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Date : 20020412

Dossier : T-56-01

Référence neutre : 2002 CFPI 421

Ottawa (Ontario), le 12 avril 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

                                     HUMBER ENVIRONMENTAL ACTION GROUP

                                                                                                                                                     demandeur

                                                                                   et

                                                                                   

MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS ET DE LA GARDE CÔTIÈRE

défendeur

et

CORNER BROOK PULP AND PAPER LIMITED

intervenante

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE


[1]                 Il s'agit d'une demande de mandamus visant à obliger le ministre des Pêches et des Océans à appliquer la Loi sur la protection des eaux navigables, L.R.C. (1985), ch. N-22 (LPEN) et, en particulier, à ordonner à l'intervenante de présenter une demande d'approbation rétroactive en vertu du paragraphe 6(4) de la LPEN. Il s'agit également d'une demande de jugement déclaratoire portant que le ministre des Pêches et des Océans a manqué à ses obligations en vertu de la LPEN parce qu'il aurait négligé d'appliquer cette loi.

Contexte

[2]                 Le demandeur est un groupe environnementaliste local établi à Corner Brook (Terre-Neuve).

[3]                 Le défendeur, le ministre des Pêches et des Océans (le ministre), reconnaît être responsable, entre autres, de l'administration de la LPEN.

[4]                 La société Corner Brook Pulp and Paper Limited (CBPP) est intervenante à la présente demande. La CBPP possède une usine de papier journal située à Corner Brook et effectue des opérations forestières dans une région connue comme celle du bassin hydrographique de la rivière Main. La CBPP aurait construit au moins huit ponts dans le secteur du bassin hydrographique de la rivière Main sans avoir obtenu d'approbation en vertu de la LPEN. La question litigieuse est de savoir si l'un ou l'autre de ces huit ponts est construit sur ou au-dessus des eaux navigables de telle sorte que la LPEN s'appliquerait.


Observations du demandeur

[5]                 Le demandeur reconnaît que la raison pour laquelle il présente cette demande est de déclencher le processus d'évaluation environnementale préalable à l'octroi d'une approbation en vertu de la LPEN.

[6]                 Le demandeur allègue que, conformément à l'article 5 de la LPEN, tout ouvrage construit ou placé sur ou au-dessus des eaux navigables doit être approuvé par le défendeur.

[7]                 Le demandeur soutient qu'au moins deux ponts, et voire même huit, ont été construits par la CBPP sur ou au-dessus des eaux navigables dans le bassin hydrographique de la rivière Main sans que le défendeur n'ait accordé son approbation.

[8]                 Le demandeur fait valoir que, conformément au paragraphe 6(4) de la LPEN, le ministre peut approuver de façon rétroactive un ouvrage comme un pont, sous réserve de l'article 9 de cette loi.

[9]                 Le demandeur allègue qu'il n'est pas possible pour l'intervenante de faire déclarer que la LPEN excède la compétence du Parlement.

[10]            Le demandeur fait valoir que les questions soulevées par la présente demande de contrôle judiciaire sont bien circonscrites. Les voici :

1.          Le ministre des Pêches et des Océans a-t-il manqué à son obligation prévue par la loi?

2.          Si tel est le cas, le demandeur peut-il obtenir un jugement déclaratoire?

Observations du défendeur

[11]            Le défendeur soutient qu'il n'est pas possible d'obtenir un mandamus pour obliger le ministre à prendre des actions qui ne sont que facultatives en vertu de la LPEN. Le défendeur allègue que le ministre n'a pas manqué à ses obligations en vertu de la LPEN et que, par conséquent, aucune déclaration ne devrait être faite à cet effet.

Observations de l'intervenante

[12]            L'intervenante fait valoir que la LPEN ne devrait pas être interprétée comme s'appliquant à des cours d'eau servant à des fins récréatives limitées sur une base saisonnière puisque de tels cours d'eaux ne sont pas « navigables » selon la définition de la LPEN.

[13]            L'intervenante est d'accord avec les observations du défendeur concernant les questions du mandamus et du jugement déclaratoire.


[14]            L'intervenante porte à l'attention de la Cour l'extrait suivant du jugement rendu par le juge MacKay dans la décision International Minerals & Chemicals Corp. (Canada) c. Canada (Ministre des Transports), 58 F.T.R. 302, au paragraphe 29 :

Ce n'est pas parce qu'un plan d'eau peut porter un canot ou une autre embarcation que les eaux sont navigables pour autant et assujetties à la réglementation prévue par la Loi.

[15]            L'intervenante soutient que l'usage occasionnel par des bateaux de plaisance pendant des périodes de marée haute ne rend pas les eaux navigables et que cela étendrait la notion de navigabilité au-delà des pouvoirs conférés au Parlement par le paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Victoria, ch. 3 (R.-U.), réimprimée dans L.R.C. (1985), App. II, No 5.

[16]            Questions en litige

1.          Convient-il de rendre une ordonnance de mandamus pour obliger le défendeur à appliquer la LPEN et à rendre une ordonnance afin de contraindre la CBPP à présenter une demande d'approbation rétroactive, conformément au paragraphe 6(4) de la LPEN?

2.          Convient-il de rendre un jugement déclaratoire portant que le défendeur contrevient à la LPEN en n'obligeant pas la CBPP à obtenir une approbation conformément à cette loi?


Dispositions législatives, règles et règlements pertinents

[17]            Les définitions suivantes applicables dans l'ensemble de la LPEN figurent à l'article 2 :

2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

« eaux navigables » Sont compris parmi les eaux navigables les canaux et les autres plans d'eau créés ou modifiés par suite de la construction d'un ouvrage.

2. In this Act,

  

"navigable water" includes a canal and any other body of water created or altered as a result of the construction of any work.

[18]            La définition d' « ouvrages » qui s'applique à la partie pertinente de la LPEN figure à l'article 3 et elle est rédigée comme suit :

« ouvrages » Sont compris parmi les ouvrages_:

a) les ponts, estacades, barrages, quais, docks, jetées, tunnels ou conduites ainsi que les abords ou autres ouvrages nécessaires ou accessoires;

b) les déversements de remblais ou excavations de matériaux tirés du lit d'eaux navigables;

c) les câbles ou fils de télégraphe ou de transport d'énergie;

d) les constructions, appareils ou objets similaires ou non à ceux mentionnés à la présente définition et susceptibles de nuire à la navigation.

"work" includes

  

(a) any bridge, boom, dam, wharf, dock, pier, tunnel or pipe and the approaches or other works necessary or appurtenant thereto,

(b) any dumping of fill or excavation of materials from the bed of a navigable water,

(c) any telegraph or power cable or wire, or

(d) any structure, device or thing, whether similar in character to anything referred to in this definition or not, that may interfere with navigation.

[19]            À l'article 5 de la LPEN, l'exigence générale d'approbation ministérielle est énoncée comme suit :


5. (1) Il est interdit de construire ou de placer un ouvrage dans des eaux navigables ou sur, sous, au-dessus ou à travers de telles eaux à moins que_:

a) préalablement au début des travaux, l'ouvrage, ainsi que son emplacement et ses plans, n'aient été approuvés par le ministre selon les modalités qu'il juge à propos;

b) la construction de l'ouvrage ne soit commencée dans les six mois et terminée dans les trois ans qui suivent l'approbation visée à l'alinéa a) ou dans le délai supplémentaire que peut fixer le ministre;

5. (1) No work shall be built or placed in, on, over, under, through or across any navigable water unless

  

(a) the work and the site and plans thereof have been approved by the Minister, on such terms and conditions as the Minister deems fit, prior to commencement of construction;

(b) the construction of the work is commenced within six months and completed within three years after the approval referred to in paragraph (a) or within such further period as the Minister may fix; and

c) la construction, l'emplacement ou l'entretien de l'ouvrage ne soit conforme aux plans, aux règlements et aux modalités que renferme l'approbation visée à l'alinéa a).

(2) Sauf dans le cas d'un pont, d'une estacade, d'un barrage ou d'une chaussée, le présent article ne s'applique pas à un ouvrage qui, de l'avis du ministre, ne gêne pas sérieusement la navigation.

(c) the work is built, placed and maintained in accordance with the plans, the regulations and the terms and conditions set out in the approval referred to in paragraph (a).

(2) Except in the case of a bridge, boom, dam or causeway, this section does not apply to any work that, in the opinion of the Minister, does not interfere substantially with navigation.

[20]            À l'article 6 de la LPEN, le pouvoir du ministre de rendre des ordonnances réparatrices à l'égard des ouvrages non autorisés est énoncé comme suit :

6. (1) Dans les cas où un ouvrage visé par la présente partie est construit ou placé sans avoir été approuvé par le ministre ou est construit ou placé sur un emplacement non approuvé par le ministre ou n'est pas construit ou placé conformément à des plans ainsi approuvés ou, après avoir été ainsi construit ou placé, n'est pas entretenu conformément à ces plans et aux règlements, le ministre peut_:

6. (1) Where any work to which this Part applies is built or placed without having been approved by the Minister, is built or placed on a site not approved by the Minister, is not built or placed in accordance with plans so approved or, having been so built or placed, is not maintained in accordance with those plans and the regulations, the Minister may


a) ordonner au propriétaire de l'ouvrage de l'enlever ou de le modifier;

b) lorsque le propriétaire de l'ouvrage n'obtempère pas à un ordre donné sous le régime de l'alinéa a), enlever et détruire l'ouvrage et aliéner - notamment par vente ou don - les matériaux qui le composent;

(a) order the owner of the work to remove or alter the work;

  

(b) where the owner of the work fails forthwith to comply with an order made pursuant to paragraph (a), remove and destroy the work and sell, give away or otherwise dispose of the materials contained in the work; and.

c) enjoindre à quiconque d'arrêter la construction de l'ouvrage lorsqu'il est d'avis qu'il gêne ou gênerait la navigation ou que sa construction est en contravention avec la présente loi.

  

(2) Quiconque n'obtempère pas à un ordre donné sous le régime de l'alinéa (1)a) ou c) commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire, une amende maximale de cinq mille dollars.

(3) Les frais entraînés par l'enlèvement, la destruction ou l'aliénation d'un ouvrage par le ministre en application de l'alinéa (1)b) sont, après déduction du montant qui peut être réalisé notamment par vente, recouvrables du propriétaire, ainsi que les frais de recouvrement, au nom de Sa Majesté.

(4) Le ministre peut, sous réserve de dépôt et d'annonce comme dans le cas d'un ouvrage projeté, approuver un ouvrage, ainsi que ses plans et son emplacement, après le début de sa construction; l'approbation a alors le même effet que si elle avait été donnée avant le début des travaux.

(c) order any person to refrain from proceeding with the construction of the work where, in the opinion of the Minister, the work interferes or would interfere with navigation or is being constructed contrary to this Act.

(2) Any owner or person who fails to comply with an order given to that owner or person pursuant to paragraph (1)(a) or (c) is guilty of an offence and liable on summary conviction to a fine not exceeding five thousand dollars.

(3) Where the Minister removes, destroys or disposes of a work pursuant to paragraph (1)(b), the costs of and incidental to the operation of removal, destruction or disposal, after deducting therefrom any sum that may be realized by sale or otherwise, are recoverable with costs in the name of Her Majesty from the owner.

(4) The Minister may, subject to deposit and advertisement as in the case of a proposed work, approve a work and the plans and site of the work after the commencement of its construction and the approval has the same effect as if given prior to commencement of the construction of the work.

[21]            L'exigence de dépôt et de préavis est énoncée à l'article 9 de la LPEN de la façon suivante :


9. (1) L'autorité locale, la compagnie ou le particulier qui se propose d'établir, dans des eaux navigables, un ouvrage pour lequel il n'existe par ailleurs pas d'autorisation suffisante peut en remettre les plans, avec la description de l'emplacement projeté, au ministre et déposer un double de ces documents au bureau du directeur de l'Enregistrement ou, à défaut, au bureau des titres de biens-fonds du district, du comté ou de la province où les travaux sont projetés et en demander l'approbation au ministre.

(2) [Abrogé, 1993, ch. 41, art. 8]

(3) L'autorité locale, la compagnie ou le particulier donne un préavis d'un mois du dépôt de ces plans et de sa demande par annonce insérée dans la Gazette du Canada et dans deux journaux publiés dans la localité où l'ouvrage doit être construit, ou dans les environs.

9. (1) A local authority, company or person proposing to construct, in navigable waters, any work for which no sufficient sanction otherwise exists may deposit the plans thereof and a description of the proposed site with the Minister, and a duplicate of each in the office of the registrar of deeds or the land titles office for the district, county or province in which the work is proposed to be constructed, and may apply to the Minister for approval thereof.

  

(2) [Repealed, 1993, c. 41, s. 8]

(3) The local authority, company or person referred to in subsection (1) shall give one month's notice of the deposit of plans and application by advertisement in the Canada Gazette, and in two newspapers published in or near the locality where the work is to be constructed.

[22]            Le paragraphe 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867 précitée dispose :

91. Il sera loisible à la Reine, de l'avis et du consentement du Sénat et de la Chambre des Communes, de faire des lois pour la paix, l'ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets par la présente loi exclusivement assignés aux législatures des provinces; mais, pour plus de garantie, sans toutefois restreindre la généralité des termes ci-haut employés dans le présent article, il est par la présente déclaré que (nonobstant toute disposition contraire énoncée dans la présente loi) l'autorité législative exclusive du parlement du Canada s'étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets ci-dessous énumérés, savoir:

91. It shall be lawful for the Queen, by and with the Advice and Consent of the Senate and House of Commons, to make Laws for the Peace, Order, and good Government of Canada, in relation to all Matters not coming within the Classes of Subjects by this Act assigned exclusively to the Legislatures of the Provinces; and for greater Certainty, but not so as to restrict the Generality of the foregoing Terms of this Section, it is hereby declared that (notwithstanding anything in this Act) the exclusive Legislative Authority of the Parliament of Canada extends to all Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say,


. . .

10. La navigation et les bâtiments ou navires

. . .

Et aucune des matières énoncées dans les catégories de sujets énumérés dans le présent article ne sera réputée tomber dans la catégorie des matières d'une nature locale ou privée comprises dans l'énumération des catégories de sujets exclusivement assignés par la présente loi aux législatures des provinces.

. . .

10. Navigation and Shipping.

  

. . .

And any Matter coming within any of the Classes of Subjects enumerated in this Section shall not be deemed to come within the Class of Matters of a local or private Nature comprised in the Enumeration of the Classes of Subjects by this Act assigned exclusively to the Legislatures of the Provinces.

Analyse et décision

[23]            Au début de l'audience, les parties ont convenu que le nom du défendeur serait modifié pour celui de « ministre des Pêches et des Océans » .

[24]            Question 1

Convient-il de rendre une ordonnance de mandamus pour obliger le défendeur à appliquer la LPEN et à rendre une ordonnance afin de contraindre la CBPP à présenter une demande d'approbation rétroactive conformément au paragraphe 6(4) de la LPEN?         

Dans l'arrêt Apotex Inc. c. Canada (Procureur général) [1994] 1 C.F. 742 (C.A.), aux pages 766 à 769, la Cour d'appel a exposé les principes suivants qui s'appliquent à l'octroi d'ordonnances de mandamus :

1) Le mandamus : les principes applicables


                 Plusieurs conditions fondamentales doivent être respectées avant qu'un mandamus ne puisse être accordé. Les principes généraux énoncés ci-dessous s'appuient sur la jurisprudence de la Cour (voir globalement, l'affaire O'Grady c. Whyte, [1983] 1 C.F. 719 (C.A.), aux pages 722 et 723, citant Karavos v. Toronto & Gillies, [1948] 3 D.L.R. 294 (C.A. Ont.), à la page 297; et Mensinger c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1987] 1 C.F. 59 (1re inst.), à la page 66.

1. Il doit exister une obligation légale d'agir àcaractère public :

[. . .]

2. L'obligation doit exister envers le requérant :

[. . .]

3. Il existe un droit clair d'obtenir l'exécution de cette obligation, notamment :

a) le requérant a rempli toutes les conditions préalables donnant naissance àcette obligation;

[. . .]

b) il y a eu (i) une demande d'exécution de l'obligation, (ii) un délai raisonnable a étéaccordé pour permettre de donner suite àla demande àmoins que celle-ci n'ait étérejeté e sur-le-champ, et (iii) il y a eu refus ultérieur, exprès ou implicite, par exemple un délai déraisonnable;

[. . .]

4. Lorsque l'obligation dont on demande l'exécution forcée est discrétionnaire, les règles suivantes s'appliquent :

a) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire ne doit pas agir d'une manière qui puisse être qualifiée d' « injuste » , d' « oppressive » ou qui dénote une « irrégularité flagrante » ou la « mauvaise foi » ;

b) un mandamus ne peut être accordési le pouvoir discrétionnaire du décideur est « illimité » , « absolu » ou « facultatif » ;

c) le décideur qui exerce un pouvoir discrétionnaire « limité » doit agir en se fondant sur des considérations « pertinentes » par opposition àdes considérations « non pertinentes » ;

d) un mandamus ne peut être accordépour orienter l'exercice d'un « pouvoir discrétionnaire limité » dans un sens donné;

e) un mandamus ne peut être accordéque lorsque le pouvoir discrétionnaire du décideur est « épuisé » , c'est-à-dire que le requérant a un droit acquis àl'exécution de l'obligation.

[. . .]

5. Le requérant n'a aucun autre recours :

6. L'ordonnance sollicitée aura une incidence sur le plan pratique :

[. . .]

7. Dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le tribunal estime que, en vertu de l'équité, rien n'empêche d'obtenir le redressement demandé :

[. . .]

8. Compte tenu de la « balance des inconvénients » , une ordonnance de mandamus devrait (ou ne devrait pas) être rendue.

[. . .]

[25]            Il est clair selon la jurisprudence précitée qu'il doit exister une obligation légale d'agir à caractère public imposée au défendeur. Par ailleurs, le demandeur doit avoir rempli toutes les conditions préalables à l'octroi d'une ordonnance de mandamus. Ces conditions préalables sont :

1.          Y a-t-il eu une demande d'exécution de l'obligation?

2.          Un délai raisonnable a-t-il été accordé pour permettre de donner suite àla demande, àmoins que celle-ci n'ait été rejetée sur-le-champ?

3.          Y a-t-il eu refus ultérieur, exprès ou implicite (par exemple un délai déraisonnable)?

[26]            En ce qui concerne l'existence d'une obligation légale d'agir à caractère public, une lecture attentive du paragraphe 5(1) de la LPEN a démontré qu'il n'y aurait d'obligation du ministre défendeur, si tant est qu'il y en ait une, que si l'un ou l'autre des ponts en cause était construit à travers des eaux navigables. Il conviendrait maintenant d'étudier la preuve portant sur la navigabilité.

[27]            Robert Diamond déclare en partie ce qui suit dans son affidavit :

[TRADUCTION]

5.              Entre le 29e et le 30e kilomètre de la voie d'accès, nous avons remarqué un nouveau pont à charpente métallique, avec une culée en béton et un tablier en bois construit à travers un cours d'eau qui nous a semblé navigable en canot ou autre embarcation. Les coordonnées de ce pont sont 49 48.4'N 57 6.8'O.

6.              Plus loin sur la voie, nous avons pris des photographies et des images vidéo d'un autre pont construit sur le cours d'eau qui se déverse dans le Eagle Mountain Pond. Ce pont est situé à 49 49.8'N 57 17.3'O.

7.              Un autre pont de plus grandes dimensions enjambe la rivière Eagle Mountain qui est navigable en canot ou autre embarcation. Nous avons également pris des photographies et des images vidéo de ce pont qui est situé à 49 57.4'N 57 17.7'O.


8.              À environ 3,5 km au-delà du Eagle Mountain Bridge, un autre pont traverse un affluent principal de la rivière Main. Ce pont comporte aussi une culée en béton, une charpente métallique et un tablier en bois et il est situé à 49 51.9'N 57 17.4'O. Sur ce site, il y avait des traces d'équipement lourd traversant directement le cours d'eau.

[28]            Comme il a été dit plus haut, le seul moment où le paragraphe 5(1) de la LPEN impose une obligation au ministre en ce qui concerne un pont, est lorsque celui-ci enjambe des eaux navigables.    Dans l'arrêt Bande d'Eastmain c. Canada (Administrateur fédéral) [1993] 1 C.F. 501 (C.A.), la Cour d'appel fédérale a déclaré aux paragraphes 87 à 90 :

Cependant, dans Oldman River, les parties avaient reconnu que la rivière Oldman était en fait navigable (à la page 54). L'état de navigabilité d'une rivière est une condition élémentaire d'application de cette Loi et en l'espèce, cet état est vigoureusement contesté par l'appelant et par Hydro-Québec.

                 Le caractère navigable d'une rivière est question de fait et de droit. La Cour ne peut en présumer l'existence et doit être en mesure de conclure, à partir de la preuve offerte, que la rivière est effectivement navigable (Bell v. Quebec (Corporation of) (1879-80), 5 App. Cas 84 (P.C.) à la page 93; Sim E. Bak v. Ang Yong Huat, [1923] A.C. 429 (P.C.) à la page 433; Attorney-General of Quebec v. Fraser (1906), 37 R.C.S. 577 à la page 596, confirmé sub nom. Wyatt v. Attorney-General of Quebec, [1911] A.C. 489 (P.C.); G. V. La Forest and Associates, Water Law in Canada -The Atlantic Provinces, Expansion Économique Régionale, 1973 à la p. 180; G. Lord, Le Droit québécois de l'eau, Centre de recherche en droit public, Univ. de Mtl, Éditeur officiel du Québec, 1977 à la p. 61).

                 Les parties autochtones, en l'espèce, se sont satisfaites de vagues affirmations dans les déclarations assermentées qu'elles ont mises en preuve, affirmations qui tiennent davantage d'énoncés de principe et de conclusions de droit que d'exposés de faits précis et utiles sur lesquels la Cour pourrait appuyer une conclusion. La Cour ne sait rien des caractéristiques de la rivière Eastmain, que ce soit sur son parcours général ou àl'endroit où sera construit le barrage. Le fait qu'elle serve de frontière sur des cartes géographiques n'établit pas la navigabilité. L'allégation qu'elle a servi de mode de transport pour les Autochtones est trop générale et trop isolée pour que la Cour puisse y donner suite.

                 Les prétentions des parties autochtones heurtent de front la Règle 412(2) des Règles de cette Cour [Règles de la Cour fédérale, C.R.C., ch. 663], qui prescrit que « Le fait de soulever une question de droit ou d'affirmer expressément une conséquence juridique - comme, par exemple, la revendication d'un titre à la propriété » ne doit pas être accepté comme remplaçant un exposé des faits essentiels sur lesquels se fonde la conséquence juridique » . (Voir Bertram S. Miller Ltd. c. R ., [1986] 3 C.F. 291 (C.A.); Caterpillar Tractor Co. c. Babcock Allatt Limited, [1983] 1 C.F. 487 (1re inst.)) Affirmer que les eaux sont navigables ou que le barrage affectera des eaux navigables, c'est affirmer, ce me semble, une conséquence juridique.


Et au paragraphe 93 :

J'en viens donc à la conclusion que le dossier tel que constitué ne permet pas à la Cour de conclure que la condition première d'application de la Loi sur la protection des eaux navigables, supra, savoir la navigabilité de la rivière Eastmain, a étéremplie. Le ministre des Transports ne saurait exercer de pouvoir décisionnel entraînant l'application du Décret avant de s'être convaincu de la navigabilité du cours d'eau.

[29]            J'ai examiné la preuve par affidavit de MM. Diamond et Elkins et cette preuve ne me permet pas de dire que les eaux en cause sont navigables. Il n'y a que des déclarations générales comme [traduction] « nous a semblé navigable en canot ou autre embarcation » et [traduction] « qui est navigable en canot ou autre embarcation » . La preuve par affidavit de M. Elkins fait également référence au fait que [traduction] « le débit d'eau dans ce ruisseau est grandement gêné par des roches et des rochers » . S'il ne peut pas être établi que les eaux sont navigables, alors le paragraphe 5(1) de la LPEN ne s'applique pas et le défendeur n'a pas compétence pour agir.

[30]            Ayant conclu que la preuve qui m'a été présentée à l'appui de la présente demande ne démontre pas que les eaux en cause sont des eaux navigables au sens de la LPEN, je conclus également qu'il n'a pas été démontré dans la présente demande que le défendeur avait quelque obligation d'agir à l'égard des ponts en cause. En conséquence, je ne suis pas disposé à accorder une ordonnance de mandamus.


[31]            Je refuserais également d'accorder une ordonnance de mandamus parce qu'aucune demande n'a été préalablement présentée au défendeur par le demandeur. La lettre adressée à Wayne Follett de la Garde côtière canadienne en date du 4 juillet 2000 ne peut pas être considérée comme telle. La lettre pose seulement la question de savoir si le ministère des Pêches et des Océans (MPO) [traduction] « demandera (ou a demandé) une autorisation rétroactive . . . » et si [traduction] « le MPO effectuera un examen préalable en vertu de la Loi canadienne sur l'évaluation environnementale » .

[32]            Question 2

Convient-il de rendre un jugement déclaratoire portant que le défendeur contrevient à la LPEN en n'obligeant pas la CBPP à obtenir une approbation conformément à cette loi?

Pour pouvoir rendre le jugement déclaratoire demandé par le demandeur, il faudrait que je sois convaincu que le défendeur a contrevenu à la LPEN. Comme la preuve qui m'a été présentée ne me convainc pas que les ponts en cause enjambent des « eaux navigables » , je ne peux pas rendre le jugement déclaratoire demandé.

[33]            La demande est donc rejetée, les dépens étant adjugés au défendeur et à l'intervenante.


ORDONNANCE

[34]            IL EST ORDONNÉ que par consentement des parties, le nom du défendeur soit modifié pour celui de « ministre des Pêches et des Océans » .

[35]            ET IL EST ORDONNÉ que la demande soit rejetée et que les dépens soient adjugés au défendeur et à l'intervenante.

      

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                             

Ottawa (Ontario)

Le 12 avril 2002

     

Traduction certifiée conforme

Nicole Michaud, LL.L., M. Trad.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                             T-56-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :             Humber Environmental Action Group c. Ministre des Pêches et des Océans

LIEU DE L'AUDIENCE :         St. John's (Terre-Neuve)

DATE DE L'AUDIENCE :         le 9 novembre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : Monsieur le juge O'Keefe

DATE DES MOTIFS :            le 12 avril 2002

COMPARUTIONS :

Shelley A. Senior                          POUR LE DEMANDEUR

Reinhold Endres

Scott E. McCrossin                          POUR LE DÉFENDEUR

James L. Thisle

Sandra Gogol                                                                     POUR L'INTERVENANTE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shelley A. Senior Law Office

Corner Brook (Terre-Neuve)                      POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)                                                          POUR LE DÉFENDEUR

McInnes Cooper

St. John's (Terre-Neuve)                                                  POUR L'INTERVENANTE

  
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