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                                                                                                                               T-2273-93

 

 

Ottawa (Ontario), le mardi 12 novembre 1996

 

En présence de Monsieur le juge Gibson

 

 

Entre :

 

                                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

 

                                                                                                                                requérant,

 

                                                                    - et -

 

 

                                                      PATRICIA HEBERT,

 

                                                                                                                                   intimée,

 

                                                                    - et -

 

 

           LA COMMISSION CANADIENNE DES DROITS DE LA PERSONNE,

 

                                                                                                                                   intimée.

 

 

 

 

                                                          ORDONNANCE

 

 

 

            La demande de contrôle judiciaire est accueillie.  La décision contestée du tribunal est annulée, et l'affaire renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne pour nouvelles instruction et décision à la lumière des présents motifs, au cas où elles seraient nécessaires eu égard à toutes les circonstances.

 

                                                                                                    Signé : Frederick E. Gibson        

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

 

 

 

 

 

                                                                                                                               T-2273-93

 

 

Entre :

 

                                 LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA,

 

                                                                                                                                requérant,

 

                                                                    - et -

 

 

                                                      PATRICIA HEBERT,

 

                                                                                                                                   intimée,

 

                                                                    - et -

 

 

 

                                          LA COMMISSION CANADIENNE

                                          DES DROITS DE LA PERSONNE,

 

                                                                                                                                   intimée.

 

 

 

 

                                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE

 

 

 

Le juge GIBSON

 

 

            Le requérant se fonde en l'espèce sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale[1] pour agir en contrôle judiciaire contre la décision en date du 20 août 1993, par laquelle un tribunal canadien des droits de la personne a conclu que la norme d'acuité visuelle sans verres correcteurs, telle qu'elle s'applique aux candidats au Programme de formation des officiers de la Force régulière (PFOR), Forces armées canadiennes (FAC), qui se proposent de s'inscrire aux études universitaires de physiothérapie sous le parrainage des FAC, ne représente pas une exigence professionnelle justifiée au sens de l'alinéa 15a) de la Loi canadienne des droits de la personne[2] (la Loi).  Par suite, le tribunal a fait droit à la plainte de l'intimée Hebert qui avait été exclue d'un concours d'entrée au Programme de formation des officiers de la Force régulière parce qu'elle ne satisfaisait pas à la norme d'acuité visuelle sans verres correcteurs des FAC.

 

            Le requérant demande que la décision du tribunal soit annulée; subsidiairement, que l'indemnité accordée à l'intimée Hebert ne dépasse pas 5 000,00 $ et qu'au maximum, les FAC soient tenues d'instruire la nouvelle demande de l'intimée Hebert, au cas où elle choisirait de faire une nouvelle demande, en concurrence avec les demandes d'autres candidats qualifiés.

 

            Les faits de la cause ne sont pas contestés et peuvent se résumer brièvement comme suit.  Après avoir terminé ses études secondaires et avant d'obtenir un diplôme universitaire, l'intimée Hebert a posé sa candidature pour le Programme de formation des officiers de la Force régulière des FAC, avec pour but ultime de s'inscrire à la Faculté de physiothérapie de l'université Dalhousie à Halifax (Nouvelle-Écosse).  La physiothérapie était, dans le programme PFOR comme ailleurs, un domaine très concurrentiel en 1987, année où l'intimée Hebert posait sa candidature.  Il y avait 41 candidats en tout.  Seulement dix offres ont été faites et seulement huit candidats ont été retenus.  Sur ces huit, six avaient un diplôme universitaire, et ce facteur a été pris en considération dans le concours.

 

            Les critères servant au processus de sélection étaient les résultats du test instrumental, la performance scolaire, les normes médicales et le potentiel militaire.  L'intimée Hebert se classait dans le tiers inférieur pour le test instrumental, et avait la moyenne ou moins en performance scolaire, par rapport aux candidats retenus contre lesquels elle devait concourir.  Vu ses notes relativement faibles en test instrumental et sa performance scolaire limitée au moment de l'instruction de sa demande, l'intimée Hebert aurait eu à exceller et à surpasser les candidats de tête en potentiel militaire, à supposer qu'elle satisfasse aux normes médicales.  Des candidats qui ont été retenus, sur une échelle de 0 à 9 en potentiel militaire, quatre ont obtenu la note de 8 ou 9, trois la note de 7 et un la note de 6.

 

            L'intimée Hebert n'a passé ni le test de potentiel militaire ni d'autres entrevues puisque, à l'examen médical, elle a échoué au test d'acuité visuelle sans verres correcteurs selon la norme fixée par les FAC pour les candidats de sa catégorie.  Elle témoigne que sans verres correcteurs, qu'il s'agisse de verres ordinaires ou de lentilles de contact, elle ne pouvait pas lire à plus de six pouces, ne pouvait pas voir un serpent ramper tout près de ses pieds, ne pouvait pas reconnaître quelqu'un à une distance de trois pieds et devait s'approcher tout près pour lire les noms des rues sur les plaques.  Elle témoigne encore qu'en cas d'attaque, elle ne serait pas sûre de pouvoir se mettre à l'abri toute seule si elle ne portait pas des verres correcteurs.

 

            Le tribunal a fait droit à son recours en ces termes :

 

Le Tribunal ordonne donc aux FAC d'accepter Hebert dans le PFOR, si elle décide de présenter sa candidature, pourvu qu'elle respecte les normes d'enrôlement minimales des FAC autres que la norme d'acuité visuelle non corrigée ainsi que les autres conditions d'adhésion audit programme.  Le Tribunal ordonne également aux FAC d'examiner la candidature de la plaignante selon sa propre valeur et non par rapport aux autres demandes d'adhésion au PFOR pour le poste de physiothérapeute.

 

Le Tribunal ordonne en outre aux FAC de mettre fin à leur pratique discriminatoire, soit l'application d'une norme d'acuité visuelle non corrigée pour déterminer les personnes admissibles à s'enrôler dans les FAC comme physiothérapeutes.

 

Enfin, le Tribunal ordonne aux FAC de verser à Hebert un montant de 5 000 $ à titre d'indemnité conformément à l'article 53 de la LCDP ainsi que les intérêts sur ce montant à compter de la date de la plainte.

 

            Du consentement des avocats du requérant et de la Commission intimée, l'intimée Hebert n'était pas représentée devant la Cour et l'affaire n'était pas inscrite au rôle en attendant que la Cour d'appel fédérale eût prononcé ses motifs de décision dans les causes Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Forces armées)[3] et Canada (Procureur général) c. Robinson[4].  Les faits fondant la décision Husband en particulier sont très proches des faits de la cause en ce qu'il y était question de la norme d'acuité visuelle sans verres correcteurs appliquée par les FAC et de la candidature à un poste à pouvoir par enrôlement direct, en l'occurrence celui de musicien au sein des FAC.

 

            L'avocat du requérant soutient :

 

1.que le tribunal a commis une erreur en décidant que la norme d'acuité visuelle sans verres correcteurs, appliquée par les FAC, ne représentait pas une exigence professionnelle justifiée au sens de l'alinéa 15a) de la Loi, à l'égard des candidats à l'engagement par les FAC comme l'intimée Hebert;

 

2.que le tribunal a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou capricieuse ou sans tenir compte des éléments dont il disposait;

 

3.que le tribunal a manqué à un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale en se fondant sur la décision rendue par un autre tribunal canadien des droits de la personne après que les FAC eurent fini de présenter leur argumentation, et ce sans leur avoir accordé la possibilité de présenter, par leur avocat, d'autres conclusions ou d'autres preuves en réponse à la décision sur laquelle il s'est fondé;

 

4.le tribunal a excédé sa compétence et commis une erreur de droit en accordant les intérêts courus sur l'indemnité de 5 000,00 $ accordée à l'intimée Hebert sous le régime de l'article 53 de la Loi;

 

5.le tribunal a excédé sa compétence et commis une erreur de droit en ordonnant aux FAC d'admettre l'intimée Hebert au PFOR si elle choisit de poser de nouveau sa candidature, et «d'examiner la candidature de la plaignante selon sa propre valeur et non par rapport aux autres demandes d'adhésion au PFOR pour le poste de physiothérapeute.»

 

            L'avocat du tribunal intimé ne conteste pas vigoureusement l'argument que celui-ci a commis une erreur de droit en décidant, eu égard aux faits de la cause, que la norme d'acuité visuelle sans verres correcteurs appliquée par les FAC ne représentait pas une exigence professionnelle justifiée à la lumière des arrêts Husband et Robinson, supra, de la Cour d'appel fédérale.  Il ne défend pas non plus vigoureusement la décision du tribunal d'accorder les intérêts courus sur l'indemnité de 5 000,00 $, à la lumière de la décision Canada (Procureur général) c. Morgan[5].  Par contre, il soutient que si la Cour ne distingue pas entre l'affaire en instance et les causes jugées par la Cour d'appel fédérale après que le tribunal eut rendu sa décision en l'espèce et que, de ce fait, elle annule cette décision du tribunal, il faut qu'elle renvoie l'affaire pour nouvelles instruction et décision, à la lumière de ces dernières décisions et de la décision Morgan, et aussi à la lumière des preuves dont le tribunal était saisi ainsi que d'autres preuves que les parties pourraient produire.

 

            Il soutient que les conditions imposées par le tribunal pour l'admission d'Hebert au PFOR sur nouvelle candidature relevaient de sa compétence, puisque la seule restriction légale à la compétence du tribunal pour ordonner l'engagement d'un individu qui a été victime de discrimination dans un concours d'entrée se trouve à l'alinéa 54(2)a) de la Loi, qui interdit de rendre une ordonnance portant retrait de l'employé concurrent d'un poste qu'il a occupé de bonne foi.

 

            Enfin, il soutient que le tribunal n'a pas manqué à un principe de justice naturelle ou d'équité procédurale en se fondant sur la décision rendue par un autre tribunal après que les FAC eurent fini de présenter leur argumentation, et ce sans préavis et sans avoir donné au requérant la possibilité d'y répondre.

 

            Dans Husband susmentionné, la Cour d'appel fédérale était saisie de l'appel formé contre la décision d'un tribunal canadien des droits de la personne qui, à la majorité de 2 voix contre 1, avait rejeté la plainte de Husband qui reprochait aux FAC d'avoir fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa déficience visuelle, et ce en violation des articles 7 et 10 de la Loi.  Le tribunal a conclu à la majorité des voix que les FAC avaient prouvé, par prépondérance des probabilités, que la norme d'acuité visuelle fixée pour l'enrôlement dans les FAC valait discrimination pour cause d'invalidité mais représentait une exigence professionnelle justifiée au sens de l'alinéa 15a) de la Loi et, de ce fait, ne constituait pas une pratique discriminatoire.  Husband était une musicienne qualifiée et expérimentée.  Au printemps 1986, elle apprenait qu'un poste à pourvoir par enrôlement direct serait bientôt ouvert pour un musicien avec ses titres de compétence.  Les FAC ayant décidé qu'elle avait les qualités professionnelles requises pour ce poste, elle a subi des examens médicaux, dont l'examen de l'acuité visuelle, destinés à juger de son aptitude à s'enrôler dans la force régulière.  Elle n'a pas passé le test d'acuité visuelle.

 

            Dans Husband, le juge en chef Isaac, prononçant le jugement de la majorité de la Cour d'appel fédérale, a commenté en ces termes l'analyse contenue dans la décision contestée du tribunal :

 

La majorité a commencé son examen de la jurisprudence en citant des extraits de la décision Etobicoke concernant la définition de l'exigence professionnelle justifiée et la preuve que doit apporter l'employeur pour établir l'existence d'une EPJ fondée sur la sécurité publique.  Voici ces deux extraits :

 

Pour constituer une exigence professionnelle réelle, une restriction comme la retraite obligatoire à un âge déterminé doit être imposée honnêtement, de bonne foi et avec la conviction sincère que cette restriction est imposée en vue d'assurer la bonne exécution du travail en question d'une manière raisonnablement diligente, sûre et économique, et non pour des motifs inavoués ou étrangers qui visent des objectifs susceptibles d'aller à l'encontre de ceux du Code.  Elle doit en outre se rapporter objectivement à l'exercice de l'emploi en question, en étant raisonnablement nécessaire pour assurer l'exécution efficace et économique du travail sans mettre en danger l'employé, ses compagnons de travail et le public en général.

 

                                                                                             

 

Dans un métier où, comme en l'espèce, l'employeur cherche à justifier la retraite par la sécurité publique, le commissaire enquêteur et la cour doivent, pour décider si on a prouvé l'existence d'une exigence professionnelle réelle, se demander si la preuve fournie justifie la conclusion que les personnes qui ont atteint l'âge de la retraite obligatoire présentent un risque d'erreur humaine suffisant pour justifier la mise à la retraite prématurée dans l'intérêt de l'employé, de ses compagnons de travail et du public en général.

 

Elle s'est ensuite référée aux passages suivants des motifs prononcés dans l'affaire Mahon, dans lesquels les juges de la Cour d'appel Marceau et Pratte exposent leur conception de l'expression «risque d'erreur humaine suffisant» tirée du deuxième extrait de la décision Etobicoke cité ci-dessus :

 

Toutefois, lorsque j'interprète cette phrase compte tenu du contexte, elle me semble viser la preuve qui doit démontrer suffisamment que le risque est réel et ne repose pas sur de simples conjectures.  En d'autres termes, l'adjectif «suffisant» en question se rapporte au caractère réel du risque et non à son degré.

 

l'exigence reliée au travail qui, selon la preuve, est raisonnablement nécessaire pour éliminer le danger réel de préjudice grave au grand public doit être considérée comme une exigence professionnelle normale.

 

Après avoir résumé les principes de droit applicables, la majorité les a appliqués aux faits de l'espèce.[6]

 

            Après avoir passé en revue les faits dont le tribunal était saisi dans l'affaire Husband, le juge en chef Isaac a tiré la conclusion suivante :

 

Il me semble on ne peut plus évident que la majorité, en concluant que la norme contestée constituait une EPJ, a appliqué le critère établi dans Etobicoke.  À mon avis, à moins qu'on ne puisse affirmer que l'arrêt Dairy Pool a écarté les arrêts Bhinder et Mahon, et que la majorité a omis d'appliquer la «nouvelle» norme prétendument établie dans l'affaire Dairy Pool, la première prétention de la requérante doit être rejetée.[7]

 

            Il a examiné ensuite si en fait la jurisprudence Dairy Pool a supplanté les décisions Bhinder et Mahon.  Voici ce qu'il a conclu à ce sujet :

 

Pour conclure, je résume :

 

1.Ni l'arrêt Bhinder ni l'arrêt Mahon n'ont établi un nouveau critère d'appréciation du «risque suffisant» dans les situations touchant la sécurité publique.

 

2.Le critère appliqué dans chaque cas était celui établi dans l'arrêt Etobicoke, qui demeure incontesté et entièrement valable.

 

3.L'arrêt Dairy Pool n'a pas eu pour effet d'écarter les arrêts Bhinder ni Mahon en ce qui a trait au critère du risque suffisant qu'ils auraient établi.

 

4.L'arrêt Dairy Pool n'a pas posé un nouveau critère, soit celui du «risque substantiel», en remplacement du critère du «risque suffisant» énoncé dans l'arrêt Etobicoke.

 

            À la lumière de cette analyse de la jurisprudence telle que l'appliquait le tribunal dans sa décision majoritaire dont était appel, le juge en chef Isaac a conclu que les membres constituant la majorité du tribunal n'avaient commis aucune erreur susceptible de contrôle judiciaire en jugeant que la norme d'acuité visuelle des FAC, appliquée à l'égard de Husband qui voulait s'enrôler en tant que musicienne mais était recrutée en tant que soldat avant autre chose, représentait une exigence professionnelle justifiée.

 

            Dans Canada (Procureur général) c. Robinson, supra, décision rendue par la Cour d'appel fédérale un peu plus d'un moins après l'arrêt Husband, le juge Stone, prononçant les motifs de la majorité (avec motifs concordants du juge Robertson), a souligné encore davantage l'importance de la notion de recrutement à titre de «soldat avant autre chose» :

 

Selon moi, le tribunal a commis une erreur dans la façon dont il a disposé de l'argument du requérant.  Cet argument n'était ni «théorique» ni «spécieux».  La loi [la Loi sur la Défense nationale] assujettissait M. Robinson à l'obligation d'exercer des fonctions de combat.  Cette obligation est très bien comprise au sein des Forces armées.  Les militaires qui exercent des rôles de soutien n'en sont pas exemptés.  L'exécution de cette obligation ne dépend pas d'une «mutation», notamment à un rôle de combat.  Comme il était d'opinion contraire, le tribunal a rejeté l'argument du requérant et a conclu, à tort selon moi, que le requérant devait présenter des éléments de preuve additionnelle quelconques pour établir le nombre de militaires exerçant un rôle de soutien qui ont été mutés à des fonctions de combat pendant une certaine période.  Cette opinion ne tient tout simplement pas compte du fait que cette obligation est édictée par la loi.  Elle ne peut être modifiée par une pratique administrative.  La loi a force obligatoire.

 

Vu ce qui précède, je dois conclure qu'en l'espèce, le tribunal a commis une erreur en concluant que la norme d'acuité visuelle appliquée par les FAC ne représentait pas une exigence professionnelle justifiée.  Et ce, peu importe que la demande d'admission de l'intimée Hebert au PFOR visât un poste du service sédentaire et non du service armé.  Pour paraphraser la conclusion tirée par le juge Stone dans Robinson, la Loi sur la Défense nationale est impérative et l'intimée Hebert aurait été «soldat avant autre chose».  Dans ces conditions, la norme d'acuité visuelle représente une exigence professionnelle justifiée au regard du critère du «risque suffisant» pour Hebert elle-même, pour ses compagnons d'armes au sein des FAC et pour le public.  En conséquence, le refus par les FAC de poursuivre l'instruction de sa candidature après avoir constaté qu'elle ne satisfaisait pas à la norme minimale d'acuité visuelle sans verres correcteurs des FAC ne vaut pas pratique discriminatoire.

 

            L'avocat de la Commission intimée fait valoir qu'au cas où je parviendrais à la conclusion que j'ai tirée, il y aurait lieu d'annuler la décision du tribunal et de renvoyer l'affaire pour nouvelles instruction et décision conformes aux motifs de ma décision.  De son côté, l'avocat du requérant soutient qu'il y a lieu de suivre le cheminement tracé par la jurisprudence Mahon, c'est-à-dire d'annuler la décision du tribunal et de lui renvoyer l'affaire par ce motif que vu sa conclusion que l'intimée Hebert ne passait pas la norme d'acuité visuelle sans verres correcteurs des FAC, la seule conséquence de droit qu'on puisse tirer est que le refus par les FAC d'engager l'intimée Hebert était fondé sur une exigence professionnelle justifiée et, de ce fait, ne valait pas pratique discriminatoire.

 

            Les circonstances changent avec le temps.  Si l'affaire est renvoyée pour nouvelles instruction et décision, il est possible qu'un nouvel examen de l'intimée Hebert montre qu'elle satisfait maintenant à la norme d'acuité visuelle sans verres correcteurs des FAC et ne pourrait pas être rejetée sous ce chef.  Je préfère ne pas entraver l'exercice par le tribunal de son pouvoir discrétionnaire.  L'affaire sera renvoyée pour nouvelles instruction et  décision conformes aux présents motifs.

 

            J'en viens maintenant aux questions subsidiaires qui ont été débattues à l'audience.  Je conclus que le tribunal n'a manqué ni à son obligation d'équité ni aux principes de justice naturelle en se fondant sur la décision rendue par un autre tribunal après que les FAC eurent fini de présenter leurs arguments, et ce sans préavis aux parties et sans leur avoir donné la possibilité de présenter d'autres conclusions ou de produire d'autres preuves en réponse à la décision de l'autre tribunal.  Cette question a été soulevée par le requérant qui était une partie devant l'autre tribunal.  On ne saurait donc dire qu'il n'était pas au courant de la décision dans l'autre affaire.  Le parallèle entre cette dernière et l'affaire en instance a dû lui sauter aux yeux.  Dans ce contexte, il avait la faculté de demander à produire d'autres preuves ou à présenter d'autres conclusions au sujet de l'autre décision.  Il ne l'a pas fait.  Je conclus qu'il s'agit là d'un choix fait en connaissance de cause.  Ayant fait ce choix, le requérant ne peut plus arguer maintenant de préjudice.

 

            Les dispositions de l'ordonnance du tribunal portant obligation de donner à l'intimée Hebert une autre possibilité d'emploi sont onéreuses pour les FAC.  Ce qui suffit à justifier leur modification.  Les CAF constituent une grande organisation.  Elles jouissent d'un haut degré de souplesse pour pourvoir aux fonctions en leur sein.  Elles ne soutiennent pas que l'ordonnance du tribunal n'est pas exécutable au regard de la loi, ni qu'elle échappe à la compétence de celui-ci.  Dans ces conditions, si les décisions du tribunal devaient tenir, je n'aurais aucune raison de réformer son ordonnance à cet égard.

 

            J'en viens enfin à l'ordonnance du tribunal portant paiement, en application de l'article 53 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, d'une indemnité de 5 000,00 $ avec intérêts courus à compter de la date de la plainte de l'intimée Hebert.  Les parties ne contestent pas que je suis lié à cet égard par la jurisprudence Canada (Procureur général) c. Morgan[8], où le juge MacGuigan a fait l'observation suivante :

 

Cette décision [Canada (Procureur général) c. Rosin, [1991] 1 C.F. 39 (C.A.)] règle la question du pouvoir d'accorder des intérêts sur l'indemnité pour préjudice moral Ces intérêts peuvent être accordés pourvu que l'indemnité (y compris les intérêts) ne dépasse pas la somme de 5 000 $

 

En l'espèce, le tribunal a commis une erreur en accordant une indemnité de 5 000 $ avec intérêts en sus.  Le total dépasserait donc la limite fixée par le paragraphe 53(3) de la Loi.

 

            En conclusion, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.  La décision contestée du tribunal est annulée, et l'affaire renvoyée au Tribunal canadien des droits de la personne pour nouvelles instruction et décision conformes aux présents motifs, au cas où elles seraient nécessaires eu égard à toutes les circonstances.

 

                                                                                                    Signé : Frederick E. Gibson        

                                                                                ________________________________

                                                                                                                                         Juge                    

 

Ottawa (Ontario),

le 12 novembre 1996

 

 

 

 

 

 

 

 

Traduction certifiée conforme                                ________________________________

                                                                                                                       F. Blais, LL. L.            


 

 

                                               COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                             

                           AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

 

 

NUMÉRO DU GREFFE :   T-2273-93

 

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :         Procureur général du Canada

 

                                                            c.

 

                                                            Patricia Hebert et al.

 

 

LIEU DE L'AUDIENCE :              Ottawa (Ontario)

 

 

DATE DE L'AUDIENCE : 15 octobre 1996

 

 

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE GIBSON

 

 

LE :                                                    12 novembre 1996

 

 

 

 

ONT COMPARU :

 

 

 

M. Arnold Fradkin                                          pour le requérant

 

 

M. René Duval                                                pour l'intimée

 

 

 

 

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

 

 

 

M. George Thomson                                       pour le requérant

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

 

M. René Duval                                                pour l'intimée

C.C.D.P.

Ottawa (Ontario)



[1]L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée.

[2]L.R.C. (1985), ch. H-6, modifiée.  Voici ce que prévoit le passage applicable de l'article 15 :

 

15.  Ne constituent pas des actes discriminatoires :

a) les refus, exclusions, expulsions, suspensions, restrictions, conditions ou préférences de l'employeur qui démontre qu'ils découlent d'exigences professionnelles justifiées.

[3][1994] 3 C.F. 188 (C.A.).

[4][1994] 3 C.F. 228 (C.A.).

[5][1992] 2 C.F. 401 (C.A.).

[6]La mention Etobicoke s'entend de l'arrêt Commission ontarienne des droits de la personne c. Municipalité d'Etobicoke, [1982] 1 R.C.S. 202, et Mahon de l'arrêt Canadien Pacifique Ltée c. Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1988] 1 C.F. 209 (C.A.).

[7]La mention Dairy Pool s'entend de l'arrêt Central Alberta Dairy Pool c. Alberta (Human Rights Commission), [1990] 2 R.C.S. 489, et Bhinder de l'arrêt Bhinder et autre c. Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada et autres, [1985] 2 R.C.S. 561.

[8]Note 5 supra.

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