Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date : 19990129


Dossier : T-2756-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 29 JANVIER 1999

EN PRÉSENCE DU JUGE EN CHEF ADJOINT

ENTRE :

     ADVANCE MAGAZINE PUBLISHERS INC.,

    

     appelante

     (opposante),

     - et -

     MASCO BUILDING PRODUCTS CORP.,

     intimée

     (requérante),


- et -


LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE.

    

     ORDONNANCE

     SUR L"APPEL interjeté en vertu de l"article 56 de la Loi sur les marques de commerce , L.R.C. (1985), ch. T-13, contre la décision du président de la Commission d"opposition des marques de commerce, en date du 16 octobre 1996, rejetant l"opposition de l"appelante à la demande d"enregistrement n 686,121 de la marque VOGUE;

     LA COUR STATUE :

     L"appel est accueilli, avec dépens en faveur de l"appelante, et il est ordonné au registraire d"agir en conséquence.

     J. Richard

                                     Juge en chef adjoint

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


Date : 19990129


Dossier : T-2756-96

ENTRE :

     ADVANCE MAGAZINE PUBLISHERS INC.,

     appelante

     (opposante),

     - et -

     MASCO BUILDING PRODUCTS CORP.,

     intimée

     (requérante),


- et -


LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE.

    

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

Le juge en chef adjoint RICHARD

Nature de la procédure

[1]      Il s"agit d"un appel interjeté en vertu de l"article 56 de la Loi sur les marques de commerce , L.R.C. (1985), ch. T-13 (la Loi) contre la décision du président de la Commission d'opposition des marques de commerce, en date du 16 octobre 1996, rejetant l"opposition de l"appelante à la demande d"enregistrement n 686,121 de la marque VOGUE.

Historique

[2]      Le 18 juillet 1991, l"intimée, Masco Building Products Corp. (Masco) a produit au Canada la demande d"enregistrement n 686,121 de la marque de commerce VOGUE, en liaison avec les serrures de porte et les ferrures de porte. La demande était fondée sur l"utilisation projetée de la marque au Canada. La marque de Masco a été approuvée par le Bureau des marques de commerce et publiée en vue de la procédure d"opposition dans le Journal des marques de commerce du 1er avril 1992.
[3]      Le 29 juillet 1992, l"appelante a produit une déclaration d"opposition alléguant que la demande de Masco ne respectait pas l"alinéa 30i) de la Loi, que la marque de Masco n"était pas enregistrable en raison de l"alinéa 12(1)d) de la Loi, et que Masco n"était pas la personne ayant droit à l"enregistrement en raison de l"article 16 de la Loi du fait que sa marque créait de la confusion avec certaines des marques enregistrées et non enregistrées de l"appelante couvrant les magazines, les livres et les patrons de papier.
[4]      Sur le fondement de la preuve présentée devant la Commission d'opposition, le président du la Commission a rendu une décision, le 16 octobre 1996, rejetant l"opposition de l"appelante.
[5]      Les moyens soulevés dans la déclaration d"opposition et qui ont été plaidés lors de l"audience sur l"opposition étaient les suivants :
     1)      La marque crée de la confusion avec les marques enregistrées de l"appelante et n"est donc pas enregistrable (contrairement à l'alinéa 12(1)d) ).
     2)      L"intimée n"était pas la personne ayant droit à l"enregistrement de la marque parce que cette marque créait de la confusion, à la date de la demande, avec les marques de l"appelante qui avaient été employées de telle façon qu"elles étaient devenues notoires et même célèbres au Canada.
[6]      Lors de l"audience sur l"opposition, l"appelante a produit un affidavit de Normand Waterman, directeur adjoint du magazine VOGUE. Dans son affidavit, M. Waterman présente le témoignage suivant :
     1)      Le magazine VOGUE est publié sans interruption, par l"appelante et ses auteurs, depuis au moins 1892.
     2)      La diffusion actuelle du magazine VOGUE au Canada, à la fois par des abonnements et par la vente en kiosques, dépasse nettement le million d"exemplaires par numéro, en moyenne.
     3)      Depuis 1984, l"appellante a réalisé plus de 65 millions de dollars par année de recettes brutes de publicité provenant des annonceurs qui placent des annonces dans le magazine VOGUE.
     4)      Un numéro typique de VOGUE contient principalement des articles, des chroniques et de la publicité sur la mode haute couture. Toutefois, le magazine VOGUE contient également, de façon régulière, des articles et des chroniques se rapportant à la décoration intérieure.
     5)      Le magazine VOGUE comporte une chronique mensuelle intitulée [TRADUCTION] " Le style de vie Vogue ", portant sur la décoration intérieure et la peinture.
     6)      L"appelante a également employé et enregistré la marque VOGUE en liaison avec des patrons de couture. L"emploi de la marque en liaison avec ces marchandises remonte au moins à août 1927.
     7)      L"appelante publie également un magazine appelé VOGUE DECORATION, traitant presque exclusivement d"aménagement intérieur et de décoration intérieure, depuis au moins 1985.
     (8)      Le magazine VOGUE DECORATION est vendu par abonnement et en kiosques. Le tirage du magazine dans la période 1989 à 1992 a dépassé 10 000 exemplaires par année.
     (9)      Le magazine VOGUE DECORATION comprend des articles, des chroniques et de la publicité concernant l"aménagement intérieur et la décoration intérieure.
[7]      M. Waterman n"a pas été contre-interrogé sur son affidavit.
[8]      La preuve de l"intimée se compose de résultats de recherches effectuées dans le registre des marques de commerce, dans les annuaires téléphoniques et dans les registres de noms commerciaux et de dénominations sociales au Canada et aux États-Unis. Aucun représentant de l"intimée n"a déposé pour établir l"emploi de la marque VOGUE, la nature des marchandises qui seraient vendues en liaison avec la marque, ou la nature du commerce que l"intimée projette de faire avec ces marchandises. L"appelante n"a donc pas pu contre-interroger l"intimée sur les raisons du choix de la marque VOGUE.
[9]      Les auteurs d"affidavit pour l"intimée ont tous été contre-interrogés. Chacun d"eux a témoigné que :
     1)      On ne lui avait pas demandé de rechercher si les marques ou les noms indiqués étaient employés au Canada.
     2)      Il n"était pas au courant de l"emploi des marques et des noms trouvés dans sa recherche.
[10]      En appel, l"intimée a produit un autre affidavit, mettant à jour les recherches faites antérieurement sur les marques de commerce. Elle a également produit un autre affidavit de la personne qui a effectué des recherches supplémentaires dans les annuaires téléphoniques, des recherches en ligne et sur Internet.
[11]      Exception faite d"échantillons établissant l"emploi de la marque de commerce VOGUE BRA en liaison avec la lingerie et l"emploi du nom commercial VOGUE BRA INC., l"affidavit n"établissait aucun emploi d"une marque de commerce ou d"un nom commercial mentionné dans son affidavit et ne révélait aucun effort pour découvrir des faits dont on pourrait déduire que l"une des marques ou l"un des noms trouvés par elle était employé au Canada.
Les questions en litige
[12]      Est-ce à tort que le registraire a accueilli la demande de l"intimée malgré l"opposition de l"appelante?
[13]      Selon une juste interprétation de la preuve et du droit, la marque de commerce VOGUE telle qu"elle est appliquée par l"intimée en liaison avec les serrures de porte et les ferrures de porte crée-t-elle de la confusion, au sens de la Loi , avec la marque de l"appelante VOGUE?
[14]      Selon le paragraphe 16(3) de la Loi, l"intimée a-t-elle droit à l"enregistrement de la marque VOGUE compte tenu de l"emploi antérieur, par l"appelante, des marques VOGUE et VOGUE DECORATION .
[15]      En vertu de l"alinéa 12(1)d) de la Loi, la marque dont l"enregistrement est demandé crée-t-elle de la confusion lorsqu"on la compare aux marques enregistrées de l"appelante, à savoir :
     VOGUE - en liaison avec les magazines et les patrons;

     VOGUE DECORATION - en liaison avec les magazines.

La norme de contrôle

[16]      L"article 56 de la Loi sur les marques de commerce dispose :

Appeal

56.(1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

Appel

56.(1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l"avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l"expiration des deux mois.

     [...]


Additional evidence

(5) On an appeal under subsection (1), evidence in addition to that adduced before the Registrar may be adduced and the Federal Court may exercise any discretion vested in the Registrar. R.S., c. T-10, s. 56; R.S., c. 10(2nd Supp.), s. 64.

Preuve additionnelle

(5) Lors de l"appel, il peut être apporté une preuve en plus de celle qui a été fournie devant le registraire, et le tribunal peut exercer toute discrétion dont le registraire est investi. L.R., ch. T-10, art. 56; L.R., ch. 10 (2e suppl.), art. 64.

[17]      L"article 56 de la Loi prévoit un droit d"appel sans condition à l"encontre des décisions de la Commission.
[18]      À mon avis, la norme de contrôle applicable est exposée par le juge Heald dans Brasserie Labatt Ltée c. Brasseries Molson, société en nom collectif (1996), 113 F.T.R. 39 (C.F. 1re inst.) aux pages 43 et 44. Le juge Heald traitait du rôle de la Cour en appel :
     Le juge Strayer a exposé avec justesse le rôle de la Cour lors d'un appel interjeté en vertu de l'article 56 de la Loi dans l'affaire McDonald's Corp. c. Silcorp Ltd., (1989), 24 C.P.R. (3d) 207 (C.F. 1re inst.), à la p. 210; conf. (1992), 139 N.R. 319, 41 C.P.R. (3d) 67 (C.A.F.). :         
         Il semble clair qu'en matière d'oppositions, lorsque le litige porte essentiellement sur des faits relatifs à la confusion ou au caractère distinctif, la décision du registraire ou de la Commission constitue une conclusion de fait et non l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, la Cour ne devrait pas réviser cette décision avec autant de retenue que s'il s'agissait de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire. La Cour est donc libre d'examiner les faits afin d'établir si la décision du registraire ou de la Commission était exacte; cependant cette décision ne devrait pas être annulée à la légère, compte tenu des connaissances spécialisées dont disposent ces instances décisionnelles : voir Benson & Hedges (Canada) Ltd. c. St. Regis Tobacco Corp. (1968), 57 C.P.R. 1, à la p. 8, 1 D.L.R. (3d) 462, [1969] R.C.S. 192, aux p. 199 et 200 (C.S.C.). Bien qu'à diverses reprises, la Cour d'appel fédérale ait jugé qu'en appel, la Cour avait l'obligation d'établir si le registraire avait ou non rendu une décision " manifestement erronée " ou s'il avait simplement " eu tort ", il semble que le juge saisi d'un appel semblable à l'espèce soit tenu de tirer ses propres conclusions quant à l'exactitude de la décision du registraire. Ce faisant, il doit toutefois tenir compte de l'expérience et des connaissances particulières dont dispose le registraire ou la Commission et surtout prendre en considération, le cas échéant, le fait que de nouvelles preuves, dont ne disposait pas la Commission, ont été déposées devant lui.                 
     Voir aussi Clorox Co. c. E.I. Du Pont Nemours and Co. (1995), 64 C.P.R. (3d) 79 (C.F. 1re inst.).         
     En conséquence, je me laisserai guider par les principes énoncés ci-dessus pour trancher le présent appel. En fait, je dois tirer ma propre conclusion sur l'exactitude de la décision du registraire, mais je dois tenir compte de l'expérience et des connaissances particulières dont dispose le registraire et du fait qu'aucun élément de preuve nouveau, dont ne disposait pas le registraire, n'a été produit lors du présent appel.         

La charge de la preuve

[19]      Le fardeau de persuasion qui incombe à la requérante est d"établir qu"il n"y aurait pas de risque raisonnable de confusion entre les marques de commerce des parties à la date applicable. Il est bien établi que la date à laquelle s"apprécie la confusion pour l"application de l"alinéa 12(1)d) de la Loi est la date de la décision du registraire.
[20]      L"appelante soutient que la marque de commerce VOGUE est une marque forte à laquelle il faudrait accorder une protection étendue. La force de la marque de l"appelante impose donc à l"intimée un fardeau plus exigeant de convaincre le registraire ou la Cour de l"absence du danger de confusion pour le public.

Les critères fixés par la loi

[21]      Le paragraphe 6(2) de la Loi dispose qu"une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l"emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont vendues par la même personne, que ces marchandises soient ou non de la même catégorie générale.
[22]      Pour déterminer le risque de confusion, il faut tenir compte de toutes les circonstances de l"espèce, notamment des éléments expressément prévus au paragraphe 6(5) de la Loi :
     a)      le caractère distinctif inhérent des marques de commerce et la mesure dans laquelle elles sont devenues connues;         
     b)      la période pendant laquelle les marques ont été en usage;         
     c)      le genre de marchandises;         
     d)      la nature du commerce;         
     e)      le degré de ressemblance entre les marques de commerce dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu"elles suggèrent.         

La décision du président de la Commission des oppositions

[23]      Le président de la Commission d'opposition, pour arriver à sa conclusion, a fait les constatations suivantes :
     La marque de la requérante VOGUE appliquée aux serrures de porte et aux ferrures de porte, ce qui comprendrait, je présume, les poignées de porte, peut suggérer à certains consommateurs que ces marchandises ont un certain chic. Par conséquent, je juge que la marque de commerce de la requérante possède relativement peu de caractère distinctif inhérent par rapport à ses marchandises. En outre, puisque la requérante n"a pas présenté de preuve pour établir qu"elle a commencé à employer la marque VOGUE au Canada, je dois supposer que la marque dont l"emploi est projeté n"est guère devenue connue au Canada.         
     Ainsi que l"a noté mon collègue M. Martin dans l"affaire Condé Nast Publications Inc. v. Gottfried Importing Co. Ltd. et al., 31 C.P.R. (3d) 26, à la page 28, la marque VOGUE de l"opposante n"est pas forte par elle-même. De même, la marque de l"opposante VOGUE DECORATION suggère un magazine orienté surtout sur la décoration intérieure à la mode et possède donc un degré limité de caractère distinctif inhérent. Toutefois, malgré la faiblesse inhérente du mot VOGUE, les deux marques de l"opposante VOGUE CAREER en liaison avec les patrons de papier et les livres et VOGUE HOMBRE en liaison avec les magazines possèdent un certain degré de caractère distinctif inhérent si on les considère dans leur ensemble. L"affidavit de M. Waterman confirme, ainsi que concluait M. Martin dans l"affaire Condé Nast, que la marque de commerce VOGUE est devenue notoire au Canada en liaison avec les magazines. Par contre, les magazines VOGUE DECORATION ne sont diffusés au Canada par l"opposante et par son auteur que depuis 1985 et, à la date de l"affidavit de M.Waterman, les abonnements et les ventes en kiosques du magazine étaient limités à environ 10 000 exemplaires par numéro au Canada. Donc, la marque de commerce VOGUE DECORATION n"est devenue connue que dans une mesure limitée au Canada. L"opposante n"a pas présenté de preuve au sujet de son emploi des marques de commerce VOGUE CAREER ou VOGUE HOMBRE et je suppose que ces marques ne sont guère devenues connues au Canada.         
    
     Compte tenu de ce qui précède, la mesure dans laquelle la marque de l"opposante VOGUE et, à un degré moindre, sa marque VOGUE DECORATION sont devenues connues en liaison avec des patrons et des magazines joue en sa faveur dans l"opposition. Également, la période pendant laquelle les marques ont été en usage favorise l"opposante à l"égard de ses marques de commerce VOGUE et VOGUE DECORATION, la marque de la requérante étant fondée sur son emploi projeté au Canada.         
     La marque de commerce VOGUE de la requérante est identique à la marque VOGUE de l"opposante, en plus d"être très semblable, dans la présentation, le son et les idées suggérées, aux marques de l"opposante VOGUE DECORATION, VOGUE CAREER et VOGUE HOMBRE. Donc, les seuls critères que le registraire doit encore considérer selon le paragraphe 6(5) de la Loi , à part des circonstances supplémentaires, sont la nature des marchandises et les réseaux commerciaux. À cet égard, les serrures de porte et les ferrures de porte de la requérante n"ont aucune ressemblance avec les magazines, les livres et les patrons de l"opposante. Toutefois, l"opposante a fait valoir que son magazine VOGUE contient une section portant sur l"aménagement et la décoration intérieurs sous le titre " Le style Vogue " tandis que le magazine de l"opposante VOGUE DECORATION est consacré surtout à la décoration intérieure et à l"aménagement et comprend des articles et de la publicité concernant divers produits reliés à l"aménagement intérieur. Dans une décision récente de la Commission d"opposition portant sur une opposition formée par l"opposante en l"espèce contre une demande d"enregistrement de la marque de commerce LATEX VOGUE pour les peintures [Advance Magazine Publishers Inc. v. Peintures M.P. (1973) Inc., 66 C.P.R. (3d) 375, à la p. 379], j"ai conclu que l"aménagement et la décoration intérieurs pouvaient être perçus par le consommateur moyen comme une extension logique de l"utilisation traditionnelle de VOGUE en liaison avec un magazine traitant de la mode et d"accessoires. Toutefois, dans la présente opposition, je ne croirais pas que les serrures de porte ou les ferrures de porte soient des marchandises que le " consommateur moyen " considérerait comme particulièrement rattachées à l"aménagement ou à la décoration intérieurs.         
     À titre de circonstance supplémentaire à l"égard de la confusion, le requérant a présenté en preuve les résultats de recherches et d"enquêtes effectuées par Christopher Dejardin, Christine McCluskey et Susan Burkhardt. En réponse à l"affidavit de M. Dejardin, l"opposante a présenté l"affidavit de M. Burke. D"après les affidavits de MM. Dejardin et Burke, il semblerait qu"il y a environ dix-sept marques enregistrées qui comprennent ou incluent le mot VOGUE dans le registre, inscrites au nom de treize titulaires différents. Étant donné le nombre de marques VOGUE appartenant à des tiers qu"a révélées la recherche de M. Dejardin et compte tenu du fait que l"affidavit de Mme Burkhardt semble confirmer que deux au moins des sociétés [Vogue Brassiere Inc. and Industries Vogue Ltée] titulaires de marques de tiers exercent leur activité au Canada, je suis disposé à accorder un certain poids à la preuve de la requérante au sujet de l"état du registre. Par contre, l"affidavit de Mme McCluskey présente les résultats d"une recherche de marques de commerce effectuée par elle aux États-Unis. En l"absence de preuve d"emploi dans le marché de marques ainsi trouvées, je ne suis pas disposé à accorder de poids à cette preuve.         
     Dans son affidavit, Mme Burkhardt décrit une recherche informatique qu"elle a effectuée sur les sociétés et elle a annexé à son affidavit les résultats de cette recherche. Elle a également annexé les résultats d"une recherche de sociétés dont la dénomination comporte le mot " Vogue " qu"elle a effectuée dans les dossiers internes de son employeur, Gowling, Strathy & Henderson. Ces recherches confirment l"adoption de Vogue comme composante de nombreuses dénominations sociales au Canada bien que la requérante n"ait produit aucune preuve que l"une quelconque de ces dénominations ait été portée à l"attention des consommateurs dans le marché ou même que ces dénominations soient effectivement en usage au Canada. En plus, Mme Burkhardt a annexé à son affidavit des photocopies de pages d"annuaires téléphoniques de Vancouver, Toronto, Montréal et Ottawa qui comprennent des listes de sociétés ou d"entreprises dont la dénomination ou le nom comporte le mot " Vogue ". En plus de confirmer que " Vogue " a valeur de nom de famille et d"identifier les titulaires de certaines marques enregistrées découvertes par la recherche de M. Dejardin, les résultats des recherches dans les annuaires téléphoniques montrent que " Vogue " a été adopté comme composante de noms commerciaux ou de noms d"entreprise par environ trente entreprises dans les quatre villes indiquées plus haut. Compte tenu du nombre de dénominations sociales et d"inscriptions téléphoniques découvertes par Mme Burkhardt, ainsi que des résultats de la recherche de M. Dejardin, je suis disposé à conclure que le nom et la marque " Vogue " ont été portés à l"attention des consommateurs au Canada et que cela constitue un facteur important jouant en faveur de la requérante dans la présente opposition.         
[24]      Puis il a conclu :
     Même en considérant que la marque de commerce VOGUE de l"opposante est notoire, le preuve de l"opposante n"indique aucun rapport entre les marchandises de la requérante et les magazines et les patrons de l"opposante. En outre, les serrures de porte et les ferrures de porte n"entrent pas dans le domaine de l"aménagement et de la décoration intérieurs qui est associé au magazine VOGUE DECORATION de l"opposante. De plus, la preuve de la requérante au sujet de marques de commerce comprenant ou incluant le mot VOGUE, jointe à la preuve de l"adoption du mot Vogue par un certain nombre de sociétés et d"entreprises au Canada, appuie la conclusion que les consommateurs seraient habitués à voir la marque ou le nom VOGUE associé à des marchandises, des services ou des entreprises de tiers dans le marché au Canada. En conséquence, j"ai conclu que la requérante s"est acquittée du fardeau de persuasion qui lui incombait à l"égard de la question de la confusion et j"ai donc rejeté les autres motifs d"opposition.         
[25]      En appel, l"appelante n"a pas invoqué les marques VOGUE CAREER et VOGUE HOMBRE.

Analyse

[26]      Trois des cinq facteurs prévus au paragraphe 6(5) de la Loi favorisent clairement l"appelante, ce qui laisse seulement les alinéas c) et d) : le genre des marchandises et la nature du commerce, à examiner.
[27]      La preuve établit que la marque de commerce VOGUE de l"appelante est bien connue en liaison avec les magazines et a acquis une notoriété propre en liaison avec les magazines. Toutefois, il n"y a pas de preuve que la marque de commerce de l"intimée ait été utilisée au Canada. En conséquence, elle n"est pas devenue connue du tout.
[28]      En outre, la preuve démontre que la marque de commerce VOGUE est employée en liaison avec les magazines depuis plus de 100 ans. La marque de commerce VOGUE DECORATION est employée depuis plus de 10 ans.
[29]      La marque notoire VOGUE de l"appelante est identique à la marque dont l"intimée demande l"enregistrement.
[30]      En ce qui concerne la nature du commerce, il est établi que le magazine de l"appelante est vendu aux consommateurs par abonnement et en kiosque. L"intimée n"a produit aucune preuve concernant la nature du commerce projeté et le monopole revendiqué n"est limité d"aucune façon. Il faut donc présumer que le monopole recherché par l"intimée inclut les produits vendus aux consommateurs par tous les réseaux commerciaux imaginables.
[31]      Il n"est pas obligatoire d"accorder le même poids aux critères définis au paragraphe 6(5) de la Loi . Dans chaque cas de confusion, il peut y avoir des raisons d"accorder plus de poids à l"un de ces facteurs par rapport aux autres.
[32]      Ainsi que l"a indiqué le juge Rouleau :
     En pareil cas, les tribunaux ont statué que la distinction entre les marchandises et la nature du commerce des deux marques concurrentes perd de l'importance. Certes, ces facteurs ne permettent pas de régler de façon décisive la question de la confusion; ce ne sont que des critères accessoires dont il faut tenir compte pour déterminer si les marques de commerce créent de la confusion, en ce sens qu'elles se ressemblent au point de risquer d'induire le public en erreur. Par conséquent, bien que la nature des marchandises et les réseaux commerciaux qu'utilisent l'appelante et l'intimée soient importants et qu'ils soient pertinents à la question de la confusion, ils ne sont pas, tout compte fait, déterminants1.         
[33]      Une marque forte a droit à une protection étendue.
[34]      Comme l"a écrit le juge Joyal:
     Je tiens à faire une dernière observation. Il me semble qu'en ce qui concerne la nature des marchandises, le lien entre deux marques concurrentes doit faire l'objet d'un examen beaucoup plus rigoureux lorsqu'on compare une marque projetée à une marque établie depuis longtemps. La réputation d'une marque découle manifestement de son caractère distinctif, c'est-à-dire une combinaison de voyelles, de syllabes et de sons comportant une qualité inhérente qui évoque, non seulement les marchandises précises éventuellement énumérées dans l'enregistrement de la marque, mais aussi l'image qui s'attache à toutes les diverses activités exercées par son propriétaire. À mon avis, voilà ce qu'on entend essentiellement par l'expression " sens secondaire ". À l'appui de ce principe directeur, je me contenterai de citer les affaires Kodak et Vogue, publiées respectivement à Re Kodak Trade Mark, Eastman Photographic Materials Co., Ltd. v. Griffiths (John) Cycle Corp., Ltd. (1898), 15 R.P.C. 105 et Condé Nast Publications Inc. c. Gozlan Bros. Ltd. (1980), 49 C.P.R. (2d) 250. J'avoue qu'aucune décision jurisprudentielle antérieure ne porte exactement sur la même question. Néanmoins, lorsqu'il s'agit d'une marque comme KODAK, en raison de son caractère distinctif inhérent, ou VOGUE, en raison de son influence prédominante dans le domaine de la mode, les tribunaux ont conféré une protection qui dépasse largement le domaine des appareils photo, d'une part, et celui des revues de mode, d'autre part2.         
[35]      Une marque de commerce qui est devenue notoire au Canada ou à l"échelle internationale a droit à une protection étendue. Ainsi, dans l"affaire Miss Universe, Inc.3, la Cour fédérale d"appel a statué :
     Plus la marque est solide, plus grande est l'étendue de la protection qui devrait lui être accordée et plus il sera difficile au requérant de se décharger de l'obligation qui lui incombe. Comme l'a remarqué le juge Mahoney (tel était alors son titre) dans l'arrêt Carson c. Reynolds, une marque de commerce peut être :         
         ... si généralement associée à [une personne] que l'emploi de celle-ci avec d'autres marchandises ou services, même s'ils n'ont absolument rien à voir avec des services de divertissement, créerait de la confusion en ce que ce double emploi donnerait vraisemblablement à entendre que toutes ces marchandises et services, quels qu'ils soient, ont un rapport direct avec [cette personne] ...                 
     Nombreux sont les exemples, dans la jurisprudence relative aux oppositions à l'enregistrement des marques de commerce, de l'étendue de la protection à accorder à des marques qui sont solides. Il en est de même dans les actions en contrefaçon et les affaires relatives aux injonctions, dans lesquelles des marques plus faibles ont également obtenu gain de cause.         
[36]      En outre, notre Cour a jugé, dans une série de décisions4, que, dans le cas de marques fortes, les critères indiqués aux alinéas 6(5)c) et d) de la Loi (le genre de marchandises, services ou entreprises et la nature du commerce) ne sont pas particulièrement déterminants.
[37]      Dans des circonstances comme celles-ci, la Commission d"opposition est tenue d"examiner " les faits en cause en partant du principe qu'il fallait accorder à la marque de commerce de l'appelante une protection particulièrement étendue, et qu'il était particulièrement difficile à l'intimée de s'acquitter de son obligation d'écarter toute probabilité de confusion5 ".
[38]      Lorsque l"opposant a une marque forte et que le requérant n"a pas présenté de preuve pour établir l"absence de rapport entre les produits ou services offerts par l"opposant et ceux qui sont offerts par le requérant, dans le sens que le public pourrait déduire que le requérant a obtenu de l"opposant une approbation, une licence ou un parrainage ou qu"il y avait quelque rapport commercial entre les deux parties, le requérant ne s"est pas acquitté de son fardeau de preuve.
[39]      En l"espèce, certains éléments de preuve établissaient un rapport entre les marchandises de l"intimée (serrures de porte) et les chroniques, les articles et la publicité trouvés dans les magazines de l"appelante VOGUE et VOGUE DECORATION au sujet de la décoration intérieure.
[40]      En l"absence de toute preuve de la part de l"intimée au sujet du genre de ses marchandises et du monopole revendiqué par elle, il faut présumer que tous les genres de serrures de porte et de ferrures de porte sont couverts par le monopole recherché par elle, y compris les produits de décoration haut de gamme et de bon goût du genre de ceux sur lesquels on a des chances de trouver des chroniques, de la publicité ou des articles dans les magazines de l"appelante.
[41]      Il ne s"agit pas d"un cas du genre de celui traité dans l"affaire Pink Panther6 où les produits en question étaient les films et les produits de beauté et où il y avait une énorme différence dans le genre de marchandises.
[42]      À mon avis, c"est à tort que le président de la Commission d'opposition a conclu que l"emploi par l"intimée de la marque VOGUE en liaison avec des serrures de porte et des ferrures de porte ne présentait pas de risque de confusion avec la marque notoire de l"appelante dans l"esprit du consommateur moyen.
[43]      La Commission d"opposition " semble avoir négligé le fait que l'intimé était un nouveau venu dans un domaine dans lequel l'appelante occupait déjà une place considérable, et qu'il empruntait de la sorte la totalité d'un nom déjà bien établi par l'appelante précisément dans le domaine en question7 ".
[44]      Ainsi que l"a écrit le juge Décary dans l"affaire Miss Universe à la page 626 : L'intimé était tenu de choisir un nom avec soin, de façon à éviter toute confusion " comme l'exige la définition de l'expression " marque de commerce projetée " à l'article 2 de la Loi " et de façon à ne pas donner l'impression qu'il avait l'intention de tirer profit d'une marque déjà célèbre.
[45]      Dans le présent appel, le président de la Commission d'opposition a souligné la non-ressemblance des marchandises, même face à une marque célèbre. On trouve une abondante jurisprudence qui donne gain de cause à une marque célèbre à l"égard de marchandises non concurrentes8.

État du registre

[46]      Comme l"a relevé le président de la Commission d'opposition, il y a environ dix-sept marques enregistrées comprenant ou incluant le mot VOGUE dans le registre, au nom de treize titulaires différents.
[47]      L"intimée a complété cette preuve en y rajoutant d"autres marques enregistrées et en instance.
[48]      Il ne s"agit pas d"un cas comme celui de l"affaire Kellogg9, où la marque avait été jugée faible et où il y avait un nombre significatif d"enregistrements au nom de tiers.
[49]      On n"a rapporté aucune preuve d"un usage répandu dans le commerce de la marque identique.
[50]      On n"a rapporté aucune preuve de l"emploi effectif des noms énumérés dans les annuaires téléphoniques, sur l"Internet ou dans les registres sur les sociétés, on nous a seulement invités à tirer cette déduction à partir des inscriptions.
[51]      Je conviens que la preuve de noms commerciaux comprenant la marque dans les annuaires téléphoniques à l"échelle du Canada puisse nous autoriser à déduire qu"un certain nombre de ces entreprises sont exploitées activement, bien qu"une telle preuve soit loin d"être déterminante en l"espèce.
[52]      Cette preuve n"a pas suffisamment de poids pour limiter l"étendue de la protection à accorder à une marque forte comme VOGUE.

CONCLUSION

[53]      J'estime qu'il y a, en l"espèce, un lien entre les marchandises, particulièrement lorsque les marques sont identiques et que la marque enregistrée est une marque notoire. La requérante n"a pas limité son emploi de la marque aux produits qui ne tomberaient pas dans le domaine de protection que possède maintenant la marque VOGUE.
[54]      L"appel est accueilli, avec dépens en faveur de l"appelante, et il est ordonné au registraire d"agir en conséquence .

     J. Richard

                                     Juge en chef adjoint

Ottawa (Ontario)

Le 29 janvier 1999

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.

COUR FÉDÉRALE

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N DU GREFFE :              T-2756-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Advance Magazine Publishers Inc. c. Masco Building Products Corp.
LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 26 octobre 1998

MOTIFS DE L"ORDONNANCE DE MONSIEUR LE JUGE RICHARD, JUGE EN CHEF ADJOINT EN DATE DU 29 JANVIER 1999

ONT COMPARU :

Kenneth McKay                          pour l"appelante
James Buchan                          pour l"intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sim, Hughes, Ashton & McKay                  pour l"appelante

6th Floor, 330 University Avenue

Toronto (Ontario)

M5G 1R7

Gowling, Strathy & Henderson                  pour l"intimée

Bureau 2600

160, rue Elgin

C.P. 466, Succursale D

Ottawa (Ontario)

K1P 1C3

__________________

1      Leaf Confections Ltd. c. Maple Leaf Gardens Ltd. (1986), 7 F.T.R. 72 (C.F. 1re inst.).

2      Polysar Ltd. c. Gesco Distributing Ltd. (1985), 6 C.P.R. (3d) 289 (C.F. 1re inst.).

3      Miss Universe, Inc. c. Dale Bohna, [1995] 1 C.F. 614, à la p. 622.

4      Supra, notes 1 et 2.      Beverley Bedding & Upholstery Co. c. Regal Bedding & Upholstery Ltd. (1980), 47 C.P.R. (2d) 145.

5      Ibid, à la p. 262 (le juge Décary).

6      United Artists c. Pink Panther Beauty Corp., [1998] 3 C.F. 534 (C.A.F.); demande d"autorisation de pourvoi accordée par la Cour suprême du Canada le 19 novembre 1998.

7      Ibid, à la p. 262 (juge Décary).

8      Condé Nast Publications Inc. c. Gozlan Brothers Ltd. (1980), 49 C.P.R. (2d) 250. (C.F. 1re inst.).

9      Kellogg Salada Canada Inc. c. Maximum Nutrition Ltd. et al. (1987), 9 F.T.R. 136; infirmé par la Cour d"appel fédérale [1992] C.F. 442.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.