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Date : 20041130

Dossier : T-85-03

Référence : 2004 CF 1682

ENTRE :

                     ALTAGAS MARKETING INC., GYRFALCON HOLDINGS LTD.,

                   INUVIALUIT PETROLEUM CORPORATION ET IPL HOLDS INC.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

LE CONTEXTE DE LA PRÉSENTE REQUÊTE

[1]                 Les demanderesses sont titulaires, sous le régime de la Loi fédérale sur les hydrocarbures, L.R.C. 1985, ch. 36 (2e suppl.), d'une licence de production désignée « PL no 6 » qui leur permet d'aménager des terres domaniales d'un secteur du delta du MacKenzie en vue de la production de pétrole et d'y produire du pétrole. Par une déclaration en date du 20 janvier 2003, les demanderesses contestent le calcul des redevances réclamées par la Couronne, dont elles demandent l'annulation au motif de son irrégularité.

[2]                 À une étape antérieure, la Couronne a demandé, sur la base d'une défense modifiée, la production de documents se rapportant aux connaissances ou aux attentes des demanderesses touchant le taux des redevances qu'elles devraient payer, production qui lui a été refusée. Ce refus a amené la défenderesse à présenter une requête en modification de sa défense déjà modifiée, qui a été accueillie.

[3]                 La Couronne, ayant retiré un moyen de défense antérieur fondé sur la rectification, demande maintenant entre autres, dans sa défense deux fois modifiée en date du 29 septembre 2004, la résiliation de la licence pour cause d'erreur unilatérale :

[traduction]

v)              Conséquences de la connaissance des demanderesses

54.           La licence PL no 6 devrait être résiliée pour cause d'erreur unilatérale, au motif que les demanderesses savaient ou auraient dû savoir : 1) qu'elle ne rendait pas un compte exact de l'intention et de la conviction du Canada comme quoi toutes redevances à lui payables par les détenteurs de droits sur l'attestation SDL no 29 et la licence PL no 6 au titre de la production de pétrole et de gaz sur les terres d'Ikhil seraient calculées et devraient être payées sous le régime de la Loi sur le pétrole et le gaz du Canada, et/ou 2) que le Canada se trompait sur l'effet juridique de la licence PL no 6 pour ce qui concerne le calcul et le paiement desdites redevances.

C'est là une autre approche, qui appelle un autre redressement. La Couronne ne demandait auparavant que le rejet de l'action, mais elle sollicite maintenant en outre la résiliation de la licence PL no 6.

[4]                 Par la présente requête, la Couronne cherche à obtenir la production par les demanderesses de documents qui se rapportent à leurs connaissances ou à leurs attentes touchant le taux des redevances :

[traduction] Les documents dont la défenderesse sollicite la production concernant les connaissances ou les attentes des demanderesses à l'égard du taux des redevances payables sur la production de gaz provenant des terres qui font l'objet de leur licence de production sont à la fois pertinents et susceptibles d'être produits dans la présente action [...]

Cette mesure de redressement est demandée sur la base des modifications relatives à la résiliation.


[5]                 Le différend sous-jacent à tout ce qui précède porte sur le point de savoir si les redevances devraient être calculées sous le régime de la Loi fédérale sur les hydrocarbures, conformément à une clause explicite de la licence PL no 6, ou, comme le voudrait la Couronne, au taux plus élevé que prévoit la Loi sur le pétrole et le gaz du Canada, L.R.C. 1985, ch. O-6. Le fait que cette dernière loi, dont dépend la possibilité de percevoir des redevances plus élevées, ait été abrogée avant la délivrance de la licence PL no 6, ne peut qu'accroître l'intérêt de ce différend pour qui sera appelé à juger l'affaire au fond. Il faut dire aussi que la Couronne se trouve dans une position difficile : d'un côté, la Convention définitive des Inavialuit, accord en date du 5 juin 1984 auquel a donné effet le 28 du même mois la Loi sur le règlement des revendications des Inuvialuit de la région ouest de l'Arctique et auquel les demanderesses ne sont pas parties, stipule que les redevances seront calculées sous le régime de la Loi sur le pétrole et le gaz du Canada; de l'autre côté, la licence PL no 6 prévoit le calcul des redevances sous le régime de la Loi fédérale sur les hydrocarbures, soit à un taux inférieur à celui que prescrit la LPGC. Passons maintenant à l'examen de la requête en production de documents supplémentaires.

ANALYSE

Les principes généraux en matière de production de documents

[6]                 L'article 233 des Règles de la Cour fédérale (1998) (les Règles) prévoit, entre autres choses, la production des documents pertinents. L'interprétation large du concept de pertinence donnée par la Cour d'appel dans l'arrêt Peruvian Guano Co. (1882) 11 Q.B.D. 55, à la page 63, a bien résisté au temps :

[traduction] Il me semble que se rapporte aux questions en litige dans l'action considérée tout document qui non seulement constituerait un élément de preuve sur un point donné, mais contient, à ce qu'on peut raisonnablement supposer, des renseignements qui peuvent - et non doivent - permettre directement ou indirectement à la partie demandant l'affidavit d'étayer ses prétentions ou de réfuter celles de la partie adverse. Je précise « directement ou indirectement » parce que, il me semble, on peut à bon droit dire qu'un document contient des renseignements qui peuvent permettre à la partie demandant l'affidavit d'étayer ses prétentions ou de réfuter celles de son adversaire si ce document est susceptible de la lancer dans une enquête qui pourra produire l'un ou l'autre de ces effets [...]


Qui plus est, la pertinence ne relève pas d'un pouvoir discrétionnaire, mais du principe juridique suivant lequel une partie doit produire tout document « dont on peut raisonnablement supposer qu'il contient des renseignements qui peuvent permettre directement ou indirectement à la partie qui en demande la production de faire valoir ses propres arguments ou de réfuter ceux de son adversaire, ou qui sont susceptibles de la lancer dans une enquête qui pourra produire l'un ou l'autre de ces effets [...] » . Ce passage de la décision Reading & Bates Construction Co. c. Baker Energy Resources Corp. (1988), 25 F.T.R. 226 (C.F. 1re inst.), à la page 230, est en fait une reprise contemporaine du critère formulé dans Peruvian Guano. La pertinence n'a cependant pas une définition aussi large que pourrait le faire croire ce qui précède, car, comme le note la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Owen Holdings Ltd. c. Canada (1997), 216 N.R. 381, à la page 388, elle « doit être évaluée en fonction des questions litigieuses soulevées par l'appelante dans ses actes de procédure » . Il reste néanmoins que, comme on peut le lire plus loin dans le même arrêt, la pertinence doit être « interprétée largement ou avec une latitude raisonnable » .


[7]                On pourrait très bien être tenté de conclure que le fait que Monsieur le juge von Finckenstein, dans son ordonnance et ses motifs en date du 15 septembre 2004, ait autorisé la défenderesse à modifier sa défense en fonction d'un nouveau moyen fondé sur la résiliation de la licence suffit à confirmer la pertinence de documents se rapportant aux connaissances et attentes des défenderesses, puisque ces concepts font partie du critère appliqué à la question de la résiliation d'un contrat. Cependant, en prenant un tel raccourci, on négligerait le caractère tout à fait circonspect du point de vue suivant lequel le juge a autorisé la modification : [traduction] « [...] s'il est vrai que je serais très étonné que la défenderesse réussisse à faire accepter sa conclusion fondée sur l'erreur, je ne puis dire qu'il soit "clair, manifeste et indubitable que cette modification n'a aucune chance de succès" » (paragraphe 15). Je ferai observer que cette réserve n'empêche pas nécessairement de faire droit à la présente requête en production de documents, mais qu'elle met en garde contre la tentation d'ordonner cette production sans examen. En outre, prendre un tel raccourci équivaudrait à ne pas tenir compte de ce qu'est une licence. Il semble donc plus sûr de pousser l'analyse de la pertinence et de l'utilité des documents dont la production est demandée. Il convient cependant d'examiner d'abord un argument invoqué par les demanderesses, qui estiment que les conclusions écrites de la partie adverse ne sont pas clairement et explicitement de nature contractuelle.

La manière de plaider les réclamations contractuelles

[8]                 Les demanderesses ont fait valoir, à l'étape de la présentation des thèses, que la défense actuelle ne soulève pas la question contractuelle. C'est là une analyse incomplète de la défense et, en fait, du droit, car les paragraphes ajoutés à la défense conduisent naturellement à diverses possibilités, y compris la résiliation. Les mesures de redressement ne sont pas demandées à partir d'une table rase, mais sont au contraire définies par les faits et les questions dont la défense fait état dans sa version actuelle. Exiger d'une partie qu'elle plaide catégoriquement la nature juridique de sa thèse nous ramènerait à une époque révolue où il fallait choisir une forme d'action à l'exclusion de toutes les autres, ce qui ne pouvait mener qu'au désastre le plaideur dont l'avocat faisait un mauvais choix.

[9]                 Le point de vue contemporain, qu'explique Odgers on High Court Pleading and Practice (Stevens & Sons of London, 1981, 22e édition, aux pages 164 et 165), est qu'il n'est plus nécessaire de préciser la forme de l'action dans les conclusions écrites; les parties n'ont qu'à exposer les faits qu'ils invoquent, et le tribunal dira ensuite le droit à partir de ces faits.

[10]            La défense donne une description du document en question et expose les faits susceptibles de donner lieu à des mesures de redressement possibles, expressément désignées. Cela est suffisant.

L'erreur unilatérale

[11]            Je ferai d'abord remarquer que le moyen de la défenderesse fondé sur l'erreur unilatérale, mettant en jeu les connaissances et les attentes des demanderesses et axé sur la résiliation comme mesure de redressement possible, est chose très différente de la démarche qui consisterait à demander l'opinion d'une personne sur l'interprétation ou l'applicabilité d'une loi. Une telle opinion est non seulement dénuée de pertinence, mais aussi inadmissible : voir par exemple Smith, Kline & French Laboratories Ltd. c. Canada (Procureur général) (1982), 67 C.P.R. (2d) 103 (C.F. 1re inst.), à la page 108, principe 5. Toutefois, l'expression des connaissances ou des attentes se rapportant à une résiliation éventuelle est à la fois pertinente et admissible : voir Performance Industries Ltd. c. Sylvan Lake Golf & Tennis Club Ltd., [2002] 1 R.C.S. 678, aux pages 694 et 695. Je reviendrai plus loin sur ce sujet; qu'on me permette d'abord d'examiner la possibilité de la résiliation d'une licence.


[12]            Il convient de commencer par se faire une idée de la nature de la licence en général. Au sens large, la licence ou le permis est l'autorisation de faire ce qui est autrement soumis à des restrictions, interdit ou illégal, par exemple d'entrer sur un terrain appartenant à quelqu'un d'autre. À cette autorisation peut s'ajouter le droit de prélever quelque chose sur le terrain en question, d'en tirer en fait ce qu'on appelle un « profit à prendre » ; dans le cas qui nous occupe, la licence donne non seulement le droit d'entrer sur les terres domaniales, mais aussi celui d'en extraire du pétrole. D'habitude, une telle licence est créée par octroi ou par une loi.

[13]            Il y a aussi des licences contractuelles, comme on peut le lire au paragraphe 981 de Halsbury's Laws of England, volume 9(1), 4e édition. C'est peut-être une licence de cette nature qu'examinait Monsieur le juge Strayer (tel était alors son titre) dans la décision Comeau's Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et Océans) (1992), 54 F.T.R. 20 (C.F. 1re inst.), à la page 27. Il y examinait l'affirmation de la demanderesse comme quoi elle avait une relation contractuelle avec le ministre des Pêches et Océans, par laquelle elle équipait des bateaux et les envoyait dans une pêcherie de homard située dans une zone nouvellement acquise par le Canada (qui devait être en fait une pêcherie expérimentale) en échange de la délivrance par le ministre de licences de pêche hauturière au homard. Le juge Strayer a émis (à la page 27) des réserves quant à l'applicabilité du modèle contractuel, sans toutefois en écarter la possibilité :

[22]          Il m'est énormément difficile de faire correspondre ce cas à un modèle contractuel. Généralement parlant, les relations entre les hauts fonctionnaires qui délivrent les permis en vertu d'un pouvoir conféré par une loi d'une part, et ceux à qui ils sont délivrés d'autre part, sont régies non par le droit des contrats, mais par les dispositions de cette loi et par les principes généraux du droit administratif. Bien que l'existence d'un lien contractuel ne soit pas impossible, il devrait être clairement établi que les parties voulaient que la demande et l'octroi de permis entraînent des droits et obligations contractuels.


Ce passage illustre deux manières d'envisager la licence (ou le permis) : l'une, traditionnelle, la soumet à des mesures de redressement administratives; l'autre, de nature contractuelle, est susceptible de donner lieu à des mesures de redressement relevant du droit des contrats, notamment à des mesures injonctives ou d'exécution en nature (voir Halsbury, précité), et peut-être, comme la défenderesse le soutient dans la présente espèce, à la résiliation pour cause d'erreur unilatérale.

[14]            L'avocat de la défenderesse soutient que la connaissance effective ou imputée d'une erreur substantielle est pertinente dans les cas d'erreur unilatérale. L'établissement d'une erreur substantielle dont le cocontractant a une connaissance effective ou imputée et qui entraîne un résultat abusif en cas d'exécution de l'accord pourrait ainsi ouvrir droit à la résiliation. La question de la résiliation a été examinée par la Cour d'appel de la Colombie-Britannique dans 256593 B.C. Ltd. c. 456795 B.C. Ltd. (1999), 171 D.L.R. (4th) 470 (la décision Earl's Towing). Le tribunal britanno-colombien énonce à la page 479 de cette décision les quatre conditions qu'il faut remplir pour obtenir la résiliation fondée sur l'erreur unilatérale :

[traduction]

[28] Toutes les conditions permettant la résiliation pour cause d'erreur unilatérale sont ici réunies : 1) la présence d'une erreur; 2) portant sur une clause importante; 3) dont la partie qui ne l'a pas commise a une connaissance effective ou imputée; et 4) qui entraînera un résultat abusif si l'accord est appliqué. À mon sens, l'erreur en question donne à Ace un énorme profit fortuit, qu'elle n'a absolument pas négocié, et qui laisse Earl's avec une dette tout en transférant l'intérêt de cette dernière entreprise dans l'actif même sous-jacent à cette dette.


[15]            La Couronne soutient l'applicabilité du critère Earl's Towing à l'erreur qu'elle allègue, pour ensuite expliciter la nature de celle-ci, qui se rapporte selon elle à l'effet juridique de la licence de production, et faire valoir que, dans le cas où la Cour rejetterait son argument principal comme quoi le taux supérieur de redevances prévu par la Loi sur le pétrole et le gaz du Canada a été incorporé dans la licence PL no 6, elle déclare s'être trompée sur l'effet juridique de la licence de production en fixant le taux de redevances applicable. Ce genre d'erreur, portant sur l'effet juridique d'un acte, peut être un motif suffisant de résiliation. À ce propos, l'avocat de la défenderesse invoque Can-Dive Services Ltd. c. Pacific Coast Energy Corp., [2000] 5 W.W.R. 683 (C.A.C.-B). C'est la rectification qui était en jeu dans cette affaire, mais le critère applicable à la rectification, tel qu'il est par exemple exposé aux pages 694 et suivantes de l'arrêt Performance Industries Ltd., précité, comporte la condition de la connaissance effective ou imputée d'une erreur, de sorte que les conditions à remplir pour obtenir la rectification sont semblables à celles auxquelles la résiliation est subordonnée. Dans Can-Dive, Monsieur le juge Brainwood a accepté l'interprétation erronée de la signification d'un contrat comme motif de rectification (voir les pages 767 et 768). Le raisonnement de la défenderesse est que, la rectification pouvant être motivée par l'emploi ou l'omission d'une clause dans un contrat sur la foi de l'idée que cette clause avait un sens différent de sa véritable signification, une erreur semblable peut aussi justifier la résiliation.

[16]            Si l'on accepte ce point de vue sur la résiliation, il s'ensuit que l'autorisation de celle-ci, en tant que redressement en equity, dépend en partie de l'établissement de la connaissance effective ou imputée, chez la partie qui ne s'est pas trompée, de l'erreur alléguée.

[17]            L'avocat de la défenderesse fait remarquer, à juste titre, que la preuve liée à une défense fondée sur l'erreur ne relève pas de la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque, invoquant à cet égard Treitel on The Law of Contract, Londres, Sweet & Maxwell, 1999, 10e édition, 1999, à la page 178 :


[traduction] La règle interdit à une partie d'invoquer une preuve extrinsèque seulement à l'égard du contenu du contrat, et non à l'égard de sa validité. Une telle preuve peut donc être utilisée pour établir la présence ou l'absence de contrepartie ou d'intention de contracter, ou une cause d'invalidation telle que l'incapacité, une fausse déclaration, une erreur ou une dénégation d'écriture. [Souligné dans l'original.]

Le message essentiel de ce passage est que la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque (ou règle de l'inadmissibilité de la preuve testimoniale contre un écrit) n'interdit pas de recourir à une preuve extrinsèque dans les affaires contractuelles où l'erreur est une question en litige et est invoquée aux fins d'invalidation.

[18]            De même, on trouve aux pages 481 et 482 de Fridman on The Law of Contract in Canada, Scarborough (Ont.), Carswell, 1999, 4e édition le passage suivant sur la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque et la preuve d'erreur axée sur la négation de la validité d'un contrat :


[traduction]

Il a été avancé que la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque a pour objet d'éviter l'injustice. Il s'ensuit que cette règle comporte des exceptions. On peut ainsi recourir à des éléments de preuve extrinsèque : a) pour expliquer des documents incomplets; b) pour établir qu'une condition préalable n'a pas été remplie; et c) pour contribuer à l'établissement des intentions des parties. Dans tous ces cas, y a-t-il lieu de supposer, on commettrait une injustice en considérant l'écrit comme la seule source des obligations contractuelles des parties. À en juger d'après les situations où les tribunaux ont admis sans difficulté des éléments de preuve testimoniale contre des contrats écrits, on pourrait soutenir que la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque est au contraire la cause potentielle d'injustice, d'où la nécessité d'en atténuer la rigueur quand les circonstances l'exigent.

Un cas qui se présente immédiatement à l'esprit est celui où l'une des parties soutient que le contrat écrit a été obtenu par fraude, fausse déclaration, erreur ou autre acte invalidant de l'autre partie; elle peut alors produire des éléments de preuve pour établir son allégation, de manière à faire annuler le contrat écrit en common law ou, peut-être, si tel est son intérêt, à le faire rectifier en vertu de principes d'equity. Dans un tel cas, la partie en question ne cherche pas tant à interpréter le contrat écrit au moyen d'éléments de preuve extrinsèque qu'à prouver son invalidité, ou au moins son caractère incorrect en tant qu'expression écrite des intentions des parties, telles qu'elles ont été manifestées dans leurs négociations verbales, dont le contrat écrit se veut le résultat.

L'admission de la preuve extrinsèque dans les cas où peuvent être alléguées la fraude, une fausse déclaration ou d'autres raisons de remettre un accord en cause ne constitue pas une véritable exception à la règle d'exclusion de la preuve extrinsèque. Une telle preuve, en effet, ne s'applique pas tant aux clauses du contrat qu'elle ne vise à infirmer la validité de celui-ci [...]

L'aspect important de ce passage de Fridman, dans la contexte de la résiliation, est une fois encore que la preuve extrinsèque en question, en cas d'erreur, n'est pas axée sur l'explication des clauses du contrat, mais plutôt sur l'infirmation de la validité de ce dernier.

[19]            Vu cette analyse, et comme j'ai accepté la possibilité de la résiliation d'une licence contractuelle, ainsi que le rôle que jouent, s'agissant d'une allégation d'erreur unilatérale, les connaissances de la partie qui n'a pas commis l'erreur, soit les demanderesses dans la présente espèce, je dois conclure à la pertinence non seulement de l'erreur de la Couronne, mais aussi de la connaissance, effective ou imputée, des demanderesses. Par conséquent, il convient d'envisager la possibilité que des documents supplémentaires doivent être produits.

[20]            La défenderesse soutient en outre que la connaissance effective ou imputée du taux de redevances approprié est pertinente du fait du principe suivant lequel le redressement fondé sur l'erreur ne peut être obtenu en l'absence de preuve établissant les attentes raisonnables; elle invoque en cela le passage suivant de Waddams on The Law of Contracts, Canada Law Books Inc., 4e édition, à la page 240 :


[traduction] Nous avons déjà cité des affaires où l'exécution forcée est refusée au motif que la partie qui la demande connaissait l'erreur de l'autre sur les clauses du contrat67. Il ne fait aucun doute que l'exécution forcée sera refusée dans le cas où la signature de l'autre partie aura été obtenue par un rapport inexact du contenu du document. « La fraude [...] remet tout en question » 68. De même, dans le cas où la partie qui demande l'exécution forcée connaît effectivement l'erreur de l'autre et n'en dit rien, le tribunal accordera en plus un redressement contre elle69; une telle conduite est souvent dite « assimilable à la fraude » 70, mais cette formule n'est pas entièrement satisfaisante, étant donné qu'on pourrait en conclure la nécessité d'appliquer le fardeau pénal de la preuve71. Il devrait être suffisant, avance-t-on, d'établir que la partie qui demande l'exécution forcée n'avait pas d'attente raisonnable.

Ces observations étayent la pertinence des attentes raisonnables dans la présente espèce.

[21]            L'avocat de la défenderesse, dans une lettre en date du 21 mai 2004 adressée à l'avocate des demanderesses, dresse la liste d'un certain nombre de catégories de documents et de 13 documents pris isolément, se rapportant à la connaissance effective ou imputée des demanderesses touchant les redevances, dont la défenderesse demande la production. La défenderesse y exprime la crainte que les demanderesses, en tant que licencié, n'allèguent au procès, ou que le juge du procès ne conclue en fait, que la relation entre les parties comporte des caractéristiques contractuelles. La question est ici que l'exécution forcée d'un contrat devrait être refusée dans le cas où la partie qui le demande ne s'attendait pas raisonnablement à un avantage particulier. Étant donné le droit relatif à l'erreur et à la résiliation, on pourrait raisonnablement supposer que les documents demandés par la défenderesse contiennent des renseignements susceptibles de permettre directement ou indirectement à la défenderesse d'établir les connaissances, les attentes, les suppositions, les calculs ou les prévisions des demanderesses relativement au taux de redevances applicable.

[22]            La pertinence de tels documents est établie au regard des Règles aussi bien que de l'arrêt Peruvian Guano, précité. En outre, l'arrêt Owen Holdings, précité, renforce l'idée que le concept de pertinence est déterminé par les actes de procédure. À l'appui de cette idée, Monsieur le juge en chef Isaac y cite avec approbation le passage suivant de Cass on Discovery: Law, Practice and Procedure in Ontario, Ontario, Carswell, 1993, à la page 11 :

[traduction] Remarquez, cependant, que la pertinence en ce qui concerne le processus de communication préalable ne doit pas être confondue avec le critère d'admissibilité en preuve. Dans le processus de communication préalable, tous les documents ayant une incidence sur l'une ou l'autre des questions soulevées dans les actes de procédure sont pertinents. Il ressort de la jurisprudence que des règles précises applicables au stade de la communication préalable ne peuvent être élaborées pour déterminer ce qui est pertinent en ce qui concerne les questions débattues et ce qui ne l'est pas. Si les documents ont une « apparence de pertinence » , ils seront déclarés susceptibles d'être produits, et il reviendra au juge du procès de déterminer, au procès, s'ils sont pertinents ou non [...]

Le raisonnement du juge en chef Isaac dans l'arrêt Owen Holdings l'amène à la conclusion que « [l]a pertinence doit être évaluée en fonction des questions soulevées par l'appelante dans ses actes de procédure » (page 388). Il est vrai que le juge en chef était dissident en partie, mais les principes qu'il formule sont néanmoins tout à fait valables.

[23]            On trouve dans une décision de la Cour d'appel de la Colombie-Britannique (Jackson c. Belzberg, [1981] 6 W.W.R. 273, aux pages 275 et 276) une formulation limpide de cette règle, qu'il est utile de rappeler : [traduction] « La portée de l'interrogatoire préalable est déterminée par les questions soulevées dans les actes de procédure » .

[24]            La modification la plus récente de la défense soulevait la question de la base sur laquelle il convient de calculer le taux des redevances. Cependant, les conclusions écrites de la défenderesse, dans leur version actuelle, ajoutent une autre mesure de redressement possible, à savoir la résiliation fondée sur l'attente raisonnable qu'elle attribue aux demanderesses, la déduisant de la connaissance à elles imputée du fait qu'elle avait l'intention de calculer les redevances suivant le taux supérieur prévu par la Loi fédérale sur les hydrocarbures. L'aspect connaissance est maintenant clairement défini, en tant que facteur susceptible d'entraîner la résiliation. Par conséquent, les documents dont la défenderesse demande la production peuvent, directement ou indirectement, lui permettre d'étayer son argumentation en faveur de la résiliation ou la lancer dans une enquête susceptible de produire cet effet. Ces documents, si on les considère en fonction des questions soulevées dans les actes de procédure, sont pertinents, que l'on décide ou non d'interpréter la pertinence largement ou avec une latitude raisonnable.

CONCLUSIONS

[25]            Les demanderesses produiront un affidavit supplémentaire de documents portant sur les documents demandés par la défenderesse et, en temps voulu, produiront les documents supplémentaires conformément aux présents motifs.


[26]            Les demanderesses soutiennent que s'il leur est ordonné de produire des documents supplémentaires par suite de la dernière version de la défense, il devrait aussi être ordonné à la défenderesse de produire des documents suivant le même principe. La production de documents est un processus en cours. Rien n'indique au dossier que le Couronne ne produira pas toutes pièces additionnelles susceptibles d'être produites.

[27]            Pour ce qui concerne les dépens, la défenderesse a eu gain de cause dans la présente requête. Elle demande en conséquence une indemnité. Je ne suis pas disposé à la suivre aussi loin. Les demanderesses soutiennent que le fait que la Couronne n'ait pas déployé tous ses moyens dès le début a causé un supplément de travail et des retards, attribuables au changement considérable apporté à la nature de l'action quelque deux ans après qu'elle a été intentée, changement qui complique la question, simple au départ, de l'interprétation de la licence PL no 6.

[28]            Les demanderesses ont obtenu les dépens afférents à la dernière requête en modification de la défense. Cette décision était manifestement justifiée, dans la mesure où les dépens, sous le régime des Règles, sont laissés à la pure discrétion de la Cour et peuvent être adjugés sans délai à l'une ou l'autre partie, qu'elle obtienne ou non gain de cause et quel que soit le résultat de l'instance, surtout dans le cas où la requête est distincte des questions en litige au procès.


[29]            La présente requête en production de documents, quoique trouvant son origine dans la requête en modification, peut être dite distincte des questions en litige au procès. Il convient généralement d'adjuger les dépens à la partie qui a eu gain de cause dans la requête, tout en gardant à l'esprit les objets des dépens afférents à une requête, qui sont entre autres d'activer la procédure et d'attirer l'attention des plaideurs sur le coût du litige. Voir par exemple : AIC Ltd. c. Infinity Investment Council Ltd. (1998) 148 F.T.R. 240 (C.F. 1re inst.); et Enterprise Rent-A-Car Co. c. Singer, arrêt non publié en date du 10 septembre 1999, dossier A-345-98, [1999] A.C.F. no 1687 (QL).

[30]            La défenderesse ayant obtenu gain de cause dans la présente requête, les dépens afférents à celle-ci, taxés au milieu de l'échelle prévue à la colonne III, lui sont adjugés.

[31]            À la clôture de la procédure orale, le 10 novembre 2004, tous étaient d'accord pour dire que, s'il convenait d'établir un nouveau calendrier modifiant une directive antérieure sur ce sujet, il fallait attendre pour ce faire l'issue de la requête et la communication des présents motifs. L'une ou l'autre des parties peut demander au greffe, par lettre, une téléconférence de gestion d'instance ad hoc en vue de fixer un calendrier.

           « John A. Hargrave »       

                                                                                                                  Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique),

Le 30 novembre 2004

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     T-85-03

INTITULÉ :                                                    ALTAGAS MARKETING ET AL.

               c.

               SA MAJESTÉ LA REINE

                       

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 10 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :              LE PROTONOTAIRE HARGRAVE

DATE DES MOTIFS :                                   LE 30 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS (PAR TÉLÉCONFÉRENCE) :                       

Laurie A. Goldbach                                                                   POUR LES DEMANDERESSES

David E. Venour                                                                        POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bennett Jones s.r.l.                                                                     POUR LES DEMANDERESSES

Avocats

Calgary (Alberta)

Morris A. Rosenberg                                                                 POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Ministère de la Justice

Calgary (Alberta)


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