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Date : 19980817

Dossier : T-1045-98

                                                                             

ENTRE :

                                                        GUNTHER R. MUNZEL,

demandeur,

                                                                          - et -

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE,

défenderesse.

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

JOHN A. HARGRAVE,

PROTONOTAIRE

[1]         La défenderesse demande la radiation de la présente action, soit au motif que le demandeur n'a pas la qualité requise pour l'intenter, soit parce que la déclaration ne révèle aucune cause d'action valable, qu'elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire, ou qu'elle constitue un abus de procédure. Pour le premier motif énoncé, la défenderesse a gain de cause.

CONTEXTE

[2]         Bien qu'assez difficile à suivre, la déclaration de M. Munzel se veut une présentation de son point de vue portant que la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.) et la Loi sur les normes des prestations de pension, L.R.C. 1985, ch. P-7, permettent aux employeurs non seulement de s'abstenir de cotiser à la caisse de retraite, mais aussi de récupérer à même les caisses de retraite les sommes que les calculs actuariels désignent comme excédentaires. À son avis, de telles pratiques sont abusives et inconstitutionnelles. Il s'inquiète du fait que des prévisions actuarielles erronées pourraient mener à un déficit dans les caisses de retraite. Dans sa déclaration, le demandeur présente certains exemples et une jurisprudence abondante. Dans ce contexte, il fait état de son intérêt pour ces questions en tant que personne qui reçoit une retraite d'une banque à charte. Il ajoute toutefois qu'étant donné son âge et son état de santé, il est peu probable qu'il tire un avantage personnel d'une décision favorable. Il a toutefois ajouté, dans ses plaidoiries orales, que son épouse pourrait être touchée.

[3]         La défenderesse soutient que le demandeur n'a pas qualité en droit pour intenter la présente action. Elle ajoute aussi que l'action devrait être radiée en vertu de la Règle 221 des Règles de la Cour fédérale vu qu'elle ne révèle aucune cause d'action qu'elle est scandaleuse, frivole ou vexatoire, ou qu'elle constitue un abus de procédure.

ANALYSE

Radiation de la déclaration au motif qu'elle est frivole, vexatoire ou abusive

[4]         Le demandeur se représente lui-même et il semble sincère dans sa démarche. Bien qu'il ait fait un effort considérable pour préparer sa déclaration, cette dernière est déficiente et pourrait être radiée en vertu de la Règle 221 pour manque de faits précis et pour abus de procédure. En effet, il serait très difficile pour la Cour de donner suite à la déclaration dans sa forme actuelle.

[5]         Plus spécifiquement, M. Munzel affirme, tant dans ses plaidoiries orales qu'écrites, que sa déclaration est claire et qu'elle contient un nombre suffisant de faits et de détails précis. Même en faisant abstraction du fait que la déclaration est truffée d'affirmations non étayées, je constate que M. Munzel n'a pas fait de distinction entre les exemples et le droit, d'une part, et les faits et détails précis, d'autre part. Bien que la première de ces catégories ait un aspect concret, elle n'est constituée que d'outils permettant d'illustrer et de trancher une question qui doit être fondée sur des faits et détails précis, soit les détails pertinents et personnels sur la situation personnelle de M. Munzel. On trouve ici peu de faits et détails précis qui répondent à cette définition en ce qu'ils se rattacheraient directement à la situation personnelle de M. Munzel en tant que retraité jouissant d'un régime de retraite de compétence fédérale, parce qu'il n'est pas touché par la législation qu'il considère devoir être mise en cause. Bien que je sois tenu de présumer de la véracité des faits présentés dans la déclaration, je serais tout à fait prêt à radier la déclaration au motif qu'elle est frivole ou vexatoire, ou qu'elle constitue un abus de procédure parce qu'elle n'a aucune chance de succès telle que rédigée. Dans ce cas, M. Munzel pourrait toutefois vouloir modifier sa déclaration. Il s'agirait là d'une démarche futile, étant donné que M. Munzel, n'étant admissible à aucun bénéfice, n'a pas qualité pour agir. C'est pour ce motif, que je vais maintenant exposer, que j'ai décidé de radier l'action.

Qualité pour agir

[6]         Avant de s'adresser aux tribunaux, une personne doit être touchée ou brimée, ou alors avoir un intérêt suffisant pour justifier la procédure. Selon l'expression de Jones et de Villars, dans Principles of Administrative Law, 1994, Carswell, à la page 485, [TRADUCTION] « ... les importuns doivent s'abstenir » . Ils se fondent notamment sur les arrêts Gouriet c. Union of Post Office Workers, [1978] A.C. 435 (H.L.) et League for Life in Manitoba Inc. c. Morgentaler, (1985) 4 W.W.R. 633 (B.R. Man.).

[7]         Je ne veux pas dire par là que je considère que M. Munzel est un importun au sens péjoratif du terme, mais il est bien établi qu'aucune personne ne peut prendre sur elle de s'adresser aux tribunaux et d'intenter des poursuites en son nom propre à moins que son objectif soit de protéger ses droits privés ou de contester un droit qui est revendiqué contre elle. En l'espèce, M. Munzel reconnaît que ses droits privés n'ont été ni mis en cause, ni enfreints. Bien qu'un droit public puisse être en cause, savoir celui d'un autre groupe donné de retraités, M. Munzel n'a jusqu'ici subi aucun préjudice et il ne croit pas qu'il en subira à l'avenir. Ceci peut être analysé dans le contexte de la qualité requise pour intenter une action au moyen du cadre fixé par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1992] 1 R.C.S. 236. En prononçant le jugement de la Cour, le juge Cory a énoncé ainsi les principes permettant d'établir la qualité pour agir dans l'intérêt public :

On a vu qu'il faut tenir compte de trois aspects lorsqu'il s'agit de déterminer s'il y a lieu de reconnaître l'intérêt pour agir dans l'intérêt public. Premièrement, la question de l'invalidité de la loi en question se pose-t-elle sérieusement? Deuxièmement, a-t-on démontré que le demandeur est directement touché par la loi ou qu'il a un intérêt véritable quant à sa validité? Troisièmement, y a-t-il une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour? (page 253)

Je dois donc examiner d'abord si la question de l'invalidité se pose sérieusement, ensuite si M. Munzel a un intérêt véritable et, finalement, s'il y a une autre manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour.

(1)         Question sérieuse quant à l'invalidité

[8]         Dans sa déclaration, le demandeur allègue que la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur les normes des prestations de pension, ou certaines de leurs parties, sont inconstitutionnelles (paragraphe 14 de la déclaration). Toutefois, M. Munzel ne précise pas en quoi ces lois seraient inconstitutionnelles. L'idée que le simple dégoût face à une loi ou un intérêt général à en faire vérifier la validité ne suffisent pas à établir la qualité pour ester en justice est exprimée, quoiqu'en dissidence, par le juge en chef Laskin dans Ministre de la Justice du Canada c. Borowski, [1981] 2 R.C.S. 575 :

Je commence par l'énoncé que, en règle générale, une personne ne peut, simplement parce qu'elle est un citoyen, un contribuable ou les deux à la fois, s'en remettre à la cour compétente pour obtenir une décision sur l'interprétation ou l'application d'une loi, ou sur sa validité, lorsque cette personne n'est pas directement touchée par la loi ou qu'elle n'est pas menacée de sanctions pour une infraction possible à la loi. Le simple dégoût n'a jamais été un motif pour demander l'intervention d'une cour. À moins que la loi elle-même ne permette à un citoyen ou un contribuable de contester sa portée, son application ou sa validité, la politique dominante veut que celui qui conteste la loi établisse quant à l'application de la loi, qu'il a un intérêt particulier plus grand que l'intérêt général de chaque individu dans un groupe donné. (page 578)

Le juge en chef Laskin ajoute que les cours ne s'occupent généralement pas de « ... questions abstraites simplement pour satisfaire la curiosité d'une personne ou apaiser sa hantise face à ce qu'elle croit être une injustice de la loi » . (page 579)

[9]         En l'espèce, M. Munzel croit avoir décelé une injustice qui aurait pour résultat le sous-financement de certaines caisses de retraite. Il croit que son point de vue est justifié par une analyse du financement des retraites ainsi que du droit en vigueur. Toutefois, je ne suis pas d'avis que la déclaration de M. Munzel soulève quelque question importante quant à la validité de la législation sur les retraites. Ce dont il est question ici, c'est plutôt du dégoût que M. Munzel ressent face à la législation en cause et à la latitude qu'il croit qu'elle accorde aux employeurs.

(2)         Démonstration de l'existence d'un intérêt véritable

Il ressort de la déclaration fait ressortir que M. Munzel est une personne âgée à la retraite qui reçoit, probablement en vertu d'un régime qui est réglementé par la Loi sur les normes des prestations de pension, des prestations de retraite d'une banque non identifiée. La complication en l'instance vient du fait que M. Munzel ne dit pas être personnellement touché par le manque à contribuer de l'employeur ou par la récupération par l'employeur des sommes excédentaires d'une caisse de retraite. Il affirme même que [TRADUCTION] « ... il est peu probable que le demandeur puisse profiter de l'introduction des changements dont il est question dans la présente déclaration ... » mais que l'action entreprise est [TRADUCTION] « ... au bénéfice de ceux qui pourraient difficilement défendre leurs droits et privilèges ou qui n'en ont pas les moyens ... » (paragraphe 12 de la déclaration).

[11]       Dans sa déclaration, le demandeur ne démontre pas qu'il a un intérêt véritable. De plus, il n'y a aucune raison de croire qu'il n'y a pas d'autres personnes ayant un intérêt véritable qui pourraient présenter une demande similaire.

(3)         Autres manières raisonnables et efficaces de soumettre la question aux tribunaux

[12]       On peut démontrer de deux façons qu'il y a au moins quelques autres personnes qui ont un intérêt véritable et qui peuvent avoir été directement touchées par la législation contestée. Premièrement, M. Munzel admet que bien qu'il ne soit pas directement touché et qu'il ne le sera pas dans l'avenir, il n'en va pas de même pour son épouse, qui est plus jeune. Deuxièmement, les tribunaux ont déjà été saisis de questions relatives aux régimes de retraite, notamment en ce qui concerne les périodes d'exonération de cotisations et la législation habilitante. D'ailleurs, M. Munzel renvoie à plusieurs affaires similaires dans sa déclaration, sans toutefois donner des références précises. L'avocate de la défenderesse renvoie à plusieurs affaires similaires, notamment Schmidt c. Air Products of Canada, [1994] 2 R.C.S. 611, portant sur la disposition de sommes excédentaires à la liquidation de deux régimes de retraite privés; Hockin V. Bank of British Columbia (1990) 46 B.C.L.R. (2d) 382 (C.A.B.-C.), portant sur le retrait de sommes excédentaires d'une caisse de retraite; et C.U.P.E. - C.L.C. Local 1000 V. Ontario Hydro (1989) 58 D.L.R. (4th) 552 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée (1989) 104 N.R. 320, portant sur une période d'exonération de cotisations. Malgré le fait que M. Munzel adopte une attitude méritoire en cherchant à obtenir une réparation au nom d'autres personnes qu'il dit ne pas pouvoir se défendre eux-mêmes, aucune preuve n'établit que les personnes ayant qualité ne peuvent présenter leur propre cause devant les tribunaux. En fait, c'est le contraire qui est vrai.

CONCLUSION

[13]       M. Munzel a consenti des efforts considérables pour se présenter devant la Cour fédérale afin d'attirer l'attention sur ce qu'il considère en toute sincérité être des dispositions de la législation fédérale sur les retraites qui favorisent les employeurs au détriment des participants. Il n'existe toutefois pas de mécanisme permettant à un citoyen de réclamer des tribunaux le redressement d'une situation qu'il considère inéquitable lorsqu'il n'est pas spécifiquement touché.

[14]       En l'espèce, les droits privés de M. Munzel en vertu de la loi n'ont pas été mis en cause ou enfreints. Il n'a donc aucun intérêt véritable. Il se peut que les droits de certaines autres personnes participant à des régimes de retraite relevant de la législation fédérale aient été enfreints, ou que ces personnes aient subi des dommagesou qu'elles eu appréhendent. Si c'est le cas, ces personnes peuvent s'adresser aux tribunaux en leur nom propre. M. Munzel n'a pas qualité pour se substituer à elles dans de telles procédures.

[15]       Bien que je n'aie pas eu recours à l'article 221 des Règles de la Cour fédérale pour radier l'action comme ne révélant en elle-même aucune cause d'action valable, ou comme étant scandaleuse, frivole ou vexatoire, ou comme constituant un abus de procédure, cette règle (autrefois la règle 419) peut être utilisée pour radier des plaidoiries lorsque le demandeur n'a pas qualité : voir Conseil canadien des Églises c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), (1989) 27 F.T.R. 129 (lre inst.); (1990) 106 N.R. 61 (C.A.F.), et [1992] 1 R.C.S. 236. Dans Conseil canadien des Églises, la Cour suprême a confirmé la décision de la Cour d'appel fédérale de radier des parties importantes de la déclaration en partant du principe qu'il fallait établir un équilibre entre l'accès aux tribunaux accordé aux personnes plaidant l'intérêt public et la nécessité d'économiser les ressources judiciaires afin que les tribunaux ne soient pas submergés par une prolifération de poursuites insignifiantes ou redondantes intentées par des personnes bien intentionnées (voir les pages 249 et 252). Je ne m'appuie toutefois pas indûment sur la possibilité que les tribunaux soient submergés par des poursuites insignifiantes ou redondantes, car un demandeur qui introduit une action qui a une chance de succès, si mince soit-elle, ne devrait pas être privé de la possibilité d'obtenir un jugement. En fait, c'est avec beaucoup de prudence que je dois exercer ma compétence de radier une déclaration, et seulement dans les cas où il est clair, patent et indubitable que le

demandeur ne peut obtenir gain de cause. L'action de M. Munzel est futile, puisqu'il n'a pas qualité pour l'introduire. Elle est donc radiée sans autorisation de modification.

                                                                                                (Signé) "John A. Hargrave"

                                                                                                            Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 17 août 1998.

Traduction certifiée conforme :

                                 

Bernard Olivier, LL.B.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA, SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DATE DE L'AUDIENCE :    le 10 août 1998

N0 DU GREFFE :                                           T-1045-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :             GUNTHER R. MUNZEL

                                                            c.

                                                            SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                  Vancouver (C.-B.)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

datés du 17 août 1998

ONT COMPARU :

        M. Gunther Munzel                                    pour le demandeur

                                                                             en son nom

        Mme Adrienne Mahaffey                             pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg                                               pour la défenderesse

Sous-procureur général

du Canada

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