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Date : 20040428

Dossier : DES-3-03

Référence : 2004 CF 624

Ottawa, Ontario, ce 28ième jour d'avril 2004

Présent :          L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                             DANS L'AFFAIRE CONCERNANT un

certificat en vertu du paragraphe 77(1) de la Loi

sur l'immigration et la protection des réfugiés,

L.C. 2001, ch. 27 (la « L.I.P.R. » );

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le dépôt

de ce certificat à la Cour fédérale du Canada en

vertu du paragraphe 77(1) et des articles 78 et

80 de la L.I.P.R.;

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT le mandat pour

l'arrestation et la mise en détention ainsi que le contrôle

des motifs justifiant le maintien en détention en vertu

des paragraphes 82(1), 83(1) et 83(3) de la L.I.P.R.

DANS L'AFFAIRE CONCERNANT la requête en récusation

du juge désigné présentée par M. Adil Charkaoui ( « M. Charkaoui » )

ET DANS L'AFFAIRE CONCERNANT

M. Charkaoui


                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le 10 mars 2004, M. Charkaoui déposa une requête visant la récusation du juge désigné dans ce dossier et elle fut présentée le 6 avril 2004.

[2]                Dans les paragraphes à venir, je conclus avec explication que les arguments de crainte de partialité et de partialité dirigés contre le soussigné en tant que juge désigné ne sont pas des arguments justifiant de telles allégations et en conséquence la demande de récusation est rejetée.

A.        PRÉTENTIONS DE M. CHARKAOUI

[3]                M. Charkaoui fonde essentiellement sa prétention sur la crainte que le juge désigné ne soit pas complètement impartial pour la continuation de l'affaire en cours et demande sa récusation pour les motifs suivants:

A.         Le juge désigné en cause a déjà disposé de questions en partie identiques à celles à venir dans le cadre de la revue de la détention;

B.          L'existence de cette « même question » fait en sorte que le juge désigné s'est déjà fait une opinion sur une des questions cruciales qui est aussi à déterminer sur le certificat;


C.         Le juge désigné s'il est appelé encore à déterminer du caractère raisonnable du certificat, a déjà une opinion sur les « motifs raisonnables des Ministres au moment de l'arrestation » (qui est donnée au même moment que la signature du certificat);

D.         Parce que le juge désigné s'est déjà prononcé sur le fait que la preuve secrète des Ministres établissait l'existence de motifs raisonnables de croire que M. Charkaoui est un danger à la sécurité nationale, il est soulevé que ceci équivaut à un préjugé en faveur des Ministres sur une partie de la question à résoudre dans le futur sur le certificat et pour la continuation de l'affaire;

E.          Étant donné le caractère identique de l'une ou des questions à disposer dans l'avenir et le caractère définitif de la question sur le certificat quant aux droits du requérant de conserver son statut de résident permanent au Canada, il est allégué qu'avec cette opinion déjà énoncée, il existe une crainte raisonnable de partialité dans l'esprit de M. Charkaoui que le juge désigné ne soit pas impartial pour la continuation de l'affaire, ce qui justifie la récusation réclamée;

F.         De plus, M. Charkaoui soulève certains faits qui repris dans leur totalité auraient créé une crainte de partialité ou encore d'apparence de celle-ci.


B.        RÉPONSE DES MINISTRES

[4]                Les Ministres s'opposent à cette requête et leur réponse se résume essentiellement aux points suivants:

A.         Les Ministres soulignent que la compétence du juge désigné quant au maintien en détention est établie à l'article 83 de la L.I.P.R., et celle portant sur le caractère raisonnable du certificat est précisée à l'article 80. Ils prétendent que cette requête en récusation va à l'encontre de l'économie générale prévue par la L.I.P.R. et que le législateur a expressément prévu que le juge désigné a compétence quant au maintien en détention de l'intéressé et au caractère raisonnable du certificat;

B.          Les Ministres notent que le simple fait qu'un juge ait rendu jugement sur un litige antérieur impliquant le même individu n'est pas source d'appréhension de partialité et font valoir que M. Charkaoui doit démontrer que les écrits ou les commentaires du juge, dans ses décisions antérieures, sont de nature à créer une crainte raisonnable de partialité;


C.         Les Ministres estiment que « l'opinion » du juge désigné reflète le défaut de M. Charkaoui de présenter un début de preuve quant aux éléments identifiés comme « préoccupations » dans la décision Charkaoui du 15 juillet 2003, 2003 C.F. 882 (ci-après « décision du 15 juillet 2003 » ) et que, si une telle preuve était présentée, le juge désigné pourrait donner gain de cause à M. Charkaoui, que ce soit dans le cadre d'une nouvelle audition quant au maintien de la détention ou lors de l'audition concernant le caractère raisonnable du certificat de sécurité des Ministres;

D.         Les Ministres reprennent la conclusion que la possibilité d'accorder un cautionnement ne saurait pallier à la démonstration que M. Charkaoui est un danger pour la sécurité nationale et soutiennent qu'une telle conclusion n'est pas source de crainte raisonnable de partialité, mais plutôt un énoncé du paragraphe 83(3) de la L.I.P.R.;

E.          Les Ministres estiment que jusqu'à présent, M. Charkaoui a soumis peu de preuve quant aux motifs cités aux paragraphes 34(1)c), d) et f) de la L.I.P.R. et plaident qu'il n'existe pas de crainte raisonnable de partialité en l'espèce puisque le juge désigné n'a pu rendre d'opinion à la lumière de la preuve présentée; et            

F.          Les Ministres avec jurisprudence à l'appui notent que le simple fait d'avoir siégé dans une procédure antérieure ou d'avoir pris des décisions avant le procès ne crée pas de crainte raisonnable de partialité.

C.        LA DEMANDE DE RÉCUSATION DU JUGE ET SES PRINCIPES

[5]                Pour bien comprendre la notion de récusation, il est important d'identifier le critère applicable lors de l'évaluation des faits du dossier. Le critère tel qu'énoncé dans R. c. S. (R.D.), [1997] 3 R.C.S. 484, (ci-après « R.c. S. » ), est celui de la personne raisonnable, bien informée,

possédant les éléments factuels de la situation et qui a comme objectif de se demander si un juge, dans de telles circonstances, démontre de la partialité ou une apparence de celle-ci:

Le critère applicable à la crainte raisonnable de partialité est bien établi. Comme en fait état la juge Abella, il s'agit de savoir si une personne raisonnable et bien renseignée, qui serait au courant de l'ensemble des circonstances pertinentes et qui étudierait la question de façon réaliste et pratique, conclurait que la conduite du juge fait naître une crainte raisonnable de partialité: R.c. S. par 111 et 112 le juge Cory, Committee for Justice and Liberty c. Office national de l'énergie, [1978] 1 R.C.S. 369, p. 394-395, le juge de Grandpré. Une allégation ne suffit pas pour conclure à une partialité réelle ou perçue. La personne qui allègue la partialité doit en établir l'existence R.c. S. précité, par. 114 et Miglin c. Miglin [2003] 1 R.C.S. 303 au par. 26, page 324.

[6]                Pour réussir dans le cadre d'une telle requête, la preuve à l'appui de celle-ci doit regrouper plus que de simples allégations de partialité ou d'apparence de celle-ci. De plus, tel qu'énoncé dans R. c. S. précité aux paragraphes 113 et 114, la preuve doit être telle qu'elle établisse l'existence de partialité ou d'apparence de celle-ci et le fardeau de celle-ci repose entièrement sur les épaules de celui qui en allègue l'existence:


Peu importe les mots précis utilisés pour définir le critère, ses diverses formulations visent à souligner la rigueur dont il faut faire preuve pour conclure à la partialité, réelle ou apparente. C'est une conclusion qu'il faut examiner soigneusement car elle met en cause un aspect de l'intégrité judiciaire. De fait, l'allégation de crainte raisonnable de partialité met en cause non seulement l'intégrité personnelle du juge, mais celle de l'administration de la justice toute entière. Voir la décision Stark, précitée, aux par. 19 et 20. Lorsqu'existent des motifs raisonnables de formuler une telle allégation, les avocats ne doivent pas redouter d'agir. C'est toutefois une décision sérieuse qu'on ne doit pas prendre à la légère.

La charge d'établir la partialité incombe à la personne qui en allègue l'existence: Bertram, précité, à la p. 28; Lin, précité, au par. 30. De plus, la crainte raisonnable de partialité sera entièrement fonction des faits de l'espèce.

[7]                Selon la jurisprudence, un juge ayant déjà décidé de certains aspects d'un dossier, peut à nouveau se prononcer dans le cadre de la procédure découlant du même dossier. Tel qu'énoncé dans R.v. Perciballi [2001] C.A.O. 54 O.R. p. 356, au par. 21, cette situation ne devrait pas créer en soi une partialité ou encore, une apparence de celle-ci:

[TRADUCTION] À mon avis, il n'y a aucune raison de perturber la décision du juge de première instance dans cette demande de Charte. La simple participation d'un juge qui a décidé d'une question antérieure n'affecte pas, sans preuve convaincante du contraire, la présomption de l'intégrité et de l'impartialité judiciaire. Or, la pure allégation que Hamilton J. avait entendu de la « preuve préjudiciable » concernant la révision de la détention qui n'aurait pas fait partie de l'autorisation est dépourvue de sens. Les juges de première instance excluent régulièrement de la preuve qui leur est soumise lors de voir dires, ou entendent des confessions ou des admissions de culpabilité de co-accusés.

[8]                La présomption d'intégrité et d'impartialité judiciaire est telle qu'elle reconnaît au juge la possibilité d'agir et de décider dans des circonstances où celui-ci a déjà acquis une connaissance dans le cadre de procédures et de décisions antérieures impliquant les mêmes parties. Tel qu'énoncé dans l'arrêt Arthur c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (C.A.) [1993] 1 C.F. au par. 8, cette présomption est attaquable et réfutable pourvu que la preuve à la base de la récusation soit sérieuse et non équivoque:


Lorsque la personne appelée à décider deux fois est un juge, le principe ne semble pas poser beaucoup de difficultés. Dans l'affaire Nord-Deutsche Versicherungs Gesellschaft et al. v. The Queen et al., [1968] 1 R.C.É. 443, où le procureur général avait plaidé que la justice naturelle interdisait à tous les juges ayant siégé en appel relativement à quelques-unes des principales questions en litige de siéger à une instruction subséquente, le président Jackett s'est exprimé en ces termes (aux pages 457 et 458):

À mon avis, il y a lieu d'aborder la question comme l'a fait, à mon sens, le juge Hyde dans l'arrêt Barthe v. The Queen [(1964) 41 C.R. 47], lorsqu'il affirmé que « la capacité de rendre jugement dans une affaire en s'appuyant uniquement sur la preuve admissible présentée est une partie essentielle du processus judiciaire » . À mon avis, l'on ne saurait craindre qu'un juge ait un parti pris simplement parce qu'il a exprimé, dans le cours de ses fonctions judiciaires, les conclusions auxquelles il est arrivé en se fondant sur la preuve dont il avait connaissance. S'il doit statuer sur les mêmes questions de fait dans une autre affaire, il est tenu de le faire à partir de la preuve présentée dans cette affaire, après avoir dûment tenu compte des arguments afférents qu'auront présentés les parties en l'espèce. Dans un tel cas, un juge aurait tout à fait tort de tenir compte de « connaissances personnelles » dérivées d' « un souvenir de la preuve » dont il aurait pris connaissance dans l'affaire antérieure. Il n'est pas raisonnable de craindre, selon « une réelle probabilité » , qu'un juge négligera ses fonctions au point de statuer dans une affaire en s'appuyant en tout ou en partie sur une preuve entendue dans une affaire précédente.

Si je puis me permettre cette remarque, l'on semble craindre, en réalité, que le juge saisi d'une affaire qui soulève une question de fait sur laquelle le même tribunal a récemment statué ne puisse tout de même pas faire abstraction de la décision antérieure; en effet, il ne peut ignorer que des décisions apparemment contradictoires peuvent éventuellement miner la confiance en l'administration de la justice. Cependant, à mon sens, un juge qui participe aux deux décisions est mieux à même d'apprécier et d'expliquer les résultats distincts qui découlent de preuve distinctes, ou de manières distinctes de les présenter et de plaider qu'un juge qui n'a pas participé à l'instance antérieure. Je ne veux pas dire par là qu'à mon avis, le même juge devrait toujours instruire les deux affaires. Je veux plutôt dire qu'à mon sens, une telle situation ne cause pas nécessairement de préjudice à la partie qui a le fardeau d'arriver à un certain résultat, dans la seconde affaire, résultat qui est apparemment en conflit avec la décision antérieure.   

[9]                Ce principe a également été reconnu récemment par la Cour d'appel fédérale dans Ahani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [2000] A.C.F. no. 1114 au par. 7 :

l'impartialité du juge de première instance est contestée devant la Cour, mais je suis d'avis que les arguments soulevés ne sont pas fondés. Le seul fait que le juge de première instance ait auparavant rendu une décision relativement à l'appelant, n'a pas compromis sa capacité d'être impartial.

D.        LA COMPÉTENCE LÉGISLATIVE DU JUGE DÉSIGNÉ DE DÉCIDER DU CARACTÈRE RAISONNABLE DU CERTIFICAT AINSI QUE DU MAINTIEN DE LA DÉTENTION

[10]            En adoptant la L.I.P.R. le législateur a prévu que le juge désigné par le Juge en chef pouvait décider du caractère raisonnable du certificat et du maintien de la détention. Le Juge en chef désigne parmi les juges de la Cour fédérale certains juges pour assumer de telles tâches (article 76 de la L.I.P.R.). Le législateur définit la notion du juge désigné et utilise le vocabulaire "juge" aux articles 76 à 85 de la L.I.P.R. Le juge désigné a l'obligation dans les 7 jours du dépôt du certificat d'examiner les renseignements et autres éléments de preuve et de préparer un résumé des circonstances qui ont donné lieu au certificat et de le remettre à la personne concernée (alinéas 78a),d) et h) de la L.I.P.R.). Il a aussi l'obligation dans les 48 heures suivant la détention d'entreprendre le contrôle des motifs justifiant le maintien en détention en ayant recours aux dispositions de l'article 78 avec les adaptations nécessaires, soit les mêmes dispositions que celles utilisées pour l'étude du caractère raisonnable du certificat (paragraphe 83(1) de la L.I.P.R.). De plus, au moins une fois à tous les 6 mois, la personne concernée doit comparaître pour fins d'évaluation à savoir si elle constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'elle se soustraira vraisemblablement à une procédure ou au renvoi (paragraphes 83(2) et 83(3) de la L.I.P.R.). Toutefois, le Juge en chef pourrait confier à un autre juge désigné certaines des tâches prévues aux articles 76 et suivants de la L.I.P.R. pour des raisons de saine administration de la justice tels l'absence pour maladie du juge désigné, conflit d'horaire etc.


[11]            Le juge désigné, tant pour l'examen du caractère raisonnable du certificat que pour le contrôle des motifs justifiant le maintien de la détention, doit « ... garantir la confidentialité des renseignements justifiant le certificat et des autres éléments de preuve ... » (alinéa 78b) de la L.I.P.R.). En plus d'assumer ces obligations, le juge désigné a aussi l'obligation de contrôler le caractère raisonnable de la légalité de la décision ministérielle concernant l'examen des risques avant renvoi, s'il y a lieu (paragraphes 80(1) et 112(1) de la L.I.P.R.).

[12]            Une lecture attentive des articles 76 à 85 de la L.I.P.R. permet de constater que le législateur a voulu:

-           confier, par l'entremise du Juge en chef, au juge désigné plusieurs obligations qui nécessitent en soi la prise de plusieurs décisions dans le cadre de l'audition de

« l'affaire » (voir l'alinéa 78a) et paragraphes 79(1) et (2) de la L.I.P.R.);

-           confier à un juge désigné la garantie de la confidentialité des renseignements en matière de sécurité nationale tout en obligeant celui-ci à fournir à la personne concernée un résumé de la preuve permettant à celle-ci d'être informée des circonstances mais ne comportant aucun élément pouvant porter atteinte à la sécurité nationale ou à la sécurité d'autrui (alinéas 78b) et h) de la L.I.P.R.);

-           obliger le juge désigné à procéder de façon "expéditive" en prévoyant dans la L.I.P.R. des délais spécifiques (alinéas 78c), d) et paragraphe 83(1) de la L.I.P.R.);


[13]            Le législateur a donc prévu expressément la possibilité que le juge désigné entend « l'affaire » , c'est-à-dire de déterminer le caractère raisonnable du certificat ainsi que d'effectuer le contrôle des motifs justifiant la détention. Il a donc voulu permettre que le juge désigné se prononce sur ces deux aspects de « l'affaire » . Il serait difficile d'imaginer un système par lequel un juge traiterait du certificat, tandis qu'un autre juge s'occuperait du maintien de la détention et qu'un autre juge soit responsable de la révision statutaire du maintien de la détention et puis qu'un dernier juge assure le contrôle du caractère raisonnable du certificat ainsi que la légalité de la décision ministérielle suite à une demande de protection.

[14]            De plus, il est difficile de concilier l'obligation de garantir la confidentialité des renseignements (tâche qui implique nécessairement la restriction d'accès aux informations secrètes) tout en informant suffisamment la personne concernée, avec l'implication de plus d'un juge dans le même dossier. Il est aussi difficile de concevoir l'obligation de procéder de façon expéditive tout en initiant des procédures relevant de la même « affaire » devant plus d'un juge. Après une lecture attentive des dispositions pertinentes de la L.I.P.R. j'arrive à la conclusion que l'intention dûment exprimée par le législateur est de confier autant que possible à un même juge désigné « l'affaire » découlant du dépôt d'un certificat à la Cour fédérale et de la signature par les Ministres d'un mandat pour l'arrestation et la mise en détention de la personne concernée. La Cour d'appel fédérale a reconnu ce point dans la décision Charkaoui c. M.C.I. et S.G. 2003 C.A.F., 407 au par. 19 :

En effet, il ressort clairement du paragraphe 80(3) de la Loi, lequel prohibe l'appel sur la raisonnabilité du certificat, que le législateur a voulu que la preuve sur la dangerosité pour la sécurité nationale, qui est nécessaire pour établir le caractère raisonnable du certificat, soit administrée par le juge désigné et reste devant lui (je souligne).


E.         LA DÉTERMINATION DU CARACTÈRE RAISONNABLE D'UN CERTIFICAT N'EST PAS LA MÊME QUE CELLE CONCERNANT LE DANGER ET LE MAINTIEN DE LA DÉTENTION

[15]            M. Charkaoui prétend que le juge désigné en ayant conclu que les Ministres avaient assumé leur fardeau de preuve en présentant de la preuve sérieuse concernant le danger pour la sécurité nationale, ou la sécurité d'autrui, ou que la personne concernée se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi, et en concluant au maintien de la détention à 2 reprises, qu'il décidait du caractère raisonnable du certificat. En conséquence, M. Charkaoui soutient que le juge désigné est devenu partial ou encore, qu'il y a là une apparence de partialité.

[16]            Une lecture attentive des articles 33 et 34, des paragraphes 80(1) et (2) (concernant le caractère raisonnable du certificat) ainsi que les articles 82 et 83 de la L.I.P.R. (concernant le contrôle du maintien en détention) démontre qu'il y a une différence importante entre la tâche d'établir le caractère raisonnable du certificat et celle du contrôle du maintien de la détention.


[17]            Les Ministres considèrent que M. Charkaoui doit être interdit de territoire pour des raisons de sécurité à cause de faits démontrant qu'il: « ... se livrera au terrorisme; constitue un danger à la sécurité du Canada; est membre d'une organisation dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elle est, a été ou sera l'auteur d'actes visés d'espionnage ou de subversion contre une institution démocratique, ou l'instigatrice ou l'auteur d'actes visant le renversement d'un gouvernement par la force et qu'elle se livrera au terrorisme » (certificat des Ministres du 16 mai 2003 et les alinéas 34c), d) et f) de la L.I.P.R.). Cette évaluation se fait selon la norme du caractère raisonnable tel que le prévoit l'article 33 de la L.I.P.R.

[18]            Par ailleurs, le juge désigné doit aussi évaluer le maintien de la détention dès le début des procédures et par la suite à au moins tous les 6 mois. Pour ce faire, il utilise les articles 82 et 83 de la L.I.P.R. Il a comme tâche d'apprécier, selon la preuve, s'il y a danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou que la personne concernée évitera de se soumettre à la procédure ou au renvoi (paragraphe 83(3) de la L.I.P.R.). Les faits à la base de cette évaluation peuvent varier selon les éléments, les circonstances et le passage du temps.

[19]            L'étude du caractère raisonnable du certificat et celle de l'évaluation du danger qui servent de fondement pour conclure ou non au maintien de la détention sont deux exercices différents qui n'ont pas les mêmes objectifs. Il est vrai que la toile de fond est la même dans les deux cas mais les conclusions recherchées ne sont pas les mêmes. La toile de fond vise la personne concernée, sa vie, ses faits et gestes pendant une certaine période, mais les conclusions recherchées en droit sont différentes. À titre d'exemple, le juge Létourneau de la Cour d'appel fédérale dans la décision Charkaoui (Supra p.10) au paragraphe 14 est arrivé à la conclusion suivante:

L'existence d'un lieu étroit entre le certificat attestant l'interdiction de territoire et la détention s'avère un facteur important dans la recherche de l'intention législative.

[20]            Il est possible d'envisager une situation où une personne concernée soit maintenue en détention et que par la suite le caractère raisonnable du certificat ne soit pas reconnu, ou encore qu'une personne concernée soit remise en liberté dès le début de « l'affaire » mais que par la suite le caractère raisonnable du certificat soit maintenu.    À cet effet, le juge Blanchard dans l'affaire Almrei c. Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration [2004] C.F. 420 au paragraphe 34 écrivait :

[TRADUCTION] Je suis du même avis que le demandeur que la détermination du caractère raisonnable du certificat ne constitue pas une preuve conclusive qu'une personne est un danger à la sécurité du Canada.

[21]            Dès le début de l'affaire et tel que prévu par la L.I.P.R., j'ai informé les parties que pour bien comprendre la position des Ministres (tant à l'égard du certificat que du maintien de la détention), que j'avais étudié les documents à la base du certificat ainsi que du mandat d'arrestation. Je les ai aussi avisés que j'avais tenu une audience en l'absence de M. Charkaoui et ses avocats (décision du 15 juillet 2003 au par. 7). Lors de l'étude d'une « affaire » , il est commun pour le juge désigné d'entreprendre l'analyse des faits qui ont leur importance tant pour l'étude du certificat que du maintien de la détention. Il est même envisageable que la preuve présentée lors de l'étude de la détention soit versée dans le dossier de l'étude du caractère raisonnable du certificat.


[22]            Donc, il en découle que l'étude du caractère raisonnable d'un certificat, la détermination ou non du danger et le contrôle du maintien de la détention, sont des tâches distinctes qui aboutissent respectivement à des déterminations différentes. On ne peut pas déduire qu'une détermination concernant le maintien en détention amène nécessairement le même genre de détermination à l'égard du caractère raisonnable du certificat.

F.         LA REVUE DE « L'AFFAIRE » JUSQU'À PRÉSENT

[23]            Depuis le début de « l'affaire » , comme juge désigné j'ai eu à assumer les obligations attribuées par la L.I.P.R. et à signer deux décisions concernant le maintien en détention de M. Charkaoui, soit les décisions du 15 juillet 2003 et du 4 février 2004 (Charkaoui 2004 C.F. 191, ci-après « décision du 4 février « 2004 » ). Toujours en vertu de la procédure prévue par la L.I.P.R., j'ai signé deux décisions le 5 décembre 2003 concernant dans un cas, une demande de production de documents protégés et dans l'autre, la détermination de la constitutionnalité des articles 33, 76 à 85 de la L.I.P.R. J'ai également signé des ordonnances ainsi que des directives dans le but d'assurer un suivi du dossier. De plus, en vertu des alinéas 78b) et h) de la L.I.P.R., j'ai remis à M. Charkaoui un résumé des circonstances afin de lui permettre de comprendre les allégations faites contre lui et de lui permettre de présenter de la preuve et ce, tout en protégeant la sécurité nationale. J'ai aussi permis la divulgation d'informations supplémentaires en vertu de ces mêmes dispositions.


[24]            Dans la première décision du 15 juillet 2003, concernant le maintien de la détention de M. Charkaoui et étant donné qu'il s'agissait de la première décision concernant le maintien de la détention sous l'égide de la L.I.P.R., j'ai voulu expliquer ma compréhension du rôle du juge désigné, le fardeau de la preuve en vigueur et la norme de révision à appliquer. Dans la mesure du possible, je suis allé à la limite de ce que la L.I.P.R. permettait en informant M. Charkaoui de la preuve des Ministres et de l'évaluation que j'en faisais. J'ai aussi résumé la preuve de M. Charkaoui et je l'ai placée dans le contexte de la preuve des Ministres. J'en ai conclu que les Ministres avaient présenté une preuve sérieuse concernant le danger et j'ai informé les parties que le fardeau ayant été assumé par les Ministres, celui-ci était à présent transféré à M. Charkaoui.

[25]            Dans le but de faciliter la tâche de M. Charkaoui, j'ai identifié trois préoccupations, soit la vie de celui-ci de 1992 à 1995 (au Maroc) et de 1995 à 2000 (au Canada) y incluant les voyages; le voyage de M. Charkaoui au Pakistan de février à juillet 1998; et les contacts de M. Charkaoui avec entre autres, M. Abousfiane Abdelrazik, M. Samir Ait Mohamed, M. Karim Saïd Atmani, M. Raouf Hannachi, M. Abdellah Ouzghar. À la lumière de la preuve présentée par les deux parties dans cette affaire, je considère ces trois préoccupations comme importantes à une évaluation responsable du danger et de l'intérêt public. Dans l'intérêt de la justice et afin de neutraliser ces préoccupations, j'invitais M. Charkaoui à me présenter une preuve qui pourrait remettre en question celle des Ministres et éventuellement lui permettre de retrouver la liberté.


[26]            Dans la décision subséquente concernant le maintien en détention du 4 février 2004, j'ai constaté que M. Charkaoui n'avait pas abordé ces trois préoccupations. La preuve qu'il a soumise complétait toutefois celle du premier contrôle en : augmentant la caution de $25,000.00 à $50,000.00; déposant des articles de journaux qui traitaient de la non fiabilité et qui remettaient en question la crédibilité de M. Ahmed Ressam et de M. Abou Zubaida, deux personnes qui ont identifié M. Charkaoui comme étant un individu qu'ils auraient rencontré en Afghanistan en 1998 dans un camp d'entraînement d'Al-Quaïda et qu'ils le connaissaient sous le nom de "Zubeir Al-Maghrebi"; et en déposant des affidavits appuyant sa demande de remise en liberté. M. Charkaoui a plaidé que lors de l'examen du maintien de la détention, le juge désigné ne devrait pas se préoccuper de l'évaluation du danger car son rôle est limité à l'identification des conditions pour sa remise en liberté et un montant de caution.

[27]            À mon avis, le législateur (au paragraphe 83(3) de la L.I.P.R.) demande au juge désigné d'évaluer le danger et, une fois l'évaluation faite, d'envisager la remise en liberté sous conditions et caution (si nécessaire). Le danger ne s'évalue pas dans un vacuum. Le danger est réel ou il ne l'est pas. Les Ministres ont présenté de la preuve en public ainsi qu'en l'absence de M. Charkaoui et de ses avocats que j'ai jugé sérieuse et qui m'a mené à conclure que leur fardeau avait été assumé. Cette preuve demeure et je dois en tenir compte. Lorsque le fardeau de preuve a été transféré à l'autre partie, comme en l'espèce à M. Charkaoui, celui-ci doit l'assumer s'il veut neutraliser la preuve des Ministres concernant le danger et éventuellement avoir gain de cause dans l'affaire. La Cour d'appel fédérale a retenu ce principe dans l'arrêt Le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration et Kaileshan Thanabalasingham 2004 C.A.F. 4, au par. 16, lorsqu'elle a évalué le contrôle des motifs de la détention prévu au paragraphe 57(2) et à l'article 58 de la L.I.P.R.


Il incombe toujours au ministre de démontrer qu'il existe des motifs qui justifient la détention ou le maintien de la détention. Cependant, une fois que le ministre a établi prima facie qu'il y a lieu de maintenir la détention d'une personne, la personne doit présenter une certaine preuve contraire sinon elle risque d'être maintenue en détention. Le ministre peut établir une preuve prima facie de différentes façons, y compris en se fondant sur les motifs de décisions antérieures. Selon ce qu'elle a déclaré dans ses motifs au paragraphe 75, la juge Gauthier estime:

[...] que le fardeau de prouver qu'il y a lieu de maintenir une personne en détention est imposé, à l'origine, à la personne qui propose une telle ordonnance, en l'occurrence le ministre, mais que ce fardeau est rapidement déplacé pour incomber au défendeur si l'arbitre qui procède au contrôle estime solides ou convaincants les motifs justifiant le maintien en détention qui ont été retenus lors des contrôles antérieurs.

Selon moi, les commentaires concernant le paragraphe 57(2) et l'article 58 de la L.I.P.R. s'appliquent également à l'interprétation des articles 82 à 85.

[28]            M. Charkaoui reproche au juge désigné d'avoir fait preuve, dans le cadre des deux décisions du 15 juillet 2003 et 4 février 2004, de partialité ou d'une apparence de partialité en informant M. Charkaoui que les Ministres avaient présenté de la preuve sérieuse lui permettant de conclure que leur fardeau avait été assumé et en informant M. Charkaoui qu'il y avait trois préoccupations qui devraient être abordées si ce dernier voulait avoir gain de cause et être remis en liberté. Je ne peux accepter cette prétention car jusqu'à présent je n'ai conclu qu'à la base de la preuve qui m'a été présentée et de laquelle découle les trois préoccupations.

G.         LES FAITS SOULEVANT UNE CRAINTE DE PARTIALITÉ SELON M. CHARKAOUI


i)          Le moment de la divulgation de preuve additionnelle les 17 juillet et 14 août 2003 a été choisi pour des raisons de sécurité nationale

[29]            M. Charkaoui allègue que la divulgation de preuve du 17 juillet 2003 (M. Abou Zubaida, collaborateur d'Oussama Ben Laden, ayant reconnu M. Charkaoui sous le nom de Zubeir Al-Maghrebi) et celle du 14 août 2003 (M. Ahmed Ressam ayant reconnu M. Charkaoui sous le nom de Zubeir Al-Maghrebi) démontre que le juge désigné avait une apparence de partialité car, selon lui cette information aurait dû être divulguée lors de l'audience du premier contrôle du maintien de la détention au début de juillet 2003.

[30]            Cependant, j'ai informé M. Charkaoui dans la décision du 15 juillet 2003 aux paragraphes 7 et 9 que de l'information supplémentaire pourrait éventuellement être dévoilée. Dans la décision du 5 décembre 2003 (Charkaoui [2003] C.F. 1418 aux paragraphes 15 à 19), j'ai expliqué que l'information qui lui avait été communiquée ne pouvait pas être dévoilée antérieurement et ce, pour des raisons de sécurité nationale. M. Charkaoui a reçu l'offre d'une audience pour lui permettre de répondre à cette nouvelle divulgation avant la révision statutaire de six mois mais il l'a déclinée. Je tiens à souligner que si cette information avait pu être dévoilée plus tôt, cela aurait été fait.


ii)         Les articles de journaux concernant la crédibilité et fiabilité de M. A. Ressam et A. Zubaida et la décision amendée Charkaoui [2004] C.F. 191 du 4 février 2004

[31]            Lors du deuxième contrôle du maintien de la détention, M. Charkaoui a déposé de la preuve documentaire y incluant des articles de journaux commentant la fiabilité et la crédibilité de M. Ahmed Ressam et de M. Abou Zubaida (décision du 4 février 2004 aux paragraphes 6, 9 et 12). Selon les prétentions de M. Charkaoui, le juge désigné aurait de nouveau démontré de la partialité ou une apparence de partialité en omettant de commenter les articles de journaux et leurs conclusions à l'effet que A. Ressam et Abou Zubaida n'étaient pas fiables et crédibles.

[32]            Or, tel qu'il appert au paragraphe 12 de la décision du 4 février 2004, toute la preuve additionnelle déposée incluant les articles de journaux présentées par M. Charkaoui a été considérée:

Considérant la preuve additionnelle présentée le 12 janvier 2004, je suis d'avis que l'évaluation du danger doit être effectuée et que la mise en liberté sous conditions ne pourra être envisagée que s'il y a preuve suffisante à l'effet que le danger est atténué ou encore qu'il n'existe pas et que M. Charkaoui continuera à se soumettre à la procédure (je souligne).

iii)        L'audition du 12 janvier 2004


[33]            Le 12 janvier 2004 avait été réservé pour la revue statutaire du maintien de la détention. L'étude du caractère raisonnable du certificat n'a pas eu lieu dès le début du dépôt du certificat car les avocats de M. Charkaoui ont informé la Cour le 30 mai 2003 de l'intention de contester la constitutionnalité des articles 76 à 85 de la L.I.P.R. Donc, à sa demande et de consentement avec les Ministres, l'étude du caractère raisonnable du certificat a été remise à une date ultérieure. Lors de la prise de cette décision, les parties ont été informé que le juge désigné avait une obligation statutaire de procéder à l'étude de « l'affaire » de façon expéditive et qu'il y avait une difficulté à concilier cette obligation avec la demande de remise de l'étude du caractère raisonnable du certificat. Cependant, puisque la demande était de consentement, la remise a été accordée. L'audition concernant la constitutionnalité des article 76 à 85 de la L.I.P.R. a eut lieu au mois d'octobre 2003 et le jugement a été signé le 5 décembre 2003 (Charkaoui 2003 C.F. 1419). Dans ce même jugement, l'audition concernant le caractère raisonnable du certificat a été fixée pour le 12 janvier 2004. M. Charkaoui s'est objecté à la tenue de cette audition pour les motifs suivants:

-           il avait demandé l'autorisation d'interjeter appel de la décision à la Cour d'appel fédérale (Charkaoui c. M.C.I. et S.G. 2003 C.A.F., 407 ) et des jugements du 5 décembre 2003 rendus par cette Cour ( Charkaoui 2003 C.F. 1418 et Charkaoui 2003 C.F. 1419) à la Cour suprême du Canada;

-           il avait besoin de 3 mois pour se préparer pour une telle audience; et

-           un de ses avocats, Me Grey, n'était pas disponible le 12 janvier 2004.

[34]            M. Charkaoui a plaidé que la Cour, en voulant procéder le 12 janvier 2004 à l'étude du caractère raisonnable du certificat, a été partiale ou qu'il y avait là une apparence de partialité. Or, la date avait été fixée selon la disponibilité de la Cour ainsi qu'en considération de l'alinéa 78c) de la L.I.P.R. qui impose l'obligation de procéder de façon expéditive dans l'examen de

« l'affaire » . L'étude du caractère raisonnable du certificat n'a toutefois pas eu lieu à cette date car, à la demande de M. Charkaoui, la Cour a autorisé la remise à une date ultérieure. L'audition avait été remise au début avril 2004 mais a été annulée car M. Charkaoui a demandé la suspension de l'affaire en vertu du paragraphe 79(1) de la L.I.P.R. suite à une demande de protection aux Ministres. Jusqu'à présent, aucune date n'est réservée pour l'étude du caractère raisonnable du certificat. L'audition du 12 janvier 2004 a traité de la révision statutaire du maintien de la détention et un jugement concernant le maintien de la détention a été signé le 23 janvier 2004 (Charkaoui 2004 C.F. 107, ci-après décision du 23 janvier). La décision du 23 janvier 2004 a été amendée pour fins de précision le 4 février 2004.

iv)        Les trois préoccupations concernant l'évaluation du danger et l'étude du maintien de la détention

[35]            M. Charkaoui est d'avis qu'en ayant communiqué les trois préoccupations dans les décisions concernant le maintien de la détention (les décisions du 15 juillet 2003 et 4 février 2004), la Cour a fait preuve d'une « ... insistance marquée à ce qu'une preuve soit administrée sur les préoccupations identifiées par la Cour i.e. sur le fond du dossier » .


[36]            Tel que mentionné dans les décisions (15 juillet 2003 et 4 février 2004), je suis d'avis que le danger à la sécurité nationale ne s'évalue pas dans un vacuum et que la Cour doit évaluer chaque cas dans son contexte en tenant compte de tous les faits reliés à cette notion de danger. Les trois préoccupations ont été identifiées afin de rééquilibrer la situation créée par la preuve présentée en l'absence de M. Charkaoui ainsi que pour faciliter la tâche de ce dernier à y répondre. Jusqu'à présent, M. Charkaoui a essentiellement limité sa preuve à la proposition de conditions de remise en liberté et de cautionnement. Toutefois, l'intention du législateur quant à l'approche à suivre en matière de sécurité nationale se dégage des articles 82 à 85 de la L.I.P.R. En l'espèce, compte tenu de toute la preuve présentée ainsi que de l'intérêt public soulevé par cette affaire, pour obtenir une remise en liberté, M. Charkaoui devrait envisager soumettre de la preuve afin de faire dissiper ces préoccupations et éliminer le danger ou le risque soutenu par les Ministres.

v)         Le montant de la caution


[37]            M. Charkaoui prétend que lors de l'audition du 12 janvier 2004, la Cour décidait « ... que quelque soit le montant de la caution, [M. Charkaoui] ne serait pas libéré » . M. Charkaoui plaide que de tels propos soulèvent une crainte de partialité ou d'apparence de celle-ci. De mémoire et après une révision des notes sténographiques de l'audition du 12 janvier 2004 et de la décision du 4 février 2004, je ne peux pas reconnaître avoir tenu de tel propos. Toutefois, tel que j'ai indiqué aux paragraphes 16 et 17 de la décision du 23 janvier 2004, Re Charkaoui [2004] C.F. 107, j'ai abordé la question de caution de la manière suivante:

Considérant la présomption de la validité des Lois, l'ampleur des allégations et l'importance pour M. Charkaoui de retrouver sa liberté, je suis surpris par une telle approche. Le danger à la sécurité nationale ne peut être évalué dans un vide factuel. En évitant de répondre aux préoccupations soulevées par la Cour, M. Charkaoui demande qu'on le libère en faisant abstraction du danger que les Ministres associent à sa personne. Lorsqu'il s'agit d'une question de sécurité nationale ou de sécurité des Canadiens, le juge désigné se doit d'évaluer le danger que pose une personne concernée à la lumière de toute la preuve disponible.

En l'espèce cette tâche consiste à évaluer, en vertu du paragraphe 83(3) de la L.I.P.R., si la personne concernée constitue toujours un danger pour la sécurité nationale ou la sécurité d'autrui ou qu'il se soustraira vraisemblablement à la procédure ou au renvoi. Une décision de libérer avec caution et sous conditions ne peut se faire sans répondre aux allégations des Ministres que la personne concernée est un danger.

vi)        Le juge serait partial ou démontrerait une apparence de partialité n'ayant pas démontré de "sensibilité" en fixant l'audience portant sur l'étude du caractère raisonnable du certificat le 12 janvier 2004

[38]            M. Charkaoui est d'opinion, basé sur le paragraphe 47 de l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) [1999] 2 R.C.S. 817, que la Cour a manqué de sensibilité en imposant la date du 12 janvier 2004 pour l'étude du caractère raisonnable du certificat et que ce manquement prouve la crainte de partialité ou l'apparence de partialité:


Il a été décidé que le test relatif à la crainte raisonnable de partialité pouvait varier, comme d'autres éléments de l'équité procédurale, selon le contexte et le genre de fonction exercée par le décideur administratif concerné: Newfoundland Telephone Co. c. Terre-Neuve (Board of Commissioners of Public Utilities), [1992] 1 R.C.S. 623; Association des résidents du Vieux St-Boniface Inc. c. Winnipeg (Ville), [1990] 3 R.C.S. 1170 à la p. 1192. Le contexte en l'espèce est que les agents d'immigration doivent régulièrement prendre des décisions qui ont une très grande importance pour les personnes visées, mais qui souvent ont aussi une incidence sur les intérêts du Canada comme pays. Ce sont des décisions de nature individuelle plutôt que générale. Elle exigent également une grande sensibilité. Le Canada est une nation en grande partie composée de gens dont les familles ont émigré dans les siècles derniers. Notre histoire démontre l'importance de l'immigration, et notre société est l'exemple des avantages de la diversité de gens originaires d'une multitude de pays. Parce qu'elles visent nécessairement des personnes de provenances diverses, issues de cultures, de races et de continents différents, les décisions en matière d'immigration exigent de ceux qui les rendent sensibilité et compréhension. Elles exigent qu'on reconnaisse la diversité ainsi qu'une compréhension des autres et une ouverture d'esprit à la différence.

[39]            La Cour suprême du Canada ajoute au paragraphe suivant:

À mon avis, les membres bien informés de la communauté percevraient la partialité dans les commentaires de l'agent Lorenz. Ses notes, et la façon dont elles sont rédigées, ne témoignent ni d'un esprit ouvert ni d'une absence de stéréotypes dans l'évaluation des circonstances particulières de l'affaire. Plus regrettable encore est le fait qu'elles semblent établir un lien entre les troubles mentaux de Mme Baker, sa formation comme domestique, le fait qu'elle ait plusieurs enfants, et la conclusion qu'elle serait en conséquence, un fardeau pour notre système d'aide sociale pour le reste de sa vie [...] Qu'elles aient été faites dans cette intention ou non, ces déclarations donnent l'impression que l'agent Lorenz peut avoir tiré des conclusions en se fondant non pas sur la preuve dont il disposait, mais sur le fait que Mme Baker était une mère célibataire ayant plusieurs enfants, et était atteinte de troubles psychiatriques. L'utilisation de majuscules par l'agent pour souligner le nombre des enfants de Mme Baker peut également indiquer au lecteur que c'était là une raison de lui refuser sa demande. À la lecture des commentaires de l'agent, je ne crois pas qu'un membre raisonnable et bien informé de la communauté conclurait que l'agent a traité cette affaire avec l'impartialité requise de la part d'un agent d'immigration rendant ce genre de décision [...] Je conclus que les notes de l'agent Lorenz donnent lieu à une crainte raisonnable de partialité.


[40]            Tel qu'expliqué aux paragraphes 31 et suivants du présent jugement, les faits en l'espèce se distinguent nettement de ceux exposés dans l'affaire Baker ci-haut. Les dates d'audience des séances de la Cour fédérale sont fixées en consultation avec les parties, selon la disponibilité de la Cour et ce, tout en tenant compte de l'obligation statutaire de l'alinéa 78c) de la L.I.P.R. qui impose l'obligation de procéder de façon expéditive dans l'examen de « l'affaire » . Le 12 janvier 2004 avait déjà été réservé, en consultation avec les parties, comme date pour l'étude de la revue de la détention et c'est pour cela qu'elle avait été retenue. À la demande de M. Charkaoui, la Cour a remis l'audition de la raisonnabilité du certificat.

[41]            On se rappellera que M. Charkaoui était d'opinion que les six faits mentionnés précédemment dans leur totalité créaient une crainte de partialité ou encore de la partialité. Ayant commenté chacun de ces faits et ayant conclu que ceux-ci n'établissaient pas individuellement une crainte de partialité ou de la partialité, je ne peux que constater que l'ensemble de ces faits ne soulève pas à une crainte raisonnable de partialité ni l'apparence de celle-ci.

CONCLUSIONS

[42]            La présente décision se résume au fait que les arguments de M. Charkaoui ne soutiennent pas la prétention que le juge désigné devrait se récuser pour crainte de partialité, apparence de partialité ou encore de partialité pour les raisons suivantes:

-           le législateur a prévu que le juge désigné pouvait décider du caractère raisonnable du certificat ainsi que du maintien de la détention;

-           la détermination du caractère raisonnable d'un certificat n'est pas la même que celle concernant le danger et maintien de la détention;


-           les faits soulevés par M. Charkaoui concernant les procédures et le déroulement de celles-ci en vertu de la L.I.P.R. ne sont pas des faits, dans leur totalité ni individuellement, qui permettent une constatation d'apparence de partialité ou encore de partialité.

                                        ORDONNANCE

POUR CES MOTIFS :

-           La requête en récusation de M. Charkaoui est rejetée.

                 "Simon Noël"                  

Juge


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                     

DOSSIER :                DES-3-03

INTITULÉ :               MCI c. ADIL CHARKAOUI

MOTIFS D'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DE L'HONORABLE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 28 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

                                   Me Johanne Doyon

Me Julius Grey

POUR LE DEMANDEUR

Me Luc Cadieux

Me Daniel Latulippe

POUR LES DÉFENDEURS

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Doyon, Morin

Montréal (Québec)

Me Julius Grey

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa, Ontario

POUR LE DÉFENDEUR


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