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Date : 20020322

Dossier : T-1836-00

Référence neutre : 2002 CFPI 327

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOHN A. O'KEEFE

ENTRE :

EMILY CHARLOTTE DURANT

demanderesse

- et -

CANADA (MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS)

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANDE ET ORDONNANCE

LE JUGE O'KEEFE

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire, présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, qui vise une nouvelle politique du ministre des Pêches et des Océans (ou son représentant) qui a été rendue publique le 26 avril 2000 et en application de laquelle il a été interdit à Emily Charlotte Durant et d'autres nettoyeurs d'huîtres de l'Île-du-Prince-Édouard, à compter du 15 septembre 2000, d'accompagner sur leur bateau les pêcheurs d'huîtres détenteurs de permis, une pratique qui était précédemment acceptée.


Contexte

[2]                 Emily Charlotte Durant (la demanderesse), la demanderesse dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire, était une nettoyeuse d'huîtres à bord du bateau de pêche aux huîtres de son mari depuis le printemps 1995.

[3]                 La demanderesse a obtenu chaque année du défendeur une « carte d'enregistrement de pêcheur » , croyant ainsi être enregistrée en bonne et due forme comme nettoyeuse d'huîtres pour l'année visée. Elle a obtenu cette carte pour l'année 2000.

[4]                 Le défendeur a établi en avril 2000 la nouvelle politique selon laquelle, après le 15 septembre 2000, aucun nettoyeur d'huîtres n'allait être admis sur les bateaux de pêche aux huîtres. La nouvelle politique a été rendue publique au moyen d'un communiqué de presse du ministère des Pêches et des Océans (MPO) datée du 26 avril 2000.

[5]                 La demanderesse a travaillé comme nettoyeuse d'huîtres sur le bateau de son mari pendant la saison de pêche du printemps jusqu'au 15 juillet 2000. Le 15 septembre 2000, soit le premier jour de la saison d'automne de la pêche aux huîtres, elle a accompagné son mari sur son bateau et elle nettoyait les huîtres pendant qu'il pêchait.


[6]                 Des fonctionnaires du MPO sont montés à bord du bateau des Durant et ils ont demandé à voir les papiers de la demanderesse. Celle-ci leur a présenté sa carte d'enregistrement. Elle a ensuite été accusée, en application de l'article 78 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, ainsi que de l'alinéa 4(1)b) du Règlement de pêche des provinces maritimes, DORS/93-55, d'avoir pêché des huîtres sans autorisation. La Cour provinciale de l'Île-du-Prince-Édouard a ensuite rejeté, le 17 septembre 2001, les accusations portées contre les Durant en application de la Loi sur les pêches.

[7]                 La mesure de redressement sollicitée par la demanderesse dans le cadre de sa demande de contrôle judiciaire diffère de celle sollicitée par le défendeur (et ensuite rejetée) dans le cadre des poursuites pénales en application de la Loi sur les pêches, précitée. Au moyen des poursuites pénales, le défendeur a simplement tenté d'obtenir une déclaration de culpabilité. Au moyen de sa demande de contrôle judiciaire, la demanderesse conteste le changement de politique du MPO, allègue le défaut de respecter les conditions liées à la carte d'enregistrement de nettoyeur d'huîtres et tente d'obtenir diverses mesures de redressements, notamment une ordonnance annulant la décision susmentionnée et octroyant des dommages-intérêts.

Prétentions de la demanderesse

[8]                 La demanderesse soutient que le ministre et ses mandataires ont abusé de leurs pouvoirs d'ordre public et lui ont ainsi causé des dommages.

[9]                 La demanderesse soutient qu'elle avait une attente légitime à ce que le ministre applique et respecte les conditions liées à la carte d'enregistrement.


[10]            La demanderesse soutient que le ministre avait l'obligation d'agir équitablement à son endroit pour ce qui est de délivrer, de modifier ou d'annuler la carte d'enregistrement qui lui avait été délivrée, ou d'en suspendre les effets.

[11]            La demanderesse soutient que la nouvelle politique s'appuyait sur des considérations fausses ou non fondées, sans qu'un examen approfondi ait été effectué.

[12]            La demanderesse prétend avoir le droit, en vertu du paragraphe 317(1) des Règles de la Cour fédérale (1998), de demander que lui soient transmis des documents qui sont ou devraient être en la possession du ministre.

[13]            La demanderesse demande les mesures de redressement qui suivent :

1.          Une déclaration portant que le ministre et ses mandataires ont abusé de leurs pouvoirs d'ordre public de réglementation et de protection de l'industrie de la pêche.

2.          Une ordonnance annulant la décision du MPO qui a eu pour effet d'empêcher la demanderesse de continuer de gagner sa vie comme nettoyeuse d'huîtres en vertu d'une carte d'enregistrement délivrée par le défendeur pour la période allant du 1er janvier 2000 au 1er décembre 2000.


3.          Une déclaration portant que la décision de ne pas permettre aux nettoyeurs d'huîtres de s'adonner à leur gagne-pain est invalide et que la demanderesse s'attendait légitimement à ce que le ministre respecte les conditions liées à la carte d'enregistrement qui lui avait été délivrée.

4.          Une déclaration portant que le ministre, lorsqu'il a rendu sa décision, n'a pas respecté l'équité en matière de procédure, comme aucun avis écrit de la décision de modifier les conditions de la carte d'enregistrement de la demanderesse n'avait été communiqué à cette dernière pour lui permettre de réagir aux modifications.

5.          Une déclaration portant que la décision du ministre de ne pas permettre aux nettoyeurs d'huîtres de continuer d'exercer leur moyen d'existence s'appuyait sur des considérations fausses ou non fondées, sans qu'on ait procédé à un examen approfondi de la situation.

6.          Une ordonnance octroyant des dommages-intérêts généraux pour le gain manqué ainsi que des dommages-intérêts exemplaires ou punitifs.

7.          Une ordonnance en vue de la production de certains documents en vertu du paragraphe 317(1) des Règles de la Cour fédérale (1998).

Prétentions du défendeur

[14]            Le défendeur soutient que la Cour n'a pas compétence en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi sur la Cour fédérale, précitée, pour instruire le présent contrôle judiciaire au motif qu'il n'y a eu aucune décision au sens de cette loi.

[15]            Le défendeur prétend que (si la Cour devait s'estimer compétente relativement au contrôle du changement de politique) la norme de contrôle applicable aux décisions prises en vertu de l'article 78 de la Loi sur les pêches, précitée, et de l'article 4 du Règlement de pêche des provinces maritimes, précité, est celle de la décision manifestement déraisonnable par suite de la décision du juge Rothstein (agissant à titre de membre de droit de la Section de première instance) dans Tucker c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [2000] A.C.F. n ° 1868.

[16]            Le défendeur soutient que la loi n'exige pas qu'on procède à un examen approfondi en vue d'appliquer un règlement, et que le changement de politique effectué n'était pas manifestement déraisonnable. Le défendeur soutient, à titre subsidiaire, qu'il s'agissait d'une décision de politique révisable uniquement pour des motifs liés à la mauvaise foi ou au défaut de se conformer aux principes de justice naturelle lorsque l'application en est requise par la loi, ou si l'on s'est fondé sur des considérations étrangères. Le défendeur prétend qu'il n'existe aucune preuve de mauvaise foi et que le MPO n'a commis aucune erreur révisable.

[17]            Le défendeur soutient que, dans Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté) [1999] 2 R.C.S. 817, la Cour suprême du Canada a statué que la doctrine des attentes légitimes est un élément de la doctrine de l'équité ou de la justice naturelle et ne crée pas de droits formels. Le défendeur prétend que cette doctrine n'est pas applicable en l'espèce et que la demanderesse ne peut l'utiliser pour créer des droits formels en vertu desquels une carte d'enregistrement l'autorisait à pratiquer la pêche aux huîtres sans permis pendant une période de temps déterminée.


[18]            Questions en litige

1.          Le délai de prescription de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale s'applique-t-il à la présente demande?

2.          Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable?

3.          Une décision a-t-elle été rendue et, dans l'affirmative, quelle était-elle?

4.          Des motifs ont-ils été donnés?

5.          Le MPO a-t-il enfreint un principe de justice naturelle ou une obligation d'équité procédurale?

6.          La doctrine des attentes légitimes s'applique-t-elle?

7.          Le ministre et ses mandataires ont-ils abusé de leurs pouvoirs d'ordre public de réglementation et de protection de l'industrie de la pêche?

8.          La demanderesse peut-elle réclamer des dommages-intérêts dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire?

9.          La demande de documents en vertu du paragraphe 317(1) des Règles de la Cour fédérale.

Dispositions législatives, règlements et règles pertinents

[19]            Les pouvoirs de la Section de première instance et les motifs de contrôle sont énoncés aux paragraphes 18.1(1), (2), (3) et (4) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 :


18.1 (1) Une demande de contrôle judiciaire peut être présentée par le procureur général du Canada ou par quiconque est directement touché par l'objet de la demande.

(2) Les demandes de contrôle judiciaire sont à présenter dans les trente jours qui suivent la première communication, par l'office fédéral, de sa décision ou de son ordonnance au bureau du sous-procureur général du Canada ou à la partie concernée, ou dans le délai supplémentaire qu'un juge de la Section de première instance peut, avant ou après l'expiration de ces trente jours, fixer ou accorder.

    

(3) Sur présentation d'une demande de contrôle judiciaire, la Section de première instance peut_:

a) ordonner à l'office fédéral en cause d'accomplir tout acte qu'il a illégalement omis ou refusé d'accomplir ou dont il a retardé l'exécution de manière déraisonnable;

18.1 (1) An application for judicial review may be made by the Attorney General of Canada or by anyone directly affected by the matter in respect of which relief is sought.

(2) An application for judicial review in respect of a decision or order of a federal board, commission or other tribunal shall be made within thirty days after the time the decision or order was first communicated by the federal board, commission or other tribunal to the office of the Deputy Attorney General of Canada or to the party directly affected thereby, or within such further time as a judge of the Trial Division may, either before or after the expiration of those thirty days, fix or allow.

(3) On an application for judicial review, the Trial Division may

  

(a) order a federal board, commission or other tribunal to do any act or thing it has unlawfully failed or refused to do or has unreasonably delayed in doing; or



b) déclarer nul ou illégal, ou annuler, ou infirmer et renvoyer pour jugement conformément aux instructions qu'elle estime appropriées, ou prohiber ou encore restreindre toute décision, ordonnance, procédure ou tout autre acte de l'office fédéral.

  

(4) Les mesures prévues au paragraphe (3) sont prises par la Section de première instance si elle est convaincue que l'office fédéral, selon le cas_:

a) a agi sans compétence, outrepassé celle-ci ou refusé de l'exercer;

b) n'a pas observé un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale ou toute autre procédure qu'il était légalement tenu de respecter;

(b) declare invalid or unlawful, or quash, set aside or set aside and refer back for determination in accordance with such directions as it considers to be appropriate, prohibit or restrain, a decision, order, act or proceeding of a federal board, commission or other tribunal.

(4) The Trial Division may grant relief under subsection (3) if it is satisfied that the federal board, commission or other tribunal

  

(a) acted without jurisdiction, acted beyond its jurisdiction or refused to exercise its jurisdiction;

(b) failed to observe a principle of natural justice, procedural fairness or other procedure that it was required by law to observe;

c) a rendu une décision ou une ordonnance entachée d'une erreur de droit, que celle-ci soit manifeste ou non au vu du dossier;

d) a rendu une décision ou une ordonnance fondée sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont il dispose;

e) a agi ou omis d'agir en raison d'une fraude ou de faux témoignages;

f) a agi de toute autre façon contraire à la loi.

(c) erred in law in making a decision or an order, whether or not the error appears on the face of the record;

  

(d) based its decision or order on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it;

(e) acted, or failed to act, by reason of fraud or perjured evidence; or

(f) acted in any other way that was contrary to law.

[20]            Les alinéas 78a) et b) de la Loi sur les pêches prévoient ce qui suit :

78. Sauf disposition contraire de la présente loi, quiconque contrevient à celle-ci ou à ses règlements commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité_:

a) par procédure sommaire, une amende maximale de cent mille dollars lors d'une première infraction ou, en cas de récidive, une amende maximale de cent mille dollars et un emprisonnement maximal d'un an, ou l'une de ces peines;

  

b) par mise en accusation, une amende maximale de cinq cent mille dollars lors d'une première infraction ou, en cas de récidive, une amende maximale de cinq cent mille dollars et un emprisonnement maximal de deux ans, ou l'une de ces peines.

78. Except as otherwise provided in this Act, every person who contravenes this Act or the regulations is guilty of

   

(a) an offence punishable on summary conviction and liable, for a first offence, to a fine not exceeding one hundred thousand dollars and, for any subsequent offence, to a fine not exceeding one hundred thousand dollars or to imprisonment for a term not exceeding one year, or to both; or

(b) an indictable offence and liable, for a first offence, to a fine not exceeding five hundred thousand dollars and, for any subsequent offence, to a fine not exceeding five hundred thousand dollars or to imprisonment for a term not exceeding two years, or to both.

[21]            L'article 4 du Règlement de pêche des provinces maritimes, prévoit ce qui suit :

4.(1) Sous réserve des paragraphes (2) à (5), il est interdit à quiconque de pêcher ou de prendre et de garder tout poisson à moins que les conditions suivantes ne soient réunies:

a) il est titulaire d'un permis délivré à cette fin aux termes du présent règlement, du Règlement de pêche (dispositions générales) ou du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones;

b) il détient une carte d'enregistrement de pêcheur;

4.(1) Subject to subsections (2) to (5), no person shall fish for or catch and retain any fish unless

   

(a) the person is authorized to do so under the authority of a licence issued under these Regulations, the Fishery (General) Regulations or the Aboriginal Communal Fishing Licences Regulations;

(b) the person holds a fisher's registration card; and



c) si un bateau est utilisé pour la pêche, ce bateau fait l'objet d'un certificat d'enregistrement de bateau.

(2) Il est permis de garder les espèces de poissons suivantes :

a) l'alose savoureuse prise fortuitement avec un engin de pêche servant à la pêche du gaspareau et utilisé en vertu d'un permis;

b) [Abrogé, DORS/96-125, art. 1]

c) le poulamon de l'Atlantique pris fortuitement avec un engin de pêche servant à la pêche de l'éperlan et utilisé en vertu d'un permis.

(3) Le paragraphe (1) ne s'applique pas à:

a) la pêche récréative à la ligne ou avec des lignes fixes;

b) la pêche récréative des clams et des moules, à la main ou avec des outils à main;

c) la pêche récréative des anguilles, de l'éperlan et du poulamon de l'Atlantique, avec un harpon, dans les eaux à marée;

d) la pêche récréative de l'éperlan avec une épuisette;

e) la pêche récréative du gaspareau, avec une épuisette, dans les eaux autres que:

(i) les eaux intérieures et les eaux à marée de l'Île-du-Prince-Édouard,

(ii) les eaux intérieures de la rivière Miramichi et de la rivière Saint-Jean;

f) la pêche des huîtres dans un secteur ostréicole amodié;

(c) where a vessel is used in fishing, a vessel registration card has been issued in respect of that vessel.

(2) A person may retain

  

(a) shad incidentally caught with gaspereau fishing gear operated under the authority of a licence;

  

(b) [Repealed, SOR/96-125, s. 1]

(c) tomcod incidentally caught with smelt fishing gear operated under the authority of a licence.

  

(3) Subsection (1) does not apply in respect of

(a) recreational fishing by angling or with set lines;

(b) recreational fishing for clams or mussels by hand or with hand-held tools;

(c) recreational fishing for eels, smelt or tomcod with spears in tidal waters;

  

(d) recreational fishing for smelt with dip nets;

(e) recreational fishing for gaspereau with dip nets in waters other than

  

(i) the inland and tidal waters of Prince Edward Island, and

(ii) the inland waters of the Miramichi River and the Saint John River;

(f) fishing for oysters in a leased oyster area; or

g) la pêche des ménés avec des trappes à ménés ou des épuisettes.

(4) Les alinéas (1)b) et c) ne s'appliquent pas à la pêche pratiquée en vertu d'un permis de pêche récréative ou d'un permis délivré aux termes du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones.

(5) L'alinéa (1)c) ne s'applique pas à la pêche des huîtres dans un gisement public de pêche des huîtres situé dans les eaux intérieures ou les eaux à marée de l'Île-du-Prince-Édouard.

(g) fishing for minnows with minnow traps or dip nets.

(4) Paragraphs (1)(b) and (c) do not apply in respect of fishing under the authority of a recreational fishing licence or a licence issued under the Aboriginal Communal Fishing Licences Regulations.

  

(5) Paragraph (1)(c) does not apply in respect of fishing for oysters in a public oyster-fishing area in the inland or tidal waters of Prince Edward Island.

[22]            L'article 317 des Règles de la Cour fédérale (1998) prévoit pour sa part ce qui suit :

317. (1) Une partie peut demander que des documents ou éléments matériels pertinents à la demande qui sont en la possession de l'office fédéral dont l'ordonnance fait l'objet de la demande lui soient transmis en signifiant à l'office fédéral et en déposant une demande de transmission de documents qui indique de façon précise les documents ou éléments matériels demandés.

(2) Un demandeur peut inclure sa demande de transmission de documents dans son avis de demande.

317. (1) A party may request material relevant to an application that is in the possession of a tribunal whose order is the subject of the application and not in the possession of the party by serving on the tribunal and filing a written request, identifying the material requested.

    

(2) An applicant may include a request under subsection (1) in its notice of application.


Analyse

[23]            1re question en litige

Le délai de prescription de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale s'applique-t-il à la présente demande?

Le défendeur a fait valoir que, puisque la demanderesse a appris le 28 avril 2000 les changements apportés à la politique annoncés par M. Scarth le 26 avril 2000, la demande de contrôle judiciaire aurait dû être présentée dans les 30 jours suivant le 28 avril 2000. Or la demande de contrôle judiciaire n'a été présentée que le 3 octobre 2000. Je serais du même avis que le demandeur si l'objet du contrôle était « une décision ou une ordonnance » . Le défendeur a soutenu que l'annonce faite par M. Scarth n'était pas une décision au sens de la Loi sur la Cour fédérale. Si cette annonce n'est pas « une décision ou une ordonnance » , le délai de prescription de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale ne s'applique pas (se reporter à Krause c. Canada [1999] 2 C.F. 476 (C.A.F.), aux paragraphes 20, 23 et 24). Je conviens que l'annonce faite par M. Scarth n'est pas « une décision ou une ordonnance » et que, par conséquent, le délai de prescription de 30 jours prévu au paragraphe 18.1(2) de la Loi sur la Cour fédérale ne s'applique pas à la présente demande de contrôle judiciaire.

[24]            2e question en litige

Quelle est la norme de contrôle judiciaire applicable?


Le MPO a le pouvoir d'appliquer la Loi sur les pêches et les règlements connexes. À ce titre, la Cour doit faire preuve d'une retenue considérable à l'égard du changement de politique annoncé par le MPO et touchant le Règlement de pêche des provinces maritimes, et n'annuler ce changement de politique que s'il est manifestement déraisonnable. Quant aux questions de droit, bien sûr, les décisions du MPO doivent être fondées.

[25]            3e question en litige

Une décision a-t-elle été rendue et, dans l'affirmative, quelle était-elle?

L'examen des documents montre que James Jones, le directeur général régional, Région de gestion des pêches du Golfe, a approuvé comme changement de politique que le MPO devait annoncer que le règlement serait appliqué à partir du début de la saison d'automne, soit le 15 septembre 2000. C'est le changement de politique consistant à appliquer le règlement, tel qu'il a été annoncé par M. Scarth, qui fait l'objet de la présente demande de contrôle judiciaire. Comme je l'ai déjà déclaré, l'annonce faite par M. Scarth ne constitue pas en elle-même « une décision ou une ordonnance » . Sur le fondement du raisonnement dans Krause, toutefois, cette question peut faire l'objet d'un contrôle judiciaire.

[26]            4e question en litige

Des motifs ont-ils été donnés?

Il était notamment déclaré ce qui suit dans le communiqué de presse du 26 avril 2000 du MPO :


Le MPO et la PEI Shellfish Association se préoccupent tous deux de la conservation et de la viabilité des stocks d'huîtres de l'Île, devant la hausse de la pression exercée par la pêche. Les prix élevés obtenus pour les huîtres et l'excellent rendement des gisements ont entraîné la remise en activité de permis inactifs et le recours accru à la pratique qui consiste à prendre des « nettoyeurs » à bord de doris de pêche aux huîtres.

Ce sont là des motifs, dans la mesure où des motifs peuvent être nécessaires lorsque le MPO change sa politique en matière d'application d'un règlement.

[27]            5e question en litige

Le MPO a-t-il enfreint un principe de justice naturelle ou une obligation d'équité procédurale?

La demanderesse soutient que le MPO n'a pas consulté les nettoyeurs d'huîtres lorsqu'il a changé sa politique. M. Scarth, directeur régional auprès du MPO, prétend toutefois dans son affidavit que des consultations publiques ont été tenues et qu'elles ont été rapportées par les médias.

[28]            Le MPO soutient en outre que la nouvelle politique ne change pas la loi, mais seulement l'application de la loi. La demanderesse prétend cependant que l'acquiescement du défendeur (c.-à-d. la non-application du règlement pendant un certain nombre d'années) a donné lieu à une présomption raisonnable et à une attente légitime que les principes de justice naturelle et d'équité procédurale devaient s'appliquer. Le défendeur savait qu'un nombre considérable de personnes gagnaient leur vie comme nettoyeurs d'huîtres et aides-pêcheurs (paragraphe 13 de l'affidavit de M. Scarth).


[29]            La demanderesse soutient qu'elle disposait d'une carte d'enregistrement valide pour le nettoyage d'huîtres pour l'année civile 2000. Elle a joint à son affidavit un document intitulé « [traduction] enregistrement(s) et(ou) permis de pêche » et délivré le 28 avril 2000 par Pêches et Océans Canada. Rien n'est inscrit en regard de la catégorie « [traduction] pêcheur » , de sorte qu'on ne peut savoir clairement à sa face même ce qui est visé par le permis. Un permis pour l'année civile 1998, portant le 15 octobre 1998 comme date de délivrance, a également été produit. Il est inscrit « [traduction] secondaire » en regard de la catégorie de pêche dans le permis pour 1998. D'après la preuve, ce permis n'est qu'une carte d'enregistrement et non un permis de pêche (pour les huîtres ou tout autre type de poisson).

[30]            La demanderesse soutient qu'en raison des actions ou inactions du MPO, elle a été amenée à croire qu'elle n'avait besoin que de sa carte d'enregistrement pour être nettoyeuse d'huîtres. Elle prétend, en outre, que le défendeur savait ou aurait dû savoir qu'environ 300 autres nettoyeurs d'huîtres et elle-même seraient directement touchés par le changement de politique. La demanderesse soutient que le défendeur était ainsi tenu à une obligation d'équité procédurale à leur endroit, ce qui comprenait un avis spécifique du changement de politique et l'occasion donnée d'y réagir.


[31]            Vers le 28 avril 2000, la demanderesse a vu le communiqué de presse émis par le MPO et décrivant la nouvelle politique d'application des dispositions existantes du Règlement de pêche des provinces maritimes, qui aurait pour effet d'empêcher les nettoyeurs d'huîtres d'accompagner les pêcheurs d'huîtres sur leurs bateaux à l'ouverture de la saison d'automne de la pêche aux huîtres, le 15 septembre 2000. Il n'y a aucune preuve au dossier selon laquelle, dans les faits, un nettoyeur d'huîtres n'aurait pas été avisé de la nouvelle politique du MPO.

[32]            L'avis de nouvelle politique par communiqué de presse conviait le lecteur à communiquer avec M. Scarth, directeur régional du MPO, pour de plus amples renseignements. Cela laissait plus de quatre mois à la demanderesse pour communiquer et discuter avec le MPO et tenter de le persuader de ne pas mettre en oeuvre la nouvelle politique en matière d'application. Le défendeur soutient pour sa part que la période de préavis, d'une durée de plus de cinq mois, permettait aux nettoyeurs d'huîtres de disposer d'une période d'ajustement appropriée.

[33]            D'après la preuve, Mme Coughlin, présidente de la PEI Shellfishers' Coalition, a profité de la période de préavis pour tenter de persuader le MPO de changer sa décision. Dans une lettre à Mme Coughlin datée du 11 septembre 2000, M. Scarth a écrit ce qui suit :

[traduction]

Je vous écris pour donner suite à notre réunion du 5 septembre et à la lettre du 7 septembre de Mme MacCaull portant sur la participation des nettoyeurs à la pêche aux huîtres.

[...] Comme nous en avons discuté lors de la réunion, le principal objectif du ministère a trait à la conservation et à la viabilité de la ressource. Nous faisons preuve de prudence dans la prise de décisions pour atteindre cet objectif. Cela veut essentiellement dire que, lorsque nos recherches, nos mesures de surveillance et notre expérience nous révèlent qu'une ressource pourrait être en danger, nous devons agir prudemment et rapidement en prenant des décisions de gestion qui, au besoin, pêchent en faveur de la conservation.


Pendant la présentation nous avons passé en revue les questions de biologie, expliqué les renseignements restreints qui sont disponibles pour appuyer le processus décisionnel et indiqué les risques découlant de la situation actuelle, notamment un accroissement sans précédent des prises [note de bas de page] ainsi qu'un accroissement important des efforts consentis [note de bas de page], accompagnés d'un sommet dans la productivité naturelle des stocks d'huîtres [...]

[...] J'aimerais répéter que cette décision n'a pas été prise à la légère, compte tenu de la participation passée des nettoyeurs au sein de l'industrie de la pêche. Comme les ressources halieutiques sont limitées et de quantité variable, des restrictions doivent entourer la participation afin de protéger les ressources et d'assurer la durabilité des emplois qui en dépendent. Malgré nos inquiétudes en matière de conservation et les opinions de la PEI Shellfish Association, nous avons annoncé que la saison du printemps servirait de période d'ajustement pour les personnes touchées par la décision.

Je regrette que ma réponse ne puisse correspondre davantage à vos désirs. Je suis cependant certain que vous pouvez comprendre pourquoi nous avons conclu que la prudence était requise face aux efforts accrus de l'industrie de la pêche, et que nous devions appliquer à compter du 15 septembre 2000 les dispositions du règlement relatives aux permis.

[34]            La lettre citée ci-dessus démontre que le MPO a bien donné un avis ainsi qu'une occasion d'être entendu avant de mettre en oeuvre la nouvelle politique. Le MPO aurait pu choisir une période de préavis plus longue, de manière par exemple à ce que les nettoyeurs d'huîtres soient informés, avant de s'inscrire pour l'obtention de la carte d'enregistrement pour les années suivantes, qu'ils ne pourraient s'en servir pour travailler comme nettoyeurs d'huîtres. Cela aurait sans doute été plus prudent et aurait permis aux nettoyeurs de se servir de leur carte d'enregistrement pendant toute sa durée. Il semble cependant, au vu de la preuve, que le défendeur a respecté les obligations d'équité procédurale et de justice naturelle dans une mesure que je juge acceptable dans les circonstances.

[35]            6e question en litige

La doctrine des attentes légitimes s'applique-t-elle?



La demanderesse soutient que, puisqu'elle a nettoyé des huîtres sur le bateau de son mari pendant environ treize ans, elle avait comme attente légitime de pouvoir nettoyer des huîtres jusqu'à l'expiration de sa carte d'enregistrement en vigueur. Au Canada, la doctrine des attentes légitimes constitue un élément de la doctrine de l'équité et de la justice naturelle. La doctrine des attentes légitimes ne peut créer de droits formels (se reporter à Baker c. Canada, aux pages 839 et 840). En l'espèce, le MPO n'avait pas, pendant treize ans, veillé au respect de ce qu'il estime être une exigence pour pouvoir nettoyer des huîtres sur un bateau. Le MPO déclare que le paragraphe 4(1) du Règlement de pêche des provinces maritimes exige qu'un nettoyeur d'huîtres détienne à la fois un permis (alinéa 4(1)a)) et une carte d'enregistrement de pêcheur (alinéa 4(1)b)). Seule une carte d'enregistrement avait été délivrée à la demanderesse. Bien que le paragraphe 4(1) du règlement ait été en vigueur, le MPO n'avait pas exigé dans le passé que les nettoyeurs d'huîtres détiennent le permis prescrit à l'alinéa 4(1)a). Le MPO a changé sa politique de manière à appliquer cette partie du règlement et à exiger que les nettoyeurs d'huîtres détiennent à la fois un permis et une carte d'enregistrement. Pour que la demanderesse puisse satisfaire aux prescriptions juridiques, je devrais en fait déclarer soit qu'elle a comme attente légitime que le permis requis en vertu de l'alinéa 4(1)a) lui soit délivré, soit qu'elle peut nettoyer des huîtres avec une simple carte d'enregistrement. Si j'agissais ainsi, je créerais un droit formel, ce que Baker m'interdit de faire en me fondant sur la doctrine des attentes légitimes. Même si je conviens qu'il semble injuste d'exiger de la demanderesse un droit pour un enregistrement d'un an puis de ne lui permettre de s'en servir pour nettoyer des huîtres que pendant la saison du printemps, il n'y a rien que je puisse faire dans le cadre de la présente demande pour remédier à la situation. Je dois de même appliquer la loi et celle-ci requiert qu'on détienne à la fois un permis et une carte d'enregistrement pour nettoyer des huîtres. Cette prescription de la loi repose sur le principe voulant que nettoyer des huîtres équivaille à pêcher des huîtres, de sorte que le règlement s'applique à cette activité. Je conclus, par conséquent, que la doctrine des attentes légitimes n'est pas applicable.

[36]            7e question en litige

Le ministre et ses mandataires ont-ils abusé de leurs pouvoirs d'ordre public de réglementation et de protection de l'industrie de la pêche?

J'ai examiné avec soin le dossier et je n'ai pu trouver aucune preuve du fait que le ministre ou ses mandataires avaient abusé de leurs pouvoirs d'ordre public. Sur la foi de l'information recueillie, on a modifié la politique et appliqué le règlement en raison d'inquiétudes en matière de conservation des ressources et de viabilité de l'industrie.

[37]            8e question en litige

La demanderesse peut-elle réclamer des dommages-intérêts dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire?

La demanderesse ne peut réclamer des dommages-intérêts dans le cadre d'une demande de contrôle judiciaire (se reporter à Tench c. Canada (Procureur général) (1999), 179 F.T.R. 126 (C.F.1re inst.)).


[38]            9e question en litige

La demande de documents en vertu du paragraphe 317(1) des Règles de la Cour fédérale.

En vertu de ce paragraphe, un tribunal n'est tenu de transmettre des documents que s'ils sont pertinents à la demande. La pertinence d'un document est évaluée en fonction des motifs de contrôle énoncés dans l'avis de requête et les affidavits à l'appui (Canada (Commission des droits de la personne) c. Pathak, [1995] 2 C.F. 455 (C.A.)).

[39]            En l'espèce, il semble que la demanderesse a reçu les documents demandés qui sont pertinents à la présente demande. Bien que le MPO ait refusé de remettre certains documents demandés, il s'est néanmoins conformé au paragraphe 317(1), comme la demanderesse avait déjà en sa possession une copie des documents ou que des documents n'étaient pas pertinents à la présente instance.

[40]            Je ne suis pas disposé à accorder la mesure de redressement demandée par la demanderesse et la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[41]            Je ne suis pas disposé à condamner la demanderesse aux dépens, comme la carte d'enregistrement lui avait été délivrée tant pour les saisons de printemps que d'automne de pêche aux huîtres, puis qu'on ne lui a plus permis de s'en servir pendant la saison d'automne pour nettoyer les huîtres.


ORDONNANCE

[42]            LA COUR ORDONNE QUE la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.

[43]            LA COUR ORDONNE EN OUTRE QU'aucuns dépens ne soient adjugés.

                                                                                 « John A. O'Keefe »             

                                                                                                             Juge                         

Ottawa (Ontario)

Le 22 mars 2002

  

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :

T-1836-00

INTITULÉ :

Emily Charlotte Durant c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans)

LIEU DE L'AUDIENCE :

Charlottetown (Île-du-Prince-Édouard)

DATE DE L'AUDIENCE :

Le 19 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

LE JUGE O'KEEFE

DATE DES MOTIFS DE L'ORDONNANCE :

Le 22 mars 2002

COMPARUTIONS :

Mme Regena Kaye Russell

POUR LA DEMANDERESSE

Mme Kathleen McManus

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mme Regena Kaye Russell

Avocate

O'Leary (Île-du-Prince-Édouard)

POUR LA DEMANDERESSE

Mme Kathleen McManus

Ministère de la Justice

Bureau régional d'Halifax

Halifax (Nouvelle-Écosse)

POUR LE DÉFENDEUR

  
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