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Date : 19990331


Dossier : T-1683-98

ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,


demandeur,


et


DORU-OCTAVIAN DUMITRU,


défendeur.


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Il s'agit d'un appel interjeté par le ministre à l'égard d'une décision d'un juge de la citoyenneté qui a accordé la citoyenneté au défendeur même s'il a été absent du Canada pendant 765 jours au cours des quatre années précédant sa demande de citoyenneté. Le défendeur est un comédien et acteur roumain qui retourne fréquemment en Roumanie pour poursuivre sa carrière.

[2]      L'avocate du ministre m'a invitée à appliquer l'analyse énoncée dans l'affaire Re Koo, [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.), à la preuve produite en l'espèce et à déterminer si le défendeur avait centralisé sa demeure au Canada, si " la qualité des attaches de la personne en question avec le pays montr[ait] la primauté ou le caractère prioritaire de la résidence au Canada (les attaches avec le Canada doivent être plus importantes que celles qui peuvent exister avec un autre pays) ". L'avocat du défendeur m'a invitée à appliquer ce que le juge Dubé a dit dans Re Ho (T-2871-96, 15 décembre 1997) :

         Comme je l'ai dit à de nombreuses reprises, la résidence au Canada aux fins d'obtenir la citoyenneté n'implique pas la présence physique en tout temps. Le lieu où réside une personne n'est pas celui où elle travaille, mais bien celui où elle retourne après avoir travaillé. Donc, un demandeur de la citoyenneté qui élit domicile de façon évidente et définitive au Canada, dans l'intention bien claire d'avoir des racines permanentes dans ce pays ne doit pas être privée de la citoyenneté simplement parce qu'il doit gagner sa vie et celle de sa famille en travaillant à l'étranger. Les indices les plus éloquents du maintien de la résidence sont l'établissement permanent d'une personne et de sa famille dans le pays.         
         Ce principe a été clairement établi par le juge en chef adjoint de cette Cour, le juge Thurlow (tel était alors son titre), dans l'arrêt bien connu Papadogiorgakis.         
                          [Non souligné dans l'original.]         

[3]      La décision du juge de la citoyenneté disposait en partie :

         [TRADUCTION] Après examen du questionnaire sur la résidence et des autres pièces et documents soumis par le demandeur et d'après la déclaration d'intention crédible qu'il a faite à l'audience, je conclus que celui-ci a établi sa résidence à Don Mills (Ontario) et a centralisé son mode de vie au Canada sur le chemin Valley Woods, qu'il a continué à maintenir sa résidence et un mode de vie centralisé au Canada et qu'il n'avait pas l'intention de demeurer ailleurs durant ses absences temporaires.         
         DÉCISION :         
         Je conclus que le demandeur Doru-Octavian Dumitru satisfait à la condition de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi et respecte le cadre établi par le juge en chef adjoint Thurlow dans Re: Papadogiorgakis, no T-872-78.         

[4]      Jusqu'à tout récemment, les appels en matière de citoyenneté prenaient la forme d'une audition de novo devant la Cour. Il n'en est plus ainsi. Bien qu'il s'agisse désormais d'appels, il n'existe pas de transcription de l'entrevue menée par le juge de la citoyenneté sur laquelle est fondée la décision portée en appel. Le juge Lutfy a fait récemment une analyse exhaustive des facteurs à considérer dans la détermination de la norme de contrôle à appliquer (voir Kit May Phoebe Lam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (T-1310-98, 26 mars 1999). Je souscris à son opinion que cette norme tend vers la " décision correcte ". Comme le juge Lutfy, j'estime que la Cour devrait déterminer si le juge de la citoyenneté a appliqué correctement le critère qu'il ou elle a énoncé lorsqu'il a rendu la décision faisant l'objet de l'appel.

[5]      Le juge de la citoyenneté a, en l'espèce, fondé sa décision sur la décision du juge Thurlow dans Re Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.) Dans cette affaire, le juge Thurlow a énoncé les critères à appliquer pour déterminer si les périodes d'absence du Canada devaient être considérées comme des périodes de résidence présumée, dans les termes

suivants :

         [TRADUCTION]...[cela dépend] essentiellement du point jusqu'auquel une personne s'établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d'intérêts et de convenances, au lieu en question.         

[6]      M. Dumitru est arrivé au Canada en février 1991. Il est retourné en Roumanie puis est revenu au Canada le 24 juillet 1991. Il a demandé et obtenu le statut de réfugié. Son passeport indique qu'il est retourné en Roumanie en octobre 1991. Il a habité au Canada dans un logement loué pendant cinq mois en 1991. Pendant son séjour au Canada en 1992, il a demeuré avec des amis. Il est évident qu'il était de retour en Roumanie à l'automne 1992. Il a obtenu le droit d'établissement le 12 décembre 1992, est retourné en Roumanie le 13 mai 1993 et y est demeuré jusqu'au 1er octobre 1993. De septembre 1993 à septembre 1994, il a passé environ 70 jours au Canada, répartis sur trois différentes périodes, dont la plus longue était de 40 jours. La date de sa demande de citoyenneté étant le 5 septembre 1997, la période à considérer pour déterminer s'il a établi et maintenu sa résidence au Canada est la période de quatre ans précédant cette date (c'est-à-dire du 5 septembre 1993 au 7 septembre 1997). M. Dumitru n'était pas physiquement présent au Canada en septembre 1993 et n'y possédait pas de résidence. (Il habitait avec des amis lorsqu'il est arrivé au Canada.) Il n'avait aucune parenté au Canada à cette époque. Il a demeuré avec des amis en 1992 et en 1993 et a touché en 1993 des prestations d'assistance sociale s'élevant à 5 175,00 $.

[7]      Durant la période de septembre 1994 à septembre 1995, M. Dumitru a passé environ 70 jours au Canada, répartis sur trois différentes périodes, dont la plus longue était de 30 jours. De septembre 1995 à septembre 1996, il a passé plus de temps au Canada qu'auparavant, tout comme il l'a fait de septembre 1996 à septembre 1997. Il vivait chaque fois dans des logements loués. Il s'est marié à l'automne 1996 et son épouse l'accompagne désormais.

[8]      Le défendeur a déclaré dans sa demande de citoyenneté que toutes ses absences du Canada postérieures au 14 octobre 1993 étaient motivées par des raisons professionnelles. Il y a précisé qu'il est un acteur et un artiste de spectacle roumain qui, pour exercer son métier, doit se faire voir là où il y a une forte concentration de population de langue roumaine, qu'il est [TRADUCTION] " un visage connu du monde de la télévision et du théâtre roumains depuis 1990 ", et " un des rares acteurs qui, vu son statut au sein du pays, n'a pas à se préocccuper de la succession de gouvernements qui ont remplacé les gouvernements communistes de ce pays ", et " qu'il n'est pas exagéré de prétendre que M. Dumitru a une très grande renommée en Roumanie et a contribué grandement à la démocratisation de ce pays [...] ". La déclaration précise en dernier lieu que M. Dumitru a pris un bref congé professionnel pour pouvoir satisfaire aux conditions de résidence prévues pour l'obtention de la citoyenneté :

         [TRADUCTION] M. Dumitru a pris un bref congé professionnel afin de satisfaire aux conditions de résidence prévues pour l'obtention de la citoyenneté canadienne. Il doit désormais planifier ses prochaines tournées en Roumanie [...]

[9]      Je suis d'accord avec l'avocat du demandeur lorsqu'il soutient qu'il est étrange que le défendeur continue de travailler à l'étranger dans une profession qui ne lui rapporte guère de revenus, alors qu'il dit que le pays avec lequel il a les liens les plus étroits est le Canada. Le juge de la citoyenneté a souligné que le défendeur, malgré ses absences répétées du Canada, a donné de nombreux spectacles au Canada, dont plusieurs à titre gracieux pour des organismes canadiens. Il a fondé cette conclusion sur les éléments de preuve produits. Les seuls éléments de preuve au dossier sont ceux qui établissent que le défendeur, quelquefois accompagné de son épouse, a donné quatre spectacles de courte durée (une heure ou moins) au printemps 1996 et un autre en octobre de la même année, à l'intention d'organismes pour personnes âgées ou handicapées.

[10]      Je me suis demandée si je devais présumer, faute de transcription, que le juge de la citoyenneté disposait d'éléments de preuve additionnels dont je n'ai pas été saisie. J'ai décidé d'écarter cette hypothèse étant donné que le défendeur avait la possibilité de produire de tels éléments de preuve par voie d'affidavit (règle 306).

[11]      Les éléments de preuve produits n'appuient pas la conclusion du juge de la citoyenneté. Il est évident que le centre du mode de vie du défendeur est en Roumanie et non au Canada. Celui-ci n'a pas de liens manifestes avec le Canada. Il ressort nettement du contenu de la demande de citoyenneté que le temps passé au Canada au cours des dernières années représente de brefs congés et non l'établissement d'une résidence permanente.

[12]      L'appel est donc accueilli. Bien que le refus de la citoyenneté à une personne au motif qu'elle ne remplit pas les conditions de résidence semble être une décision sévère, il n'en est pas ainsi parce qu'elle a toujours la possibilité de présenter une nouvelle demande de citoyenneté une fois ces conditions remplies.

[13] Pour ces motifs, l'appel est accueilli.


" B. Reed "

                                         JUGE

TORONTO (ONTARIO)

Le 31 mars 1999.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, B.A., LL.B

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  T-1683-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ
                         ET DE L"IMMIGRATION
                         - c.-
                         DORU-OCTAVIAN DUMITRU
DATE DE L"AUDIENCE :              LE MERCREDI 17 MARS 1999
LIEU DE L"AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS D"ORDONNANCE EXPOSÉS PAR LE JUGE REED

EN DATE DU :                  MERCREDI 31 MARS 1999

ONT COMPARU :

Mme Lori Hendricks                  POUR LE DEMANDEUR
M. Howard Eisenberg              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Morris Rosenberg              POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général

du Canada

M. Howard P. Eisenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Barrister & Solicitor

1010-105, rue Main E.

Hamilton (Ontario)

L8N 1G6

                             COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                 Date: 19990331

                        

         Dossier : T-1683-98

                             Entre :

                             LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

                             - et -

                             DORU-OCTAVIAN DUMITRU,

                    

     défendeur.

                    

                            

            

                                                                                 MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                            

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