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     Date : 19980714

     Dossier : T-1313-98

OTTAWA (Ontario), le mardi 14 juillet 1998

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE B. REED

ENTRE :

     CRAIG ELTON JONES, MARK BROOKS,

     JAMIE DOUCETTE, ANNETTE MUTTRAY,

     DENNIS PORTER et ANDREA ALISSA

     WESTERGARD-THORPE,

     demandeurs,

     - et -

     COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC CONTRE LA GRC,

     GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

     INSPECTEUR DINGWALL, SURINTENDANT MAY,

     SURINTENDANT THOMPSETT, SERGENT D'ÉTAT-MAJOR PLANTE

     et SERGENT D'ÉTAT-MAJOR STEWART,

     défendeurs.

     ORDONNANCE

     SUR PRÉSENTATION d'une demande entendue par vidéoconférence le lundi 13 juillet 1998 en vue d'obtenir :

     1.      une ordonnance de certiorari annulant la décision de la Commission des plaintes du public contre la GRC de ne pas demander au gouvernement fédéral d'accorder des fonds pour assurer une représentation juridique aux plaignants;
     2.      une ordonnance de mandamus enjoignant à la Commission des plaintes du public contre la GRC de demander au gouvernement fédéral d'accorder des fonds pour assurer une représentation juridique aux plaignants.

     ET AYANT constaté que la décision de la Commission repose sur des énoncés de droit erronés (des motifs écrits suivront);

     LA COUR ORDONNE PAR LES PRÉSENTES :

     la réparation demandée au paragraphe 1 est accordée;

     ET DÉCLARE :

     la Commission a le pouvoir de demander au gouvernement fédéral d'accorder des fonds pour assurer une représentation juridique aux plaignants si elle le désire.

                                 B. Reed

                                         Juge

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     Date : 19980720

     Dossier : T-1313-98

ENTRE :

     CRAIG ELTON JONES, MARK BROOKS,

     JAMIE DOUCETTE, ANNETTE MUTTRAY,

     DENNIS PORTER et ANDREA ALISSA

     WESTERGARD-THORPE,

     demandeurs,

     - et -

     COMMISSION DES PLAINTES DU PUBLIC CONTRE LA GRC,

     GENDARMERIE ROYALE DU CANADA,

     INSPECTEUR DINGWALL, SURINTENDANT MAY,

     SURINTENDANT THOMPSETT, SERGENT D'ÉTAT-MAJOR PLANTE

     et SERGENT D'ÉTAT-MAJOR STEWART,

     défendeurs.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la Commission des plaintes du public contre la GRC (la Commission)1 a refusé d'ordonner l'octroi de fonds aux demandeurs pour leur permettre d'être représentés par un avocat devant la Commission, ou de recommander au gouvernement fédéral d'accorder ces fonds.

[2]      La présente demande est urgente parce que les audiences auxquelles elle se rapporte doivent commencer le 14 septembre 1998. Les procédures préparatoire sont déjà en cours. Les présents motifs seront donc brefs.

[3]      La conduite visée par l'enquête de la Commission se rapporte à des manifestations qui ont eu lieu sur le campus de l'Université de la Colombie-Britannique lors du sommet de l'Organisation de coopération économique Asie-Pacifique (APEC) qui s'est déroulé du 23 au 25 novembre 1997. Les demandeurs sont tous des étudiants sans le sou. Ils ont tous intenté des poursuites civiles contre des membres de la GRC auxquels ils reprochent d'avoir eu une conduite répréhensible. Les demandeurs sont tous des plaignants devant la Commission relativement à cette conduite. Ils n'ont droit à aucune aide juridique dans le cadre de l'enquête de la Commission à cause de la portée restreinte du programme d'aide juridique de la Colombie-Britannique. À l'audience que j'ai présidée, les défendeurs étaient représentés par huit avocats payés par l'État. La GRC et les membres individuels de la Gendarmerie qui sont des défendeurs sont tous représentés par des avocats payés par l'État devant la Commission. Cette dernière est conseillée par un avocat payé par l'État.

[4]      Les demandeurs affirment que le refus de leur accorder des fonds pour retenir les services d'un avocat revient fondamentalement à les priver du droit à l'assistance d'un avocat. Ils prévoient qu'ils devront témoigner et qu'ils seront contre-interrogés par les avocats qui représentent les défendeurs. Selon eux, le déséquilibre qui s'ensuivra sera source d'injustice à l'audience et pourrait ternir leur réputation. Ils font remarquer que peu après les événements de 1997, la GRC a publié un communiqué mentionnant que les demandeurs faisaient l'objet d'une enquête parce qu'ils avaient [traduction] " commis des actes criminels " et n'avaient pas [traduction ] " participé à une manifestation légale ". Plus récemment, on aurait apparemment promis de ne pas porter d'accusations criminelles.

[5]      Au cours des débats devant la Commission, les demandeurs ont d'abord paru mettre l'accent sur la question de savoir si la Commission avait compétence pour rendre une ordonnance portant octroi de fonds pour assurer leur représentation juridique. Il semble assez clair que la Commission n'est pas investie d'un tel pouvoir. Cette conclusion repose en grande partie sur les termes employés au paragraphe 45.45(13) de la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10 (la Loi sur la GRC). Cette disposition prévoit le paiement par la Commission de certaines dépenses engagées par des plaignants dans certaines circonstances2. Le paiement d'honoraires juridiques pour leur permettre d'être représentés par un avocat devant la Commission n'est pas visé par cette disposition. Comme on mentionne dans cette disposition le pouvoir de payer certaines dépenses mais pas le pouvoir de payer des honoraires juridiques, on doit conclure, par déduction, que la Commission n'a pas le pouvoir de payer ces honoraires. En outre, le pouvoir d'octroyer des fonds publics n'existe habituellement pas, à moins d'être accordé expressément.

[6]      Il ressort de la preuve au dossier que la Commission a examiné la question de savoir s'il existait un droit constitutionnel à l'assistance d'un avocat rémunéré par l'État qui l'emporterait sur les dispositions de la Loi sur la GRC. Aucun argument convaincant n'a pu être invoqué à cet effet. De plus, aucun argument convaincant fondé sur les dispositions interprétatives de la Déclaration canadienne des droits n'a été invoqué. De toute façon, les avocats des demandeurs ne demandent plus à la Commission de rendre une ordonnance portant octroi de fonds.

[7]      Par contre, il existe de nombreux appuis au soutien de l'affirmation que les plaignants/demandeurs seront très désavantagés s'ils ne sont pas représentés aux frais de l'État puisque les parties ne seront pas sur un pied d'égalité. On s'est référé à des extraits d'un avis que le professeur Ratushny a soumis à la Commission et dans lequel il fait remarquer que la [traduction] " Commission a reconnu publiquement l'injustice dont un plaignant pourrait faire l'objet s'il n'était pas représenté par un avocat à une audience ".

[8]      On s'est référé au Rapport annuel 1990-1991 de la Commission, dans lequel on déclare à la p. 76 :

     Aux audiences, on a eu du mal à obtenir que dans l'intérêt de l'impartialité, les plaignants puissent avoir les services d'un avocat dans les cas appropriés. La GRC dans son ensemble sera représentée par des avocats du ministère de la Justice et les membres individuels impliqués peuvent être représentés toujours aux frais du public, soit par des avocats du ministère de la Justice, soit par des avocats de cabinets privés.         

[9]      On s'est également référé au rapport Ward dans lequel la Commission a pris des mesures en vue de l'octroi de fonds de manière à permettre à un plaignant d'être représenté par un avocat :

     [traduction] Lorsqu'un plaignant est appelé à témoigner ou à fournir d'autres preuves, et particulièrement lorsque l'objet de la plainte peut donner lieu à d'autres poursuites visant le plaignant en tant que témoin ou partie, celui-ci peut avoir intérêt à être représenté par un avocat [...] lorsque la situation s'est présentée et que le plaignant n'avait pas les moyens d'être représenté par un avocat, des arrangements ont été pris pour défrayer l'avocat dont le plaignant avait retenu les services.         
     Chairman's Final Report Following a Public Hearing, 26 avril 1994, plaignant : Cameron Ward (le rapport Ward), p. 6.         

[10]      Les demandeurs ont invoqué comme moyen subsidiaire devant la Commission le fait que la Commission devrait au moins recommander au gouvernement fédéral de prendre des arrangements en vue de l'octroi de fonds aux demandeurs. La Commission a refusé de faire cette recommandation. Elle a invoqué deux motifs au soutient de son refus :

     [traduction]

     1.      La Commission manquerait à son devoir d'impartialité si elle recommandait l'attribution d'un avantage à l'une des deux parties qui comparaissent devant elle, en l'occurrence les plaignants.         
     2.      Si la Commission faisait des démarches auprès du gouvernement fédéral en vue de l'octroi des fonds demandés, elle empiéterait sur le pouvoir exclusif du Parlement de légiférer à l'égard de l'objet de la demande.         

[11]      L'avocat de la GRC soutient que les demandeurs tentent d'utiliser la Commission à des fins politiques (" p " minuscule). À titre d'exemple, ils demandent que la Commission rédige une lettre publique recommandant l'octroi de fonds par le gouvernement fédéral. Ils affirment que si ces fonds ne sont pas accordés, les membres de la Commission [traduction] " devront forcément démissionner ou suspendre l'audience, ou encore interdire la présence d'avocats à l'audience [...] " (Non souligné dans l'original). Il faut reconnaître qu'il y a une stratégie de relations publiques dans la démarche des demandeurs. Quoi qu'il en soit, la question qui m'est soumise consiste à savoir si la Commission a indûment restreint l'étendue de ses options relativement à la requête des demandeurs parce qu'elle a mal compris les règles de droit pertinentes.

[12]      En ce qui concerne le premier motif invoqué par la Commission au soutien de sa décision, la conclusion qui a été tirée est incorrecte. La Commission ne manquerait pas à son devoir d'impartialité en recommandant au gouvernement fédéral d'accorder des fonds aux plaignants. L'autre partie est déjà entièrement subventionnée par l'État. On ne saurait donc considérer que le fait de recommander l'octroi de fonds aux demandeurs reviendrait à recommander l'attribution d'un avantage à une seule des parties. De plus, comme l'avocat des demandeurs le soutient, s'il s'agit d'une crainte sérieuse pour la Commission, elle n'a qu'à recommander l'octroi de fonds à toutes les parties. Cette recommandation serait neutre bien qu'inutile en ce qui concerne les défendeurs.

[13]      L'affirmation qu'une recommandation empiéterait sur le pouvoir exclusif du Parlement de légiférer est également incorrecte. Premièrement, comme la Commission se bornerait à faire une recommandation, le terme " empiétement " est mal choisi. Deuxièmement, cette recommandation serait adressée au pouvoir exécutif et non au Parlement. Demander l'octroi de ces fonds n'empiéterait pas sur le pouvoir du Parlement.

[14]      Les motifs que donne la Commission au soutien de sa décision montrent qu'elle a mal compris les règles de droit. Ni l'un ni l'autre des deux motifs invoqués n'est valable en droit, et aucun des avocats qui ont comparu devant moi n'a sérieusement cherché à les défendre.

[15]      L'avocat de la GRC soutient qu'il importe peu que la Commission ait agi en fonction d'une mauvaise compréhension des conséquences juridiques d'une recommandation parce que, de toute façon, la Commission n'a pas le pouvoir de faire une recommandation semblable à celle qui est envisagée. Cet argument repose sur le fait que la loi constitutive de la Commission ne lui accorde pas le pouvoir de faire de telles recommandations. Selon l'avocat, la loi ne renferme aucune disposition expresse conférant à la Commission le pouvoir de recommander au gouvernement d'accorder des fonds parce que le Parlement a envisagé cette option et décidé de ne pas lui accorder un tel pouvoir.

[16]      Je doute qu'on puisse tirer pareille conclusion. Je suis prête à accepter que le Parlement n'avait pas l'intention d'accorder à la Commission le pouvoir de payer directement des honoraires juridiques. Les circonstances dans lesquelles la Commission peut faire des paiements sont expressément prévues au paragraphe 45.45(13) de la Loi sur la GRC. Toutefois, je ne suis pas disposée à accepter la conclusion que le Parlement voulait empêcher la Commission de recommander l'octroi de fonds pour assurer la représentation juridique de plaignants qui comparaissent devant elle. Cela n'est guère différent d'une demande de fonds qui est faite dans le but d'atteindre d'autres objectifs que ceux qui sont prévus dans son budget ordinaire. Les avocats des demandeurs considèrent qu'ils ne demandent rien d'autre que la rédaction d'une lettre par la Commission. La loi ne parle pas du tout de la rédaction de lettres dans le but de faire des recommandations ou des demandes semblables. La conclusion qui s'impose est que le Parlement n'a tout simplement pas examiné cette question. Je ne pouvais pas conclure que le Parlement a examiné cette question et décidé d'empêcher la Commission d'agir de la sorte si elle le voulait.

[17]      Il n'est pas déraisonnable de reconnaître que les commissions et d'autres tribunaux risquent de faire face à des demandes d'engagement de dépenses lorsque surgissent des circonstances imprévues et cherchent à obtenir des ressources financières supplémentaires de temps à autre. Comme les avocats des demandeurs l'affirment, la façon dont ces demandes sont traitées et la question de savoir si des fonds pourraient être accordés ne sont pas des questions auxquelles ils sont en mesure de répondre. Mais cela n'empêche pas la Commission de faire une recommandation si elle le désire. En outre, bien que les demandeurs ne connaissent pas le mécanisme précis par lequel des fonds pourraient être accordés, ils font remarquer qu'au moins un avis juridique interne donné à la Commission fait état de la possibilité de paiements à titre gracieux.

[18]      L'avocat des demandeurs soutient que l'enquête que tiendra la Commission est une circonstance très particulière : elle devrait être exceptionnellement longue, soit six semaines (si l'audience devait durer un jour ou deux seulement, les avocats pourraient représenter les demandeurs bénévolement); si les plaignants ne sont pas représentés, ils auront beaucoup de mal à gérer les nombreux éléments de preuve, y compris les témoignages et les documents, qui sont censés faire partie du dossier; l'enquête sera complexe et portera notamment sur des questions relatives à la communication de documents officiels protégés; les demandeurs sont partie à des poursuites civiles connexes; la question en litige revêt une importance publique fondamentale puisqu'elle porte sur la frontière entre la liberté d'expression et la protection policière des représentants de gouvernements étrangers.

[19]      Aux termes du paragraphe 45.45(5), la Commission a l'obligation de s'assurer que " les parties [y compris un plaignant] et toute personne " ont " toute latitude " de présenter des éléments de preuve, de contre-interroger des témoins et de faire des observations. Si la Commission considère que, pour les besoins de la présente enquête, la meilleure façon pour les plaignants d'avoir " toute latitude " consiste à retenir les services d'un avocat, elle peut recommander à l'État de payer les honoraires de cet avocat. La Commission peut aussi le faire d'une manière publique plutôt que privée si elle le désire.

[20]      La nature de l'enquête est un autre argument invoqué par l'avocat de la GRC au soutien de l'affirmation que la Commission n'a pas le pouvoir de faire une recommandation semblable à celle qui est visée par l'espèce. L'avocat soutient que l'enquête n'est pas de nature contradictoire, que les plaignants sont à l'origine de l'enquête mais ne sont pas directement touchés puisque ce sont les membres nommés de la GRC qui sont exposés à un risque, et que l'avocat de la Commission soumet la preuve à la Commission, fondamentalement comme un procureur de la poursuite.

[21]      Cette énumération me paraît incomplète. Le plaignant est peut-être à l'origine de l'enquête, mais il agit, dans un cas comme celui qui nous occupe, comme représentant de l'intérêt public, cet intérêt public étant de s'assurer que les policiers ne dépassent pas les limites de ce qui constitue une conduite décente. L'intérêt public est aussi important que les intérêts privés des membres de la GRC dans leur emploi et leur réputation. Même si l'enquête n'est pas contradictoire en théorie, elle présente beaucoup de caractéristiques d'une procédure contradictoire, comme le droit de toutes les parties de contre-interroger les témoins, la désignation des plaignants comme des " parties ", l'impossibilité pour la Commission d'interdire la présence de tous les avocats dans la salle d'audience (l'une des suggestions des demandeurs) ou d'empêcher le contre-interrogatoire des témoins (une autre suggestion des demandeurs). En ce qui concerne le rôle de l'avocat de la Commission, la façon dont le professeur Ratushny parle des restrictions existantes est instructive :

     [traduction]         
         M. Whitehall a exprimé le point de vue que le rôle de l'avocat de la Commission n'est pas aussi limité qu'on l'a laissé entendre. Il a également souligné qu'il ne voyait aucun mal à ce que les membres de la Commission contre-interrogent les témoins. Cette affirmation est peut-être légalement correcte, mais la conduite d'un interrogatoire énergique par les commissaires peut porter sérieusement atteinte à l'impression d'impartialité donnée par ces derniers et à la crédibilité des recommandations qu'ils feront par la suite. De la même façon, l'avocat de la Commission est un prolongement des membres de la Commission et doit éviter de donner l'impression qu'il favorise une partie plutôt qu'une autre. Il est vrai qu'une enquête n'est pas fondamentalement contradictoire. Mais il arrive au cours d'une enquête que l'avocat de la Commission doive contre-interroger vigoureusement des témoins ou protéger des témoins contre un contre-interrogatoire trop énergique.         
         Il est difficile de donner une impression d'impartialité quand on joue un rôle accusatoire en public et quand on rencontre ensuite les membres de la Commission en privé pour discuter de l'enquête. C'est un dilemme qui est propre à l'avocat de la Commission lorsqu'il présente la preuve et conseille les commissaires. L'exemple donné par Me Arvay à la page 219 relativement à la Commission des valeurs mobilières est préférable. L'avocat qui soumet la preuve à la Commission agit de façon indépendante des commissaires, lesquels peuvent demander conseil à leur propre avocat au besoin. De même, les avocats de certaines commissions des droits de la personne sont tenus par la loi " d'acheminer la plainte " vers les membres d'un tribunal.         

[22]      L'enquête est publique; elle s'apparente à de nombreux égards à une procédure contradictoire; la Commission ne peut pas la transformer en une simple investigation; la Commission ne peut pas interdire la présence d'avocats agissant pour le compte des personnes qui comparaissent devant elle; elle ne peut pas empêcher le contre-interrogatoire des témoins. Je ne suis pas convaincue qu'on peut conclure, vu la nature de l'enquête, qu'une représentation juridique indépendante des plaignants est un élément dont la Commission ne devrait pas se préoccuper.

[23]      Il y a un autre argument à examiner. Je l'appellerai l'argument de la porte ouverte. Il est probable que de nombreux étudiants seront appelés à témoigner. On soutient que si des fonds sont accordés aux six étudiants qui cherchent à se faire représenter par Mes Arvay et Nader, il faudrait accorder la même chose aux avocats que pourraient choisir les cinquante autres étudiants qui n'ont pas encore fait de demande en ce sens. Ce genre d'argument est souvent qualifié d'argument in terrorem. Il n'est pas convaincant.

[24]      Il n'y a aucun droit automatique à l'assistance de l'avocat de son choix, et la Commission a le pouvoir d'empêcher les recoupements au chapitre de la représentation et de l'argumentation. Des fonds pourraient être accordés à Mes Arvay et Nader par exemple, à condition qu'ils représentent également d'autres étudiants qui pourraient vouloir l'être. Les honoraires à payer peuvent être fixés à l'avance, soit un montant fixe par jour d'audience majoré des frais et débours approuvés par l'avocat de la Commission. À cet égard, je note que la suggestion du professeur Ratushny de nommer un avocat indépendant qui agirait comme porte-parole de tous les plaignants est intéressante en ce sens qu'elle permet d'éviter bon nombre de ces écueils administratifs. Toutefois, cette suggestion n'est pas une option dans l'affaire dont je suis saisie.

[25]      Le facteur qui me paraît crucial en ce qui concerne la Commission consiste à savoir si la représentation juridique des plaignants améliorerait la qualité des débats. Selon moi, lorsque des décideurs entendent une partie qui est représentée par un avocat consciencieux, chevronné et très compétent, caractéristiques qui s'appliquent, comme nous le savons tous par expérience, à Me Whitehall, ils préfèrent que la partie adverse soit sur un pied d'égalité. Ils préfèrent que toutes les parties soient représentées. Une représentation égale permet habituellement de prendre de meilleures décisions, et ce plus facilement.

[26]      Il ne me reste plus qu'à statuer sur la réparation appropriée. Dans l'avis de requête, on demande le prononcé d'une ordonnance de certiorari annulant la décision de ne pas recommander l'octroi de fonds et le prononcé d'une ordonnance de mandamus enjoignant à la Commission de faire une recommandation en ce sens. Les requérants dans leur mémoire des faits et du droit vont plus loin et demandent également le prononcé d'un jugement déclaratoire portant que la Commission est [traduction] " autorisée par la loi à demander au gouvernement fédéral d'accorder des fonds pour payer les honoraires des avocats qui représentent les plaignants ".

[27]      On ne m'a pas convaincue que l'ordonnance de mandamus est une réparation appropriée. La Commission a le pouvoir de faire une recommandation, mais elle n'est pas obligée de le faire. C'est une question qui relève entièrement de son pouvoir discrétionnaire, tout comme la façon dont elle peut faire pareille recommandation. La Commission connaît mieux que la Cour les facteurs qui sont pertinents. L'ordonnance qui convient le mieux est l'annulation de la décision visée par le contrôle parce qu'elle repose sur des énoncés de droit erronés et le prononcé d'un jugement déclaratoire portant que la Commission a le pouvoir de recommander l'octroi de fonds si elle désire le faire.

[28]      Une ordonnance compatible avec les présents motifs a été rendue.

                                 B. Reed

                                         Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 20 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU DOSSIER DE LA COUR :      T-1313-98

INTITULÉ :                          Craig Elton Jones et al.

                             - et -

                             Commission des plaintes du public contre la GRC
LIEU DE L'AUDIENCE                  Ottawa (Ontario) et Vancouver (C.-B.)

(par vidéoconférence) :

DATE DE L'AUDIENCE :                  Le lundi 13 juillet 1998

MOTIFS DU JUGEMENT PRONONCÉS PAR MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU :                      Lundi 20 juillet 1998

COMPARUTIONS :

Joseph J. Arvay, c.r.                          POUR LE DEMANDEUR

                                 Craig Elton Jones

Aymen Nader                          POUR LES DEMANDEURS

                                 Mark Brooks, Jamie Doucette, Annette Muttray et autres
Chris M. Considine, c.r., et                      POUR LA DÉFENDERESSE
Chêne John Gillett                          Commission des plaintes du public contre la GRC
James W. Williams                          POUR LE DÉFENDEUR
                                 Sergent d'état-major Stewart
G. K. Macintosh, c.r., et                      POUR TOUS LES AUTRES
Errin Poyner                              DÉFENDEURS NOMMÉS PERSONNELLEMENT
Simon Fothergill,                          POUR LE DÉFENDEUR
I. G. Whitehall, c.r., et                      Procureur général du Canada

M. Brian Tittemore

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Arvay Finlay                              POUR LE DEMANDEUR

Victoria (C.-B.)                          Craig Elton Jones

A. Cameron Ward & Company                  POUR LES DEMANDEURS
Vancouver (C.-B.)                          Mark Brooks, Jamie Doucette, Annette Muttray et autres

Commission des plaintes du public                  POUR LA DÉFENDERESSE

contre la GRC

Vancouver (C.-B.)

Smart & Williams                          POUR LE DÉFENDEUR

Vancouver (C.-B.)                          Sergent d'état-major Stewart

Farris, Vaughan, Wills & Murphy                  POUR TOUS LES AUTRES
Vancouver (C.-B.)                          DÉFENDEURS NOMMÉS PERSONNELLEMENT
Morris Rosenberg                          Sous-procureur général du
Sous-procureur général                      Canada pour la défenderesse
du Canada                              la Gendarmerie royale du Canada

Ottawa (Ontario)

__________________

     1      Voir la Loi sur la Gendarmerie royale du Canada, L.R.C. (1985), ch. R-10, art. 49.29 et suivants.

     2          45.45(13) Lorsque la Commission siège, au Canada, ailleurs qu'au lieu de résidence habituel du membre ou de l'autre personne dont la conduite fait l'objet de la plainte, du plaignant ou de leur avocat, ce membre, cette personne, ce plaignant ou cet avocat a droit, selon l'appréciation de la Commission et selon les normes établies par le Conseil du Trésor, aux frais de déplacement et de séjour engagés par lui pour sa comparution devant la Commission.

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