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Date : 19990408

Dossier : T-288-99

ENTRE :


NFC CANADA LIMITED,


demanderesse,

- et -


LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,


défendeur,

- et -


NORTH AMERICAN VAN LINES (CANADA) LTD.,

UNITED VAN LINES (CANADA) LTD. et

ATLAS VAN LINES (CANADA) LTD.,


intervenantes.


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

[1]      Il s'agit de l'une des deux demandes de contrôle judiciaire introduites par la demanderesse. L'autre instance1 relève de la compétence de la Cour d'appel. Ces demandes visent deux décisions distinctes, mais connexes. Le défendeur veut obtenir la radiation ou, subsidiairement, le sursis de la présente instance jusqu'à l'issue de la deuxième.

[2]      La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada (le Ministère) portant que la soumission de la demanderesse relativement à des services de déménagement d'articles de ménage [Traduction] " ne respecte pas les exigences financières impératives et est donc irrecevable ". La demande de contrôle judiciaire s'appuie sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale2.

[3]      Dans la deuxième instance, la demande de contrôle judiciaire vise la décision du Tribunal canadien du commerce extérieur de rejeter la plainte de la demanderesse concernant le processus de marché public. Le TCCE a décidé de ne pas mener d'enquête parce que la plainte, à son avis, ne démontrait pas, dans une mesure raisonnable, que le marché public n'avait pas été passé conformément au chapitre dix de l'Accord de libre-échange nord-américain, au chapitre cinq de l'Accord sur le commerce intérieur ou à l'Accord sur les marchés publics (les accords internationaux)3. Les demandes de contrôle judiciaire des décisions du TCCE sont soumises à la Cour d'appel par application de l'alinéa 28(1)e) de la Loi sur la Cour fédérale.

[4]      Le défendeur sollicite une ordonnance radiant la présente demande de contrôle judiciaire de la décision du Ministère au motif qu'elle constituerait un abus de procédure et ferait double emploi, compte tenu de la contestation que la demanderesse a entamée relativement à la décision du TCCE. Subsidiairement, le défendeur sollicite une ordonnance de sursis de la présente demande de contrôle judiciaire, jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue dans l'instance devant la Cour d'appel.

[5]      Les parties reconnaissent que la Cour a compétence pour rejeter sommairement la présente demande4 en vertu de l'article 3 de la Loi sur la Cour fédérale, ou pour surseoir à l'instance en vertu de l'article 50 de la Loi.

Les faits

[6]      Le 6 novembre 1998, le Ministère a émis une demande de proposition relativement à des services de déménagement d'articles de ménage. La demanderesse a présenté sa proposition sous son appellation commerciale enregistrée, Allied Van Lines, avant l'expiration du délai pour la remise des soumissions, soit au plus tard le 10 décembre 1998.

[7]      Le 20 janvier 1999, le Ministère a demandé par écrit des éclaircissements à la demanderesse afin de savoir si Allied Van Lines était une entité juridique au sens de la demande de proposition. Plus tard ce jour-là, après un entretien téléphonique avec l'auteur de la lettre du Ministère, un avocat représentant la demanderesse a répondu par écrit que Allied Van Lines n'était pas une entité juridique, mais plutôt une division d'exploitation distincte de NFC Canada Limited. Cette réponse précisait aussi que [Traduction] " ... Allied Van Lines, en qualité de division de NFC Canada Limited, prépare ses propres états financiers séparés. Toutefois, c'est NCF Canada Limited qui, en qualité d'entité juridique dont Allied Van Lines constitue une division, produit des déclarations de revenu à Revenu Canada ".

[8]      Le 26 janvier 1999, le Ministère a rejeté la proposition de la demanderesse parce qu'elle était irrecevable - ci-dessus, paragraphe 2.

[9]      Le 29 janvier 1999, les avocats de la demanderesse se sont opposés au rejet de sa proposition par le Ministère. Les avocats ont réitéré que la soumission était présentée par une entité juridique et que son rejet était contraire à la jurisprudence, ainsi qu'aux politiques et procédures internes du gouvernement, y compris à la Politique sur les marchés du Conseil du Trésor concernant les " irrégularités mineures "5 et le Guide des approvisionnements du Ministère concernant les modifications après la clôture des soumissions6 ( les procédures du gouvernement).

[10]      Le 5 février 1999, le Ministère a répondu à l'opposition de la demanderesse. Sa réponse renvoyait aux clarifications selon lesquelles l'entité juridique était NFC Canada Limited et non Allied Van Lines. La demanderesse a été informée que le contenu de ces éclaircissements avait entraîné une nouvelle évaluation de certains éléments d'ordre financier de sa proposition. Le Ministère a conclu que les états financiers fournis [Traduction] " incluaient ceux de NFC International Logistics and Moving Services et ceux de la division Allied Van Lines, mais non ceux de NFC Canada Limited. En conséquence, comme nous vous en avons informés dans notre lettre du 26 janvier 1999, " la proposition ne respecte pas les exigences financières impératives et elle est donc jugée irrecevable " ".

[11]      Entre-temps, le 2 février 1999, la demanderesse a déposé une plainte auprès du TCCE, en vertu de l'article 30.11 de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur7, reprochant au Ministère de ne pas avoir respecté les obligations que lui imposaient différentes dispositions des accords internationaux en déclarant la soumission de la demanderesse irrecevable. La plainte s'appuyait également sur la jurisprudence et sur les procédures du gouvernement mentionnées par ses avocats dans leur lettre du 20 janvier 1999. Dans leurs observations additionnelles datées du 10 février 1999, les avocats de la demanderesse ont attiré l'attention du TCCE sur la lettre envoyée par le Ministère le 5 février1999 en réponse à leur opposition initiale. Ces observations additionnelles mettaient l'accent sur la question des états financiers.

[12]      Le 18 février 1999, le TCCE a décidé de ne pas mener d'enquête relativement à la plainte formulée par la demanderesse parce qu'elle ne démontrait pas, dans une mesure raisonnable, que l'un des accords précités au paragraphe 3 avait été violé.

[13]      Le 24 février 1999 et le 19 mars 1999, la demanderesse a déposé ses demandes de contrôle judiciaire des décisions rendues respectivement par le Ministère et le TCCE.

Analyse

[14]      La demanderesse a formulé une plainte devant le TCCE concernant la décision du Ministère de rejeter sa soumission.

[15]      Un tribunal peut exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une demande de contrôle judiciaire lorsqu'il existe une autre voie de recours adéquate8. Le défendeur soutient que la demanderesse, en exerçant son droit de formuler une plainte devant le TCCE, s'est prévalue d'une autre voie de recours adéquate9. Selon le défendeur, le processus devant le TCCE constitue l'unique recours prévu par le législateur relativement aux plaintes émanant des fournisseurs éventuels et la présente contestation de la décision rendue par le Ministère le 26 janvier 1999, par voie de contrôle judiciaire devant la Section de première instance, est irrégulière. L'avocate du défendeur a mentionné la similitude entre bon nombre de moyens invoqués par la demanderesse dans les deux instances et fait remarquer que, dans les deux demandes, la question de fond était celle de l'équité de la décision du Ministère. La demande de contrôle judiciaire présentée à la Cour d'appel permettait l'évaluation du refus du TCCE de mener une enquête, dans le contexte de la question de savoir si la décision du Ministère a violé les accords internationaux ou les procédures du gouvernement. L'avocate a conclu son argumentation en affirmant que, mis à part le fait que la demande de contrôle judiciaire présentée devant la Section de première instance était contraire aux principes applicables, l'examen simultané des deux demandes était incompatible avec la résolution du litige selon le gros bon sens.

[16]      La demanderesse s'est appuyée sur le fait qu'il n'est pas certain que le TCCE a compétence pour examiner la prétendue violation des procédures du gouvernement pour justifier le maintien des deux instances. De l'avis de la demanderesse, la principale question en litige devant le TCCE était celle de savoir si le Ministère avait violé une disposition des accords internationaux dans son processus décisionnel. Le refus du TCCE de mener une enquête est, à bon droit, susceptible de contrôle judiciaire par la Cour d'appel. La question soulevée dans la présente instance est toutefois celle de savoir si le Ministère a enfreint les procédures du gouvernement en jugeant la soumission de la demanderesse irrecevable. Ce raisonnement suppose, implicitement, qu'il est possible que l'examen d'une plainte par le TCCE ne s'étende pas à certaines violations des procédures du gouvernement.

[17]      La demanderesse reconnaît qu'elle n'a pas encore pris connaissance de tous les faits qui sous-tendent ses allégations de violation des procédures du gouvernement par le Ministère. Pour y parvenir, elle devra examiner tous les affidavits que le défendeur pourrait déposer et, éventuellement, contre-interroger les auteurs de ces affidavits.

[18]      En réponse aux préoccupations soulevées par la Cour, les avocats des deux parties n'ont pas voulu, du moins à cette étape de l'instance, désigner l'une ou l'autre des dispositions des accords internationaux ou de la législation connexe, aux fins de clarifier la question de savoir si le TCCE a compétence pour se prononcer sur les prétendues violations des procédures du gouvernement.

[19]      La demanderesse a aussi fait valoir que le processus de traitement des plaintes par le TCCE ne constituait pas une autre voie de recours adéquate. Après une enquête, le TCCE doit tirer des conclusions et formuler des recommandations, le cas échéant10. L'avocate de la demanderesse s'est reportée à deux décisions récentes qui laissent croire, selon elle, que les recommandations du TCCE ne lient pas nécessairement un organisme gouvernemental.

[20]      Dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Symtron Systems Inc.11, le juge Linden a fait remarquer que la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur12 " ...crée une sorte de mécanisme pour assurer le respect des décisions, en disposant que l"institution fédérale doit mettre en oeuvre les recommandations du Tribunal " dans toute la mesure du possible " ", en vertu du paragraphe 30.18(1). De l'avis du juge Linden, " ...ce texte semble donner à l"institution fédérale une certaine latitude pour décider si elle va se conformer à la recommandation du Tribunal et dans quelle mesure ". Dans la décision Wang Canada Ltd c. Canada (Ministre des Travaux publics et Services gouvernementaux)13, le juge McGillis a fait remarquer que " ...la décision ministérielle de ne pas adjuger un marché est de nature discrétionnaire et n'est susceptible de contrôle par la Cour que dans les cas où le ministre ou son délégué a agi de mauvaise foi, a commis une erreur de droit ou a pris en considération des facteurs dénués de pertinence ". En s'appuyant sur ces décisions, l'avocate de la demanderesse soutient que le ministre est investi d'un important pouvoir discrétionnaire lui permettant de ne pas donner suite aux recommandations du TCCE. À son avis, cette limite au pouvoir du TCCE d'accorder un redressement compromettrait de façon significative son processus de traitement des plaintes comme autre voie de recours adéquate.

[21]      Les avocates ont décidé de ne pas s'engager dans le débat sur la portée du pouvoir d'examen du TCCE en ce qui concerne les procédures du gouvernement. Cette argumentation, que les parties voudront peut-être présenter devant la Cour d'appel dans l'autre instance, pourrait bien avoir une incidence sur la question de savoir si le processus de traitement des plaintes par le TCCE constitue une autre voie de recours adéquate. En l'absence d'observations émanant des avocates sur les dispositions pertinentes des accords internationaux et de la législation connexe, il ne conviendrait pas que je tire quelque conclusion que ce soit sur ce point. En conséquence, je commettrais une erreur en rejetant sommairement la présente demande de contrôle judiciaire avant que ne soit tranchée la question de la portée de la compétence du TCCE et, partant, celle de savoir si son processus de traitement des plaintes constitue une autre voie de recours adéquate.

[22]      Cependant, cela ne signifie pas que les demandes de contrôle judiciaire doivent être examinées simultanément. Bien que les deux demandes visent des décisions différentes, dans les deux instances, la demanderesse veut obtenir en définitive l'annulation du rejet de sa soumission par le Ministère. Les questions de fait en cause se chevauchent de façon importante. La présentation de la preuve dans les deux instances ferait donc double emploi. Il faut écarter la possibilité que des décisions contradictoires soient rendues du fait que les deux demandes sont soumises en un premier temps, respectivement, devant la Section de première instance et devant la Cour d'appel.

[23]      Compte tenu des circonstances, la bonne administration de la justice commande le sursis de la demande de contrôle judiciaire introduite devant la Section de première instance jusqu'à ce qu'une décision finale soit rendue relativement à la demande soumise à la Cour d'appel.

     " Alan Lutfy "

                                             J.C.F.C.

Ottawa (Ontario)

8 avril 1999

Traduction certifiée conforme

Laurier Parenteau,LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :      T-288-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      NFC CANADA LIMITED et LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :      Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      30 mars 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LUTFY

DATE DES MOTIFS :      8 avril 1999

ONT COMPARU :

Mes Barbara McIsaac & Kris Klein              POUR la demanderesse

Mes Kathleen McManus & Susanne Pereira          POUR le défendeur

Me Harold Watson                      POUR l'intervenante (Atlas Van Lines)

Mes Donald Affleck & Jason Markwell          POUR l'intervenante (North American Van Lines)

Me Murray Eades                      POUR l'intervenante (United Van Lines)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McCarthy Tétrault                      POUR la demanderesse

Ottawa (Ontario)

Me Morris Rosenberg                  POUR le défendeur

Sous-procureur général du Canada

O'Connor MacLeod                      POUR l'intervenante (Atlas Van Lines)

Oakville, (Ontario)

Kelly, Affleck, Greene                  POUR l'intervenante (North American Van Lines)
Cabinet Eades                          POUR l'intervenante (United Van Lines)

Mississauga (Ontario)

__________________

1      Numéro du greffe A-196-99.

2      L.R.C. (1985), ch. F-7.

3      Le TCCE a rejeté sommairement la plainte en vertu de l'alinéa 7(1)c ) du Règlement sur les enquêtes du Tribunal canadien du commerce extérieur sur les marchés publics, DORS/93-602.

4      La Cour ne peut exercer son pouvoir discrétionnaire de radier une demande de contrôle judiciaire que dans des circonstances exceptionnelles : David Bull Laboratories (Canada) Ind. c. Pharmacia Inc. (1994), 58 C.P.R. (3d) 207 (C.A.F.).

5      Disposition 10.8.7 de la Politique sur les marchés du Conseil du Trésor.

6      Disposition 7.345 (23-06-94) du Guide des approvisionnements de Travaux publics et Services gouvernementaux Canada. Dans ses observations écrites concernant la requête, la demanderesse s'appuie aussi sur la disposition 2.010 (23-06-94) concernant la communication efficace et sur la disposition 7.389 (15-09-97) concernant les éclaircissements.

7      L.R.C. (1985), ch. C-47 (4e suppl.), modifié par L.C. 1993, ch. 44 et L.C. 1994, ch. 47.

8      Anderson c. ;Canada (Forces armées), [1997] 1 C.F. 273 (C.A.).

9      Voir Canadien Pacifique Limitée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 R.C.S. 3, à la p. 31 et Harlequin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561, aux p. 587 à 594.

10      Paragraphe 30.15(1) de la Loi sur le Tribunal canadien du commerce extérieur , précitée, note 7.

11      [1999] A.C.F. no 178 (Q.L.) (C.A.), aux paragraphes 12 et 13.

12      Précitée, note 7.

13      [1999] 1 C.F. 3 (1re inst.), à la p. 16.

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