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Date : 20190430


Dossier : T‑909‑18

Référence : 2019 CF 544

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 30 avril 2019

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

HRANT (GRANT) ZADOYAN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, M. Hrant (Grant) Zadoyan, sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue le 17 novembre 2017 par la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale (la division d’appel).

[2]  La division d’appel a rejeté, en application de l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, LC 2005, c 34, (la LMEDS), la demande de permission d’en appeler de la décision rendue en mars 2017 par la division générale du Tribunal de la sécurité sociale (la division générale). La division générale avait conclu que l’appel interjeté par M. Zadoyan à l’égard de la décision de la Commission de l’assurance‑emploi du Canada (la Commission) concernant la conclusion que l’indemnité de départ reçue par M. Zadoyan constituait un revenu qui devait être déduit de ses prestations d’assurance‑emploi (AE) n’avait aucune chance raisonnable de succès.

I.  Contexte

[3]  Les faits ne sont pas contestés. M. Zadoyan a fait une demande de prestations d’AE en août 2014 après avoir été licencié par son employeur. Au moment de présenter sa demande, il a informé Service Canada que son employeur lui avait versé une indemnité de départ. L’agent de Service Canada ne semble pas avoir tenu compte de ce renseignement ou l’avoir indiqué au dossier de façon à ce que les mesures qui s’imposent soient prises. M. Zadoyan a commencé à recevoir des prestations d’AE le 22 août 2014. Plus d’un an plus tard, en septembre 2015, la Commission a informé M. Zadoyan que l’indemnité de départ versée par son employeur constituait de la rémunération (un revenu) et qu’une telle rémunération devait être répartie sur la période de prestations d’AE. La Commission a indiqué qu’elle avait calculé la répartition et que, suivant ce calcul, M. Zadoyan avait reçu un versement excédentaire au titre des prestations d’AE de 11 822 $, qu’il devait rembourser.

[4]  M. Zadoyan a demandé le réexamen de cette décision, soulignant qu’il avait informé Service Canada de son indemnité de départ lorsqu’il a présenté sa demande, qu’il avait fourni tous les documents nécessaires et que Service Canada avait tardé à l’aviser de son erreur. Comme il l’a affirmé devant la Cour, il a également indiqué qu’une grande partie de son indemnité de départ avait été transférée directement dans un REER et que le retrait de sommes du REER entraînerait des pénalités et aurait des incidences fiscales. Il a ajouté que, s’il avait su que l’indemnité de départ aurait une incidence sur sa demande d’AE, il n’aurait même pas présenté de demande. 

[5]  La Commission a réexaminé la décision et la répartition de la rémunération. Cependant, la décision est restée la même.

[6]  M. Zadoyan a ensuite interjeté appel de la décision issue du réexamen devant la division générale. Cette dernière s’est penchée sur la question de savoir si les sommes reçues à titre d’indemnité de départ constituaient de la rémunération et si la rémunération avait été correctement répartie sur les semaines de la période de prestations d’AE. La division générale a examiné les dispositions applicables de la Loi sur l’assurance‑emploi, LC 1996, c 23 (la LAE) et du Règlement sur l’assurance‑emploi, DORS/96‑332, (le Règlement), a conclu qu’aucune erreur n’avait été commise et a confirmé la décision de la Commission. En ce qui a trait à l’observation du demandeur selon laquelle la Commission était responsable de l’erreur et de sa découverte tardive, la division générale a indiqué que la Commission avait mis du temps à obtenir certains renseignements de l’employeur. Elle a en outre indiqué qu’elle n’avait pas compétence pour décider de défalquer ou non la somme due.

[7]  M. Zadoyan a interjeté appel de la décision de la division générale devant la division d’appel en application de l’article 55 de la LMEDS.

II.  Décision de la division d’appel faisant l’objet du contrôle

[8]  La division d’appel a noté qu’un appel n’est pas automatique et doit être autorisé. Elle a refusé d’accorder cette autorisation après avoir conclu que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[9]  La division d’appel a indiqué que la LMEDS ne prévoit que trois moyens d’appel limités et qu’aucun de ces moyens n’était applicable.

[10]  La division d’appel a examiné l’observation du demandeur selon laquelle la division générale avait mal exposé les faits lorsqu’elle a dit que les délais étaient attribuables au temps nécessaire pour recueillir de l’information auprès de l’employeur du demandeur. La division d’appel a noté que, même si tel était le cas, cela n’aurait eu aucune incidence sur la question de savoir si l’indemnité de départ constituait de la rémunération et la manière dont cette rémunération devait être répartie.

[11]  La division d’appel a également examiné l’argument du demandeur voulant que la division générale ait ignoré ses observations concernant les incidences de l’erreur de la Commission et de l’obligation de rembourser le versement excédentaire. La division d’appel a fait remarquer que ces incidences pourraient être pertinentes pour une demande d’exonération du paiement de la dette, mais qu’elles ne l’étaient pas pour les questions relevant de la compétence de la division générale.

[12]  La division d’appel a indiqué que la question ne portait pas sur le caractère équitable des actions de la Commission ou du recouvrement de la dette. La seule question en litige était la répartition de la rémunération sur la période de prestations, laquelle n’était pas contestée. La division d’appel a conclu que l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès et a rejeté la demande de permission.

III.  Norme de contrôle

[13]  Dans la décision Bose c Canada (Procureur général), 2018 CAF 220, [2018] ACF no 1215 (QL), la Cour d’appel fédérale a expliqué la nature d’un appel devant la division d’appel et la nature d’un contrôle judiciaire devant la Cour, indiquant ce qui suit au paragraphe 6 :

Aux termes du paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 (LMEDS), la division d’appel ne peut intervenir au sujet d’une décision de la division générale que lorsque la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle, a rendu une décision entachée d’une erreur de droit ou a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire. La mission de notre Cour, lorsqu’elle est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la division d’appel, consiste à déterminer si la prise en considération des facteurs énoncés au paragraphe 58(1) et la décision à cet égard étaient raisonnables (Quadir c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 21; Cameron c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 100, au paragraphe 6; Garvey c. Canada (Procureur général), 2018 CAF 118, aux paragraphes 7 et 8).

[14]  Dans le présent contrôle judiciaire, la question est de savoir si le refus de la division d’appel d’accorder la permission d’interjeter appel, ce qui est en fait un rejet de l’appel de M. Zadoyan, est raisonnable au sens où l’entend la jurisprudence.

[15]  Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour s’intéresse « à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190).

[16]  Comme je l’ai relevé dans des affaires de contrôle judiciaire semblables visant des décisions du Tribunal de la sécurité sociale, la norme de la décision raisonnable est une notion juridique qui a été interprétée par la jurisprudence. Elle ne s’accorde probablement pas avec ce qu’un demandeur devant notre Cour considérerait comme raisonnable selon le sens habituellement attribué à ce terme ou compte tenu des circonstances qui lui sont propres. Le contrôle judiciaire ne répond pas non plus aux préoccupations profondes du demandeur concernant les raisons pour lesquelles l’erreur initiale a été commise et celles pour lesquelles il doit en subir les conséquences.

IV.  Observations du demandeur

[17]  Dans le cadre du contrôle judiciaire, M. Zadoyan a soulevé les questions qu’il avait soulevées devant la division générale et la division d’appel.

[18]  M. Zadoyan fait également valoir qu’il n’a jamais su pourquoi la Commission avait commis l’erreur en question et pourquoi il lui avait fallu plus d’un an pour l’aviser et lui demander le remboursement. Il ne conteste pas les dispositions de la LAE et du Règlement, si ce n’est que pour souligner qu’il est mal placé pour comprendre l’interaction entre les diverses dispositions. Il se demande si la Commission a une limite de temps pour corriger ses propres erreurs. 

V.  Observations du défendeur

[19]  Le défendeur fait valoir que la division d’appel n’a pas commis d’erreur en concluant que l’appel de M. Zadoyan n’avait aucune chance raisonnable de succès. Il affirme que la division générale a eu raison de rejeter l’appel de M. Zadoyan à l’égard de la décision portant que l’indemnité de départ constituait de la rémunération et devait être répartie sur certaines semaines de la période de prestations d’AE. Cette conclusion était fondée sur l’application de la LAE et du Règlement. La division générale n’a pas non plus commis d’erreur en concluant qu’elle n’avait pas compétence pour traiter la demande de M. Zadoyan, par laquelle il demandait que sa dette soit défalquée.   

[20]  Selon le défendeur, comme la division générale n’avait pas commis d’erreur, la division d’appel n’avait aucune raison d’intervenir. Elle n’a, de façon raisonnable, trouvé aucune erreur dans la décision de la division générale, laquelle a appliqué des principes juridiques établis à des faits non contestés. Autrement dit, l’appel n’avait aucune chance raisonnable de succès.

[21]  Le défendeur affirme que le paragraphe 58(1) de la LMEDS limite le pouvoir d’intervention de la division d’appel dans une décision de la division générale et qu’aucun des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) ne s’applique.

VI.  Absence d’erreur de la part de la division d’appel

[22]  Le paragraphe 58(1) de la LMEDS prévoit ce qui suit :

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

58 (1) The only grounds of appeal are that

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

[23]  En termes simples, les moyens d’appel se limitent à : a) un manquement à l’équité procédurale quant à la procédure devant le décideur, comme la question de savoir si un demandeur a eu la possibilité de présenter des observations; b) une erreur de droit, comme l’application de dispositions législatives ou de principes jurisprudentiels incorrects; et c) une erreur de fait, comme ne pas tenir compte d’un fait pertinent ou mal le comprendre.

[24]  Il n’y a aucune allégation de manquement à l’équité procédurale ou d’erreur de droit et, de fait, il n’y a eu aucune violation.

[25]  En l’espèce, M. Zadoyan fait valoir qu’une erreur a été commise à l’égard des faits. Cependant, les faits susceptibles d’avoir été mal exposés ne peuvent avoir une incidence sur la conclusion que son indemnité de départ constituait un revenu et que, conformément à la LAE et au Règlement, ces sommes doivent être déduites des prestations d’AE reçues.

[26]  Bien que le traitement de l’indemnité de départ ne semble pas être contesté, dans la décision Canada (Procureur général) c Boucher Dancause, 2010 CAF 270, au paragraphe 2, [2010] ACF no 1273 (QL), il convient de souligner que la Cour d’appel fédérale a confirmé que les sommes versées par un employeur à titre d’indemnité ont valeur de rémunération de l’employé au sens du Règlement.

[27]  La décision de la division d’appel est raisonnable. La division d’appel a appliqué le droit aux faits et a tiré la seule conclusion possible.

[28]  Les préoccupations de M. Zadoyan concernant la décision et son incidence ne peuvent être examinées dans le cadre d’un contrôle judiciaire. S’il est important, pour assurer l’équité procédurale, que les décisions du Tribunal de la sécurité sociale soient susceptibles de contrôle judiciaire, il faut reconnaître que le fait que, par lettre, le Tribunal mentionne la possibilité qu’un demandeur se prévale de ce recours peut susciter de faux espoirs quant à la perspective de voir l’issue d’une affaire modifiée. Comme il est indiqué précédemment, lors d’un contrôle judiciaire, la Cour joue un rôle très limité. Lorsque la division d’appel n’a commis aucune erreur, la Cour ne peut que confirmer la décision. Elle ne peut pas modifier les dispositions législatives pour remédier à la situation d’une personne.

[29]  En l’espèce, M. Zadoyan aurait peut-être profité d’un processus un peu plus informel.

[30]  Je comprends que M. Zadoyan soit mécontent de la situation, étant donné qu’il a fourni des renseignements exacts à Service Canada lorsqu’il a présenté sa demande de prestations d’AE et qu’il n’a été informé du versement excédentaire que plus d’un an plus tard. Il paraît simple d’informer les prestataires d’AE dès le début du processus que toute somme reçue à titre d’indemnité de départ constitue de la rémunération et aura une incidence sur les prestations d’AE, et que les versements excédentaires seront recouvrés. Cela ne semble pas avoir été fait; ainsi, M. Zadoyan a plutôt supposé qu’il avait droit aux sommes reçues.

[31]  La remarque dans la décision de la division d’appel concernant la [traduction] « recommandation » d’envisager une exonération du remboursement du versement excédentaire a amené la Cour à s’informer des progrès faits à cet égard. La Cour a été avisée qu’une exonération avait été accordée dans une faible mesure. Cette décision n’est pas visée par la présente demande de contrôle judiciaire et il ne convient pas de faire d’autres commentaires à ce sujet.


JUGEMENT dans le dossier T‑909‑18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Catherine M. Kane »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de juin 2019.

Sophie Reid‑Triantafyllos, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑909‑18

 

INTITULÉ :

HRANT (GRANT) ZADOYAN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 15 avril 2019

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA juge KANE

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 30 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

M. Hrant (Grant) Zadoyan

POUR LE DEMANDEUR

 

M. Matthew Vens

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aucun

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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