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Date : 20190501


Dossier : IMM-4862-17

Référence : 2019 CF 555

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2019

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

VINCENT AZARIAH MCKENZIE

BENJAMIN NATHANIEL MCKENZIE

JOSEPH MICHAEL MCKENZIE

JOSHUA HOSEA MCKENZIE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Les demandeurs, un père et ses trois enfants mineurs, demandent le contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel des réfugiés (la SAR) rejetant leur appel à l’encontre de la décision de la Section de la protection des réfugiés (la SPR) refusant leur demande d’asile au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la LIPR).

[2]  M. McKenzie est le père et le demandeur principal. Ses trois enfants mineurs se sont fondés sur son exposé circonstancié pour établir leurs demandes d’asile. Pour simplifier et par souci de commodité, je ne mentionnerai que M. McKenzie dans les présents motifs de jugement étant entendu que la SPR et la SAR ont toutes deux accepté que ses éléments de preuve s’appliquent de manière égale aux trois enfants mineurs. Selon les besoins, vu le contexte, les références à M. McKenzie renvoient aussi aux trois demandeurs mineurs.

[3]  M. McKenzie était le pasteur d’une église en milieu rural en Jamaïque. Il est arrivé au Canada en septembre 2014 muni d’un visa de visiteur qui l’autorisait à demeurer et à travailler au Canada jusqu’en septembre 2017. En novembre 2015, lorsqu’il s’occupait des affaires de son église en Jamaïque, M. McKenzie s’est senti menacé par un homme se trouvant à l’extérieur de l’église qui hurlait. À la même époque, M. McKenzie a appris que son collègue pasteur et ancien partenaire intime, l’évêque Courtney Manning (Courtney), avait été tué lorsqu’il était rentré en Jamaïque. Il a senti que sa crainte au sujet de sa propre sécurité en Jamaïque prenait un nouveau sens.

[4]  M. McKenzie est retourné au Canada et a demandé l’asile en août 2016. Sa demande d’asile reposait sur son identité sexuelle en tant qu’homosexuel et ses opinions religieuses à l’appui de la communauté lesbienne, gaie, bisexuelle et transgenre (LGBT) en Jamaïque.

II.  La décision de la SAR

[5]  Le rôle de la SAR est d’intervenir lorsque la SPR a commis une erreur de droit, de fait, ou de fait et de droit. La SAR doit contrôler la décision de la SPR selon la norme de la décision correcte : Canada (Citoyenneté et Immigration) c Huruglica, 2016 CAF 93 au paragraphe 78 (Huruglica).

[6]  Les Directives numéro 9 du président : Procédures devant la CISR portant sur l’orientation sexuelle, l’identité de genre et l’expression de genre (les Directives sur l’OSIGEG) ont été déposées le 1er mai 2017, soit une semaine environ avant que M. McKenzie n’interjette appel devant la SAR et trois jours après qu’a été rendue la décision de la SPR.

[7]  La SAR a examiné les Directives sur l’OSIGEG et chacun des nouveaux éléments de preuve. Elle n’a accepté en preuve que les Directives sur l’OSIGEG. En rejetant toutes les lettres présentées par M. McKenzie en tant que nouveaux éléments de preuve, la SAR a relevé des préoccupations quant à la fiabilité, au respect des délais ou à l’absence de valeur probante à l’égard de chacun d’eux.

[8]  Après avoir examiné la décision et les motifs de la SPR et pris en considération les éléments de preuve présentés et les observations formulées par M. McKenzie devant la SPR et la SAR, la SAR a maintenu la décision de la SPR et rejeté l’appel. La SAR a spécifiquement conclu que M. McKenzie n’était « pas une personne LGBT » et qu’aucun élément de preuve probant n’avait été présenté qui lui permette de rendre une décision favorable.

III.  Questions en litige et norme de contrôle

[9]  M. McKenzie allègue que la décision n’est pas raisonnable parce que la SAR a commis deux erreurs :

  1. La SAR n’a pas suivi les Directives sur l’OSIGEG;

  2. Elle a commis une erreur en refusant d’accepter les nouveaux éléments de preuve présentés par M. McKenzie à l’appui de son appel.

[10]  À l’audition de la présente affaire, M. McKenzie a limité à deux lettres son argument au sujet du refus d’accepter les nouveaux éléments de preuve. Une lettre provenait de M. Hugh-Roy Hanson, ancien partenaire sexuel de M. McKenzie. L’autre émanait du directeur des services directs du Centre communautaire 519 à Toronto.

[11]  La décision de la SAR sera appréciée selon la norme de la décision raisonnable en ce qui concerne les questions en litige : Huruglica, au paragraphe 35.

[12]  Le caractère raisonnable d’une décision tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit : Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au paragraphe 47 (Dunsmuir).

[13]  Lus dans leur ensemble, « les motifs répondent aux critères établis dans Dunsmuir s’ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 au paragraphe 16 (Nfld Nurses).

[14]  La SAR n’a pas l’obligation d’examiner et de commenter dans ses motifs chaque argument soulevé par les parties. La question que doit se poser la cour de révision consiste à savoir si la décision, prise dans son ensemble dans le contexte du dossier, est raisonnable : Nfld Nurses au paragraphe 16.

IV.  Les Directives sur l’OSIGEG

[15]  L’objectif déclaré des Directives sur l’OSIGEG est énoncé à la section 1.1 :

L'objectif des présentes directives est de favoriser une meilleure compréhension des cas portant sur l'orientation sexuelle, l'identité de genre et l'expression de genre (OSIGEG) ainsi que sur le préjudice auquel les personnes peuvent être exposées du fait de leur non-conformité aux normes socialement acceptées en matière d'OSIGEG. Les présentes directives se penchent sur les difficultés particulières auxquelles les personnes ayant diverses OSIGEG peuvent être exposées lorsqu'elles présentent leur cas devant la Commission de l'immigration et du statut de réfugié du Canada (CISR), et elles établissent des principes directeurs à l'intention des décideurs dans le règlement des affaires où l'OSIGEG entre en jeu.

[16]  Au moment où le présent jugement a été rendu, les Directives sur l’OSIGEG étaient accessibles sur Internet à l’adresse :

https://irb-cisr.gc.ca/fr/legales-politique/politiques/Pages/GuideDir09.aspx

[17]  Les Directives sur l’OSIGEG portent sur un large éventail de sujets. Deux sections sont particulièrement utiles en l’espèce, soit la section 3 « [c]omprendre les difficultés auxquelles se heurtent les personnes ayant diverses OSIGEG lorsqu'il s'agit d'établir leur OSIGEG » et la section 7 « [é]tablir les principes d'évaluation de la crédibilité et des éléments de preuve se rapportant à l'orientation sexuelle, à l'identité de genre et à l'expression de genre ».

[18]  M. McKenzie conteste les trois conclusions qui suivent de la SAR parce qu’elles n’appliquent pas de manière raisonnable les Directives sur l’OSIGEG :

  1. L’omission de M. McKenzie d’inscrire le nom de ses partenaires sexuels antérieurs dans son formulaire Fondement de la demande d’asile (FDA) initial;

  2. M. McKenzie n’a fourni aucune documentation pour étayer sa prétendue relation avec Courtney pendant la période 1994 – 1998;

  3. L’absence de M. Hugh-Roy Hanson à l’audience devant la SPR a jeté un doute sur la lettre de soutien de celui-ci en faveur de M. McKenzie.

[19]  Pour les motifs qui suivent, j’ai conclu que la SAR n’avait pas appliqué de façon raisonnable les Directives sur l’OSIGEG. Ce défaut est suffisant pour que soit accueillie la demande, et il n’est pas nécessaire d’établir si le refus de la SAR d’accepter les nouveaux éléments de preuve était raisonnable.

A.  L’omission de M. McKenzie d’inscrire le nom de ses partenaires sexuels antérieurs dans son formulaire FDA initial

[20]  La SPR a conclu que la question déterminante était le manque de crédibilité de M. McKenzie qu’elle a fondé sur quelques contradictions et omissions dans ses éléments de preuve. La SAR a souligné que la SPR avait conclu que M. McKenzie n’avait mentionné aucun partenaire homosexuel, outre Courtney, dans son formulaire FDA initial.

[21]  Le formulaire FDA initial a été présenté le 30 août 2016. Dans le document, M. McKenzie a mentionné un ancien partenaire sexuel – Courtney – de 1994 jusqu’en 1998. Il a modifié son formulaire FDA le 13 octobre 2016 pour ajouter le nom de Hugh-Roy Hanson, qu’il a décrit comme un ami chez qui il passait la nuit en Jamaïque lorsqu’il craignait d’être victime d’une agression. Le formulaire FDA a été modifié une autre fois le 18 novembre 2016 pour ajouter le nom d’un autre ami – Pierre Zacca – et pour inscrire le fait que M. McKenzie avait eu des rapports intimes avec chacun de ces deux amis.

[22]  La SAR a examiné l’explication que M. McKenzie a fournie à la SPR au sujet des modifications apportées au formulaire FDA. Dans son affidavit présenté dans le cadre de l’appel, M. McKenzie a fourni à la SAR plusieurs raisons pour avoir omis de mentionner MM. Hanson et Zacca dans son formulaire FDA initial. Ces raisons étaient, notamment, 1) il s’agissait de relations sexuelles occasionnelles qui n’avaient pas d’importance par rapport à son identité d’homme homosexuel, tandis que sa relation avec Courtney était une relation sérieuse et à long terme; 2) il était moins réticent à inscrire Courtney dans le formulaire FDA étant donné que celui-ci, étant décédé, ne subirait aucune conséquence de la divulgation de leur relation; 3) il avait réprimé son orientation sexuelle pendant des décennies lorsqu’il résidait en Jamaïque. et il continue d’avoir du mal à assumer son identité homosexuelle; 4) il y a une très grande différence entre le fait de soutenir activement la communauté LGBT et de faire partie de celle-ci.

[23]  La SAR a jugé que l’omission de M. McKenzie de mentionner ces deux anciens partenaires sexuels dans son formulaire FDA initial était grave et que le fait de ne pas inclure l’information n’était pas crédible. Elle a souligné que M. McKenzie a prétendument eu des rapports intimes avec ces hommes, et qu’il avait demandé à M. Hanson de présenter une lettre de soutien à cet effet. La SAR a conclu que le fait de demander la lettre « [allait] à l’encontre de ses allégations selon lesquelles il était réticent à parler de sa sexualité et de ses anciens partenaires ».

[24]  La SAR a ensuite constaté qu’il n’y avait aucun document pour étayer l’allégation de M. McKenzie selon laquelle il avait eu une relation homosexuelle avec un homme de 1994 à 1998.

[25]  Au sujet de la déclaration de M. McKenzie selon laquelle il avait des relations homosexuelles occasionnelles avec MM. Hanson et Zacca qui n’étaient pas importantes, la SAR a conclu que cette réponse n’était pas crédible :

Sa demande d’asile étant fondée sur son homosexualité, il serait crédible et raisonnable de s’attendre à ce que toutes les relations liées à cette question aient été mentionnées dans la documentation initiale.

[26]  M. McKenzie prétend que la SAR n’a pas appliqué les Directives sur l’OSIGEG. Il invoque la décision Enam c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1117 dans laquelle le juge Brown a pris en compte les Directives sur l’OSIGEG en contrôlant une décision de la SAR, même si les Directives n’avaient pas été publiées au moment où il a rendu sa décision. En accueillant la demande de contrôle judiciaire, le juge Brown a statué que la décision visée par le contrôle n’était pas raisonnable. La Cour avait alors conclu que l’omission d’apprécier de façon raisonnable le rapport d’une travailleuse sociale clinique agréée et l’omission de la SAR de faire profiter le demandeur des Directives sur l’OSIGEG étaient des questions essentielles, et avait cassé la décision de la SAR.

[27]  Le ministre établit une distinction par rapport à la décision Enam au motif que les Directives sur l’OSIGEG n’ont pas été appliquées parce qu’elles n’avaient pas été publiées. Le juge Brown n’a pas fait cette distinction; il a statué, au paragraphe 33 : « les Directives portant sur les OSIGEG, bien qu’elles ne fussent pas publiées au moment de la décision de la SAR, exigent que la SPR soit au courant des problèmes particuliers auxquels s’exposent les membres de la communauté LGBTQ ». Les Directives sur l’OSIGEG étaient assurément en vigueur lorsque la SAR a examiné l’appel de M. McKenzie.

[28]  La décision Enam milite fortement en faveur de l’argument selon lequel la SAR devait être au courant des Directives sur l’OSIGEG et s’en inspirer et que le défaut à ces égards n’était pas raisonnable.

[29]  M. McKenzie affirme que la SPR et la SAR ont toutes deux concentré leur attention sur ses antécédents en matière de sexualité. Il prétend qu’elles lui ont, en fait, imposé le fardeau de dresser la liste de tous ses partenaires homosexuels, qu’il se fût agi d’une relation occasionnelle ou non. La SAR n’a pas examiné son explication voulant qu’il n’avait inscrit que sa relation sérieuse avec Courtney et non pas ses partenaires occasionnels.

[30]  L’insistance de la SAR quant au fait que l’omission de M. McKenzie d’inscrire MM. Hanson et Zacca en tant qu’anciens partenaires sexuels dans son formulaire FDA représentait une omission importante qui entache sa crédibilité, pose trois problèmes.

[31]  Premièrement, dans la décision Strugar c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 880, (Strugar), le juge Zinn a statué qu’il était déraisonnable que la Commission exige qu’une femme lesbienne qui était mariée avec un homme énumère et nomme ses amantes dans son formulaire FDA parce que le formulaire n’a rien à voir avec l’identité de ses amoureuses et ne concerne que son orientation sexuelle. Le juge Zinn a souligné que « la simple omission de ce renseignement dans son FRP n’est pas un fondement raisonnable pour remettre en cause la crédibilité de la demanderesse » : Strugar, au paragraphe 7.

[32]  Je souscris à cette affirmation. La SAR a considéré que l’« omission » de M. McKenzie était importante et que, en n’incluant pas l’information, celui-ci n’était pas crédible. La décision de la SAR n’est pas raisonnable de ce seul fait.

[33]  Deuxièmement, M. McKenzie a bel et bien inclus MM. Hanson et Zacca dans les versions modifiées de son formulaire FDA, dix jours avant l’audience devant la SPR.

[34]  Il a été statué qu’une distinction doit être faite entre une modification apportée à un FRP pour ajouter une déclaration différente de celle qui a été formulée dans le document initial et une déclaration qui apporte tout simplement des précisions à l’information qui figure déjà dans le dossier : Diaz Puentes c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1335 au paragraphe 17. Suivant la logique de la décision Strugar, le récit figurant dans le dossier, comme l’a écrit la SAR, était « son affirmation selon laquelle il est homosexuel ». Les modifications n’ont pas changé le récit. Elles apportaient tout simplement plus de renseignements. Le fait que la SAR transforme les modifications visant la prestation de renseignements supplémentaires en omission est, selon les faits de l’espèce et à la lumière de la décision Strugar, déraisonnable.

[35]  Troisièmement, la SAR n’a pas pris en compte les Directives sur l’OSIGEG dans le contexte du récit de la vie et du profil personnel de M. McKenzie. Plus particulièrement, selon son témoignage fait sous serment devant la SAR, M. McKenzie a grandi dans un pays extrêmement homophobe, il était un pasteur en vue dans sa communauté et il avait réprimé son orientation sexuelle pendant des décennies pendant qu’il résidait en Jamaïque. Il a affirmé qu’il continue d’avoir de la difficulté à accepter son identité d’homosexuel.

[36]  En ce qui concerne les Directives sur l’OSIGEG, M. McKenzie a soutenu dans son appel devant la SAR que les sections 3.1 et 3.7 étaient pertinentes lorsqu’il s’agissait de fournir un contexte quant à son degré d’acceptation de sa propre orientation sexuelle et que les précisions concernant ses activités homosexuelles ne figuraient pas initialement dans son formulaire FDA.

[37]  La section 3.1 prévoit notamment qu’« [i]l n'y a pas d'ensemble de critères normalisés à utiliser pour établir le fait qu'une personne s'identifie à diverses OSIGEG » et que « [p]our une personne, la prise de conscience et l'acceptation de son OSIGEG peuvent se produire de manière graduelle ou non linéaire. » Le récit de la vie et le profil personnel de M. McKenzie correspondent à ces descriptions, mais la SAR n’a pas renvoyé à ceux-ci ni analysé la façon dont les Directives sur l’OSIGEG s’appliquaient à M. McKenzie.

[38]  La SAR a reconnu les deux sections des Directives sur l’OSIGEG et affirmé qu’elle « [souscrivait] à ce concept, mais elle estime que les raisons relevées précédemment sont convaincantes en ce qui concerne le défaut de l’appelant de divulguer ses prétendues relations homosexuelles dans l’exposé circonstancié contenu dans son formulaire FDA » au motif que M. McKenzie avait amorcé la relation homosexuelle en 1994 et avait continué d’avoir des relations homosexuelles en Jamaïque avant mai 2014.

[39]  La SAR a conclu, selon la prépondérance des probabilités, que «  dans cette affaire, l’appelant ne correspond pas au profil décrit à la section 3.1 des Directives sur l’OSIGEG ».

[40]  En tout respect, on ne sait trop à quel profil la SAR renvoie étant donné que M. McKenzie a énoncé plusieurs profils dans le récit de sa vie.

[41]  Selon la section 3.1, l’acceptation de son identité peut être graduelle ou non linéaire. Dans son affidavit, M. McKenzie a affirmé qu’il éprouvait des difficultés à s’accepter. La section 3.1 prévoit aussi qu’il n’y a pas d’ensemble de critères normalisés à utiliser pour établir l’identité d’une personne. Dans le cas de M. McKenzie, celui-ci s’identifie comme un homme homosexuel. Faute d’une analyse approfondie par la SAR, il est impossible de comprendre pourquoi le fait qu’il ait eu une relation homosexuelle en 1994 et une relation homosexuelle avant 2014 signifie que M. McKenzie ne correspond pas au profil.

[42]  La section 3.1 recense quelques facteurs susceptibles d’amener des gens à agir face à leur orientation sexuelle de diverses façons. Les facteurs comprennent « l'ethnie, la religion, la foi ou le système de croyances », et ils s’appliquent tous à M. McKenzie. Là encore, sans une analyse de la SAR montrant en quoi la section 3.1 s’applique ou ne s’applique pas à M. McKenzie, la conclusion selon laquelle il ne correspond pas au profil n’est ni intelligible ni raisonnable.

[43]  Toutefois, le renvoi aux « raisons relevées précédemment » pourrait concerner le dernier paragraphe, avant l’analyse des Directives sur l’OSIGEG. Dans ce paragraphe, la SAR a souligné que les instructions relatives au formulaire FDA demandaient à M. McKenzie de fournir des documents à l’appui de l’affirmation de son identité homosexuelle, et la première modification qui a été apportée ne mentionnait pas les relations homosexuelles avec MM. Hanson et Zacca. Si c’est ce à quoi se rapportait le renvoi aux « raisons relevées précédemment », il a déjà été jugé déraisonnable dans le premier argument relatif à la décision Strugar. Si ce n’est pas le cas, les raisons ne sont alors pas transparentes, intelligibles et justifiées.  

[44]  Invoquant L.A. c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1334 au paragraphe 13 (L.A.), le ministre affirme que les Directives sur l’OSIGEG ne sont pas contraignantes. La décision L.A. s’appuyait sur la décision Ahmed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1494 au paragraphe 34 (Ahmed). Le renvoi au paragraphe 34 de la décision Ahmed est une erreur typographique étant donné que la décision ne compte que 15 paragraphes. La décision Ahmed ne mentionne pas non plus si les Directives qui, dans cette affaire, étaient alors les Directives concernant la persécution fondée sur le sexe, sont contraignantes ou ne le sont pas.

[45]  Le ministre a toutefois raison quand il affirme que les Directives ne sont pas contraignantes. L’effet de la délivrance des Directives du président est énoncé dans l’Instrument de politique de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada intitulé « Directives du président ». Le paragraphe liminaire expose l’objet et le bon usage des Directives en ces termes :

Les Directives du président énoncent les principes directeurs applicables au règlement et à la gestion des cas. Elles constituent principalement un guide pour les décideurs mais également pour le personnel qui appuie les fonctions décisionnelles. Elles peuvent porter sur des questions de nature décisionnelle ou opérationnelle. Bien qu'elles ne soient pas d'application obligatoire, les directives devraient être appliquées par les décideurs, qui doivent justifier leur décision de s'en écarter, le cas échéant. La CISR a généralement recours à des Directives pour atteindre des objectifs stratégiques, plutôt que pour simplement gérer les activités quotidiennes. L'alinéa 159(1) h) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés confère au président le pouvoir de donner des directives.

[Non souligné dans l’original.]

[46]  L’Instrument de politique confirme que la CISR s’attend à ce que les Directives du president soient respectées, sauf s’il existe de bonnes raisons de s’en écarter. J’ai déjà constaté que la SAR n’avait pas exposé le cheminement intelligible ou la justification raisonnée qui l’a amenée à adjoindre un court extrait des Directives sur l’OSIGEG à sa conclusion que M. McKenzie n’était pas crédible. La nature non contraignante des Directives du président ne change rien à cette conclusion.

[47]  L’avant-dernier paragraphe [14] de la décision Ahmed aborde aussi la façon dont la Commission devrait appliquer les Directives du président et les conséquences possibles du non-respect d’une directive qui s’applique :

La Commission a de toute évidence le droit de tirer des conclusions défavorables sur la crédibilité. Cependant, dans le cas des demandes visées par un risque de persécution fondée sur le sexe, elle doit tirer ces conclusions en tenant compte du contexte social dans le cadre duquel les demandes d’asile sont déposées. J’estime que la Commission n’a pas bien évalué les circonstances dans lesquelles Mme Ahmed se trouvait et que, par conséquent, son rejet sommaire des explications fournies par la demanderesse pour expliquer son comportement était déraisonnable.

[48]  L’omission de la SAR de montrer qu’elle avait apprécié le récit de la vie, le profil personnel et la situation de M. McKenzie – son contexte social – lorsqu’elle a examiné les Directives sur l’OSIGEG souffre du même défaut que celui examiné et relevé dans la décision Ahmed. La décision de la SAR dans le cas de M. McKenzie est déraisonnable pour la même raison que celle énoncée dans la décision Ahmed.

B.  Pas de corroboration de la relation avec Courtney

[49]  La SAR a examiné l’observation de M. McKenzie voulant qu’il avait eu une relation homosexuelle avec un homme entre 1994 et 1998. Elle a constaté que « le dossier ne contient aucun document, probant ou non, à l’appui de cette allégation ».

[50]  M. McKenzie soutient que cela était prévisible étant donné que la relation avec Courtney avait eu lieu plus de 20 ans auparavant. Il affirme aussi que la SAR aurait dû appliquer les sections 3.2 et 7.2.1 des Directives sur l’OSIGEG, qui prévoient ce qui suit :

3.2  Il est possible que le témoignage de la personne soit le seul élément de preuve concernant son OSIGEG. Il se peut qu'aucun élément de preuve corroborant ou aucun élément de preuve supplémentaire ne soit normalement accessible dans une affaire donnée.

7.2.1  Dans les affaires portant sur l'OSIGEG, il se peut que les éléments de preuve corroborants de la part des membres de la famille ou des amis de la personne ne soient pas disponibles. À titre d'exemple, cette forme de corroboration peut être inexistante lorsque la personne a caché son OSIGEG en raison de la stigmatisation perçue ou du risque de préjudice.

[51]  La SAR n’a pas pris en compte la longue période qui s’est écoulée entre la fin de la relation que M. McKenzie a eue avec Courtney et sa demande d’asile. Elle n’a pas non plus renvoyé aux Directives sur l’OSIGEG et, en fait, n’a pas fait la moindre observation supplémentaire au sujet de l’absence de document à l’appui de l’allégation. Il s’agissait d’une simple affirmation.

[52]  M. McKenzie soutient que la Cour a reconnu que l’évaluation des demandes d’asile fondées sur l’orientation sexuelle comporte les difficultés inhérentes de prouver qu’un demandeur s’est livré à des activités sexuelles particulières. Par exemple, il se peut que des demandeurs n’aient plus de liens avec d’anciens partenaires sexuels pour diverses raisons : Ogunrinde c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2012 CF 760 au paragraphe 42 (Ogunrinde).

[53]  Dans le cas de M. McKenzie, il n’a plus de liens avec Courtney parce que Courtney est décédé. La SAR a omis de faire preuve de sens commun (le temps qui s’est écoulé, décès) et de prendre en compte les Directives sur l’OSIGEG (les sections 3.2 et 7.2.1) avant de trancher que la relation n’était pas corroborée.

[54]  Plus important encore, la SAR n’a fourni aucune raison expliquant pourquoi l’allégation devait être corroborée. M. McKenzie avait produit un affidavit à la SAR attestant de sa relation avec Courtney. La SAR ne s’est pas conformée à la décision Maldonado c ministre de l’Emploi et de l’Immigration [1980] 2 CF  302 [CA] (Maldonado) dans laquelle le juge Heald a statué, à la page 305, que quand un requérant jure que certaines allégations sont vraies, cela crée une présomption qu’elles le sont, à moins qu’il n’existe des raisons d’en douter.

[55]  La SAR n’a pas précisé pourquoi elle doutait de l’existence de la relation avec Courtney. Lorsqu’aucune raison n’a été donnée pour douter de la véracité de l’affidavit de M. McKenzie, il reste à la SAR un affidavit qui est présumé être véridique. Aucune corroboration n’est requise.

[56]  La décision de la SAR d’exiger que l’allégation soit corroborée sans aborder la décision Maldonado n’est pas raisonnable.

C.  Omission de Hugh-Roy Hanson de témoigner à l’audience devant la SPR

[57]  M. Hanson a écrit une lettre de soutien à M. McKenzie dans laquelle il a décrit avec un certain degré de détail ce qu’il sait de la vie de M. McKenzie, fort de l’avoir côtoyé pendant les huit années précédentes et de leur grande amitié. Il a confirmé qu’en août 2016, M. McKenzie lui avait confié qu’il s’identifiait alors en tant que membre d’une minorité sexuelle et qu’il avait décidé de demander l’asile au Canada puisqu’il craignait de retourner en Jamaïque.

[58]  La SAR a affirmé que la lettre de soutien présentée par M. Hanson « contenait une quantité impressionnante de renseignements sur la formation de sa relation avec l’appelant. » Elle a conclu que, comme la lettre ne contenait pas des renseignements qui figuraient dans le formulaire FDA de M. McKenzie, elle n’était pas crédible.

[59]  La SAR a estimé que le formulaire FDA faisait état d’éléments importants sur la formation de la relation avec l’appelant : son baptême, son intégration dans la chorale et sa nomination comme enseignant à l’école du dimanche. La SAR a signalé que ces événements sont à l’origine de rumeurs dans la communauté, et qu’il n’est pas crédible que M. Hanson n’en fasse pas mention dans sa lettre. Elle a ajouté que la comparution de M. Hanson aurait été utile et « peut‑être déterminante ».

[60]  Par conséquent, la SAR a jugé que la lettre de soutien que M. Hanson avait présentée à la SPR était entachée par le fait que celui-ci n’avait pas comparu à l’audience.

[61]  M. McKenzie souligne que la SAR n’a pas soulevé la moindre préoccupation au sujet des documents confirmant que M. Hanson avait été accepté en tant que réfugié au sens de la Convention au motif de son identité d’homme homosexuel, élément qui faisait partie de la quantité impressionnante de renseignements que ce dernier avait fournis dans la lettre de soutien qu’il a présentée à la SPR.

[62]  M. McKenzie déplore que la SPR ait omis d’analyser la lettre de soutien en fonction de ce qu’elle contenait. La SPR s’est davantage intéressée à ce que la lettre gardait sous silence, ce qui va à l’encontre de la décision Mahmud c Canada (ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 167 FTR 309.

[63]  M. McKenzie a soumis cet argument à la SAR. Cette dernière a reconnu l’argument, mais a répété l’erreur au lieu de la corriger.

[64]  La SAR a repris ce dont faisait état la lettre, puis a analysé et énoncé ce que la lettre gardait sous silence. Elle a rejeté le fait que la lettre de soutien confirmait que M. McKenzie était un homosexuel et qu’elle comportait beaucoup de renseignements d’ordre personnel parce que l’auteur, dans des parties de sa lettre, ne reflétait pas le formulaire FDA.

[65]  J’estime que cette conclusion n’est pas raisonnable. Je souscris à l’affirmation formulée par le juge Russell dans la décision Sivaraja c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 732 au paragraphe 36 où il a cité la décision Mahmud pour statuer :

La Commission a eu également tort d’écarter la lettre de la tante du demandeur parce qu’elle ne comprenait pas les détails recherchés.

[66]  La SAR souhaitait que la lettre de M. Hanson dise autre chose. Quoi qu’il en soit, elle n’en devait pas moins analyser le contenu de la lettre. Par cette omission, l’analyse de la SAR n’était pas raisonnable.

V.  Conclusion

[67]  Pour tous les motifs mentionnés plus haut, la demande de contrôle judiciaire est accueillie, et la décision de la SAR datée du 27 octobre 2017 est cassée.

[68]  Aucune partie n’a proposé de question grave de portée générale à certifier à la lumière des faits en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est accueillie. L’affaire est renvoyée à un tribunal différent de la SAR pour nouvel examen. Il n’y a pas de question grave de portée générale à certifier.

« E. Susan Elliott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 19e jour de juin 2019

Line Niquet, trad. a.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4862-17

 

INTITULÉ :

VINCENT AZARIAH MCKENZIE, BENJAMIN NATHANIEL MCKENZIE, JOSEPH MICHAEL MCKENZIE, JOSHUA HOSEA MCKENZIE c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 mai 2018

 

JUGEMENT et MOTIFS :

lA juge ELLIOTT

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1ER MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Adrienne Smith

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Sally Thomas

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Jordan Battista LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

pour le défendeur

 

 

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