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Date : 20000329


Dossier : IMM-4265-99


MONTRÉAL (QUÉBEC), LE 29 MARS 2000

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE NADON


ENTRE :


ALEXANDRE MIKHAILOV

LARISSA KLIMANOVA


demandeurs


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


défendeur



ORDONNANCE


     La demande de sursis à l"exécution de la mesure de renvoi prise contre les demandeurs est rejetée.



                             Marc Nadon                                          Juge


Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.




Date : 20000329


Dossier : IMM-4265-99


ENTRE :


ALEXANDRE MIKHAILOV

LARISSA KLIMANOVA



demandeurs



et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION



défendeur



MOTIFS DE L"ORDONNANCE


LE JUGE NADON

[1]      Il s"agit d"une requête visant au sursis à l"exécution du renvoi, le 30 mars 2000, des demandeurs aux États-Unis. Les demandeurs soutiennent que le sursis prévu au sous-alinéa 49(1)c )(i)1 de la Loi sur l"immigration s"applique et que la mesure de renvoi prise par le ministre est donc illégale puisqu"aucun jugement n"a encore été prononcé sur la demande d"autorisation relative à la présentation d"une demande de contrôle judiciaire devant la Cour fédérale qu"ils ont présentée le 20 octobre 1999.

[2]      Le défendeur soutient que la mesure de renvoi est légale et valide compte tenu de l"exception suivante au sursis prévu par la loi, laquelle est énoncée à l"alinéa 49(1.1)a ) de la Loi :

Le sursis d"exécution ne s"applique pas dans les cas suivants :
     a)      l"intéressé fait l"objet du rapport prévu à l"alinéa 20(1)a ) et réside ou séjourne aux États-Unis ou à Saint-Pierre-et-Miquelon.

De l"avis du défendeur, étant donné que les demandeurs sont entrés au Canada depuis les États-Unis, l"alinéa 49(1.1)a ) de la Loi s"applique et il n"y a donc pas de sursis à l"exécution de la mesure de renvoi qui soit prévu par la loi.

[3]      Les demandeurs sont des citoyens russes. Ils ont quitté leur pays le 14 décembre 1998 et sont arrivés à New York le même jour. Ils se sont rendus de New York à Miami, où ils sont restés sept jours, et sont ensuite retournés à New York pour trois jours. De New York, ils ont pris l"autobus pour venir au Canada, où ils sont arrivés le 24 décembre 1998; ils ont revendiqué le statut de réfugié à la frontière.

[4]      Il s"agit de savoir si les demandeurs sont visés par l"exception prévue à l"alinéa 49(1.1)a ) de la Loi en matière de sursis -- à savoir, s"ils ont fait un séjour aux États-Unis. Les demandeurs soutiennent que les dix jours qu"ils ont passés aux États-Unis ne constituent pas un séjour, mais qu"ils passaient simplement par les États-Unis afin de venir au Canada. Dans leurs affidavits, ils déclarent que leur agent de voyages, en Russie, leur avait conseillé d"acheter un forfait de sept jours à destination de Miami afin d"obtenir un visa américain et qu"ils sont allés à Miami uniquement parce qu"ils craignaient de quitter l"aéroport à leur arrivée à New York. Ils croyaient que, s"ils n"utilisaient pas leurs billets prépayés à destination de Miami, les autorités de l"aéroport auraient des soupçons et qu"elles les renverraient en Russie ou qu"elles les mettraient en prison.

[5]      En fait, les demandeurs considèrent que pendant la période de dix jours qu"ils ont passée aux États-Unis, ils étaient " en transit " à destination du Canada et que cette période n"équivaut pas à un séjour au sens de la Loi sur l"immigration. À cet égard, ils mentionnent une décision rendue par cette cour, El Jechi c. Ministre de l"Emploi et de l"Immigration, (1988) 25 F.T.R. 196, où il a été statué que le fait de passer une nuit aux États-Unis ne constituait pas un séjour, mais que les requérants " passaient " simplement " par les États-Unis afin d"atteindre la frontière canadienne " (p. 198). En arrivant à sa décision, le juge Teitelbaum a dit que l"intention du requérant est pertinente lorsqu"il s"agit de déterminer s"il a de fait séjourné aux États-Unis : " Les faits incontestés qui ont été produits en preuve m"amènent forcément à conclure que les requérants avaient l"intention de voyager à travers une partie du territoire américain pour atteindre la frontière canadienne où ils réclameraient le statut de réfugié " (p. 198, c"est le juge qui a souligné). En outre, le fait que dans l"affaire El Jechi , les requérants étaient restés aux États-Unis une seule nuit et qu"ils avaient pris le premier vol disponible le lendemain convainquait la Cour que " les requérants n"avaient aucunement l"intention de séjourner aux États-Unis ni d"y rester plus que le strict minimum, c"est-à-dire une nuit " (p. 198).

[6]      Avec égards, je ne souscris pas à l"idée selon laquelle la notion de séjour au sens de l"alinéa 49(1.1)a ) de la Loi comporte un élément d"intention. Habituellement, par " séjour " on entend le fait pour une personne de rester temporairement dans un lieu, indépendamment de son intention ou des raisons particulières de cette visite. Dans le New Shorter Oxford English Dictionary2, le mot " sojourn " (séjour) est défini comme suit : [TRADUCTION] " Visite temporaire dans un lieu; arrêt; détour ". Le verbe " to sojourn " (séjourner) est défini comme suit : [TRADUCTION] " Rester temporairement; résider pendant un certain temps; demeurer, s"attarder. " D"autres dictionnaires proposent des définitions similaires. Le Canadian Dictionary of the English Language3 définit le verbe " sojourn " (séjourner) comme suit : [TRADUCTION] " Résider temporairement ", le nom étant défini comme s"entendant d"une [TRADUCTION] " visite temporaire ou d"une brève période de résidence ". Roget"s International Thesaurus4 mentionne les synonymes suivants : " sojourning , sojournment, temporary stay; stay, stop; stopover, stopoff, stayover, layover " (séjour, visite temporaire; visite, arrêt; escale, halte).

[7]      À mon avis, aucune de ces définitions ne laisse entendre que l"intention est un élément de la notion de séjour. On peut tout au plus dire que l"" intention " d"une personne qui effectue un séjour est que ce séjour soit nécessairement temporaire, c"est-à-dire que la personne en question a l"intention de rester temporairement dans un lieu particulier. Je ne puis donc voir comment il peut être soutenu que les demandeurs n"ont pas séjourné aux États-Unis parce qu"ils avaient uniquement l"intention d"y rester temporairement. Ils ont eux-mêmes soutenu qu"ils faisaient un " détour " ou une " halte " aux États-Unis avant de venir au Canada; il s"agissait donc d"un séjour selon les définitions données au paragraphe précédent.

[8]      Les demandeurs affirment être restés aux États-Unis " en transit " avant de venir au Canada. Je ne puis retenir cet argument. Une personne ne peut pas rester en transit pendant dix jours. S"il est amené à sa conclusion logique, cet argument voudrait dire qu"une personne pourrait rester aux États-Unis pendant une période donnée et alléguer ensuite qu"elle n"y a pas séjourné parce qu"elle n"a jamais eu l"intention d"y rester, mais qu"elle passait simplement par là.

[9]      À mon avis, les demandeurs sont visés par l"exception énoncée à l"alinéa 49(1.1)a )5.

[10]      Subsidiairement, les demandeurs soutiennent qu"un sursis devrait être accordé compte tenu de l"arrêt Toth c. MEI (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.); ils soutiennent qu"il existe une question sérieuse à trancher, qu"ils subiraient un préjudice irréparable s"ils devaient aller aux États-Unis et que la prépondérance des inconvénients les favorise. Afin d"invoquer avec succès leur argument, ils doivent établir tous les éléments du critère énoncé dans l"arrêt Toth .

[11]      Les demandeurs affirment qu"ils feraient face à un préjudice irréparable s"ils allaient aux États-Unis parce qu"ils seraient peut-être détenus. À cet égard, ils citent un rapport du mois de septembre 1998 de Human Rights Watch ; intitulé : " United States -- Locked Away : Immigration Detainees in Jails in the United States "; ils soutiennent que [TRADUCTION] " les personnes qui demandent l"asile aux États-Unis sont généralement détenues (page 26 [du rapport], premier paragraphe) " (paragraphe 30 des observations écrites présentées par les demandeurs dans le dossier de la requête). Comme le rapport de Human Rights Watch le signale, l"Immigration and Naturalization Act américaine prévoit la détention des personnes qui demandent l"asile en attendant le règlement de la demande, mais le rapport dit également que les gens sont détenus [TRADUCTION] " parce qu"ils n"ont pas de documents valides leur permettant d"être admis aux États-Unis et d"y rester, pour des raisons de sécurité publique, afin de garantir leur présence aux procédures en cours en matière d"immigration ou afin de les empêcher de rester aux États-Unis après que leur retour dans leur pays d"origine a été ordonné " (p. 30 du rapport de Human Rights Watch , p. 39 du dossier des demandeurs). Cela semble laisser entendre que seuls les gens qui demandent l"asile aux États-Unis, et non au Canada, sont détenus. Je crois en outre qu"aucun des motifs de détention énumérés dans le rapport ne s"applique aux demandeurs. De plus, selon une étude subséquente de Human Rights Watch6, on n"a plus couramment recours à la détention; un examen individuel est effectué de façon qu"une personne ne soit pas détenue si elle peut démontrer qu"elle ne constitue pas un danger pour la société, qu"elle a des attaches avec la collectivité et qu"elle comparaîtra vraisemblablement aux audiences qui seront tenues.

[12]      Même si les demandeurs étaient détenus, je ne suis pas convaincu que cela constitue un préjudice irréparable. Le préjudice irréparable n"est pas un simple inconvénient, ou un problème financier ou émotionnel7. Comme le juge MacKay l"a dit dans la décision Boquoi c. MEI , [1993] A.C.F. no 983, au paragraphe 13 :

Si difficiles qu'elles puissent paraître aux requérants advenant qu'ils soient tenus de quitter le Canada, ces circonstances ne constituent pas un préjudice irréparable au sens donné à cette expression par la jurisprudence. Les contraintes, difficultés ou inconvénients purement économiques ne constituent pas un préjudice irréparable dans des circonstances où, en ce moment, aucun des requérants n'a le droit de demeurer au Canada.

[13]      En outre, la décision que le juge Simpson a rendue dans l"affaire Calderon c. MCI , (1995) 92 F.T.R. 107, à la page 111, confirme l"avis selon lequel les demandeurs ne subiront pas un préjudice irréparable s"ils sont renvoyés aux États-Unis; voici ce que le juge a dit :

Dans l'affaire Kerrutt c. MEI (1992), 53 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay avait conclu que, dans le cadre d'une demande de sursis à exécution, la notion de préjudice irréparable sous-entend un risque grave de quelque chose qui met en cause la vie ou la sécurité d'un requérant. Le critère est très exigeant et j'admets son principe de base selon lequel on entend par préjudice irréparable quelque chose de très grave, c'est-à-dire quelque chose de plus grave que les regrettables difficultés auxquelles vont donner lieu une séparation familiale ou un départ.

La preuve présentée par les demandeurs ne démontre pas l"existence d"un risque grave de quelque chose qui met en cause leur vie ou leur sécurité. À cet égard, je souscris également à la décision que cette cour a rendue dans l"affaire Karthigesu c. MCI , [1998] A.C.F. no 1038, où il a été statué que le fait d"être détenu aux États-Unis ne constitue pas en soi un préjudice irréparable.

[14]      Étant donné que les demandeurs n"ont pas établi qu"ils subiraient un préjudice irréparable s"ils devaient aller aux États-Unis, je n"ai pas à me demander s"il existe une question sérieuse ou à me prononcer sur la prépondérance des inconvénients.

[15]      La requête visant au sursis à l"exécution de la mesure de renvoi aux États-Unis dont les demandeurs font l"objet est donc rejetée.





                             Marc Nadon                                          Juge


Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE



Date : 20000329


Dossier : IMM-4265-99


ENTRE


ALEXANDRE MIKHAILOV

LARISSA KLIMANOVA



demandeurs



et



LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION



défendeur







MOTIFS DE L"ORDONNANCE

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU DOSSIER :                  IMM-4265-99
INTITULÉ DE LA CAUSE :          ALEXANDRE MIKHAILOV et LARISSA KLIMANOVA

demandeurs

                         et

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION

défendeur

LIEU DE L"AUDIENCE :              Montréal (Québec)

DATE DE L"AUDIENCE :              le 27 mars 2000

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DU JUGE NADON EN DATE DU 29 MARS 2000.


ONT COMPARU :

Styliani Markaki                  pour les demandeurs
Annie Van der Meerschen              pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Styliani Markaki                  pour les demandeurs

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                  pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)


__________________

1      Le sous-alinéa 49(1)c )(i) prévoit ce qui suit :
             Sauf dans les cas mentionnés au paragraphe (1.1), il est sursis à l"exécution d"une mesure de renvoi [...] sous réserve des alinéas d ) et f), dans le cas d"une personne qui s"est vu refuser le statut de réfugié au sens de la Convention par la section du statut ou dont l"appel a été rejeté par la section d"appel [...] si l"intéressé présente une demande d"autorisation relative à la présentation d"une demande de contrôle judiciaire aux termes de la Loi sur la Cour fédérale ou notifie par écrit à un agent d"immigration son intention de le faire, jusqu"au prononcé du jugement sur la demande d"autorisation ou la demande de contrôle judiciaire, ou l"expiration du délai normal de demande d"autorisation, selon le cas.

2      Révisé par Lesley Brown, volume 2, Oxford : Clarendon Press, 1993, p. 2936.

3      Toronto : ITP Nelson Publishing Company, 1997, p. 1299.

4      Révisé par Robert L. Chapman, 5e édition, Harper Collins, 1992, p. 167.

5      Je viens tout juste de prendre connaissance de la décision que le juge Lemieux a rendue dans l"affaire Aguilar c. MCI (dossier IMM-4491-99) en date du 29 mars 2000, qui étaye la conclusion que j"ai tirée en l"espèce. Aux pages 13 et 14 (paragraphes 29 et 30), le juge Lemieux dit qu"à son avis ce sont la présence physique et " les circonstances se rattachant à cette présence " plutôt que l"intention dont il faut tenir compte pour déterminer si une personne a effectué un séjour aux États-Unis.

6      Human Rights Watch, " United States, " http://www.hrw.org/wr2k/Us.htm.

7      Voir également : Khan c. MEI , [1992] A.C.F. no 1031, Kerrutt c. MEI, (1992) 53 F.T.R. 93.

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