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Date : 20190503


Dossier : IMM‑5058‑18

Référence : 2019 CF 580

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 3 mai 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

ATTILA GALAMB

RENATA PUTNOKI

ATTILA GALAMB

KRISZTIAN GALAMB

DANIEL PUTNOKI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Les demandeurs, une famille rom composée de cinq membres, sont le demandeur principal, son épouse et leurs trois enfants. Ils affirment craindre d’être persécutés en raison de leur origine ethnique.

I.  Aperçu

[2]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision (la décision) par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) selon laquelle les demandeurs ne sont ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[3]  La SPR a initialement conclu que les demandeurs n’étaient pas des témoins crédibles et n’avaient pas réfuté la présomption de protection de l’État; elle a donc rejeté leur demande d’asile. Dans sa décision, la SAR a souscrit à la décision de la SPR en faisant observer que le demandeur principal n’avait pas mentionné certains incidents de voies de fait ou de menaces parmi les treize dont faisait état son exposé circonstancié du fondement de la demande d’asile (FDA) tiré de son témoignage de vive voix devant la SPR. Lorsqu’il a été interrogé à cet égard par la SPR, le demandeur principal n’a pas donné d’explication. Par conséquent, la SAR a conclu que les demandeurs n’étaient pas crédibles en ce qui concerne les incidents de voies de fait et de menaces.

[4]  De plus, la SAR a fait remarquer que les demandeurs avaient remis à la SPR des documents qu’ils disaient avoir obtenus en mains propres en Hongrie. Toutefois, ces documents décrivaient des événements qui s’étaient produits en 2015, alors que les demandeurs étaient déjà au Canada. En raison de cette incohérence, les deux tribunaux ont jugé que les demandeurs n’avaient pas donné d’explication acceptable, soulevant ainsi d’autres questions de crédibilité.

[5]  Enfin, la SAR a conclu que l’expérience vécue par les demandeurs ne constituait pas de la persécution. Elle a en outre estimé que les demandeurs n’avaient pas établi de lien entre la preuve documentaire générale indiquant que la communauté rom en Hongrie est victime de persécution et la situation qui leur est propre.

II.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[6]  Les demandeurs soulèvent deux questions. Premièrement, ils affirment que la SAR a commis une erreur en ne tenant pas d’audience orale. Les avis sont partagés quant à la norme de contrôle applicable à cette question (voir, par exemple, Mofreh c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2019 CF 97, aux paragraphes 24 et 28, faisant référence à l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93). Toutefois, je souscris aux décisions dans lesquelles on a conclu que la norme de contrôle applicable à la décision de la SAR de ne pas tenir d’audience est celle de la décision raisonnable, puisqu’elle vise l’interprétation que fait celle‑ci de sa propre loi (Al‑Abayechi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 360, au paragraphe 11).

[7]  Deuxièmement, les demandeurs contestent l’évaluation qu’a fait la SAR a) de la crédibilité et b) de la crainte fondée de persécution. L’analyse fondée sur la décision raisonnable s’applique également à l’appréciation que fait la SAR de la preuve et des conclusions en matière de crédibilité (Ba c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 233, au paragraphe 4).

III.  Analyse

A.  La SAR a‑t‑elle commis une erreur en ne tenant pas d’audience orale?

[8]  Les demandeurs font valoir que la SAR aurait dû tenir une audience orale compte tenu des nouveaux éléments de preuve qui lui avaient été présentés et des questions de crédibilité découlant de l’audience devant la SPR.

[9]  Dans sa décision, la SAR a examiné les nouveaux éléments de preuve des demandeurs conformément au critère énoncé au paragraphe 110(4) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR), et à l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96. Elle a fait remarquer que les nouveaux éléments de preuve consistaient en des articles de presse et un avis d’approbation de principe pour des motifs d’ordre humanitaire à l’égard d’un dénommé M. Horvath (qui n’est pas l’un des demandeurs). La SAR a fait observer que cet avis était de nature générale et ne traitait pas des éléments de preuve invoqués qui pouvaient concerner les demandeurs. C’est pourquoi elle ne lui a accordé aucune valeur probante. Elle a en outre indiqué que certains articles de presse étaient facilement accessibles aux demandeurs avant l’audience devant la SPR et, par conséquent, elle ne les a pas admis à titre de nouveaux éléments de preuve.

[10]  En ce qui concerne les autres articles de presse postérieurs à l’audience devant la SPR et admis à titre de nouveaux éléments de preuve, la SAR a expliqué ce qui suit :

[30] […] La SAR reconnaît que les éléments de preuve documentaire, y compris les nouveaux éléments de preuve, montrent que des membres de la communauté rom sont persécutés en Hongrie. Toutefois, une demande d’asile doit porter sur les expériences personnelles des appelants. Le simple fait d’être membre de la communauté rom n’établit pas, en soi, que les appelants seraient exposés au risque d’être persécutés s’ils retournaient en Hongrie.

[11]  Une audience n’est pas accordée uniquement parce que de « nouveaux » éléments de preuve sont admis devant la SAR (Singh, au paragraphe 71). Il faut plutôt que les nouveaux éléments de preuve répondent aux critères énoncés au paragraphe 110(6) de la LIPR pour qu’une audience puisse avoir lieu (Mofreh, au paragraphe 26).

[12]  Bien que la SAR n’ait pas énuméré ni répété textuellement les critères énoncés au paragraphe 110(6) lorsqu’elle a déterminé qu’une audience n’était pas nécessaire, elle a tout de même tenu compte de l’essentiel de la règle lorsqu’elle a examiné les documents présentés après l’audience devant la SPR, en concluant que les éléments de preuve nouvellement admis n’étaient pas propres à l’expérience des demandeurs. Je souligne que, de toute manière, la SAR a le pouvoir discrétionnaire de ne pas tenir d’audience orale même lorsque les critères énoncés à l’article 110, interprétés dans leur ensemble, sont respectés (Siddiqui c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1028, au paragraphe 104).

[13]  L’avocat des demandeurs a fait valoir que la SAR a néanmoins commis une erreur en ne tenant pas d’audience orale compte tenu de la déclaration de ses clients qui lui avait été présentée, dans laquelle ils disaient ne pas exiger d’audience sauf si la SAR est incapable de substituer sa décision à celle de la SPR. L’avocat a exhorté la Cour à suivre la décision du juge Mosley dans l’affaire Horvath c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 147, au paragraphe 16, dans laquelle figurait la même demande à l’égard de la SAR.

[14]  Les circonstances dans l’affaire Horvath diffèrent de la présente situation, toutefois, étant donné la nature des nouveaux éléments de preuve présentés à la SAR, lesquels étaient propres aux demandeurs dans la décision Horvath et « contredisaient directement les conclusions de la SPR se rapportant à la résidence des demandeurs et fondamentales dans l’examen de leur crédibilité » (au paragraphe 20). Ces éléments de preuve portaient sur des questions d’ordre médical et de résidence qui étaient essentielles aux conclusions de la SPR. On ne peut en dire autant en l’espèce concernant les nouveaux éléments de preuve présentés à la SAR relativement aux conclusions antérieures en matière de crédibilité. Comme nous l’avons déjà expliqué, les nouveaux éléments de preuve ne remettaient pas en question les conclusions fondamentales de la SPR en matière de crédibilité, lesquelles n’étaient pas de la même nature que celles dans l’affaire Horvath. En effet, même si je me rangeais à l’avis de l’avocat des demandeurs en ce qui concerne la conclusion la plus importante de la SAR quant à la crédibilité (concernant le défaut des demandeurs d’aborder spontanément les incidents figurant dans leur exposé, le faisant seulement après en avoir été priés à plusieurs reprises), il reste d’autres contradictions au sujet de leur témoignage que l’avocat a admis ne pas pouvoir expliquer facilement.

[15]  Par conséquent, peu importe que j’applique le critère de la décision correcte ou de la décision raisonnable, je n’estime pas que la SAR a commis une erreur en procédant uniquement sur documents sans tenir d’audience orale (voir par analogie Mofreh, au paragraphe 28).

B.  La décision était‑elle raisonnable dans l’ensemble?

(1)  Crédibilité

[16]  Les demandeurs reconnaissent que la SAR jouit d’un avantage dans certaines circonstances, mais soutiennent qu’elle a procédé à une évaluation excessivement minutieuse des éléments de preuve, ce qui rend déraisonnable son évaluation de la crédibilité.

[17]  Je ne suis pas d’accord et je conclus, comme je l’ai déjà mentionné, que la décision de la SAR en matière de crédibilité était raisonnable à la lumière de ses observations concernant le témoignage des demandeurs a) sur les incidents d’abus et de voies de fait et b) sur la réception en mains propres de documents d’expulsion en Hongrie alors qu’ils se trouvaient au Canada. En ce qui concerne le point a), après avoir écouté l’enregistrement de l’audience devant la SPR et plus précisément les échanges où celle‑ci a interrogé le demandeur principal sur sa crainte et les menaces alléguées, la SAR a souligné que la préoccupation de la SPR en matière de crédibilité était que le demandeur principal n’avait pas mentionné les incidents de voies de fait énoncés dans son exposé circonstancié du FDA et n’avait donné de détails qu’après avoir été prié par la SPR de s’expliquer. Aucune explication n’a été présentée à cet égard hormis le fait que les demandeurs ne sont pas instruits ni raffinés.

[18]  En ce qui concerne le point b), les demandeurs n’ont pas dit pourquoi le demandeur principal avait déclaré avoir reçu en mains propres les documents relatifs à l’expulsion alors que les demandeurs vivaient au Canada.

[19]  Je ne suis pas convaincu que l’analyse de la SAR était [traduction] « excessivement minutieuse » ni qu’elle était axée sur de légères différences ou incohérences – on peut reprocher aux décideurs d’effectuer des évaluations « excessivement minutieuses » lorsqu’ils examinent des questions sans pertinence ou périphériques à la demande (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 943, au paragraphe 22). En l’espèce, la SAR a examiné des faits qui portaient sur des incidents précis au cœur même de la demande des demandeurs, notamment à l’égard du point b), même si je concluais que qualifier le point a) d’« omission » serait déraisonnable.

(2)  Crainte fondée de persécution

[20]  Les demandeurs soutiennent que la SAR n’a pas tenu compte de la situation qui leur est propre, des décisions favorables à certains membres de leur famille, ni de la documentation sur la situation dans le pays confirmant que la Hongrie se livre à des expulsions illégales à motivation raciale et est incapable de protéger les Roms – des éléments de preuve qui démontrent qu’ils craignent avec raison d’être persécutés en tant que Roms dans ce pays.

[21]  En réponse à l’argument des demandeurs selon lequel certains membres de leur famille ont reçu des décisions favorables et ont été acceptés comme réfugiés, je souligne que chaque affaire doit être tranchée selon les faits qui lui sont propres et en fonction de la preuve dont dispose le décideur. La SPR n’est pas liée par la conclusion tirée dans une autre demande, même si celle‑ci concerne un parent (Ruszo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 296, au paragraphe 11).

[22]  La SAR a expressément reconnu que la preuve documentaire démontre que les récits d’« incidents d’intolérance, de discrimination et de persécution » de membres de la communauté rom en Hongrie sont répandus. Elle a toutefois fait remarquer qu’il ne suffisait pas que les demandeurs appartiennent à la communauté rom pour démontrer qu’ils seraient exposés au risque d’être persécutés s’ils retournaient en Hongrie. À mon avis, les tribunaux ont raisonnablement conclu que les demandeurs n’avaient pas établi de lien crédible entre la preuve documentaire et leur situation personnelle.

[23]  Vu les conclusions défavorables en matière de crédibilité relativement à leurs allégations de persécution, le seul examen que la SAR devait effectuer était celui de la preuve documentaire. Or, la Cour a jugé que les demandeurs ne peuvent uniquement s’en remettre à des éléments de preuve sur la situation dans le pays pour étayer leur demande d’asile, comme le juge Boswell l’a récemment fait observer dans la décision Sharawi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 74, au paragraphe 28, citant notamment des décisions relatives aux Roms de Hongrie (voir aussi les motifs de la juge Kane à ce sujet aux paragraphes 71 à 73 de la décision Sallai c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 446).

[24]  Avant de conclure les présents motifs, je ne dois pas négliger de remercier l’avocat des demandeurs pour ses observations très pertinentes et respectueuses. Il a fait de son mieux compte tenu des contraintes du présent contrôle judiciaire.

IV.  Conclusion

[25]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée et aucuns dépens ne sont adjugés.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5058‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 10e jour de juin 2019.

Mylène Boudreau, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5058‑18

 

INTITULÉ :

ATTILA GALAMB ET AL C MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 30 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Peter Ivanyi

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Asha Gafar

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rochon Genova LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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