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Date : 20190503


Dossier : IMM-3975-18

Référence : 2019 CF 576

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 3 mai 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

demandeur

et

ABRAHAM SEWONET ABATNEH

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI) qui a accueilli l’appel de M. Abatneh pour des motifs d’ordre humanitaire, annulant le rejet de la demande de parrainage présentée par M. Abatneh afin que sa mère obtienne le statut de résidente permanente. Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[2]  M. Abatneh est résident permanent du Canada depuis 2003. En février 2009, alors qu’il était résident permanent et vivait à Ottawa, il a présenté une demande de parrainage de sa mère en Éthiopie au titre du regroupement familial. Depuis, il est devenu citoyen canadien et a vécu principalement à l’étranger avec son épouse, qui travaille pour le gouvernement fédéral à l’étranger. Pendant son séjour à l’étranger, M. Abatneh a travaillé au sein de plusieurs organisations non gouvernementales (ONG). En décembre 2012, l’agent a refusé sa demande de parrainage, concluant qu’il ne satisfaisait pas aux exigences relatives à la qualité de répondant prévues à l’alinéa 130(1)b) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés DORS/2002-227 (le Règlement). La demande de résidence permanente de la mère ayant été refusée, M. Abatneh a interjeté appel à la SAI, qui a accueilli son appel pour des motifs d’ordre humanitaire, soulignant les liens étroits du couple avec le Canada et le travail de Mme Abatneh pour le Canada.

II.  Analyse

[3]  La seule question à trancher est celle de savoir si la décision de la SAI de prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire était raisonnable. L’interprétation que la SAI fait de sa propre loi constitutive est assujettie à la norme de la décision raisonnable (Sendwa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 569, au paragraphe 40). L’article 65 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 (la Loi) établit les circonstances dans lesquelles la SAI peut prendre en considération des motifs d’ordre humanitaire :

65.  Dans le cas de l’appel visé aux paragraphes 63(1) ou (2) d’une décision portant sur une demande au titre du regroupement familial, les motifs d’ordre humanitaire ne peuvent être pris en considération que s’il a été statué que l’étranger fait bien partie de cette catégorie et que le répondant a bien la qualité réglementaire.

 

65.  In an appeal under subsection 63(1) or (2) respecting an application based on membership in the family class, the Immigration Appeal Division may not consider humanitarian and compassionate considerations unless it has decided that the foreign national is a member of the family class and that their sponsor is a sponsor within the meaning of the regulations.

 

[Je souligne]

[Emphasis added]

[4]  L’article 130 du Règlement définit ainsi la qualité de « répondant » :

130 (1) Sous réserve des paragraphes (2) et (3), a qualité de répondant pour le parrainage d’un étranger qui présente une demande de visa de résident permanent au titre de la catégorie du regroupement familial ou une demande de séjour au Canada au titre de la catégorie des époux ou conjoints de fait au Canada aux termes du paragraphe 13(1) de la Loi, le citoyen canadien ou résident permanent qui, à la fois :

 

130 (1) Subject to subsections (2) and (3), a sponsor, for the purpose of sponsoring a foreign national who makes an application for a permanent resident visa as a member of the family class or an application to remain in Canada as a member of the spouse or common-law partner in Canada class under subsection 13(1) of the Act, must be a Canadian citizen or permanent resident who

[…]

[…]

 

b) réside au Canada;

 

(b) resides in Canada; and

[5]  Le demandeur soutient que l’article 65 de la Loi empêche expressément la SAI d’examiner les motifs d’ordre humanitaire parce que (i) M. Abatneh n’a pas qualité de répondant au sens de l’article 130 du Règlement et (ii) la SAI n’avait pas compétence pour examiner les motifs d’ordre humanitaire.

[6]  Le demandeur fait également remarquer, et M. Abatneh est d’accord, que la SAI n’a pas expressément conclu qu’il ne résidait pas au Canada, un facteur exigé par l’alinéa 130(1)b) du Règlement. Le demandeur affirme toutefois qu’on peut présumer que la SAI a conclu que M. Abatneh ne réside pas au Canada étant donné qu’elle a (i) appliqué les critères énoncés dans la décision Gao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CanLII 48092 (CA CISR); (ii) fait remarquer que le législateur n’a pas prévu d’exception à l’alinéa 130(1)b) du Règlement comme il l’a fait à l’article 28 de la Loi, qui permet au résident permanent de se conformer à son obligation de résidence s’il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux et qui travaille à l’étranger pour le gouvernement du Canada ou une administration canadienne. M. Abatneh soutient que la SAI a accueilli l’appel après avoir raisonnablement fondé sa conclusion sur sa résidence à l’étranger.

[7]  À mon avis, la SAI devait d’abord répondre à la question de savoir si M. Abatneh « réside au Canada » conformément à l’alinéa 130(1)b) du Règlement. Ce n’est qu’après avoir rendu cette décision qu’elle aurait pu se conformer à l’article 65 de la Loi et prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire.

[8]  Les deux parties conviennent, et je suis d’accord, que la SAI n’a formulé aucune conclusion expresse au sujet de la résidence de M. Abatneh. Toutefois, il semble que la SAI ait tiré une conclusion implicite selon laquelle M. Abatneh ne réside pas au Canada étant donné qu’elle a ensuite examiné les motifs d’ordre humanitaire.

[9]  Sans s’être prononcée au sujet de la résidence de M. Abatneh, la SAI s’est fondée sur la décision Iao c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1253 pour examiner les motifs d’ordre humanitaire. En fait, j’estime que la SAI n’avait pas la compétence pour le faire. Je suis d’accord avec l’argument du demandeur selon lequel la SAI a mal interprété la conclusion que la Cour a tirée dans la décision Iao pour justifier la disponibilité de motifs d’ordre humanitaire et faire droit à l’appel. Dans la décision Iao, le juge en chef a confirmé la conclusion de la SAI selon laquelle l’article 65 de la Loi l’empêchait de prendre en considération les motifs d’ordre humanitaire après avoir conclu expressément que Mme Iao ne résidait pas au Canada comme l’exige l’alinéa 130(1)b) du Règlement (aux paragraphes 45 et 46).

[10]  Pour cette raison, je conclus que l’analyse par la SAI des motifs d’ordre humanitaire était déraisonnable. Pour entreprendre l’analyse des motifs d’ordre humanitaire, il aurait d’abord fallu conclure que M. Abatneh répondait à la définition de répondant par la double application de l’article 65 de la Loi et de l’alinéa 130(1)b) du Règlement. En fait, si la SAI avait conclu que M. Abatneh n’était pas un répondant au sens du Règlement, elle n’avait pas compétence pour poursuivre une analyse des motifs d’ordre humanitaire.

[11]  Bien qu’il convienne de faire preuve de retenue à l’égard de la SAI lorsqu’elle s’acquitte de son obligation d’interpréter sa loi constitutive, son omission de tirer une conclusion sur cette question rend sa décision inintelligible, puisqu’elle a manqué à cette obligation.

[12]  En conclusion, j’aimerais faire quelques observations. M. Abatneh s’est représenté lui-même devant la Cour fédérale. Il a fait un travail exemplaire à cet égard, certainement aussi bon que de nombreux avocats qui comparaissent devant la Cour. Toutefois, comme il lui a été expliqué au cours de l’audience, ni lui ni aucun avocat n’auraient pu modifier la décision sous-jacente qui était fondamentalement viciée à la fois dans son interprétation de la loi (comme il a été expliqué ci-dessus) et dans la jurisprudence sur laquelle repose l’interprétation du droit (Iao).

[13]  Le demandeur a clairement indiqué à M. Abatneh qu’il s’agissait d’une affaire très inhabituelle qui attire la sympathie, et il a mentionné qu’il était difficile pour le demandeur de prendre une position qui va effectivement à l’encontre d’un employé du gouvernement du Canada. Toutefois, l’avocate du demandeur a expliqué que la loi doit s’appliquer également à tous, y compris M. Abatneh et son épouse. Elle a fait remarquer que, bien que le législateur ait jugé approprié d’accorder certaines exemptions à l’obligation de résidence dans le contexte des demandes de résidence permanente et de citoyenneté, le législateur a choisi de ne pas appliquer une telle exemption dans le contexte d’une demande de parrainage présentée par un résident permanent du Canada. Malheureusement, M. Abatneh avait qualité de résident permanent au moment de sa demande de parrainage, même s’il était devenu citoyen canadien au moment de son appel devant la SAI, comme l’a reconnu le commissaire dans sa décision.

[14]  Ainsi, la Cour compatit avec M. Abatneh. Il semble mener une vie exemplaire en tant qu’immigrant au Canada, et maintenant un citoyen canadien, ayant appuyé son épouse dans son rôle d’agente du service extérieur dans le domaine de l’immigration, où elle a servi au Canada et à l’étranger dans des affectations difficiles, rendant de précieux services à l’étranger au nom du Canada. M. Abatneh l’a accompagnée dans ses affectations et aidée à élever leurs trois enfants, tout en accomplissant un travail important à l’international pour des ONG.

[15]  Cela dit, le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire consiste à examiner la décision contestée. Ce faisant, il est devenu évident que l’analyse juridique présentait des lacunes et que, par conséquent, la décision ne peut être maintenue et sera renvoyée en vue d’un nouvel examen.

III.  Conclusion

[16]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SAI est annulée, et l’affaire est renvoyée pour un nouvel examen par un autre commissaire. Au moment du nouvel examen, la SAI doit tirer une conclusion explicite quant au lieu de résidence de M. Abatneh.


JUGEMENT dans le dossier IMM-3975-18

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de contrôle judiciaire est accueillie.

  2. La décision est annulée, et l’affaire est renvoyée à la SAI pour nouvel examen par un autre commissaire.

  3. Aucune question n’a été soumise aux fins de certification, et l’affaire n’en soulève aucune.

  4. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Alan S. Diner »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 29e jour de mai 2019.

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3975-18

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION ET DE LA CITOYENNETÉ c. ABRAHAM SEWONET ABATNEH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 3 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Me Patricia Nobl

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Abraham Sewonet Abatneh

 

POUR LE DÉFENDEUR

POUR SON PROPRE COMPTE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

 

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