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Date : 20190503


Dossier : T-321-19

Référence : 2019 CF 573

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2019

En présence de monsieur le juge Lafrenière

ENTRE :

SATINDER PAUL SINGH DHILLON ET EMMET TISDALE PIERCE, EN SA QUALITÉ D'AGENT PRINCIPAL

demandeurs

et

MAXIME BERNIER, CHRISTIAN ROY, EN SA QUALITÉ D'AGENT PRINCIPAL, ET THE PEOPLE'S PARTY OF CANADA

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La Cour est saisie d’une requête en injonction interlocutoire présentée par les demandeurs, Satinder Paul Singh Dhillon et Emmet Tisdale Pierce, contre les défendeurs, Maxime Bernier, Chistian Roy – en sa qualité d’agent principal –, et le People’s Party of Canada, sur le fondement de l’article 373 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 [les RCF] Les demandeurs cherchent à empêcher les défendeurs d’utiliser les mots « People’s Party of Canada » ou « The People’s Party of Canada » durant la période précédant l’élection partielle fédérale dans Nanaimo-Ladysmith, qui se tiendra le 6 mai 2019, et jusqu’à ce qu’une décision définitive soit rendue sur le bien-fondé de l’action.

[2]  La requête est rejetée, car elle présente de graves lacunes sur le plan juridique quant au critère à remplir. Les demandeurs sont bien loin d’établir l’existence d’une question sérieuse à trancher ou qu’ils subiront un préjudice irréparable si l’injonction demandée n’est pas accordée. De plus, la prépondérance des inconvénients est manifestement favorable au maintien du statu quo en faveur des défendeurs.

I.  Aperçu

[3]  Par le dépôt d’une déclaration le 18 février 2019, les demandeurs ont introduit l’action sous‑jacente en violation de marque de commerce sur le fondement de l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, c T-13 [Loi sur les marques de commerce], et en violation du droit d’auteur sur le fondement des paragraphes 27(1) et 27(2) de la Loi sur le droit d’auteur, LRC 1985, c C-42 [Loi sur le droit d’auteur]. L’action concerne un litige au sujet de droits concurrents en matière de propriété intellectuelle concernant le nom « People’s Party of Canada » pour un parti politique fédéral. Les demandeurs invoquent des droits en matière de droit d’auteur et de marques de commerce découlant de la loi et de la common law sur les mots « People’s Party of Canada » et « The People’s Party of Canada » ainsi qu’un signal de communication sur ces mots. Ils allèguent que les défendeurs ont violé l’usage exclusif et protégé de leur propriété intellectuelle au Canada.

[4]  Le 11 avril 2019, les demandeurs ont informé la Cour de leur intention de présenter la présente requête en injonction provisoire et interlocutoire et ont demandé qu’une audience soit tenue d’urgence les 24 et 25 avril 2019. La requête a été accueillie et un échéancier serré prévoyant la signification et le dépôt des documents des parties a été fixé. L’affaire a été finalement instruite en personne à Montréal le 25 avril 2019.

[5]  À l’audience, l’avocat des demandeurs a précisé que leur prétention relative à la violation de la marque de commerce est fondée sur l’alinéa 7b) et non sur l’alinéa 7c) de la Loi sur les marques de commerce, contrairement à ce qui estindiqué dans la déclaration. L’avocat des demandeurs a également reconnu que ses clients ne pouvaient pas invoquer une violation au titre des articles 19 et 20 de la Loi sur les marques de commerce puisqu’ils n’ont pas de marque de commerce déposée. Leur demande d’enregistrement vient d’être déposée et a seulement été officialisée par l’Office de la propriété intellectuelle du Canada.

II.  Les faits

[6]  Les deux demandeurs ont déposé un affidavit à l’appui de leur requête. En réponse, les défendeurs ont déposé l’affidavit de Martin Masse, directeur des politiques du People’s Party of Canada. Aucun contre‑interrogatoire n’a eu lieu.

[7]   Les faits pertinents sont énoncés ci‑dessous en ordre chronologique.

[8]  M. Dhillon affirme dans son affidavit souscrit le 18 février 2019 qu’il a fondé le People’s Party of Canada en mai 2015. Ses conseillers et lui avaient précédemment discuté de plusieurs noms possibles pour le parti. Ils se sont finalement entendus sur le nom « The People’s Party of Canada ». Le nom avait été suggéré par M. Mo Dhaliwal, un ami intime et associé de M. Dhillon, qui lui aurait [traduction] « accordé la permission expresse » d’utiliser le nom.

[9]  Selon M. Dhillon, le lancement public du People’s Party of Canada a eu lieu le 1er juillet 2015 lorsque le nom « The People’s Party of Canada » a été [traduction] « publié sur la page couverture » d’un magazine appelé The Times of Canada.

[10]  Les dirigeants et les partisans se sont réunis à maintes reprises en 2015 pour discuter du plan logistique et politique du parti et de la façon d’en faire le lancement à l’échelle nationale et internationale. M. Dhillon indique que [traduction] « les années 2016 et 2017 ont été plus tranquilles » en raison de l’élection du gouvernement libéral.

[11]  M. Dhillon affirme que le nouveau gouvernement n’a pas réussi à répondre aux attentes après avoir pris le pouvoir et que, en 2017, des membres et des partisans se sont rendu compte que [traduction] « c’est seulement en exerçant des pressions et en participant activement à la vie politique fédérale qu’ils pourraient changer le pays ».

[12]  M. Dhillon affirme qu’en 2017, il a été présenté dans une publication au sujet des Punjabis dans le monde connue sous le nom de Jewel of Punjab. L’article fait référence à un mouvement de lutte contre la corruption lancé par M. Dhillon au Canada appelé le « People’s Party of Canada » [traduction] « qui vise à informer la population de tout ce qui se passe dans le pays, que ce soit positif ou négatif ».

[13]  M. Bernier a déclaré publiquement le 23 août 2018 qu’il lançait son propre mouvement politique. M. Masse affirme que M. Bernier, M. Charles Laflamme et lui ont choisi le nom « Parti populaire du Canada » et « People’s Party of Canada » pour le nouveau parti le 30 août 2018.

[14]  Le 4 septembre 2018, les défendeurs ont présenté une demande pour enregistrer leur organisme sans but lucratif au nom proposé auprès d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada (anciennement Industrie Canada). Les défendeurs ont effectué une recherche de dénominations sociales pour s’assurer que le nom choisi était disponible dans les deux langues officielles. Le nom du parti des demandeurs n’était pas répertorié.

[15]  Le 14 septembre 2018, M. Bernier a officiellement annoncé le lancement du nouveau parti au cours d’une conférence de presse à Ottawa. Le nom du parti (« Parti populaire du Canada » et « People’s Party of Canada ») ainsi que trois marques de commerce stylisées figuraient au premier plan. Le même jour, les défendeurs ont créé un site Web officiel pour le parti portant les noms de domaine www.partipopulaireducanada.ca et www.peoplespartyofcanada.ca pour promouvoir le parti et son programme.

[16]  M. Dhillon a déposé une demande d’enregistrement de la marque nominale « People’s Party of Canada » le 14 septembre 2018. Deux jours plus tard, il a enregistré un droit d’auteur sur le signal de communication « People’s Party of Canada » et « The People’s Party of Canada ».

[17]  Le 20 septembre 2018, M. Dhillon a présenté, en vertu de la Loi électorale du Canada, LC 2000, c 9 [Loi électorale du Canada], une demande pour enregistrer « The People’s Party of Canada/Parti du Peuple Canadien » à titre de parti politique ainsi qu’un logo. Pour faire une demande d’enregistrement, le parti doit remplir un formulaire et le transmettre à Élections Canada. Le formulaire indique quels renseignements et signatures doivent y figurer, comme le nom intégral du parti et, optionnellement, son logo et le nom abrégé du parti ou l’abréviation de ce nom, les renseignements sur le chef et une copie de la résolution de la nomination du chef adoptée par le parti, les renseignements et le consentement signé des dirigeants du parti et de l’agent principal, ainsi que, plus particulièrement, les noms et adresses d’au moins 250 électeurs et une déclaration dans la forme prescrite indiquant qu’ils sont membres du parti et appuient la demande d’enregistrement du parti.

[18]  La demande de M. Dhillon a été appuyée par 343 électeurs. La demande a été reçue par le Bureau du directeur général des élections le 25 septembre 2018.

[19]  Dans une lettre datée du 4 octobre 2018, Mme Josée Villeneuve, directrice principale, Financement politique, à Élections Canada, a avisé M. Dhillon que la demande serait examinée pour déterminer si le parti était admissible à l’enregistrement en application de l’article 387 de la Loi électorale du Canada, notamment au regard de la question de savoir si le nom ou le logo du parti peut être confondu avec celui d’un parti enregistré ou admissible.

[20]  Le 10 octobre 2018, les défendeurs ont présenté auprès d’Élections Canada une demande d’enregistrement de leur nouveau parti appuyée par environ 500 formulaires d’électeurs. Les défendeurs ont appelé les signataires pour s’assurer qu’ils avaient tous confirmé leur signature auprès d’Élections Canada.

[21]  Le 18 octobre 2018, M. Dhillon a été informé qu’Élections Canada avait reçu de la part des défendeurs une demande d’enregistrement d’un parti politique dont le nom est « People’s Party of Canada/Parti populaire du Canada ».

[22]  Le 14 novembre 2018, ayant reçu plus de 250 signatures d’électeurs appuyant la création du parti, Élections Canada a déclaré que le parti des défendeurs était admissible.

[23]  Par une lettre datée du 15 novembre 2018, le directeur général des élections a avisé M. Dhillon que même s’il ne pouvait pas examiner la question pour l’instant, le risque de confusion était évident. Il a offert à M. Dhillon la possibilité de modifier le nom de son parti politique.

[24]  M. Dhillon a plus tard été informé qu’en date du 4 décembre 2018, Élections Canada avait été seulement en mesure de vérifier que 85 des 250 électeurs requis étaient effectivement des membres du parti qui appuyaient la demande d’enregistrement de celui-ci.

[25]  Le 17 janvier 2019, Élections Canada a déclaré que le parti des défendeurs était enregistré puisqu’il avait annoncé des candidats pour les élections partielles du 25 février 2019.

[26]  Le 20 février 2019, le directeur général des élections a informé les demandeurs que leur demande d’enregistrement était refusée pour les raisons suivantes :

[traduction]

Je dois fonder ma décision sur le paragraphe 385(2) et l’article 387 de la Loi électorale du Canada. Vous avez peut-être enregistré un droit d’auteur et une marque de commerce à l’égard du nom de votre parti, mais il ne s’agit pas d’une considération pertinente au titre de la Loi électorale du Canada. À mon avis, le nom de votre parti serait probablement confondu avec le nom d’un parti enregistré. Par conséquent, votre demande, telle qu’elle a été soumise, ne peut être acceptée. Conformément à l’article 389 de la Loi, je vous informe donc que le parti ne satisfait pas aux exigences d’admissibilité. En conséquence, la demande d’enregistrement du People’s Party of Canada est rejetée.

[27]  Le 16 avril 2019, les demandeurs ont déposé la présente requête par laquelle ils cherchent à obtenir l’injonction suivante :

[traduction]

  • (1) Une ordonnance interdisant aux défendeurs ainsi qu’à leurs administrateurs, directeurs, employés, agents, candidats, associations de circonscription, membres, entités liées et à tous ceux sur lesquels ils exercent un contrôle (les parties qui leur sont liées) d’employer de quelque façon que ce soit les mots « People’s Party of Canada » et « The People’s Party of Canada », notamment comme nom commercial ou marque de commerce, en liaison avec les marchandises et produits de leur parti politique, jusqu’à ce que la Cour rende une décision définitive dans la présente instance;

  • (2) Une ordonnance interdisant aux défendeurs et aux parties qui leur sont liées de diffuser de quelque façon que ce soit les mots « People’s Party of Canada » et « The People’s Party of Canada », quel que soit le moyen employé, jusqu’à ce que la Cour rende une décision définitive dans la présente instance;

  • (3) Une ordonnance obligeant les défendeurs et les parties qui leur sont liées à rappeler et à détruire immédiatement sous serment tous les documents ou dossiers, produits, emballages, étalages, annonces publicitaires, affiches, qu’ils soient sous forme électronique ou autre, dont l’utilisation contreviendrait aux modalités de l’ordonnance sollicitée au paragraphes 1 et 2.

III.  Question en litige

[28]  Lors de l’audition de la requête, les demandeurs ont abandonné la mesure de réparation qu’ils avaient sollicitée au paragraphe 3 de leur avis de requête. Par conséquent, la question à trancher est celle de savoir si les ordonnances sollicitées par les demandeurs aux paragraphes 1 et 2 devraient être accordées.

IV.  Analyse

A.  Critère à appliquer

[29]  En général, la partie qui cherche à obtenir une injonction interlocutoire doit satisfaire au critère tripartite bien connu énoncé à l’arrêt RJR-MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311, aux pages 334 et 342, 111 DLR (4th) 385 [RJR-MacDonald]. La partie doit d’abord établir l’existence d’une question sérieuse à trancher. Elle doit ensuite démontrer qu’elle subira probablement un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée. Enfin, il lui incombe d’établir que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi de l’injonction.

[30]  Les défendeurs soutiennent que la réparation sollicitée par les demandeurs les obligerait effectivement à enlever les affiches électorales où l’on peut lire le nom « People’s Party of Canada », à retirer leur publicité, à modifier leur site Web et à annuler leur enregistrement auprès d’Élections Canada et d’Innovation, Sciences et Développement économique Canada – autrement dit, à prendre des mesures concrètes. Les demandeurs cherchent donc à obtenir une injonction mandatoire plutôt qu’une injonction prohibitive.

[31]  La Cour suprême du Canada a récemment confirmé, dans l’arrêt R c Société Radio‑Canada, 2018 CSC 5 (Radio-Canada), que lorsqu’une injonction mandatoire est sollicitée, il convient d’appliquer un seuil plus exigeant à la première étape du critère dégagé dans l’arrêt RJR‑MacDonald. La partie qui présente la requête doit établir « une forte apparence de droit ». La Cour suprême définit cette forte apparence de droit comme une « forte chance au regard du droit et de la preuve présentée que, au procès, [le demandeur] réussira ultimement à prouver les allégations énoncées dans l’acte introductif d’instance ».

[32]  Il est difficile d’établir une différence entre une injonction prohibitive et une injonction mandatoire étant donné que même un libellé prohibitif peut obliger une partie à prendre une mesure concrète. Cependant, en l’espèce, je suis convaincu que les défendeurs seraient tenus de prendre des mesures concrètes si les demandeurs obtenaient gain de cause. Les défendeurs ont présenté des éléments de preuve démontrant qu’ils avaient préparé du matériel promotionnel, présenté des candidats aux élections partielles, fait la promotion de l’usage du nom « People’s Party of Canada » en anglais et en français auprès de leurs partisans, tenu à jour un site Web et des pages sur les médias sociaux en utilisant ce nom et fait des préparatifs intensifs en vue de la prochaine élection fédérale. Ils seraient tenus de prendre des mesures concrètes si l’injonction générale sollicitée par les demandeurs était accordée. Ils devraient notamment annuler l’enregistrement de leur parti politique.

[33]  Dans les circonstances, je conclus que le critère exigeant qui consiste à établir « une forte apparence de droit » s’applique en l’espèce. Je dois ajouter qu’il s’agit d’un débat théorique étant donné que les demandeurs n’ont par ailleurs pas réussi à démontrer qu’il existe une question sérieuse à trancher.

B.  Les demandeurs ont-ils établi une forte apparence de droit?

[34]  Les demandeurs affirment qu’ils ont, en vertu de la loi et de la common law, des droits en matière de droit d’auteur et de marques de commerce que la Cour peut faire respecter. Pour les raisons qui suivent, je conclus que la preuve qu’ils ont présentée est insuffisante pour démontrer qu’ils possédaient de tels droits.

(1)  Article 27 de la Loi sur le droit d’auteur

[35]  Comme le montre le certificat d’enregistrement du droit d’auteur, M. Dhillon est titulaire d’un droit d’auteur sur un signal de communication à l’égard des mots « People’s Party of Canada » et « The People’s Party of Canada ». Toutefois, le fait que le nom de M. Dhillon figure dans le registre canadien des droits d’auteur à titre de détendeur du signal de communication crée seulement une présomption réfutable en sa faveur : Jules Jordan Video Inc. c Elmaleh, 2009 CF 488, au paragraphe 16.

[36]  Aux paragraphes 22 et 23 de la déclaration, les demandeurs affirment qu’un droit d’auteur subsiste sur un signal de communication diffusé pour la première fois le 1er juillet 2015 et que M. Dhillon utilise et diffuse ce signal depuis lors. Si je comprends bien la prétention, M. Dhillon soutient qu’il a le droit exclusif de produire ou de reproduire les mots « People’s Party of Canada » dans tout support d’information parce que ces mots ont été utilisés dans un article à son sujet et qu’il a communiqué cet article à d’autres personnes par courriel ou d’autres moyens électroniques.

[37]  Il existe des règles spéciales pour les autres objets du droit d’auteur définis dans la Loi sur le droit d’auteur. En ce qui concerne les signaux de communication, seul un « radiodiffuseur » peut détenir un droit d’auteur. L’article 21 confère aux radiodiffuseurs un droit d’auteur à l’égard de leurs signaux de communication, à savoir sur la compilation de toutes les émissions, messages publicitaires et autres contenus qui constituent le signal transmis par le radiodiffuseur : Interbox Promotion Corp c 9012-4314 Québec Inc, 2003 CF 1254, au paragraphe 18. Le terme « radiodiffuseur » est défini à l’article 2 comme un « [o]rganisme qui, dans le cadre de l’exploitation d’une entreprise de radiodiffusion, émet un signal de communication en conformité avec les lois du pays où il exploite cette entreprise; est exclu de la présente définition l’organisme dont l’activité principale, liée au signal de communication, est la retransmission de celui-ci ».

[38]  Les demandeurs soutiennent que M. Dhillon, en communiquant par voie électronique l’article du Times of Canada qui contenait les mots « People’s Party of Canada », a agi à titre de radiodiffuseur. D’après le dossier dont je dispose, je ne suis pas convaincu que M. Dhillon est un radiodiffuseur au sens de l’article 2 de la Loi sur le droit d’auteur ni que l’œuvre revendiquée dans le certificat d’enregistrement est un signal de communication. L’hypothèse sur laquelle se fonde le demandeur pour revendiquer un droit d’auteur est dénuée de sens.

(2)  Loi sur les marques de commerce

[39]  Les demandeurs affirment avoir été les premiers à utiliser la marque de commerce non enregistrée « The People’s Party of Canada » en lien avec leur parti politique en 2015, avant que les défendeurs ne l’utilisent aux mêmes fins.

[40]  Il est bien établi en droit que pour prétendre qu’il y a violation d’une marque de commerce en common law, une partie doit d’abord démontrer qu’elle détient une marque de commerce au sens de l’article 2 de la Loi sur les marques de commerce. En outre, aucun droit ne peut être revendiqué à moins qu’il y ait un emploi au sens de l’article 4 de la Loi :

4 (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l’exécution ou l’annonce de ces services.

[41]  Comme l’a déclaré le juge Binnie, au paragraphe 5 de l’arrêt Mattel, Inc c 3894207 Canada Inc, 2006 CSC 22 :

Contrairement à d’autres formes de propriété intellectuelle, le droit à une marque de commerce repose essentiellement sur son emploi véritable. Ainsi, l’inventeur canadien a droit à un brevet même s’il n’en fait aucune exploitation commerciale. Le dramaturge conserve son droit d’auteur même si sa pièce n’est pas jouée. Mais, en ce qui concerne une marque de commerce, le mot d’ordre est de l’employer sous peine de la perdre.

[42]  Les demandeurs n’ont présenté aucune preuve donnant à penser qu’ils avaient employé la marque nominale « People’s Party of Canada » en liaison avec la promotion de leur parti avant que les défendeurs aient procédé au lancement public de leur parti le 14 septembre 2018, ni même après ce lancement.

[43]  Le simple fait que M. Dhillon ait déclaré à un journaliste du Times of Canada en 2015 qu’il avait l’intention de lancer un mouvement avec un certain nom ne constitue pas un emploi de ce nom. Contrairement à ce que fait valoir M. Dhillon, le nom « The People’s Party of Canada » ne figurait pas dans l’article-couverture. Le seul renvoi au mouvement proposé se trouve à la dernière page d’un article de cinq pages intitulé « Satinder Dhillon – Modern Day Revolutionary Fights Corruption », dans lequel M. Dhillon est ainsi cité :

[traduction]

Le PPC (People’s Party of Canada) est beaucoup plus qu’un parti politique. C’est un mouvement visant à informer les citoyens de ce qui se passe réellement dans ce pays. Si ceux-ci choisissent de voter pour l’un de nos candidats anticorruption, ce n’est qu’une conséquence. Le mouvement va au-delà de la politique.

[44]   Bien que les mots « PPC (People’s Party of Canada) » apparaissent dans l’article, aucune mention n’est faite au sujet de la marque de commerce alléguée elle-même, et celle-ci ne peut être distinguée du texte qui l’accompagne. Il n’y a pas eu d’emploi réel du nom en liaison avec les activités du parti des demandeurs susceptibles d’établir en bonne et due forme une distinction et d’associer le parti avec le nom.

[45]  Dans l’article du Jewel of Punjab, le parti des demandeurs est décrit ainsi : [traduction« un mouvement anticorruption au Canada, appelé le People’s Party of Canada (PPC), qui vise à informer la population de tout ce qui se passe de bon et de mauvais dans son pays ». Encore une fois, cela n’établit pas l’emploi du nom en liaison avec un parti politique. Au mieux, le passage en question établit l’utilisation proposée du nom.

[46]  Dans l’arrêt Medos Services Corporation c Ridout and Maybee LLP, 2015 CAF 77, la Cour d’appel fédérale a conclu que la simple mention d’une marque dans un courriel ne suffit pas à prouver l’emploi de la marque de commerce lorsqu’on ne peut distinguer la marque du texte qui l’accompagne. Des considérations similaires s’appliquent en l’espèce.

[47]  Les demandeurs n’ont présenté aucune preuve que leur mouvement était associé au nom « The People’s Party of Canada » aux yeux du public avant que les défendeurs ne lancent publiquement leur parti. Outre les déclarations générales, il y a très peu de preuve des mesures prises ou des activités organisées par les demandeurs pour promouvoir leur parti dans le cadre desquelles étaient exposés bien en vue les mots « The People’s Party of Canada ». On se serait attendu à ce que les demandeurs produisent des copies de dépliants, de photos, de publicités, de captures d’écran du site Web du parti ou d’autres documents promotionnels.

[48]  En plus de ne pas réussir à établir l’emploi de la marque, les demandeurs n’ont produit aucune preuve leur permettant de satisfaire au critère relatif à la commercialisation trompeuse d’une marque de commerce en common law (CW Parsons Ltd c Parsons Paving Ltd, 2019 CF 458, au paragraphe 29; Sadhu Singh Hamdard Trust c Navsun Holdings Ltd, 2016 CAF 69, au paragraphe 20).

[49]  La première étape qu’une partie demanderesse doit franchir pour avoir gain de cause dans une action en commercialisation trompeuse est d’établir l’existence d’un achalandage ou d’une réputation à l’égard de ses marchandises ou ses services. Or, les demandeurs n’ont produit aucune preuve en ce sens à l’égard de leur parti pour la période précédant le lancement du parti des défendeurs.

[50]  En deuxième lieu, la partie qui allègue la commercialisation trompeuse doit établir que la partie défenderesse a, dans une certaine mesure, intégré des fausses déclarations ou des éléments de duplicité dans ses activités de commercialisation et que ces éléments ont créé de la confusion dans l’esprit du consommateur. Me fondant sur le témoignage non contredit de M. Masse, je conclus que les défendeurs n’étaient pas au courant de l’existence du parti des demandeurs. Dans les circonstances, je ne suis pas convaincu que les défendeurs aient fait quelque fausse déclaration que ce soit.

[51]  En somme, la preuve produite par les demandeurs n’établit pas l’existence d’une preuve à première vue solide relativement à l’action sous-jacente.

C.  Les demandeurs subiront-ils un prejudice irréparable?

[52]  Selon le dossier dont je dispose, la preuve des demandeurs est tout à fait insuffisante pour que j’accorde une injonction et il n’est pas nécessaire de passer à l’étape suivante du critère dégagé dans l’arrêt RJR-MacDonald. De toute façon, les demandeurs n’ont pas réussi à établir qu’ils subiraient un préjudice irréparable si aucune injonction n’était accordée.

[53]  Dans son affidavit, M. Dhillon affirme qu’il a consacré d’innombrables heures à bâtir des relations et à obtenir des appuis et du poids politique pour le parti des demandeurs, lequel compte des membres dans plusieurs circonscriptions partout au Canada. Il affirme qu’en raison du parti des défendeurs, d’éventuels sympathisants et donateurs ont exprimé des inquiétudes quant à la confusion entre les deux partis. De plus, il prétend que de nombreux dirigeants et partisans de son parti ont fait part de leurs difficultés à recruter de nouveaux partisans en raison de la confusion entre les deux partis.

[54]  Bien que cela puisse être le cas, la preuve dont je dispose me donne à penser que les demandeurs n’ont pris aucune mesure active pour promouvoir leur parti depuis 2015. Après presque trois ans d’inactivité apparente, les demandeurs se sont précipités pour protéger le nom de leur parti le jour même où les défendeurs ont commencé à promouvoir le leur. Il ne s’agit vraisemblablement pas d’une coïncidence. Les demandeurs n’ont pas démontré qu’ils subiront un préjudice irréparable. Il n’est pas dans l’intérêt public que les parties puissent, sans donner de justification, ne pas exercer leurs droits, si de tels droits existaient, pendant de longues périodes puis décider de les faire valoir.

D.  La prépondérance des inconvénients

[55]  Selon M. Masse, en date du 21 février 2019, le parti des défendeurs comptait 35 508 membres et avait recueilli des dons à hauteur de 1 033 715 $. Les défendeurs se préparent activement pour les élections fédérales qui auront lieu en octobre 2019. Plus d’une centaine de candidats porteront les couleurs du parti aux élections, et une grande quantité de documents promotionnels a été préparée. Quant aux demandeurs, ils n’ont produit aucune preuve au sujet de leur préparation en vue des élections, de leur recrutement de membres et des dons qu’ils ont recueillis. Dans les circonstances, la prépondérance des inconvénients favorise clairement les défendeurs.

V.  Conclusion

[56]  Pour les motifs susmentionnés, on ne m’a pas convaincu que l’injonction réclamée par les demandeurs est justifiée, car ils n’ont pas réussi à satisfaire au critère à trois volets plus exigeant qui a été énoncé dans l’arrêt Société Radio-Canada.

[57]  À l’audience, l’avocat des défendeurs a sollicité des dépens de 40 000 $, calculés sur une base avocat-client, pour la partie ayant eu gain de cause. L’avocat des demandeurs a répondu en faisant valoir que les dépens devaient être fixés à un montant situé entre 5 000 $ et 7 000 $, plus débours.

[58]  Selon la règle générale, les dépens suivent l’issue de la cause. En l’espèce, « l’issue » est la décision quant à la requête, et ce, parce que la question bien précise que la Cour devait trancher était celle de savoir si elle accordait ou non une injonction interlocutoire. Il ne s’agit pas de la question en litige au procès. La Cour se penchait uniquement sur la question de savoir si les demandeurs disposaient d’une réclamation ou de droits qui devaient être protégés jusqu’au procès.

[59]  Étant donné que les défendeurs ont entièrement eu gain de cause à l’encontre d’une requête à la fois difficile à comprendre et essentiellement dénuée de fondement, je conclus que les dépens devraient être fixés selon un barème supérieur à la norme. En outre, l’allégation des demandeurs quant à l’urgence était totalement injustifiée. Je fixe par les présentes les dépens à 20 000 $, montant qui comprend les débours et les taxes. Les demandeurs devront payer ce montant peu importe l’issue de la cause, mais pas immédiatement.


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T-321-19

LA COUR ORDONNE que :

  1. La requête en injonction interlocutoire présentée par les demandeurs est rejetée.

  2. Les demandeurs paieront aux défendeurs, peu importe l’issue de la cause, les dépens afférents à la requête, dépens que je fixe par les présentes à 20 000 $, montant qui comprend les taxes et les débours.

« Roger R. Lafrenière »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-321-19

 

INTITULÉ :

SATINDER PAUL SINGH DHILLON ET EMMET TISDALE P;IERCE, EN SA QUALITÉ D'AGGENT PRINCIPAL c MAXIME BERNIER, CHRISTIAN ROY, EN SA QUALITÉ D'AGENT PRINCIPAL, ET THE PEOPLE'S PARTY OF CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 25 avril 2019

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE LAFRENIÈRE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 mai 2019

 

COMPARUTIONS :

Me Dale R. North

 

Pour les demandeurs

 

Me Camille Aubin

Me Barry Gamache

Me Catherine Thall Dube

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Davidson Law Group

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les demandeurs

 

Robic, S.E.N.C.R.L.

Montréal (Québec)

 

Pour les défendeurs

 

 

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