traduction certifiée conforme

Jean Maurice Djossou, LL.D.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-261-00

INTITULÉ :                                                    SEASPAN INTERNATIONAL LTD. ET AL

c.

LE NAVIRE _ EWA _ ET AL

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          VANCOUVER (C.-B.)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        LE 19 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                               LE 26 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Shane Nossal                                                    POUR LES DEMANDERESSES

David Jones                                                       POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bull, Housser & Tupper                                                POUR LES DEMANDERESSES

Vancouver

Bernard & Partners                                           POUR LES DÉFENDEURS

Vancouver


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