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Date : 20190423


Dossier : IMM-4590-18

Référence : 2019 CF 501

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 23 avril 2019

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

NEDUNCHELIYAN KOPALAPILLAI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  Neduncheliyan Kopalapillai sollicite le contrôle judiciaire d’une décision par laquelle une agente principale de Citoyenneté et Immigration Canada [l’agente] a rejeté sa demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. L’agente a conclu qu’il n’y avait pas eu d’évolution importante des circonstances depuis que la Section de la protection des réfugiés [la SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté sa demande d’asile au motif qu’il n’avait ni qualité de réfugié au sens de la Convention ni celle de personne à protéger au sens de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27. Par conséquent, l’agente a conclu que M. Kopalapillai pouvait être renvoyé au Sri Lanka en toute sécurité.

[2]  Pour les motifs énoncés ci-après, la décision de l’agente était raisonnable et équitable sur le plan procédural. La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.  Contexte

[3]  Monsieur Kopalapillai est un citoyen du Sri Lanka d’origine ethnique tamoule. Il est arrivé au Canada à bord du MS Sun Sea le 13 août 2010 et a présenté une demande d’asile. La SPR a instruit la demande de M. Kopalapillai le 4 juillet 2012 et l’a rejetée le 27 septembre suivant. Il a présenté une demande d’autorisation de contrôle judiciaire à l’égard de cette décision, mais elle a été rejetée le 19 mars 2013.

[4]  Selon M. Kopalapillai, quatre hommes armés sont allés interroger sa mère à son domicile le 6 juin 2016. Les hommes lui ont demandé où se trouvait M. Kopalapillai et ont proféré des menaces. Sa mère a déposé une plainte écrite à la police le 7 juin 2016.

[5]  Monsieur Kopalapillai a demandé un ERAR. Le 5 juillet 2017, il a présenté des observations écrites et a fourni de nouveaux éléments de preuves postérieurs à la décision de la SPR, notamment la plainte écrite de sa mère à la police, une lettre du médecin de sa mère, une lettre d’un juge de paix sri-lankais, ainsi que des rapports sur les conditions dans le pays. L’agente a rendu une décision défavorable le 8 juin 2018.

III.  La décision faisant l’objet du contrôle

[6]  L’agente a résumé l’exposé circonstancié que M. Kopalapillai avait présenté à la SPR. Elle a souligné que la question déterminante dont la SPR était saisie portait sur la crédibilité, et elle a cité un extrait de l’évaluation selon laquelle la SPR a conclu que M. Kopalapillai n’était pas crédible. L’agente a précisé que les conclusions de la SPR sont considérées comme définitives aux fins de l’ERAR. Par conséquent, elle n’a pas tenu compte des observations de M. Kopalapillai qui portaient sur les questions examinées par la SPR et s’en est tenue aux nouveaux éléments de preuve.

[7]  Tous les nouveaux éléments de preuve concernaient le harcèlement de la mère de M. Kopalapillai par les quatre hommes armés survenu le 6 juin 2016. Dans sa plainte écrite, la mère de M. Kopalapillai affirmait que les hommes ne portaient pas d’uniformes et qu’elle n’a pas pu les identifier. Elle a néanmoins indiqué que les mêmes hommes l’avaient menacée à plusieurs occasions au cours des dernières années et que leurs visites avaient été une source de stress pour elle. S’en sont suivis des problèmes de santé nécessitant des soins médicaux. L’agente a accordé peu de valeur probante à cette lettre. La mère n’a pas expliqué pourquoi elle n’avait pas rapporté ces incidents auparavant, le contenu de la lettre était vague et n’expliquait pas les motivations ou les affiliations des agresseurs, il n’y avait pas de lien apparent entre les hommes et le passé de M. Kopalapillai au Sri Lanka et aucun élément de preuve ne corroborait les éléments exposés dans la lettre.

[8]  Dans sa lettre, le médecin de la mère de M. Kopalapillai affirmait qu’elle avait des problèmes de santé mentale depuis 2014 en lien avec une [traduction] « situation familiale stressante ». Le médecin a précisé que la mère souffrait d’hypertension et d’hypercholestérolémie. Là encore, l’agente n’a accordé que peu de valeur probante à cette lettre, car son contenu était vague et il n’y avait aucun lien apparent entre la persécution alléguée par M. Kopalapillai et l’état de santé de sa mère.

[9]  La lettre du juge de paix indiquait que la mère de M. Kopalapillai l’avait informé de l’incident du 6 juin 2016 et d’un incident subséquent impliquant les quatre mêmes hommes. Le juge de paix a affirmé qu’il connaissait la famille de M. Kopalapillai [traduction] « depuis un bon moment » et qu’il était au fait des circonstances entourant le départ de M. Kopalapillai du Sri Lanka. L’agente était sceptique. Elle a souligné que le juge de paix n’a pas dit avoir une connaissance directe des incidents. Il n’a pas non plus mentionné les incidents antérieurs décrits par la mère dans sa lettre à la police même s’il affirmait bien connaître la famille depuis longtemps.

[10]  L’agente a conclu que les rapports sur les conditions dans le pays fournis par M. Kopalapillai abordaient les risques auxquels la population en général est exposée et a conclu que son profil ne correspondait pas à celui des personnes actuellement en danger au Sri Lanka. L’agente a examiné les jugements de la Cour évoqués par M. Kopalapillai et a conclu qu’ils portaient sur la qualité et la quantité des éléments de preuve. Elle n’a accordé aucun poids à ces jugements.

[11]  Enfin, l’agente a examiné les rapports sur les conditions dans le pays postérieurs à la décision de la SPR. Elle a estimé que malgré les problèmes récurrents de l’après-guerre, la situation d’ensemble au Sri Lanka s’était améliorée au point où M. Kopalapillai ne serait pas exposé à un risque inacceptable s’il retournait dans ce pays.

IV.  Questions en litige

[12]  La présente demande de contrôle judiciaire soulève les questions suivantes :

  1. La décision de l’agente était-elle équitable sur le plan de la procédure ?

  2. La décision de l’agente était-elle raisonnable ?

V.  Analyse

A.  La décision de l’agente était-elle équitable sur le plan de la procédure ?

[13]  L’équité procédurale est une question qui doit être tranchée par la Cour. La norme de contrôle applicable à la question de savoir si la décision a été prise dans le respect de l’équité procédurale est celle de la décision correcte (Canadian Pacific Railway Company c Canada (Procureur général), 2018 CAF 69, au paragraphe 34, citant Mission Institution c Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79). La question fondamentale consiste à savoir si le demandeur connaissait la preuve à réfuter et s’il a eu la possibilité complète et équitable d’y répondre.

[14]  Monsieur Kopalapillai affirme que le ministre a omis de fournir des renseignements au sujet de deux passagers du MS Sun Sea, désignés comme B005 et B016, qui sont retournés au Sri Lanka en 2012. Dans la décision B135 c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 871 [B135], les demandeurs ont revendiqué le statut de réfugié sur place en faisant valoir qu’ils seraient perçus par le gouvernement du Sri Lanka comme étant des affiliés aux Tigres de libération de l’Eelam tamoul [TLET] puisqu’ils s’étaient rendus au Canada à bord du MS Sun Sea. Le ministre a fait valoir que la situation des demandeurs n’était pas la même que celle de B005 et de B016, et qu’ils ne seraient pas maltraités s’ils retournaient au Sri Lanka. Toutefois, le ministre a omis de communiquer certains renseignements au sujet de B005 et de B016 qui contredisaient ses affirmations. Le juge Sean Harrington a conclu qu’il s’agissait d’un déni de justice naturelle (B135, au paragraphe 30).

[15]  En l’espèce, lorsqu’il est intervenu dans la demande d’asile de M. Kopalapillai devant la SPR, le ministre n’a pas divulgué les renseignements au sujet de B005 et de B016 puisqu’il ne disposait pas encore de ces renseignements. La décision de la SPR n’est pas visée par la présente demande de contrôle judiciaire. Toutefois, M. Kopalapillai affirme que puisque le ministre est intervenu dans l’instance devant la SPR, il lui incombe en tout temps de divulguer ces renseignements à l’agente chargée de l’ERAR.

[16]  Monsieur Kopalapillai renvoie à un ERAR effectué par la même agente relativement à un autre citoyen sri-lankais d’origine ethnique tamoule qui s’est rendu au Canada à bord du MS Sun Sea. Dans cette affaire, le ministre a divulgué les renseignements au sujet de B005 et de B016 [traduction] « par souci de prudence », lesquels ont été dûment examinés par l’agente (qui a néanmoins rendu une décision défavorable au demandeur).

[17]  Monsieur Kopalapillai s’appuie sur la décision NR c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 425, où la juge Anne Mactavish a conclu qu’il était déraisonnable de la part de la SPR de refuser de prendre en considération des renseignements concernant B005 et B016 présentés à la suite de l’audience par le demandeur (au paragraphe 24). Dans la décision CD c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1022, le juge Richard Southcott a conclu que la preuve concernant la détention de B005, malgré le fait que les tribunaux du Sri Lanka l’avaient innocenté de toute allégation de participation aux activités criminelles liées aux TLET, semblait établir l’existence d’un risque auquel le demandeur était exposé dans cette affaire (au paragraphe 45).

[18]  Selon M. Kopalapillai, l’agente a l’obligation de tenir compte de la preuve sur les conditions dans le pays même si M. Kopalapillai n’y a pas renvoyé expressément (citant Jessamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 20, aux paragraphes 80 à 82, 86 et 87). Il ne fait aucun doute que l’agente connaissait l’existence de la preuve concernant B005 et B016.

[19]  Selon le ministre, la décision B135 établit le principe qu’il doit faire une divulgation complète dans les cas où c’est sur lui que repose le devoir de divulgation dans le cadre d’une instance. En l’espèce, comme le ministre n’avait rien à divulguer dans le cadre de l’ERAR, il n’était pas tenu de divulguer des renseignements concernant B005 et B016. Monsieur Kopalapillai n’avait aucune attente légitime concernant l’intervention du ministre et la divulgation de renseignements en lien avec son ERAR (citant Procureur général du Canada c Mavi, 2011 CSC 30, au paragraphe 68). Monsieur Kopalapillai était représenté par un avocat et se devait d’« avancer ses meilleurs arguments » pour appuyer sa demande (citant Nhengu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 913, aux paragraphes 6 à 9). Son avocat était vraisemblablement au courant des renseignements concernant B005 et B016, mais il a choisi de ne pas les présenter.

[20]  À mon avis, M. Kopalapillai n’a pas été privé de son droit à l’équité procédurale. Il n’affirme pas que le ministre a dans tous les cas l’obligation de divulguer des renseignements en réponse aux demandes d’ERAR. En l’espèce, le ministre a choisi de ne pas participer à l’ERAR. Il n’y avait aucune attente légitime obligeant le ministre à fournir des renseignements supplémentaires simplement parce qu’il est intervenu dans l’audience devant la SPR. L’avocat de M. Kopalapillai reconnaît que les renseignements au sujet de B005 et B016 ne pouvaient être obtenus à ce moment-là.

[21]  La question de savoir s’il était raisonnable pour l’agente de ne pas aborder ou examiner la situation de B005 et de B016 dans l’ERAR est une question distincte, sur laquelle je reviendrai plus loin.

B.  La décision de l’agente était-elle déraisonnable ?

[22]  Les questions de fait ou les questions mixtes de fait et de droit que tranche un agent dans le cadre d’un ERAR sont susceptibles de contrôle par la Cour suivant la norme de la décision raisonnable. La norme de la décision raisonnable est empreinte de déférence et tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel. La Cour n’interviendra que si la décision n’appartient pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[23]  Monsieur Kopalapillai fait valoir que l’agente a ignoré de façon déraisonnable les éléments de preuve concernant les risques auxquels il serait exposé en tant que demandeur d’asile débouté de retour au Sri Lanka, y compris les renseignements sur ce qui est arrivé à B005 et à B016.

[24]  Le ministre réplique que l’agente a fondé sa décision sur les récents rapports sur les conditions dans le pays et que sa décision était raisonnable. Il y a une présomption selon laquelle l’agente a tenu compte de l’ensemble de la preuve dont elle disposait (citant Saint-Hilaire c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 178, au paragraphe 19). Dans le cadre d’un contrôle judiciaire, il n’appartient pas à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve ni de substituer son propre point de vue sur l’affaire à celui du décideur (citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 61, et Nadarasa c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 95, au paragraphe 20).

[25]  Je suis d’accord avec M. Kopalapillai pour dire que l’agente ne pouvait pas se limiter à examiner les éléments de preuve que le demandeur a fournis à l’appui de sa demande d’ERAR, et qu’elle devait mener ses propres recherches (Ampong c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 35, au paragraphe 40). Les renseignements concernant B005 et B016 faisaient potentiellement partie de cette catégorie, et il ne fait aucun doute que l’agente connaissait les circonstances entourant leur retour au Sri Lanka. De plus, les jugements que M. Kopalapillai cite dans les observations écrites qu’il a fournies à l’agente font clairement état de ces renseignements, bien qu’aucun argument n’ait été présenté pour en souligner l’importance.

[26]  J’estime néanmoins que la décision de l’agente était raisonnable. B005 et B016 sont retournés au Sri Lanka en 2012. L’agente s’est principalement fondée sur un rapport du Bureau de l’intérieur du Royaume-Uni daté de juin 2017. Bien que ce rapport contienne des renseignements contradictoires, l’agente a repris une grande partie des conclusions de ce rapport relativement aux risques encourus par les demandeurs d’asile qui retournent au Sri Lanka. Elle a conclu qu’aucun élément du profil de M. Kopalapillai n’avait pas déjà fait l’objet d’une évaluation par la SPR ni ne l’exposait désormais à un risque inacceptable de mauvais traitements.

[27]  Les motifs exposés par l’agente pour justifier son rejet des nouveaux éléments de preuve présentés par M. Kopalapillai étaient transparents et intelligibles. Un agent d’immigration qui effectue un ERAR peut accorder peu de poids, voire aucun, aux éléments de preuve qui portent sur des risques déjà évalués par la SPR; à ceux dont la source n’est pas impartiale; ou à ceux qui sont vagues, contradictoires ou non corroborés (Liyanage c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 194, aux paragraphes 17 à 21, 30 et 31).

VI.  Conclusion

[28]  La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Ni l’une ni l’autre des parties n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

« Simon Fothergill »

Juge

Traduction certifiée conforme

Ce 3e jour de juillet 2019.

Linda Brisebois, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4590-18

 

INTITULÉ :

NEDUNCHELIYAN KOPALAPILLAI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 4 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 23 AVRIL 2019

 

COMPARUTIONS :

Clarisa Waldman

 

POUR LE DEMANDEUR

 

David Cranton

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Waldman & Associates

Avocat

Toronto (Ontario)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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