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Date : 19991004


Dossier : T-452-86

Ottawa (Ontario), le 4 octobre 1999


EN PRÉSENCE DE :      MADAME LE JUGE SHARLOW


ENTRE :


ROSELAND FARMS LTD.

demanderesse

- et -


SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse



ORDONNANCE

     L"appel est accueilli en partie. La nouvelle cotisation est renvoyée au ministre pour qu"il la réexamine, compte tenu du fait que le revenu de la demanderesse en 1980 aurait dû être réduit de 12 455 $, soit la valeur des stocks de grains au terme de l"année 1980. Les dépens sont adjugés à la Couronne.

                                 Karen R. Sharlow

                            

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.







Date : 19991004


Dossier : T-452-86

ENTRE :


ROSELAND FARMS LTD.

demanderesse


- et -


SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse


MOTIFS DE L"ORDONNANCE


[1] En 1980, la demanderesse Roseland Farms Ltd. a vendu un bien agricole qu"elle avait acquis en 1976 et en 1977. La vente a permis de réaliser un gain de 420 630 $. Dans sa déclaration de revenus de 1980, la demanderesse a considéré le gain comme un gain en capital, dont seulement la moitié de la valeur est imposable.

[2] En 1982, Revenu Canada a établi une nouvelle cotisation au motif que le gain était imposable en entier à titre de revenu, ce qui augmentait ainsi le revenu de la demanderesse de 310 315 $ pour l"année 1980. Le revenu la demanderesse a également été augmenté de 12 455 $ de plus, soit la valeur correspondant, à la fin de l"année 1980, aux stocks de grains, lesquels ont par la suite été vendus en 1981.

[3] La demanderesse a porté cette nouvelle cotisation en appel devant la Cour canadienne de l"impôt. Un juge de la Cour canadienne de l"impôt a rejeté l"appel de la demanderesse pour les motifs qui ont été rendus le 18 décembre 19851. Le 26 février 1986, la demanderesse a fait appel de ce jugement devant la Cour suivant les dispositions en matière d"appel qui étaient alors en vigueur.

[4] Dans le présent appel, la Cour procède par procès de novo. Il y a deux questions en litige. L"une consiste à savoir si le gain provenant de la vente de la terre agricole représente un revenu ou un gain en capital. L"autre porte sur le traitement fiscal applicable à la valeur des stocks de grains de la demanderesse au terme de l"année 1980.

[5] Le procès a eu lieu le 29 juin 1999, soit plus de treize années après le début de la présente procédure. Ce délai est attribuable, en partie, aux nombreuses requêtes interlocutoires qui ont été déposées en raison du souhait des administrateurs de la demanderesse d"interdire la divulgation de certains faits se rapportant à ses actionnaires. Ces requêtes ont eu pour résultat que les noms des actionnaires m"ont été divulgués, mais ne doivent pas être rendus publics. La


Couronne les connaît. Elle a admis, et je suis d"accord, que les noms des actionnaires ne sont en aucun cas pertinents quant aux questions qui doivent être tranchées dans le présent appel.

La vente d"un bien agricole : gain en capital ou revenu?

[6] La plupart des faits ne sont pas contestés. La demanderesse a été constituée en personne morale en 1976 en vertu de la Companies Act du Manitoba. Son capital-actions est constitué d"une valeur nominale de 100 $. Deux personnes se partagent la propriété de toutes les actions. Il ne ressort pas clairement de la preuve si l"actionnaire majoritaire détient 80 % ou 60 % des actions, mais ce détail n"est pas pertinent en l"espèce. Les actionnaires sont tous deux des Italiens qui ne sont jamais devenus résidents du Canada.

[7] Les actionnaires ne sont pas et n"ont jamais été les administrateurs de la demanderesse. Les administrateurs de la demanderesse sont M. MacKay, M. DeGraves (aujourd"hui le juge DeGraves) et M. Unruh, tous trois du cabinet d"avocats qui s"est chargé de constituer la demanderesse en personne morale. M. MacKay est le seul administrateur qui ait déposé.

[8] En avril 1976, la demanderesse a acquis 634 acres de terres agricoles pour la somme de 220 000 $. Les fonds ont été obtenus grâce à des prêts consentis par les actionnaires, dont l"un, d"un montant de 150 000 $, portait intérêt au taux annuel de 10 % et était remboursable en 1981. Le solde de 70 000 $ ne portait pas intérêt et ne comportait aucune échéance fixe pour son remboursement.

[9] En juin 1977, la demanderesse a acheté 2201 acres de terres agricoles de plus au prix de 1 100 000 $. Une fois de plus, les fonds ont été obtenus grâce à des prêts consentis par les actionnaires. Du montant total de ces prêts, 750 000 $ portaient un taux d"intérêt annuel de 10 % et étaient remboursables en 1983. Le solde de 350 000 $ ne portait pas intérêt et ne comportait aucune échéance fixe pour son remboursement.

[10] La Couronne soutient dans son argumentation que le bien agricole ne devrait pas être considéré comme une immobilisation puisqu"il a été financé en grande partie par des emprunts à court terme. Le choix de la méthode de financement pour l"acquisition de biens immobiliers peut être un facteur important pour distinguer le gain en capital du revenu lorsqu"en pratique, le bien immobilier est grevé de dettes au point où son propriétaire ne pourra probablement pas recouvrer son investissement sans recourir à la vente du bien. Cependant, ce facteur est d"importance secondaire dans le cas où le financement provient entièrement de prêts consentis par les actionnaires.

[11] En l"espèce, l"acquisition des biens immobiliers a été financée en entier par des emprunts, mais ce sont les actionnaires qui en sont les créanciers. Plus de 30 % de la dette ne porte pas intérêt et ne comporte aucune échéance fixe de remboursement. Le solde de la dette porte intérêt et son échéance est de cinq ans, ce que je ne considère pas comme un emprunt à court terme. Il n"y aucune preuve de financement indirect par des tiers.

[12] Dans ces circonstances, la méthode de financement de l"acquisition constitue un facteur neutre. Elle n"est d"aucune utilité relativement à la question de la caractérisation, à titre soit de revenu soit de gain en capital, du gain provenant de la vente du bien immobilier.

[13] La demanderesse a entrepris d"apporter des améliorations à l"immeuble, notamment par certains travaux de creusement de fossés, ainsi que par la démolition d"une maison et d"autres constructions situées sur le terrain mais qui n"étaient pas utilisées.

[14] Le bien immobilier était consacré à des fins agricoles pendant toute la période où la demanderesse en était propriétaire. Le fait que la demanderesse ne possédait aucun équipement agricole n"est d"aucune pertinence puisque celle-ci exploitait son entreprise d"une manière qui ne l"obligeait pas à se procurer son propre équipement. Les deux parcelles ont été cultivées à l"origine par une personne qui a loué le terrain. Après la première année, la plus petite parcelle a été consacrée à une " agriculture à forfait ", tandis que la plus grande parcelle a continué à faire l"objet d"une concession.

[15] Je crois comprendre que l"agriculture à forfait implique l"impartition de plusieurs éléments de l"exploitation agricole, tels le labourage, l"ensemencement, la récolte, etc., à une personne qui possède l"équipement prévu à ces fins. La Couronne a plaidé que l"agriculture à forfait consistait essentiellement en un usage passif du terrain et, partant, ressemblait davantage à la concession qu"à l"agriculture active.

[16] La société est une entité incorporelle. Elle ne peut entreprendre d"activités agricoles, sauf par l"entremise d"êtres humains. Les travailleurs peuvent être les employés de la société ou des entrepreneurs. Dans le cas d"une société à peu d"actionnaires, ces travailleurs peuvent même être des actionnaires qui ne reçoivent pas directement de rémunération en contrepartie de leur travail. Le lien juridique précis qui relie la demanderesse aux personnes qui accomplissent en réalité les travaux agricoles sur son bien immobilier n"est pertinent à l"égard d"aucune des questions en litige en l"espèce. Pour les fins de la présente affaire, l"élément important est le fait que lorsque la demanderesse était propriétaire du bien agricole, elle a tiré de ce bien un revenu sous forme de rente et de produits de la vente des récoltes.

[17] Le bénéfice net et les pertes nettes de la demanderesse, tels qu"ils apparaissent dans les états financiers accompagnant ses déclarations de revenus, se présentent en résumé de la façon suivante :

             1976          1977          1978          1979          1980

Recettes de location      11 730 $      73 147 $      59 4272 $      57 226 $      57 226 $

Recettes de la vente des                      4 523          48 265           74 174

grains              

Revenus en intérêts               1 413          74      185      19 197

Recettes globales          11 730 $      74 560 $      64 024 $      105 676 $      150 597 $

Dépenses          9 129          116 277      183 178      197 645      66 725

Bénéfice net (perte)      2 601 $          (41 717) $      (119 154) $      (91 969) $      (16 128) $


[18] En novembre 1980, toute la superficie de la terre agricole a été vendue pour le prix de 1 826 241 $. L"une des modalités de la vente prévoyait qu"une concession devait être maintenue à un taux annuel de rente de 35 $ l"acre. La demanderesse a soutenu que les démarches entreprises pour s"assurer que le terrain soit loué de façon rentable est une indication que la vente relevait du compte de capital. Je suis d"avis que le fait que le bien ait produit un revenu de location, avant la vente et au moment de la vente, témoigne simplement de la nature des démarches qui ont été entreprises pour maintenir la valeur du terrain en tant que bien agricole. Cela est également compatible avec la caractérisation, à titre soit de gain en capital soit de revenu, du gain provenant de la vente du bien immobilier.

[19] Lors du procès, M. MacKay a décrit les circonstances dans lesquelles la vente s"est déroulée. Il a dit que l"actionnaire majoritaire souhaitait se dissocier de l"actionnaire minoritaire étant donné que ce dernier avait certains problèmes en Italie, possiblement des problèmes de nature fiscale. M. MacKay et ses collègues au sein du cabinet d"avocats ont été incapables de concevoir un plan de réorganisation qui aurait comblé les besoins de l"actionnaire majoritaire et qui aurait en même temps permis à la demanderesse de conserver son terrain. La seule solution qui a été avancée pour résoudre le problème de l"actionnaire majoritaire a été de mettre en vente le bien immobilier appartenant à la demanderesse. Les bénéfices nets devaient alors être distribués aux actionnaires selon un certain mécanisme devant leur permettre de mettre fin à leur relation d"affaires.


[20] Le bien n"a jamais été mis en vente. Il y avait des agents qui manifestaient un intérêt continu pour ce type de bien immobilier. Après que la décision de vendre eut été prise, un agent s"est adressé à M. MacKay pour lui demander s"il était au courant de biens immobiliers à vendre. M. MacKay a répondu par l"affirmative à l"agent, en se référant au bien de la demanderesse, mais a précisé qu"il ne souhaitait pas rendre publique la mise en vente du bien. Peu de temps après, M. MacKay a reçu un appel téléphonique d"une certaine personne d"un cabinet d"avocats de Toronto lui manifestant de l"intérêt pour ce bien. Cet interlocuteur a indiqué qu"il dépêcherait un agent pour faire la visite des lieux. L"agent a finalement fait une offre et le bien a été vendu. L"agent a reçu une commission conformément au contrat de vente.

[21] Le seul fait en litige porte sur l"acquisition, faite par la demanderesse, du bien immobilier. La Couronne plaide que lors de l"établissement de la nouvelle cotisation, laquelle fait l"objet du présent litige, Revenu Canada s"est fondé sur l"hypothèse factuelle que la possibilité de revendre à profit le bien immobilier dans le futur constituait l"un des principaux motifs pour lesquels la demanderesse en avait fait l"acquisition3.

[22] Par cet argument, la Couronne a soulevé la question de l""intention secondaire", ce qui veut dire en bref que si la perspective de revente avec profit est en fait un motif déterminant de l"acquisition d"un bien, l"acquisition de ce bien relève alors du compte de produits et tout gain provenant de la vente du bien constitue un revenu4. Il en est ainsi peu importe l"usage auquel le bien est affecté après son acquisition ou la raison donnant lieu à sa vente.

[23] Il incombe au contribuable de réfuter l"hypothèse factuelle sur laquelle se fonde un avis de cotisation : Johnston v. Canada (Minister of National Revenue) , [1948] R.C.S. 4865. Le fardeau de la preuve ne revient à la Couronne que dans le cas où les éléments de preuve présentés contredisent l"hypothèse. Par conséquent, une cotisation fondée sur une hypothèse factuelle doit être maintenue, à moins qu"il n"existe des éléments de preuve réfutant cette hypothèse. L"avocat de la demanderesse a cité plusieurs décisions qui iraient dans le sens contraire, mais ces décisions sont toutes antérieures à l"arrêt Johnston , précité6. En l"espèce, il incombait à la demanderesse de présenter des éléments de preuve pour contredire l"hypothèse factuelle avancée par la Couronne, suivant laquelle la perspective de revendre la terre à profit constituait un motif déterminant de son acquisition.

[24] L"intention d"une société est révélée par celle des personnes physiques qui en assument la gestion et la direction : Metropolitan Motels Corporation v. Minister of National Revenue (1966), 66 D.T.C. 5208, [1966] C.T.C. 246 (C.F. 1re inst.); Leonard Reeves Inc. c. Ministre du Revenu national (1985), 85 D.T.C. 419, [1985] 2 C.T.C. 2054 (C.C.I.). En ce qui concerne les sociétés à grand nombre d"actionnaires, l"intention requise pourrait être celle d"un cadre ou celle d"un groupe de cadres ou d"administrateurs ayant pris la décision quant à l"achat. Toutefois, l"intention dans le cas d"une société à peu d"actionnaires se manifeste normalement par l"intention de ses actionnaires.

[25] En l"espèce, il ressort clairement de la preuve présentée par M. MacKay que ce sont les actionnaires qui sont à l"origine de la décision de faire acheter la terre agricole par la demanderesse. Les démarches que M. MacKay et les autres administrateurs ont entreprises relativement à l"acquisition et à la vente du bien immobilier visaient seulement à exécuter les directives provenant des actionnaires.

[26] Quels sont alors les éléments de preuve portant sur les motifs qui ont fondé le désir des actionnaires de voir la demanderesse faire l"acquisition de la terre? Les actionnaires n"ont pas témoigné. M. MacKay a présenté des éléments de preuve à l"appui de son interprétation de la position des actionnaires. Son témoignage était franc et honnête, mais n"a pas suffi pour réfuter l"hypothèse factuelle de la Couronne quant aux motifs des actionnaires au moment de l"achat du bien immobilier.


[27] M. MacKay a déposé qu"il avait rencontré les deux actionnaires au tout début, mais seulement une fois ou deux. C"est avec M. DeGraves que les actionnaires communiquaient principalement lorsqu"ils entraient en contact avec son cabinet d"avocats. En fait, M. MacKay n"a appris que très peu au sujet des actionnaires au moment de l"achat. Il a avancé l"hypothèse que ces derniers devaient être dans la cinquantaine en 1976. Il ne connaît pas le type de commerce, le cas échéant, qu"exploitaient les actionnaires en Italie. Les actionnaires parlaient l"italien, mais pas l"anglais. M. MacKay ne parle pas l"italien. En raison de ces barrières linguistiques, les échanges entre M. MacKay et les actionnaires ont eu lieu par l"intermédiaire de M. Len Franco, qui a agi à titre d"interprète. M. Franco est également la personne qui a présenté les deux actionnaires au cabinet d"avocats de M. MacKay. M. Franco n"a pas déposé.

[28] De ces quelques rencontres, M. MacKay a tiré certaines conclusions, que je résumerai comme suit. Aucun des deux actionnaires ne possèdait d"expérience en matière agricole. L"actionnaire minoritaire désirait venir au Canada pour apprendre le métier agricole, possiblement du vendeur de la première parcelle qui avait consenti à louer la terre agricole pour une courte période de temps après l"achat. Toutefois, l"actionnaire minoritaire n"a pas immigré au Canada et ce, pour des raisons que M. MacKay n"a jamais su. En fait, M. MacKay a été incapable de dire si l"actionnaire minoritaire avait même déjà présenté une demande d"immigration. Quoi qu"il en soit, les administrateurs de la demanderesse s"occupaient de la gestion quotidienne du bien immobilier. Lorsqu"il s"avérait nécessaire de consacrer une partie de la terre à l"agriculture à forfait, les actionnaires avançaient les fonds et les administrateurs prenaient les mesures nécessaires.

[29] M. MacKay a également spéculé, en se fondant sur son expérience avec d"autres clients européens, que les actionnaires de la demanderesse auraient pu être motivés par le désir de transférer leurs capitaux hors de l"Italie en raison de certaines incertitudes politiques. Cependant, il a été incapable de dire s"il avait déjà été question de ce sujet en particulier dans le cas des actionnaires de la demanderesse.

[30] Rien dans cette preuve ne contredit l"hypothèse factuelle du ministre que l"un des motifs déterminants, au moment de l"acquisition du bien immobilier, était de le revendre à profit. La partie du témoignage de M. MacKay qui se rapproche le plus de cette importante question de fait se trouve à la page 17 de la transcription, lors de l"interrogatoire principal :

     Q.      Au moment de l"acquisition de ces biens immobiliers, avez-vous eu, en tant qu"administrateur, des motifs de croire que ces biens étaient achetés autrement que pour des fins agricoles?
     R.      Non. Elles devaient être gérées par l"actionnaire minoritaire.

[31] J"accepte que M. MacKay n"ait pas été au courant de l"existence d"une intention secondaire de la part des actionnaires et, donc, de la part de la demanderesse. Cependant, le fait qu"il n"était au courant d"aucune intention secondaire ne démontre pas qu"il n"existait pas une telle intention. Il convient de se rappeler que M. MacKay n"avait aucune connaissance directe des faits relatifs aux actionnaires et des motifs qui ont incité ces derniers à faire l"acquisition de la propriété. Une fois de plus, ce n"est pas M. MacKay mais bien M. DeGraves qui était le principal intermédiaire entre le cabinet d"avocats et les actionnaires de la demanderesse. M. DeGraves n"a pas déposé.

[32] J"ai considéré la possibilité d"inférer, à partir d"autres circonstances, la présence d"une intention secondaire. Les deux parcelles de terre que la demanderesse a acquises sont situées entre Portage la Prairie et Brandon, au Manitoba. M. MacKay a témoigné7 qu"il croyait que la terre était uniquement propice à l"agriculture et qu"elle n"avait aucune valeur spéculative au moment de son acquisition. Le représentant de la Couronne, M. Grace, a admis lors de l"interrogatoire préalable que la terre n"avait aucune possibilité manifeste d"aménagement et que la meilleure façon de la mettre à profit serait de la cultiver8. Cependant, ce témoignage ne porte pas directement sur la question de fait suivante : quels étaient les motifs des actionnaires ou de la demanderesse au moment de l"acquisition du bien immobilier? Les actionnaires pouvaient fort bien avoir une perception des choses différente de celle de M. MacKay ou de M. Grace.

[33] Je conclus qu"il n"y a aucun élément de preuve qui contredise l"hypothèse factuelle de la Couronne, suivant laquelle la perspective de revente à profit du bien immobilier constituait le motif déterminant de son acquisition.


[34] Par ailleurs, il n"y a aucune preuve démontrant que cette hypothèse factuelle est vraie. Au contraire, les réponses fournies par M. Grace lors de l"interrogatoire préalable donnent à penser que la Couronne ne pourrait pas pu prouver son hypothèse si elle était appelée à le faire.

[35] Cependant, l"absence de preuve au soutien d"une hypothèse factuelle avancée par la Couronne est sans pertinence. L"application pratique du principe établi dans l"arrêt Johnston , précité, est qu"il est loisible à la Couronne de justifier une cotisation au moyen de n"importe quelle hypothèse factuelle qu"elle juge appropriée, même si l"hypothèse est incompatible avec les renseignements fournis par le contribuable9. La Couronne peut décider de ne pas croire la version du contribuable. Une cotisation fondée sur une hypothèse factuelle que la Couronne ne peut démontrer sera maintenue si le contribuable ne présente pas, ou ne peut pas présenter, d"éléments de preuve pour contredire cette hypothèse.

[36] Je conclus que la cotisation, à titre de revenu, du gain provenant de la vente du bien immobilier doit être maintenue.

Les stocks de grains au terme de l"année 1980

[37] La seconde question en litige porte sur le traitement fiscal de la vente des stocks de grains portés à l"inventaire de la demanderesse au terme de l"année fiscale 1980. Les réponses fournies par M. Grace lors de l"interrogatoire préalable sont les seuls éléments de preuve à ce sujet. Il n"y a pas eu d"observations présentées oralement. Les deux avocats ne s"appuient que sur les actes de procédure, qui ne sont d"aucune utilité sur ce point.

[38] Selon la défense, l"une des hypothèses factuelles avancées par la Couronne voulait que la demanderesse ait calculé son revenu d"agriculture en se fondant sur la méthode de la comptabilité d"exercice lors de ses déclarations de revenus pour les années d"imposition antérieures à 1980. Cependant, M. Grace a admis lors de l"interrogatoire préalable que le revenu de la demanderesse avant 1980 avait été déclaré suivant la méthode de la comptabilité de caisse10. Cette méthode de calcul du revenu d"agriculture est prévue au paragraphe 28(1) de la Loi de l"impôt sur le revenu, tel qu"il s"appliquait à l"époque.

[39] Les éléments de preuve présentés par M. Grace réfutent l"hypothèse factuelle de la Couronne sur la question de la méthode de comptabilité utilisée par la demanderesse au cours des années antérieures à 1980. Je conclus que la demanderesse a en effet choisi de calculer son revenu pour ces années en suivant la méthode de la comptabilité de caisse, conformément au paragraphe 28(1).

[40] Les stocks de grains portés à l"inventaire de la demanderesse au terme de l"année 1980 proviennent de sa terre agricole. La vente des grains fait partie intégrante de son activité agricole. L"activité agricole de la demanderesse, telle qu"elle existait, s"est maintenue jusqu"à ce que la vente de 1981 ait été effectuée. Par conséquent, la demanderesse pouvait continuer de recourir à la méthode de la comptabilité de caisse en 1980 et avait correctement exclu de son revenu de 1980 la valeur de ses stocks de grains au terme de l"année 1980. La nouvelle cotisation qui fait l"objet de l"appel est donc erronée sur ce point.

[41] J"ajouterai que même si l"activité agricole de la demanderesse avait cessé en 1980, l"issue serait la même. Le paragraphe 28(3) prévoit que le contribuable qui calcule son revenu d"agriculture suivant la méthode de la comptabilité de caisse au cours d"une année d"imposition donnée doit maintenir cette méthode de calcul pour les années suivantes, à moins que le ministre ne consente au changement de la méthode de comptabilité. En vertu du paragraphe 28(5), tout montant inscrit au compte de produits après la cessation de l"activité agricole doit être compris dans le revenu de l"année où le montant est reçu.

Conclusion

[42] Le présent appel est accueilli en partie. La nouvelle cotisation est renvoyée au ministre pour qu"il la réexamine, compte tenu du fait que le revenu de la demanderesse en 1980 aurait dû être réduit de 12 455 $, soit la valeur des stocks de grains au terme de l"année 1980.


[43] Comme la Couronne a eu gain de cause pour plus de 90 % du montant en jeu, les dépens lui sont adjugés.



                                 Karen R. Sharlow

                            

                                     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 4 octobre 1999

Traduction certifiée conforme


Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              T-452-86

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ROSELAND FARMS LTD c. LA REINE

LIEU DE L"AUDIENCE :          WINNIPEG

DATE DE L"AUDIENCE :          29 JUIN 1999

MOTIFS DU JUGEMENT EXPOSÉS PAR LE JUGE SHARLOW

EN DATE DU :              4 OCTOBRE 1999

ONT COMPARU :

Sidney Green                              POUR LA DEMANDERESSE

Gérald Chartier                          POUR LA DÉFENDERESSE     

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sidney Green                              POUR LA DEMANDERESSE

Robert Gosman                          POUR LA DÉFENDERESSE     


__________________

1Roseland Farms Ltd. c. Le ministre du Revenu national (1985), 86 D.T.C. 1086, [1986] C.T.C. 2163.

2Ces chiffres sont extraits des états financiers joints à la déclaration de revenus de 1979, lesquels paraissent contenir des modifications aux états financiers qui ont été joints à la déclaration de revenus de 1978.

3La défense, paragraphe 4(k).

4Hiwako Investments Ltd. c. La Reine (1978), 78 D.T.C. 6281, [1978] C.T.C. 378 (C.A.F.), Crystal Glass Ltd c. La Reine (1989), 89 D.T.C. 5143, [1989] 1 C.T.C. 330 (C.A.F.)

5Pour une analyse plus récente au sujet du fardeau de la preuve, consulter les motifs du juge L'Heureux-Dubé dans l"arrêt Hickman Motors Ltd. c. Canada , [1997] 2 R.C.S. 336, aux pp. 378 à 379.

6Certaines décisions citées par l"avocat de la demanderesse paraissent traiter davantage de l"interprétation de la Loi de l"impôt sur le revenu que de la détermination des faits qui donnent lieu à une cotisation. Par exemple, l"arrêt Foss Lumber Co. v. The Queen (1912), 47 R.C.S. 130, traite de ce qui était alors appelé la présomption en faveur du contribuable. Ces décisions ont été supplantées par des décisions plus récentes, tels les arrêts Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3. Quoi qu"il en soit, l"interprétation de la Loi de l"impôt sur le revenu ne fait pas l"objet du litige en l"espèce. C"est plutôt son application aux faits particuliers qui pose problème.

7Transcription, à la page 29.

8Questions 185 à 206 de l"interrogatoire préalable tenu le 22 juin 1989 (Transcription, aux pages 91 à 96).

9Il se peut fort bien qu"il y ait une exception en ce qui concerne les hypothèses formulées de façon malhonnête, de mauvaise foi ou dans l"intention de nuire, mais aucun de ces motifs n"est allégué en l"espèce.

10Questions 146, 150 à 155 et 162 de l"interrogatoire préalable tenu le 22 juin 1989 (Transcription, pages 83 à 85 et 86 à 87).

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