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Date : 20020514

Dossier : IMM-1995-02

Référence neutre : 2002 CFPI 546

ENTRE :

                                                                        YI FENG WU

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                               LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                           ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                      défendeur

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]                 Les présents motifs concernent la suspension, accordée le 3 mai 2002, d'une mesure de renvoi qui devait être exécutée le lundi 6 mai 2002. J'ai accordé la suspension de cette mesure essentiellement parce que j'en suis arrivé à la conclusion, après avoir entendu les avocats en conférence téléphonique, que l'intérêt des enfants de M. Wu n'avait pas été pris en considération et que cet intérêt risquait d'être touché par l'expulsion de ce dernier du Canada.


[2]                 M. Wu, sa femme et un de ses enfants, né à Hong Kong alors que la famille se rendait au Canada, sont arrivés ici en 1990 en provenance de la République populaire de Chine. Dès leur arrivée, M. Wu et sa femme ont revendiqué le statut de réfugié. Le statut de réfugié au sens de la Convention lui a été refusé le 7 juin 1991 et une mesure de renvoi conditionnelle a alors été prise contre lui. Sa femme et sa fille ont été déclarées être des réfugiées au sens de la Convention en mars 1993.

[3]                 Sa femme a alors présenté une demande de résidence permanente au Canada et elle a inclus M. Wu, à titre de personne à charge, dans cette demande. La demande de traitement de la demande au Canada a été approuvée sur le plan des principes en 1993.

[4]                 À la fin de 1994, M. Wu et un partenaire commercial se sont disputés au sujet de leur entreprise. Ils se sont battus et M. Wu a finalement été arrêté et inculpé de voies de fait. Il a obtenu une absolution sous condition. Cet incident a amené Citoyenneté et Immigration à décider initialement qu'il n'était pas admissible au Canada parce qu'il possédait un casier judiciaire et à informer son épouse qu'elle devait présenter une nouvelle demande d'établissement au Canada pour elle-même et sa fille, c'est-à-dire en excluant son mari.

[5]                 M. Wu et sa femme ont deux enfants nés au Canada. En 1996, ils vivaient séparés en raison de problèmes conjugaux mais M. Wu a conservé des relations étroites et permanentes avec les membres de sa famille. Il semble qu'il ait continué à s'occuper de ses enfants pendant que sa femme travaillait, parce qu'il n'avait pas lui-même le droit de travailler. En juillet 1996, sa femme a informé les autorités de l'Immigration qu'elle souhaitait que sa demande d'établissement ne visant pas son mari soit examinée. Peu après, des agents de l'immigration l'ont informé que la décision initiale au sujet de son admissibilité avait été modifiée et qu'ils étaient disposés à poursuivre le traitement de la demande qui concernait également son mari. L'épouse de M. Wu affirme maintenant qu'elle n'a pas très bien compris ce qui se passait à cette époque mais quoi qu'il en soit, elle a demandé le divorce en septembre 1996 et a obtenu un jugement de divorce définitif en février 1997. Cela n'a pas empêché M. Wu de continuer à être le principal fournisseur de soins pour ses enfants, avec qui il a continué d'entretenir d'étroites relations. En décembre 2000, il s'est réconcilié avec sa famille et lui et sa femme ont repris leur cohabitation.


[6]                 En mai 2001, M. Wu a reçu une lettre dans laquelle on lui demandait d'assister à une entrevue préalable à une mesure de renvoi le 12 juin 2001. Sa femme et lui se sont remariés, cérémonie qui a eu lieu le 13 juin 2001, et sa femme a présenté une nouvelle demande au Canada dans laquelle elle parrainait son mari. M. Wu a également déposé une demande fondée sur des considérations humanitaires conjointement avec la demande de parrainage présentée par sa femme. Après le dépôt de sa demande d'établissement, en juin 2001, l'avocat a écrit en son nom au ministère de l'Immigration pour demander le report de l'exécution de la mesure de renvoi en attendant la décision sur la demande présentée au Canada et fondée sur des considérations humanitaires. Il n'a pas été répondu à cette demande. Au moment où la demande de suspension a été entendue, aucune décision n'avait encore été prise au sujet de la demande fondée sur des considérations humanitaires.

[7]                 En avril 2002, M. Wu a obtenu un emploi à plein temps avec un horaire flexible qui lui permettait de conduire ses enfants à l'école et d'aller les chercher à la fin de la journée. Le 25 avril 2002, il a reçu un avis le convoquant à une réunion préalable à une mesure de renvoi le 29 avril 2002. Il a assisté à cette réunion avec son avocat. L'agente chargée du renvoi a examiné sa situation et le délai dont il avait besoin pour régler ses affaires avant de quitter le Canada, le renvoi devant s'effectuer le lundi 6 mai 2002. Selon son affidavit, l'agente des renvois indique clairement que la réunion a porté sur les mesures à prendre pour exécuter le renvoi mais que personne ne s'est opposée à la date proposée pour exécuter cette mesure, et que M. Wu avait accepté de se rendre à l'aéroport de Vancouver comme on le lui demandait, pour mettre en oeuvre la mesure de renvoi. Ni M. Wu, ni son avocat n'ont mentionné la demande présentée en juin 2001 en vue de faire reporter la mesure de renvoi en attendant la décision sur sa demande fondée sur des considérations humanitaires. Ils n'ont pas non plus demandé à nouveau que la date du renvoi soit reportée.


[8]                 Le 1er mai, le demandeur a déposé une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire en vue d'obtenir une ordonnance de mandamus visant à obliger le ministre ou son représentant à se prononcer sur sa demande fondée sur des considérations humanitaires. Le même jour, il a déposé une demande de suspension de la mesure de renvoi en attendant l'examen de la demande de contrôle judiciaire.

[9]                 Après avoir entendu les avocats et examiné leurs observations écrites, j'ai accordé la suspension de l'exécution de la mesure de renvoi concernant le demandeur. J'estime que la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire n'est pas en état d'être jugée et n'a pas fait encore l'objet d'une décision mais elle soulève une question suffisamment grave pour justifier que soit examinée sa demande de suspension en attendant la décision de notre Cour.

[10]            En outre, je suis convaincu que, dans les circonstances, le renvoi causerait un préjudice irréparable étant donné que, d'après les preuves qui ont été présentées, il me paraît évident que l'intérêt des enfants de M. Wu n'a pas été suffisamment pris en considération; en effet, l'un d'entre eux est un résident permanent et que les deux autres sont nés au Canada, et leur intérêt est susceptible d'être touché par la mesure de renvoi. Je retiens le fait que l'agente des renvois semble avoir été au courant de l'existence de ces enfants et que M. Wu a indiqué qu'il devrait prendre des arrangements et s'organiser pour que quelqu'un s'occupe de ses enfants au cas où il serait renvoyé. J'accepte également le fait que l'agente des visas n'a peut-être pas été directement invitée par M. Wu ou son avocat, au cours de la réunion préalable au renvoi, à examiner en détail l'intérêt des enfants. Néanmoins, je constate que cet intérêt n'a pas été pris en considération et que le renvoi de M. Wu causerait un préjudice irréparable à celui-ci et à ses enfants, ainsi qu'à son épouse, si l'on ne tenait pas compte de leur intérêt. Le renvoi supprimerait toute possibilité d'examiner cet aspect, même dans le cas incertain où le demandeur serait réadmis par la suite au Canada.


[11]            Je reconnais qu'une demande fondée sur des considérations humanitaires ne suffit pas à justifier une conclusion de préjudice irréparable, ni la présence d'enfants, dont certains sont nés au Canada. Ces facteurs à eux seuls ne peuvent justifier la suspension du renvoi. Je note cependant que l'arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, de la Cour suprême du Canada et la décision plus récente de la Cour d'appel fédérale Legault c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2002 FCA 125, [2002] A.C.F. no 457 (QL), indiquent que les décisions touchant le statut des non-Canadiens aux termes de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et ses modifications, doivent tenir compte d'un facteur important, à savoir l'intérêt des enfants susceptibles d'être touchés par la décision en question. J'estime que ce principe oblige les agents chargés du renvoi à attribuer une importance appropriée à ce facteur, lorsque cela n'a pas été fait auparavant.

[12]            Par conséquent, la demande de suspension est accordée en attendant l'un des événements suivants :

i)           l'évaluation complète de l'intérêt des enfants du demandeur, dans la mesure où ces derniers peuvent être touchés par le renvoi du demandeur du Canada à ce moment-ci;

ii)          la décision sur la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire déposée devant notre Cour;

iii)          la décision sur la demande en cours du demandeur, présentée conformément à l'art. 114 de la Loi sur l'immigration et avec le parrainage de son épouse, concernant son établissement au Canada et fondée sur des considérations humanitaires.

    

                                                                                                                              « W. Andrew MacKay »          

                                                                                                                                                                 Juge                         

  

OTTAWA (Ontario)

le 14 mai 2002

   

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                                               IMM-1995-02

INTITULÉ :                                              YI FENG WU

c.

M.C.I.

  

REQUÊTE ENTENDUE PAR CONFÉRENCE TÉLÉPHONIQUE À OTTAWA ET VANCOUVER

  

DATE DE L'AUDIENCE :                    LE 3 MAI 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :      MONSIEUR LE JUGE MACKAY

DATE DES MOTIFS :                           LE 14 MAI 2002

   

COMPARUTIONS :

M. PETER D. LARLEEPOUR LE DEMANDEUR

M. PETER BELLPOUR LE DÉFENDEUR

   

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LARLEE & ASSOCIATESPOUR LE DEMANDEUR

Vancouver (C.-B.)

M. Morris RosenbergPOUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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