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Date : 20000628


Dossier : T-1692-99

            

ENTRE :

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-

     BAYSIDE TOWING LTD.,

     EUGENE BECKSTROM et WILLIAM FRIZELL,

     demandeurs,

     - et -

     CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE,

     B.C. TEL et RIVTOW MARINE LTD.,

     défendeurs.


     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]          Le 2 juin 1999, le chaland chargé de copeaux de bois Rivtow 901, qui était remorqué par le Sheena M appartenant à Bayside Towing Ltd. a heurté le pont ferroviaire de Mission et lui a causé des dommages s'élevant environ à 5 000 000 $. La requête à l'origine des présents motifs concerne la portée de la règle 238, qui régit l'interrogatoire d'une personne qui n'est pas une partie à l'action. L'interrogatoire envisagé s'inscrit dans le contexte d'une action en limitation prévue par la Loi sur la marine marchande du Canada et vient du désir de la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (le CP), en tant que propriétaire du pont, d'obtenir le témoignage d'un exploitant de remorqueur local au sujet des circonstances dans lesquelles son entreprise, Catherwood Towing Ltd., a utilisé des aide-remorqueurs pour faire passer des chalands sous la travée tournante du pont, ce témoignage devant s'étendre à chaque cas où de tels aide-remorqueurs ont été utilisés.

[2]          L'exploitant de remorqueur que le CP souhaite interroger est M. Ernie Catherwood, président de Catherwood Towing Ltd., une entreprise dont les huit ou neuf remorqueurs exploités localement mouillent à son installation du fleuve Fraser, qui est située juste un peu plus haut que le pont. Le CP a envoyé à Catherwood Towing Ltd., à l'attention de son président, M. Catherwood, une liste de sept questions, qui portent essentiellement sur des faits. M. Catherwood a répondu à ces questions, à l'exception de la septième, qui est ainsi formulée :

[TRADUCTION] Dans quelles circonstances (par exemple, à quel niveau des eaux, dans quelles conditions d'écoulement des eaux et quand dans la journée) et, dans chaque cas, pourquoi Catherwood Towing Ltd. a-t-elle eu recours à des aide-remorqueurs pour faire passer vers l'aval ou vers l'amont de la travée tournante du pont ferroviaire de Mission un remorqueur et un chaland chargé de copeaux de bois ?

Par l'intermédiaire de son avocat, M. Catherwood a fait savoir qu'il ne répondrait pas à cette question parce qu'il ne voulait pas être mêlé à cette affaire. Le CP a alors invoqué la règle 238, une règle discrétionnaire qui permet de procéder à l'interrogatoire préalable d'une personne qui n'est pas une partie dans une action :

238. (1)Interrogatoire d'un tiers -- Une partie à une action peut, par voie de requête, demander l'autorisation de procéder à l'interrogatoire préalable d'une personne qui n'est pas une partie, autre qu'un témoin expert d'une partie, qui pourrait posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l'action.

ANALYSE

[3]          Les conditions auxquelles doit satisfaire une partie qui envisage d'interroger une personne ne sont pas contestées étant donné qu'elles sont exposées à la règle 238(3) :

(3) Autorisation de la Cour -- Par suite de la requête visée au paragraphe (1), la Cour peut autoriser la partie à interroger une personne et fixer la date et l'heure de l'interrogatoire et la façon de procéder, si elle est convaincue, à la fois :
         a) que la personne peut posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans l'action;
         b) que la partie n'a pu obtenir ces renseignements de la personne de façon informelle ou d'une autre source par des moyens raisonnables;
         c) qu'il serait injuste de ne pas permettre à la partie d'interroger la personne avant l'instruction;
         d) que l'interrogatoire n'occasionnera pas de retards, d'inconvénients ou de frais déraisonnables à la personne ou aux autres parties.

Bien qu'il faille remplir ces quatre conditions, en l'espèce, seulement les deux premières sont en litige.

[4]          Le CP a présenté une argumentation motivée soutenant qu'il avait satisfait aux quatre conditions exposées à la règle 238 et qu'il devrait donc obtenir l'autorisation d'interroger M. Catherwood. L'avocat de ce dernier, s'opposant à ce qu'avance le CP, prétend qu'il n'a pas été satisfait au premier et au deuxième critères, à savoir si M. Catherwood possède ou non des renseignements pouvant contribuer à l'affaire et s'il existe d'autres sources détenant les mêmes renseignements et que le CP aurait dû examiner. L'avocat de la demanderesse est du même avis et ajoute des observations sur ces questions litigieuses, mais soulève aussi d'autres considérations : la pertinence de la vérification de la pratique, étant donné que la norme applicable n'est pas la négligence par rapport à la pratique des autres, mais plutôt l'imprudence; le fait qu'une demande visant l'obtention du témoignage d'une société n'est pas couverte par la règle 239 et la question de savoir si la règle 238 se limite effectivement à la preuve que peut fournir un témoin oculaire d'un incident, ce point se rapportant aux renseignements que M. Catherwood est tenu de donner dans le cadre de la règle 238.

Un témoin qui possède des renseignements sur une question litigieuse

[5]          La demanderesse Bayside ne s'est pas servie d'un aide-remorqueur pour franchir le pont. Si le CP parvenait à établir que cette conduite était téméraire et que la demanderesse l'a adoptée en sachant que la perte et le dommage subis en résulteraient probablement, comme l'a plaidé le CP dans sa défense, alors les demandeurs se verraient refuser le droit de limiter leur responsabilité par l'application de l'article 4 de l'annexe VI de la Loi sur la marine marchande du Canada, qui intègre au droit canadien la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes.

[6]          Nous savons que Catherwood Towing Ltd. exploite plusieurs remorqueurs dans le secteur du pont de Mission et que le garde-pont en chef du CP croit que M. Catherwood est lui-même un capitaine de remorqueur d'expérience. En outre, le garde-pont a souvent vu des remorqueurs de Catherwood faire passer des chalands à copeaux sous le pont de Mission.

[7]          Il est certain que M. Catherwood peut être en mesure de renseigner le CP en lui faisant part de son avis au sujet du recours à des aide-remorqueurs dans le secteur du pont de Mission. Il peut également savoir, d'une manière dérivée, ce que pensent les autres capitaines qui conduisent des remorqueurs de sa compagnie de l'aide requise pour passer sous le pont. Catherwood Towing Ltd. détient probablement aussi des renseignements dans ses journaux de bord et dans ses registres comptables sur les moments où cette société a effectivement utilisé des aide-remorqueurs. Toutefois, l'avocat de la demanderesse et l'avocat de Catherwood Towing Ltd. affirment tous deux que l'avis d'une société ne fait pas partie des renseignements visés par la règle 238.

[8]          D'abord, si la demande porte sur des renseignements de l'entreprise, notamment des renseignements sur l'avis des autres capitaines qui conduisent les remorqueurs de la société au sujet de l'aide requise pour passer sous le pont de Mission, il faut se demander si la règle 238 permet de solliciter de tels renseignements. L'avocat du CP invoque l'affaire Confederation Life Insurance Co. v. Juginovic1, une décision du protonotaire de la Colombie-Britannique siégeant en chambre. Ce litige portait sur la règle 28 des B.C. Supreme Court Rules, qui, de fait, est le pendant de la règle 238 des Règles de la Cour fédérale. Il s'agissait de décider si un employé d'une compagnie d'assurances, dans le cadre d'une demande présentée à celle-ci conformément à la règle 28, pouvait être interrogé au préalable dans une affaire où cette compagnie n'était pas une partie. Le protonotaire a accueilli la demande. Toutefois, dans l'ouvrage intitulé The British Columbia Practice, deuxième édition, Butterworths, Madame le juge McLachlin et Me James Taylor, c.r., estiment que cette décision est erronée parce que le protonotaire n'a pas tenu compte du fait que des témoins interrogés à titre de représentants d'une société ne sont interrogés qu'à ce titre, c'est-à-dire en tant que représentants ou préposés de la société en question, tandis qu'aux termes de la règle 28, le témoin doit être interrogé en tant que personne qui parle en son nom personnel. Quoi qu'il en soit, les rédacteurs de l'ouvrage mentionné précédemment concluent, à la page 28-12, que la règle 28 [traduction] « prévoit uniquement l'interrogatoire d'une personne physique [...] » , renvoyant ainsi aux affaires Aintree Investments Ltd. v. West Vancouver2et Cansulex Ltd. v. Perry3. Dans cette dernière affaire, le juge Berger mentionne une autre décision visant Aintree Investments, soit la décision inédite rendue par le juge Kirke Smith dans l'action C764758/76, en date du 10 novembre 1977, dans laquelle il est indiqué : [traduction] « La règle 28 prévoit l'interrogatoire d'une personne physique et non d'un représentant de celle-ci » . Quoi qu'il en soit, le juge Berger estimait que la règle 28 ne s'appliquait pas à l'interrogatoire préliminaire de témoins en leur qualité de dirigeants d'une société.

[9]          Comme je l'ai indiqué précédemment, la règle 238 des Règles de la Cour fédérale reprend essentiellement la règle 28 des B.C. Supreme Court Rules. Dans les deux cas, le libellé comporte la mention d'interrogatoire d'une personne susceptible de posséder soit des renseignements (règle 238), soit une preuve (règle 28), des termes qui ne présentent pas de différence réelle dans ce contexte. Toutefois, je dois examiner ce qui s'est effectivement produit dans l'affaire Pakistan National Shipping Corporation c. Canada4.

[10]          Dans l'affaire Pakistan National, au cours d'un transport par bateau, des tonnelets d'huile de canola s'étaient effondrés, ce qui avait entraîné des fuites. La Couronne voulait obtenir des renseignements sur le remplissage et l'entreposage des tonnelets, avant leur transport en mer, mais elle n'est pas parvenue à faire mettre en cause les sociétés concernées parce que celles-ci n'étaient pas justiciables de la Cour. Le juge Teitelbaum a estimé que la Couronne avait satisfait aux quatre conditions prévues par la règle et il a autorisé cette dernière à interroger divers employés désignés nommément à propos de l'achat, du transport, du remplissage et de l'entreposage des tonnelets. La requête était contestée, mais uniquement parce que les sociétés qui avaient conclu les contrats pour ces services ne relevaient pas de la compétence de la Cour. En autorisant l'interrogatoire préalable, le juge Teitelbaum ne s'est pas prononcé directement sur la question de savoir si la règle permettait d'interroger uniquement des personnes en leur qualité de témoins plutôt qu'à titre de préposés ou représentants des sociétés. Je pense qu'effectivement il n'avait pas à le faire, étant donné que les personnes en question avaient signé divers contrats pour lesdits services préalables à l'expédition. Le juge Teitelbaum estimait qu' « elles ont toutes joué un "rôle essentiel" [...] » . Il a ajouté ensuite : « il ressort clairement [...] que les personnes à interroger possèdent des renseignements » , ce qui, pour lui, était suffisant pour le convaincre (voir plus particulièrement les pages 255 et 256). Ces propos ne sont en rien incompatibles avec l'opinion des rédacteurs de l'ouvrage The British Columbia Practice, qui affirment que la règle ne s'applique qu'à l'interrogatoire de personnes physiques qui ne parlent qu'en leur nom personnel.

[11]          Si l'on applique à la présente instance ce concept d'interrogatoire d'un témoin parlant pour lui-même, il faut se demander si la règle 238 permet que M. Catherwood soit, à titre personnel, soumis à un interrogatoire préalable.

[12]          Je n'accorde pas une aussi grande importance pratique que ne le font l'avocat de Catherwood Towing et celui de la demanderesse au fait que la lettre demandant des renseignements sur les pratiques de remorquage dans le secteur du pont de Mission ait été adressée à Catherwood Towing Ltd., à l'attention du président M. Catherwood, et ait fait référence à l'expérience de Catherwood Towing Ltd. Il est implicite que le CP s'intéresse à l'expérience de M. Catherwood, le propriétaire de Catherwood Towing, qui est également connu comme capitaine de remorqueur. S'il n'était pas possible de tirer une telle déduction, il serait facile de corriger la situation par une deuxième lettre, étant donné que c'est effectivement au témoignage de M. Catherwood que le CP s'intéresse. D'après la jurisprudence, il semblerait que le CP ne puisse poser des questions au préalable sur l'expérience de la société, mais, s'il satisfait aux critères exposés dans la règle 238, il peut interroger M. Catherwood personnellement au préalable, dans la mesure où celui-ci possède des renseignements sur une question réelle que soulève la présente instance. Sur ce point, l'avocat de Catherwood Towing mentionne l'affaire Delphi Petroleum Inc. c. Derin Shipping & Trading Ltd. 5, plus précisément la page 102. Dans cette affaire, le litige portait sur la règle 466.3, règle qui a précédé l'actuelle règle 238 et qui permettait d'obtenir l'autorisation d'interroger sous serment une personne susceptible de posséder des renseignements sur une question litigieuse dans une action. Dans Delphi, la demanderesse voulait obtenir des renseignements au sujet d'un retard. Toutefois, l'ordonnance avait été refusée parce que, un arbitre ayant déjà tranché la question du retard, la règle de la chose jugée s'appliquait et il ne restait aucune question litigieuse pouvant faire l'objet d'un interrogatoire. De même, dans l'affaire Lord c. Royal Columbian Hospital6, le témoin que l'appelant voulait interroger, dans le cadre de la règle 28 des B.C. Supreme Court Rules, qui est semblable à notre règle 238, avait refusé parce qu'il estimait n'avoir rien d'important à dire étant donné qu'il n'avait pas directement pris part aux événements et qu'il ne se rappelait pas précisément de ce qu'il avait fait à ce moment-là. La Cour d'appel a laissé entendre qu'il serait peut-être plus profitable pour le demandeur de concentrer ses efforts sur l'interrogatoire préalable d'un membre du personnel d'administration de l'hôpital en question.

[13]          En l'espèce, le CP cherche probablement à savoir comment M. Catherwood s'y prend pour faire franchir le pont de Mission à des chalands, dans quels cas il se sert d'aide-remorqueurs et pourquoi il a recours à ceux-ci. L'avocat de la demanderesse doute que ces renseignements aient une incidence sur une question réelle que soulève l'action en limitation de la responsabilité, prétendant que, même si la pratique de M. Catherwood établissait une norme ou une pratique habituelle sensée et qu'un écart injustifié par rapport à cette norme constituât une négligence, selon la Convention de 1976 sur la limitation de la responsabilité en matière de créances maritimes, c'est la témérité ou l'imprudence qu'il faut établir et non la négligence.

[14]          J'ai abordé les concepts très différents que sont la négligence et l'imprudence dans les motifs que j'ai rendus précédemment dans la présente action le 2 février 2000, citant le juge Devlin dans l'affaire Albert E. Reed & Co. Ltd. v. London & Rochester Trading Co. Ltd.7, aux pages 475 et 476, qui signale que l'imprudence est plus qu'une simple négligence ou une simple inadvertance puisqu'elle signifie que l'on a délibérément couru un risque. Toutefois, j'ai refusé de radier les précisions sur la négligence que le CP donnait dans ses actes de procédure parce que, bien que j'aie estimé que l'allégation d'imprudence avancée par le CP, fondée au moins en partie sur des précisions au sujet de la négligence, était difficile à faire valoir, ce n'était pas un argument désespéré. De même, il peut être difficile de transformer l'interrogatoire de M. Catherwood au sujet de sa pratique réelle en une norme applicable à l'imprudence, mais il ne s'agit pas non plus d'une tentative désespérée. Au contraire, cet interrogatoire peut permettre de dégager une norme de prudence par rapport à laquelle il sera possible de vérifier s'il y a eu ou non imprudence. Ainsi, il est possible que ce que M. Catherwood pourrait avoir à dire quant à sa pratique constitue des renseignements portant sur une question litigieuse soulevée dans la présente action.

[15]          Enfin, toujours dans le cadre de l'argument portant que M. Catherwood ne possède pas de renseignements sur une question en litige dans la présente action, l'avocat de Catherwood Towing prétend que le CP tente, irrégulièrement, d'obliger une personne indépendante, qui n'est pas mêlée au litige, à témoigner sur sa pratique spécialisée, ce qui constituerait en fait un témoignage d'expert sur la manière de faire passer des chalands sous le pont, à d'autres moments et dans d'autres conditions. L'avocat soutient que la preuve ne serait pertinente que si elle était étayée par une opinion sur la façon dont il aurait fallu passer sous le pont avec un remorqueur et un chaland le 2 juin 1999, le jour où l'accident s'est produit. Il conclut que le CP tente d'obtenir une preuve sous forme d'opinion qui serait inadmissible, même si Catherwood Towing Ltd. était une partie au litige. Sur ce point, l'avocat mentionne deux décisions de notre Cour d'appel.

[16]          Dans l'affaire Rivtow Straits Ltd. c. B.C. Marine Shipbuilders Ltd.8, la Cour d'appel a signalé que les questions posées au cours d'un interrogatoire préalable et qui visent à obtenir un avis, « [...] à supposer qu'elles soient admissibles, ne le sont que dans les cas où elles sont posées à un témoin dont les connaissances techniques sont mises en doute dans les faits allégués dans les plaidoyers » (page 736). En l'espèce, le CP veut connaître la pratique de M. Catherwood et non obtenir son avis.

[17]          L'opinion donnée par la Cour d'appel dans l'affaire La Reine c. Irish Shipping Ltd.9est peut-être encore plus pertinente. Dans cette affaire, un bateau s'était échoué dans un dispositif volontaire de séparation du trafic à l'île de Haddington, tout juste au nord d'Alert Bay. La Couronne avait interjeté appel d'un jugement de la Division de première instance enjoignant à son témoin, un marin d'expérience ayant participé à la conception du dispositif de séparation du trafic, d'expliquer comment il naviguerait à travers ce passage et même de donner son avis sur la bonne façon de naviguer à travers ce passage. La Cour a fait remarquer que les questions ne se rapportaient pas au dispositif de séparation du trafic lui-même. En outre, elles n'étaient pas admissibles simplement parce que le témoin avait participé à la préparation du dispositif, ou parce que la Couronne avait prétendu que l'accident n'était pas attribuable à la conception du dispositif de séparation du trafic, mais plutôt à la négligence du capitaine d'Irish Shipping, étant donné que l'allégation concluant à la négligence n'avait pas mis en doute les connaissances techniques du témoin :

     Selon nous, contrairement à ce qu'a dit l'avocat de l'intimée, puisque les questions ne se rapportaient pas au « dispositif de séparation du trafic » , elles ne sont pas devenues admissibles du fait que les allégations de la déclaration ont mis en doute les connaissances techniques du capitaine Burrill à titre de personne ayant participé à la préparation du dispositif. De plus, à notre avis, le fait que ces questions puissent avoir rapport à la partie des conclusions de la défense où on allègue la négligence de l'intimée ne modifie pas la situation puisque l'allégation concluant à la négligence n'a pas mis en doute les connaissances techniques du capitaine Burrill.      (à la page 420)

Ce dont il faut avant tout tenir compte en comparant la question que le CP veut poser à M. Catherwood à celle posée dans l'affaire Irish Shipping est que, dans cette dernière affaire, on demandait une opinion quant à savoir comment on pourrait naviguer à travers le passage ou quelle était la bonne façon de le faire, tandis que le CP ne demande pas l'avis de M. Catherwood mais un témoignage sur les cas réels où il a passé sous le pont en remorquant un chaland. Tout en admettant que les conditions dans lesquelles chaque transport a lieu ne sont jamais identiques, le CP pourrait bien, malgré tout, tirer une pratique générale du témoignage de M. Catherwood sur son expérience. Cette pratique générale, qui servirait de repère quant à la bonne façon de s'approcher du pont avec un remorqueur et un chaland et quant à l'utilisation d'un aide-remorqueur, pourrait bien constituer des renseignements ayant une incidence sur les questions exposées dans les actes de procédure et sur la limitation de la responsabilité prévue par la Convention.

[18]          Le CP a satisfait au premier critère prévu par la règle 238 selon lequel M. Catherwood peut lui-même posséder des renseignements sur une question litigieuse soulevée dans la présente action. Je vais maintenant aborder la question de savoir si le CP a déployé suffisamment d'efforts pour obtenir des renseignements d'autres sources par des moyens raisonnables.

Renseignements d'une autre source

[19]          La deuxième partie de la règle 238(3) prévoit que la Cour doit être convaincue que la partie qui demande l'autorisation d'interroger « [...]n'a pu obtenir ces renseignements de la personne de façon informelle ou d'une autre source par des moyens raisonnables;[...] » .

[20]          Le CP soutient qu'il a demandé des renseignements à M. Catherwood et que celui-ci a refusé de répondre parce qu'il ne voulait pas, soit être mêlé à cette affaire, soit prendre parti. Le CP prétend que cela suffit pour satisfaire à l'alinéa 3b) de la règle 238.

[21]          Le problème du CP est qu'il n'a satisfait qu'à la moitié de la règle : il a établi qu'il était vraiment incapable d'obtenir le témoignage de M. Catherwood sur sa façon habituelle de passer sous le pont de Mission avec un chaland remorqué, mais il n'a pas tenté d'obtenir des renseignements équivalents d'une autre source. Autrement dit, l'avocat de la partie adverse soutient que M. Catherwood n'est sûrement pas la seule personne susceptible de pouvoir expliquer à partir de son expérience personnelle comment remorquer des chalands pour les faire passer sous le pont ferroviaire de Mission et qu'il existe peut-être même des personnes mieux qualifiées pour fournir des explications de ce genre.

[22]          L'avocat du CP soutient que la pratique de M. Catherwood est unique en son genre. Le garde-pont principal du CP est en mesure d'affirmer que Catherwood Towing a souvent fait passer le pont à des chalands chargés de copeaux de bois qu'il remorquait, que Catherwood Towing est, depuis de nombreuses années, la propriétaire et l'exploitante de plusieurs remorqueurs qui se trouvent près du pont et que M. Catherwood est un capitaine de remorqueur possédant de l'expérience, surtout dans le secteur du pont de Mission. Toutefois, il n'y a aucune preuve selon laquelle les remorqueurs de Catherwood et celui de la demanderesse sont les seuls qui font passer le pont à des chalands ou que M. Catherwood possède des renseignements exclusifs.

[23]          Je n'irai pas aussi loin que l'avocat de Catherwood Towing, qui laisse entendre que le CP aurait dû solliciter l'avis des garde-ponts du CP, qui se postent sur la travée pivotante du pont afin de l'ouvrir au trafic maritime. Toutefois, selon la règle, ce que le CP doit établir c'est qu'il ne peut obtenir ailleurs le témoignage relatif au remorquage sous le pont et non simplement que M. Catherwood détient ces renseignements et qu'il refuse de les lui fournir.


CONCLUSION

[24]          La règle 238 est utile mais spéciale. L'interrogatoire préalable sert habituellement à obtenir d'un témoin de la partie adverse des renseignements sur la nature de sa preuve afin de pouvoir préparer sa défense et réfuter cette preuve. Toutefois, cette règle étend la portée de l'interrogatoire préalable qui passe d'un témoin à des spectateurs et à ceux qui pourraient simplement détenir des renseignements sur une question litigieuse. Il convient donc de faire preuve de circonspection en l'interprétant et en l'appliquant.

[25]          La règle exige manifestement qu'avant que la Cour autorise la tenue de l'interrogatoire préalable additionnel d'une personne qui n'est pas une partie, la partie qui en fait la demande ait fait des efforts raisonnables pour trouver les personnes susceptibles de posséder des renseignements sur une question en litige, et que, dans chaque cas, elle se soit heurtée à un refus. Je n'ai pas à examiner les troisième et quatrième conditions de la règle, soit celle du caractère juste et celle des retards,des inconvénients ou des frais déraisonnables à la personne ou aux autres parties, étant donné qu'elles n'ont pas été soulevées.La requête est rejetée.

[26]          En ce qui concerne les dépens, je signale qu'en l'espèce, les avocats ont examiné une règle de la Cour fédérale sur laquelle les tribunaux ne s'étaient pas penchés souvent dans le passé. La solution au litige n'allait pas de soi. Les dépens suivront le sort de l'affaire.




                             (Signé) John A. Hargrave

                                 Protonotaire





Le 28 juin 2000

Vancouver (Colombie-Britannique)






Traduction certifiée conforme


Richard Jacques, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER




NODU DOSSIER :              T-1692-99
Enter Style of Cause just after [Tab] code. INTITULÉ DE LA CAUSE :      BAYSIDE TOWING LTD. ET AL.
                     c.
                     COMPAGNIE DE CHEMIN DE FER CANADIEN PACIFIQUE ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER
DATE DE L'AUDIENCE :          le 12 juin 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR JOHN A. HARGRAVE, PROTONOTAIRE, le 28 juin 2000



ONT COMPARU :

Enter Appearances just after [Comment] code.

David McEwen              pour les demandeurs
William Everett              pour la défenderesse la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique
Doug Morrison              pour la défenderesse Rivtow Marine Ltd.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Enter Solicitors of Record just after [Comment] code.

McEwen Schmitt

Vancouver (C.-B.)              pour les demandeurs

Lawson Lundell

Vancouver (C.-B.)              pour la défenderesse la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique

Bull, Housser & Tupper

Vancouver (C.-B.)              pour la défenderesse Rivtow Marine Ltd.
__________________

1      (1996), 48 C.P.C. (3d) 60

2      (1978), 5 B.C.L.R. 216 (C.S.C-B.)

3      [1982] 37 B.C.L.R. 397

4      (1995), 94 F.T.R. 250 (C.F. 1re inst.).

5      (1995), 24 Admin L.R. (2d) 94 (C.F. 1re inst.)

6      (1981), 23 B.C.L.R. 141 (C.A.C.-B.)

7      [1954] 2 Lloyds 463 (Q.B.)

8      [1977] 1 C.F. 735

9      [1976] 1 C.F. 418

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