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Date : 20190502


Dossier : T‑1387‑17

Référence : 2019 CF 562

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 2 mai 2019

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

1680169 ONTARIO LIMITED

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue par la déléguée du ministre du Revenu national, qui a rejeté la demande d’allègement des intérêts et des pénalités dus par la demanderesse, relativement à certaines années d’imposition, en raison de circonstances exceptionnelles. La demande avait été présentée au titre d’une disposition d’allègement pour les contribuables. Bien que je voie avec sympathie la situation de la demanderesse, ce n’est pas ce qui détermine le rôle de la Cour dans le contrôle de cette décision, que je juge à la fois équitable et raisonnable pour les motifs exposés ci‑après.

II.  Le contexte

[2]  La demanderesse, 1680169 Ontario Ltd. (169), est une société ontarienne. M. William Hogg est le seul administrateur, dirigeant et actionnaire de 169.

[3]  Il a été associé dans une entreprise d’investissement de 2000 à 2007. Il s’est constitué en société et a utilisé 169 comme entité de portefeuille pour son placement personnel dans son entreprise après avoir reçu des conseils en planification fiscale d’un comptable. Ce comptable a pris sa retraite en 2007, et son gendre a repris sa pratique. La même année, l’emploi de M. Hogg dans son entreprise de placements a pris fin.

[4]  M. Hogg a par la suite relevé un certain nombre de problèmes et d’irrégularités dans les déclarations de revenus de 169 pour la fin de l’exercice 2009, ce qui a mené à une rupture du lien de confiance entre lui et le nouveau comptable de 169 (le comptable). M. Hogg a demandé à celui‑ci de remettre les documents sur lesquels il s’était appuyé pour préparer les déclarations de revenus de 169, mais le comptable n’a pu produire que des doubles incomplètement numérisés des grands livres et autres documents. Il a également informé M. Hogg que son cabinet comptable n’avait plus en sa possession la documentation source ayant servi à préparer les états financiers et les déclarations de revenus connexes.

[5]  M. Hogg a communiqué avec un autre cabinet comptable pour se faire aider dans la reconstitution des états financiers de 169 et dans la préparation des déclarations, mais cette entreprise ne pouvait procéder à cette préparation sans états financiers reconstitués, lesquels ne pouvaient à leur tour être préparés sans les dossiers originaux.

[6]  En 2010, M. Hogg a entrepris de reconstituer les états financiers de 169 sur quatorze ans avec l’aide d’un nouveau comptable. En novembre 2012, il a appelé l’Agence du revenu du Canada (l’ARC), indiqué qu’il ne recevait pas son courrier et demandé à l’ARC de modifier l’adresse au dossier pour que ce soit sa propre adresse, plutôt que celle du comptable.

[7]  En fin de compte, le ministre a imposé des pénalités et des intérêts sur arriérés pour « défaut de déclaration de revenu », pour les années d’imposition 2009 à 2013 de 169, les déclarations en question ayant toutes été produites entre le 19 janvier et le 22 avril 2015, donc toutes après leurs dates d’échéance.

III.  Les demandes d’allègement pour les contribuables présentées par 169

[8]  En juin 2015, 169 a présenté au ministre une demande au premier palier d’allègement des intérêts et des pénalités pour ses années d’imposition 2009 à 2014, conformément à la disposition d’allègement pour les contribuables. Le nœud de ces observations était l’explication donnée par 169 de cette production tardive et l’évocation de la suite de circonstances qu’elle alléguait être indépendantes de sa volonté et imputables à la conduite du comptable. Sans ces circonstances, les déclarations auraient été produites et l’impôt payé à temps.

[9]  L’examinateur de premier palier a fait remarquer que l’année d’imposition 2014 n’était pas examinée, puisque les dossiers indiquaient que la déclaration n’avait pas encore été produite. Il a recommandé que le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire pour accorder un allègement partiel à 169, en annulant les intérêts sur arriérés pour les deux premières années d’imposition (2009 et 2010). Voici la partie applicable de la décision rendue le 6 janvier 2017 dans le cadre de l’examen de premier palier :

[traduction]

Il convient d’accorder un allègement comme ci‑dessus, mais l’examen m’a permis de conclure que tout autre allègement n’était pas justifié […] Une société doit faire preuve de diligence raisonnable pour se conformer aux exigences. Elle devrait s’efforcer d’éviter ou, à tout le moins, de réduire au minimum tout retard à se conformer ou à payer les montants dus. Tout retard ou omission doit être corrigé dans un délai raisonnable. Si le retard de paiement ou de conformité était attribuable à la négligence ou à l’ignorance de la société, la pénalité ou les intérêts ne seraient normalement pas annulés […] Bien que les services d’un tiers puissent être retenus en vue de faciliter la préparation des déclarations et l’acquittement des sommes à payer, la responsabilité de s’assurer que celles‑ci sont exactes et reçues à temps incombe en fin de compte au contribuable.

[10]  À la suite de la décision de premier palier, M. Hogg a préparé et présenté le 7 avril 2017 une seconde demande d’allègement pour 169, sollicitant une fois de plus l’annulation des intérêts et des pénalités pour les mêmes motifs. Il a fait valoir que les pénalités et les intérêts impayés étaient appliqués à des périodes où aucun impôt n’était dû, en raison de déclarations nulles à la lumière des valeurs de cotisation qui avaient alors été présentées par 169. M. Hogg a en outre fait le point à l’intention de l’ARC sur les déclarations des années d’imposition 2014 et 2015 qui n’étaient pas encore produites au moment de la présentation de la demande d’allègement au premier palier pour 169.

[11]  L’examinatrice de deuxième palier a analysé la demande de 169 pour conclure que le pouvoir discrétionnaire ne devrait pas être exercé pour accorder à 169 un nouvel allègement d’intérêts et de pénalités; elle a fait observer ce qui suit dans sa lettre de rejet du 2 août 2017 (la décision) :

[traduction]

Je n’ai pas relevé de renseignements supplémentaires pouvant faire changer la décision initiale, les faits essentiels étant demeurés les mêmes. Mon examen a révélé l’absence de circonstances indépendantes de votre volonté qui auraient influé sur votre capacité à produire les déclarations et à acquitter les montants à payer. J’ai donc conclu que l’allègement n’était pas justifié.

[12]  Dans la fiche d’information sur l’allègement pour les contribuables, qui comprend des notes internes d’information qui ont été communiquées pour les besoins de la présente demande et qui font partie de la décision, l’examinatrice de deuxième palier a accepté bon nombre des conclusions de l’examinateur de premier palier. Elle a tenu compte des facteurs établis par les lignes directrices de la politique applicable, qui figurent à l’article 33 de la circulaire d’information IC07‑1 intitulée Dispositions d’allègement pour les contribuables (les lignes directrices). Elle a conclu (i) que 169 avait une excellente feuille de route pour ce qui est de la promptitude de la production de ses déclarations et de l’acquittement de son impôt avant 2009, mais que chacune des déclarations de la période 2009‑2013 avait été produite en retard; (ii) qu’en 2016, 169 avait sciemment laissé subsister un solde d’environ 125 000 $, somme qui avait été saisie; (iii) qu’elle n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable dans la production de ses déclarations, puisqu’elle avait continué à utiliser les services du comptable jusqu’en 2012; (iv) qu’elle avait attendu jusqu’en 2014 pour retenir les services d’un nouveau comptable; (v) qu’elle n’avait pas produit ses déclarations de la période 2009‑2013 avant 2015. Invoquant ce constat, l’examinatrice de deuxième palier a fait remarquer qu’il incombait en fin de compte à 169 de veiller à ce que ses déclarations étaient produites à temps, même lorsqu’un comptable tiers entrait en jeu. Elle a également fait remarquer que des allègements d’intérêts avaient déjà été accordés pour les années d’imposition 2009 et 2010.

[13]  La déléguée du ministre, chef d’équipe de la Direction générale des appels au Centre d’expertise d’allègement pour les contribuables de l’ARC (la déléguée du ministre), s’est rangée à la recommandation de l’examinatrice de deuxième palier et a accordé un allègement partiel, en annulant les intérêts sur arriérés demandés pour les années d’imposition 2009 et 2010. Elle n’a toutefois pas recommandé d’accorder des allègements pour les autres années. Ainsi, la décision est demeurée la même depuis l’examen de premier palier.

IV.  Les questions en litige et la norme de contrôle

[14]  La demanderesse, 169, soulève deux questions, à savoir si la déléguée du ministre a manqué à son obligation d’équité procédurale et si la décision de refuser d’autres allègements à 169 était raisonnable.

[15]  La Cour fédérale a conclu, et la Cour d’appel fédérale l’a confirmé, que la norme de contrôle applicable aux décisions relatives à l’allègement pour les contribuables aux termes du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, LRC 1985, c 1 (5e suppl) (la Loi), était la décision raisonnable (Shantakumar c Canada (Procureur général), 2018 CF 677, au paragraphe 16). Les conclusions de fait commandent un haut degré de retenue judiciaire, compte tenu du rôle du juge des faits chez un décideur administratif comme l’ARC (Martineau c Canada (Agence du revenu), 2018 CF 595, au paragraphe 13). En revanche, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique aux questions d’équité procédurale (Langlois c Canada (Procureur général), 2018 CF 1108, au paragraphe 4).

V.  Les dispositions législatives

[16]  Comptant parmi les dispositions de la Loi en matière d’équité, le paragraphe 220(3.1) permet expressément au ministre de renoncer en tout ou en partie à une pénalité ou à des intérêts payables ou de les annuler (Langlois, au paragraphe 7). Il est ainsi libellé :

Renonciation aux pénalités et aux intérêts

 

Waiver of penalty or interest

 

(3.1) Le ministre peut, au plus tard le jour qui suit de dix années civiles la fin de l’année d’imposition d’un contribuable ou de l’exercice d’une société de personnes ou sur demande du contribuable ou de la société de personnes faite au plus tard ce jour‑là, renoncer à tout ou partie d’un montant de pénalité ou d’intérêts payable par ailleurs par le contribuable ou la société de personnes en application de la présente loi pour cette année d’imposition ou cet exercice, ou l’annuler en tout ou en partie. Malgré les paragraphes 152(4) à (5), le ministre établit les cotisations voulues concernant les intérêts et pénalités payables par le contribuable ou la société de personnes pour tenir compte de pareille annulation.

(3.1) The Minister may, on or before the day that is ten calendar years after the end of a taxation year of a taxpayer (or in the case of a partnership, a fiscal period of the partnership) or on application by the taxpayer or partnership on or before that day, waive or cancel all or any portion of any penalty or interest otherwise payable under this Act by the taxpayer or partnership in respect of that taxation year or fiscal period, and notwithstanding subsections 152(4) to (5), any assessment of the interest and penalties payable by the taxpayer or partnership shall be made that is necessary to take into account the cancellation of the penalty or interest.

 

[Non souligné dans l’original.]

[Emphasis added]

[17]  Mentionnons enfin que les lignes directrices peuvent aider les décideurs en ce qui concerne la disposition d’allègement pour les contribuables.

VI.  Analyse

A.  La déléguée du ministre a‑t‑elle manqué à son obligation d’équité procédurale?

[18]  Les avocats de la demanderesse ont souligné à l’audience que son argument principal était le manquement allégué à l’équité procédurale, en ce sens que la déléguée du ministre, avant de rendre sa décision, n’avait pas dévoilé (i) les appels téléphoniques entre l’ARC et le comptable, après la destitution alléguée de celui‑ci par la demanderesse, ni (ii) le fait qu’elle se soit appuyée sur ces appels pour rendre sa décision. La demanderesse soutient que, si elle avait eu connaissance de ces appels, elle aurait pu mieux prouver (par des pièces de correspondance, des paiements, des explications, etc.) qu’elle s’était défaite de ce comptable. Elle a souligné qu’il incombait à la déléguée du ministre de faire connaître qu’elle s’en était remise à ces appels, ce qu’elle aurait pu faire en produisant sa fiche d’information sur l’allègement pour les contribuables ou simplement en communiquant à 169 l’information sur ces mêmes appels.

[19]  Le défendeur répond que le processus décisionnel était équitable sur le plan de la procédure : il n’y avait pas d’obligation de dévoiler les appels ni le fait de s’appuyer sur eux, puisque ces choses relevaient des rapports entre le représentant autorisé de la demanderesse et l’ARC. Le défendeur ajoute que l’équité procédurale est d’une portée minimale et n’impose pas l’obligation de dévoiler de telles communications.

[20]  Je conviens avec le défendeur qu’il n’y a pas eu de manquement à l’équité procédurale en l’espèce. Il n’existe aucune preuve à l’appui de l’affirmation faite par la demanderesse dans son mémoire des faits et du droit (le mémoire) que le comptable avait été destitué de ses fonctions de représentant autorisé, au moment où l’ARC avait eu les entretiens téléphoniques avec M. Hogg dont il est fait état dans les notes (à l’ordinateur) du SARRS de l’ARC, et auxquelles la décision fait référence.

[21]  Bien que je reconnaisse que, dans son affidavit, M. Hogg déclare qu’il y a eu [traduction« rupture du lien de confiance » entre le comptable et lui en 2010, qu’il dise dans ce même affidavit qu’il [traduction« en avait eu assez [du comptable] et avait décidé d’en trouver un autre » n’indique pas en soi que le statut du comptable, en tant que représentant autorisé de la demanderesse, avait été révoqué. Je conclus que ces propos ne sont pas synonymes de cessation officielle de services. Dans les deux cas, il y a un manque de précision et de preuve objective ou documentaire à l’appui. L’ARC n’a pas été avisée que le comptable ne représentait plus 169 ni que la représentation par ce tiers avait été révoquée. Il appartenait soit à 169 soit à son représentant autorisé, le comptable en l’occurrence, d’aviser l’ARC, ce qui ne s’était pas produit à l’époque. En effet, les notes du SARRS consignant les appels de l’ARC ne reflètent en rien une cessation de la relation :

[traduction]

[Le comptable] dit que William HOGG fait les paiements et que tous deux sont au courant du solde impayé. Il dit que William vérifie simplement que tous les renseignements produits sont exacts. L’agent a porté à l’attention [du comptable] que les paiements devaient être faits et a confirmé que ceux‑ci étaient faits par William. Il a téléphoné (au 416‑xxx‑xxxx) et a été incapable de laisser un message.

A appelé [le comptable], qui a confirmé que les déclarations n’avaient toujours pas été produites. Il a dit que William HOGG avait donné son accord et qu’il les produirait dans les deux prochains mois. A confirmé que William effectuait les paiements. A appelé (au 416‑xxx‑xxxx) – n’a pu laisser de message. A appelé au 416… et laissé un message vocal à un répondeur non identifié. Mesure à prendre : s’il n’y a pas de réponse, prendre l/a.

[22]  Le numéro de téléphone censuré mentionné par l’agent de l’ARC dans ces deux notes est celui de M. Hogg. D’après tout ce qui précède et d’autres éléments de preuve au dossier, rien ne prouve que l’ARC ait été avisée de tout changement quant à la représentation par un tiers.

[23]  Tous les éléments de preuve montrent plutôt que l’ARC a tenté, de bonne foi, de faire le suivi auprès de la personne qu’elle croyait être le représentant autorisé et que, après avoir reçu comme indication que M. Hogg préparait les déclarations et effectuait les paiements, elle a fait de son mieux pour communiquer avec lui. Les notes informatisées font état d’appels infructueux de suivi de l’ARC ayant tenté de joindre M. Hogg à l’été de 2012. En fait, la demanderesse admet que le comptable est demeuré son représentant autorisé auprès de l’ARC; le paragraphe 105 de son mémoire mentionne que 169 et le comptable [traduction« n’entretenaient pas de relation professionnelle, bien que les autorisations de communiquer avec l’ARC aient demeuré en place ». [Non souligné dans l’original.]

[24]  Comme les appels en question ont eu lieu pendant que le comptable était le représentant autorisé de la demanderesse auprès de l’ARC et qu’il n’y a aucune preuve qu’il a été destitué, je conclus qu’ils sont restés dans une relation mandant‑mandataire du point de vue de l’ARC. Les tribunaux ont reconnu que la connaissance du mandataire est réputée être celle du mandant dans deux cas, c’est‑à‑dire lorsqu’un avis est donné par le mandant au mandataire ou que le mandataire acquiert la connaissance en question dans l’exercice de ses fonctions (Ottawa Athletic Club Inc (Ottawa Athletic Club) c Athletic Club Group Inc, 2014 CF 672, au paragraphe 164). Ainsi, la déléguée du ministre n’a pas commis d’erreur en ne dévoilant pas les appels entre le comptable et l’ARC; la demanderesse, n’ayant pas révoqué sa représentation par ce tiers, avait une connaissance imputée des appels.

(1)  La teneur de l’équité procédurale

[25]  La demanderesse s’appuie sur l’affaire Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, pour faire valoir que l’ARC a nié son droit à une procédure équitable. Dans cette affaire, la Cour suprême du Canada a examiné la portée et la teneur de l’équité procédurale pour décider des droits de Mme Baker dans le contexte d’une demande d’immigration fondée sur des considérations d’ordre humanitaire. La Cour suprême a tenu compte de cinq facteurs pour juger de la teneur de l’obligation d’équité. Ceux‑ci sont résumés dans l’affaire Congrégation des témoins de Jéhovah de St‑Jérôme‑Lafontaine c Lafontaine (Village), 2004 CSC 48 :

  1. la nature de la décision recherchée et le processus suivi par l’organisme public pour y parvenir;

  2. la nature du régime législatif et les dispositions précises en vertu desquelles agit l’organisme public;

  3. l’importance de la décision pour les personnes touchées;

  4. les attentes légitimes de la partie qui conteste la décision;

  5. la nature du respect dû à l’organisme.
    [Non souligné dans l’original.]

[26]  La teneur de l’obligation d’équité procédurale est minime dans les demandes d’allègement pour les contribuables. La législation même ne prescrit rien comme paramètres d’équité envers les demandeurs. Le Programme des divulgations volontaires (le PDV) est un mécanisme d’équité analogue institué par le paragraphe 220(3.1) de la Loi (Prince c Canada (Revenu national), 2019 CF 348, au paragraphe 13), et il revêt dans ce cadre un caractère hautement discrétionnaire. Dans l’affaire Williams c Canada (Revenu national), 2011 CF 766, le demandeur s’exposait à devoir payer pénalités et intérêts après avoir omis de se conformer aux exigences de la Loi dans le contexte du PDV. Le juge Rennie (tel était alors son titre) a déclaré en ce sens dans Williams, au paragraphe 26 : « Le pouvoir discrétionnaire accordé au ministre de renoncer aux pénalités imposées ou de les annuler est large, et il permet de manière exceptionnelle aux contribuables d’obtenir un allègement des pénalités auxquelles ils seraient autrement assujettis en vertu de la loi. » Il poursuit :

[31]  […] j’ajouterais que le degré requis d’équité procédurale et la vigueur avec laquelle il faut appliquer le principe d’équité varient selon la nature des intérêts ou droits en jeu et la nature du pouvoir discrétionnaire exercé. Le PDV est un programme de nature hautement discrétionnaire qui vise à encourager la conformité à d’importantes exigences impératives de la loi. Pour parler net, le but visé est d’inciter les contribuables à faire ce qu’ils étaient légalement tenus de faire en tout premier lieu. À ce titre, les critères régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire sont stricts et étroits et les droits en jeu sont minimes.

[Non souligné dans l’original.]

[27]  Comme le PDV, la disposition d’allègement pour les contribuables accorde au ministre un vaste pouvoir discrétionnaire de renoncer aux pénalités imposées ou de les annuler et prévoit un allègement exceptionnel des pénalités que les contribuables sont autrement tenus de payer au titre de la loi (Robinson c Canada (Revenu national), 2018 CF 825, aux paragraphes 84 et 104). Comme les grands paramètres discrétionnaires se ressemblent entre cette disposition et celle du PDV, les droits en cause sont minimes.

[28]  En l’espèce, la demanderesse affirme que, en ce qui a trait au troisième facteur dans l’arrêt Baker, vu l’importance des conséquences financières de la décision relative à l’allègement pour les contribuables, l’équité procédurale exige que les entretiens de l’ARC avec le comptable soient matière à divulgation par l’ARC; par conséquent, selon elle, les appels auraient dû être dévoilés. Cela n’a pas été fait.

[29]  Comme il a déjà été indiqué dans le contexte des affaires Williams et Robinson, il n’existe pas de droit procédural général à commenter les décisions hautement discrétionnaires en matière d’allègement avant qu’elles ne soient rendues (voir aussi R & S Industries Inc c Canada (Revenu national), 2016 CF 275, au paragraphe 49). Je conclus ici que l’équité procédurale n’imposait pas à la déléguée du ministre l’obligation de dévoiler les appels téléphoniques en question ni d’établir une « preuve à réfuter ».

B.  La décision était‑elle raisonnable?

[30]  La demanderesse fait valoir que, comme la déléguée du ministre n’a pas dévoilé les appels avec le comptable, le fait qu’elle se soit appuyée sur ces appels était déraisonnable et que, de ce fait, elle n’a pas cherché à obtenir de meilleurs éléments de preuve ni, à tout le moins, de réponse de la demanderesse. Celle‑ci fait en outre valoir que l’examinatrice de deuxième palier n’a pas effectué un examen valable de l’ensemble du dossier de la demanderesse, en ce qu’elle n’a pas tenu compte du fait que les notes du SARRS ne faisaient état d’aucune communication à destination ou en provenance du comptable ou de son prédécesseur entre janvier 2010 et mars 2012, mois où s’étaient produits les appels en cause. En revanche, cela aurait dû indiquer que le comptable et la demanderesse n’entretenaient pas de relation professionnelle, alors même que l’autorisation de communiquer avec l’ARC demeurait en place.

[31]  Le défendeur répond qu’il s’agit là, au mieux, d’une variante de l’argument d’équité procédurale déjà examiné : la déléguée du ministre a pris en considération tous les éléments de preuve pertinents, y a appliqué les lignes directrices établies et a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière pouvant se justifier. Le défendeur affirme que la demanderesse est tout simplement là à demander à la Cour de soupeser à nouveau les facteurs pris en compte par la déléguée du ministre dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[32]  Le défendeur prétend que le caractère non structuré du pouvoir conféré par la loi au ministre dans le cadre de la disposition d’allègement milite contre l’assujettissement du processus décisionnel à un examen minutieux (Agence du revenu du Canada c Telfer, 2009 CAF 23, au paragraphe 40), et que le respect par un décideur administratif d’énoncés de politique et de lignes directrices non contestés est considéré comme un indicateur – non concluant en soi – du caractère raisonnable (Canada (Procureur général) c Abraham, 2012 CAF 266, au paragraphe 54). Il prétend que, en l’espèce, la déléguée du ministre n’était pas tenue de soutirer de meilleurs éléments de preuve de la demanderesse.

[33]  Je conclus que la décision était raisonnable : en plus des arguments convaincants du défendeur, je note que les lignes directrices énoncent qu’un allègement peut être accordé « lorsque les situations suivantes sont présentes et qu’elles justifient l’incapacité du contribuable à s’acquitter de l’obligation […] fiscale » : 1) circonstances exceptionnelles; 2) actions de l’ARC; 3) incapacité de payer ou difficultés financières (au paragraphe 23). Les lignes directrices définissent ensuite les « circonstances exceptionnelles » comme des « circonstances indépendantes de la volonté du contribuable », qui sont notamment les catastrophes naturelles, les troubles publics, une maladie grave ou des troubles émotifs sévères ou une souffrance morale grave (article 25). Comme politique, les lignes directrices ne sont pas contraignantes et ne peuvent être invoquées pour entraver l’exercice du pouvoir discrétionnaire du délégué du ministre; elles n’en jouent pas moins un rôle utile et important comme guide dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré par la disposition d’allègement (Stemijon Investments Ltd c Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 58 à 60).

[34]  De plus, dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire en matière d’allègement, on se doit de tenir compte de toutes les circonstances pertinentes (Parmar c Canada (Procureur général), 2018 CF 912, au paragraphe 61). La Cour a constamment refusé que la demande d’allègement d’un contribuable soit validement fondée sur le défaut d’un tiers (Northview Apartments Ltd c Canada (Procureur général), 2009 CF 74, au paragraphe 11).

[35]  En l’espèce, la déléguée du ministre a tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, dont l’examen de premier palier et ce qui a suivi comme faits, pour raisonnablement conclure que la situation de la demanderesse n’était pas « indépendante de sa volonté ». Elle a reconnu que la demanderesse avait subi un préjudice de la part de son comptable avant d’en découvrir les erreurs que ce dernier avait commises, et c’est pourquoi les examens du premier et du deuxième paliers avaient fait opter pour un allègement partiel, en annulant les intérêts sur arriérés de la demanderesse pour 2009 et 2010. Ce faisant, les examinateurs des premier et deuxième paliers de l’ARC avaient considéré les facteurs énoncés dans les lignes directrices pour conclure que la demanderesse n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable entre le moment où elle avait découvert que le comptable ne faisait pas bien son travail et le moment de la production de ses déclarations en 2015.

[36]  Il faut se rappeler en définitive qu’il incombe au demandeur de présenter une preuve à l’appui de sa demande d’allègement et que cette charge n’est pas celle du ministre (Pylatuik c Canada (Procureur général), 2016 CF 1394, au paragraphe 40). En l’espèce, la déléguée du ministre a raisonnablement jugé que la demanderesse n’avait fourni aucun renseignement additionnel permettant de modifier la décision initiale, et elle a conclu que les faits essentiels demeuraient les mêmes.

[37]  Enfin, il n’est pas contesté que la demanderesse a produit ses déclarations en retard. Le dossier démontre qu’il lui a fallu plus de quatre ans pour produire des déclarations complètes et exactes après avoir découvert les erreurs du comptable. Rien ne prouve qu’elle avait, en fait, pris une mesure de cessation, de révocation ou de destitution en ce qui concerne l’autorisation ou la représentation de son comptable. Je juge donc que la déléguée du ministre a raisonnablement conclu que la demanderesse avait l’obligation de produire ses déclarations en temps opportun et que, en prenant environ quatre ans pour ce faire, elle n’avait pas fait preuve de diligence raisonnable.

[38]  En somme, il était loisible à la déléguée du ministre de juger en dernière analyse que l’affaire ne satisfaisait pas au critère des « circonstances exceptionnelles ». De fait, la Cour a conclu que, même lorsque c’est en raison de l’erreur d’un comptable que les pénalités avaient été imposées, le ministre n’était pas tenu d’exercer son pouvoir discrétionnaire de renonciation à ces pénalités (Babin c Canada (Agence des douanes et du revenu du Canada), 2005 CF 972, au paragraphe 21). Que la demanderesse ait tenté de remédier à la situation en reconstituant les états financiers, ce qui lui a pris beaucoup de temps, ne rend pas la décision déraisonnable. En fait, ce qui peut sembler inéquitable ou déraisonnable au contribuable n’en fait pas nécessairement quelque chose de déraisonnable selon la norme déférente de contrôle judiciaire. À cet égard, la juge Kane s’est ainsi exprimée dans la décision Parmar :

[51]  En l’espèce, Canpar souhaite et espère faire l’objet d’un traitement équitable. L’issue du présent contrôle judiciaire ne répondra pas à cette attente. Le rôle de la Cour ne consiste pas à décider de ce qui est équitable, mais à juger s’il était raisonnable (selon le sens donné à ce terme dans le cadre du droit administratif) pour le délégué du ministre, en application du paragraphe 220(3.1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, de refuser d’accorder l’allègement pour les contribuables. Comme la Cour l’a expliqué dans la décision Takenaka, au paragraphe 37 :

Le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire n’est pas d’établir ce qui est juste dans les circonstances, mais plutôt si la décision du délégué est raisonnable au sens juridique de la norme décrite ci‑dessus. Il couvre une vaste gamme d’issues qui peuvent subjectivement sembler injustes […]

VII.  Les dépens

[39]  Les deux parties sollicitent les dépens. Ils seront adjugés au défendeur, conformément à la colonne III du tarif B.

VIII.  Conclusion

[40]  La situation de 169 est certes malheureuse, mais la demanderesse avait la responsabilité de veiller, d’une façon ou d’une autre, à ce qu’elle ou son représentant produise dûment ses déclarations. Il lui incombait également de révoquer l’autorisation de son représentant tiers lorsque cette production a cessé. Bien que l’ARC ait recommandé un allègement pour les contribuables à l’égard de certaines années de la demande d’allègement de la demanderesse, le refus de la déléguée du ministre pour l’autre période visée par sa demande était raisonnable dans les circonstances. De plus, vu les exigences minimales d’équité procédurale auxquelles il doit être satisfait, je conclus que la déléguée du ministre n’a pas manqué à l’équité procédurale.


JUGEMENT dans T‑1387‑17

LA COUR STATUE que :

  1. la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée;

  2. les dépens payables à la partie qui a obtenu gain de cause, le défendeur, doivent être taxés conformément à la colonne III du tarif B.

« Alan S. Diner »

Traduction certifiée conforme

Ce 6e jour de juin 2019.

C. Laroche, traducteur


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1387‑17

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

1680169 ONTARIO LIMITED c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 FÉVRIER 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DU JUGEMENT

ET DES MOTIFS :

LE 2 MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Jason Rosen

James Alvarez

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Peter Swanstrom

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rosen Kirshen Tax Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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