Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

     Date: 19981223

     Dossier: T-1222-91

     DANS L'AFFAIRE de la Loi de l'impôt sur le revenu

Entre :

     GRÉGOIRE J. GUARDO,

     Demandeur-appelant

     - et -

     LA REINE,(MINISTRE NATIONAL DU REVENU)

     Défenderesse-intimée

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE PINARD :

[1]      Il s'agit d'un appel d'une décision de la Cour canadienne de l'impôt, rendue le 8 janvier 1991.1 Le demandeur réclame une déduction pour pension alimentaire d'un montant de 5 200 $ pour chacune des années d'imposition 1986 et 1987.

[2]      Les faits suivants ne sont pas contestés:

-      depuis le 19 janvier 1973, le demandeur est divorcé de Claire Leduc;
-      de 1973 à avril 1983, le demandeur a versé à Claire Leduc, son ex-épouse, une pension alimentaire au profit de leur fils Laurent Guardo né le 20 juin 1964;
-      de 1983 à 1988, le demandeur a payé directement à son fils Laurent Guardo une pension alimentaire de 100 $ par semaine, se conformant ainsi au jugement rendu par la Cour supérieure le 22 avril 1983;
-      en 1986 et 1987, Laurent Guardo était majeur, sain d'esprit et n'était sous la garde légale ni de son père ni de sa mère.

[3]      À l'audition devant moi, s'agissant d'un procès de novo, le demandeur a tenu à expliquer le paragraphe 10 de sa Déclaration, qui se lit comme suit:

         10.      Depuis juillet 1985, Laurent Guardo n'habitait ni chez sa mère ni chez son père, l'appelant;                 

[4]      Bien que ce paragraphe 10. ait fait l'objet d'une admission dans la Défense de la défenderesse, le demandeur a témoigné pour dire que si son fils Laurent, durant les années d'imposition concernées, avait son propre appartement près de l'Université de Montréal, il avait néanmoins conservé la clef de la résidence de sa mère, où il avait toujours sa chambre. Il a ajouté que bien que les chèques de pension alimentaire hebdomadaires de 100 $ étaient payés directement à son fils Laurent, ils étaient expédiés à l'adresse de sa mère. Effectivement, Laurent Guardo, qu'a fait témoigner le demandeur, a confirmé qu'en 1986 et 1987 il a continué à visiter sa mère régulièrement et faisait envoyer sa correspondance à l'adresse de celle-ci. Il fut aussi établi qu'à l'occasion sa mère lui prêtait son automobile et qu'elle lavait son linge. Toutefois, pour des raisons d'ordre pratique, Laurent Guardo a choisi d'habiter son propre appartement, près de l'Université, appartement qu'il a gardé de 1985 à 1989, lorsqu'il a acheté sa propre maison. Laurent Guardo, né le 20 juin 1964, avait atteint sa majorité le 20 juin 1982.

[5]      Les dispositions pertinentes au litige sont les articles suivants de la Loi de l'impôt sur le revenu, S.C. 1970-71-72, ch. 63 (la Loi):


60. Peuvent être déduites lors du calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées:

     b) toute somme payée dans l'année par le contribuable, en vertu d'un arrêt, d'une ordonnance ou d'un jugement rendus par un tribunal compétent ou en vertu d'un accord écrit, à titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, des enfants issus du mariage ou à la fois du bénéficiaire et des enfants issus du mariage, si le contribuable vivait séparé, en vertu d'un divorce, d'une séparation judiciaire ou d'un accord de séparation, du conjoint ou de l'ex-conjoint à qui il était tenu de faire le paiement, le jour où le paiement a été effectué et durant le reste de l'année;

60. There may be deducted in computing a taxpayer's income for a taxation year such of the following amounts as are applicable:

     (b) an amount paid by the taxpayer in the year, pursuant to a decree, order or judgment of a competent tribunal or pursuant to a written agreement, as alimony or other allowance payable on a periodic basis for the maintenance of the recipient thereof, children of the marriage, or both the recipient and children of the marriage, if he was living apart from, and was separated pursuant to a divorce, judicial separation or written separation agreement from, his spouse or former spouse to whom he was required to make the payment at the time the payment was made and throughout the remainder of the year;



60.1 (1) Quand, après le 6 mai 1974, il est intervenu un arrêt, une ordonnance, un jugement ou un accord écrit visé à l'alinéa 60b), c) ou c.1), ou une modification s'y rattachant, prévoyant le versement périodique d'une certaine somme, par un contribuable, à une personne, ou au profit de celle-ci, qui est son conjoint, son ancien conjoint, ou, lorsque la somme a été versée en vertu d'une ordonnance établie conformément aux lois d'une province, un particulier appartenant à cette catégorie prescrite de personnes prévue dans la loi de cette province ou au profit des enfants dont la garde est confiée à une telle personne, cette somme ou une fraction de celle-ci, lorsque payée, est réputée, aux fins des alinéas 60b), c) et c.1), avoir été payée et reçue par cette personne si, à la date du paiement et jusqu'à la fin de l'année où le paiement a été reçu, le contribuable vivait séparé de cette personne.


60.1 (1) Where, after May 6, 1974, a decree, order, judgment or written agreement described in paragraph 60(b), (c) or (c. 1), or any variation thereof, has been made providing for the periodic payment of an amount by a taxpayer to or for the benefit of a person who is his spouse, former spouse, or, where the amount was paid pursuant to an order made in accordance with the laws of a province, an individual within a prescribed class of persons described in the laws of the province, or for the benefit of children in the custody of such a person, the amount or any part thereof, when paid, shall be deemed, for the purposes of paragraphs 60(b), (c) and (c. 1), to have been paid to and received by that person if, at the time the payment was received and throughout the remainder of the year in which the payment was received, the taxpayer was living apart from that person.

[6]      La seule question en litige est celle de savoir si la pension alimentaire payée à Laurent Guardo est une somme payée au profit d'un enfant dont la garde est confiée à l'ancienne conjointe du demandeur, au terme du paragraphe 60.1(1) de la Loi.

[7]      Dans La Reine c. Curzi (1994), 80 F.T.R. 64, une affaire qui a expressément endossé le jugement de la Cour canadienne de l'impôt qui fait l'objet du présent appel, mon collègue le juge Noël a exprimé ce qui suit:

         . . . La question soulevée par le présent litige est donc celle à savoir si, dans les circonstances, Stéphane demeurait sous la garde de sa mère au moment où il reçut les sommes en question.                 
             Décision                 
             Cette question donna lieu à plusieurs décisions contradictoires devant la Cour canadienne de l'impôt dont celle qui fait l'objet de l'appel devant moi.                 
             Lamarre Proulx, J.C.C.I., fit état de cette controverse, tout en y mettant fin selon moi, dans l'affaire Guardo c. Le Ministre du revenu national (89-1660 (IT)) 8 janvier 1991.                 
             [ . . . ]                 
             La notion de "garde" ou "custody" évoque toute autre chose. Dans le cadre d'un divorce, l'un ou l'autre des ex-conjoints se voit confier la garde des enfants. Une ordonnance de garde crée un droit en faveur du parent qui se la voit attribuer. C'est celui ou celle qui a la garde des enfants qui a la responsabilité ultime quant à l'éducation des enfants et quant à l'exercice de l'autorité parentale. Par ailleurs, l'attribution de la garde emporte avec elle toutes les obligations qui s'y rattachent. . . .                 
             Cependant, ce droit de garde n'est pas perpétuel et une ordonnance de garde ne pourrait être opposée à un enfant majeur et émancipé qui choisit de son propre chef de se soutirer de l'autorité parentale. Le fait qu'un enfant puisse, dans ces circonstances, demeurer un enfant à charge dans la mesure où, ayant quitté le foyer parental, il ne peut subvenir à ses propres besoins ne fait pas en sorte qu'il demeure sous la garde du parent qu'il a choisi de quitter. La notion de garde a comme prérequis l'existence de l'autorité parentale laquelle ne peut être exercée à l'encontre d'un enfant majeur et émancipé qui choisit de s'y soustraire. Le juge de première instance ne pouvait donc conclure que Stéphane demeurait sous la garde de sa mère au seul motif qu'il était dans le besoin après avoir quitté le domicile de sa mère ou que l'ordonnance de garde prononcée en 1977 n'avait pas, au moment pertinent, formellement été révoquée.                 
             Selon moi, le but visé par le paragraphe 60.1(1) est de permettre la déductibilité de sommes payées au profit d'un enfant tant et aussi longtemps que l'enfant demeure sous la garde de l'ancien conjoint et que l'ancien conjoint est, à l'égard de l'enfant, assujetti à l'obligation de soin qui s'y rattache. À partir du moment où un enfant, après son émancipation, quitte la garde du conjoint, la problématique qui était visée par le législateur en permettant la déduction des sommes payées au profit de l'enfant cesse d'exister. En effet, l'ancien conjoint n'a plus, à partir de ce moment, l'obligation de soin qui découlait de son droit de garde et la pension alimentaire ne peut, dès lors, être considérée comme étant due ou versée au titre de cette obligation.                 
             C'est ce que explique d'ailleurs pourquoi, dans l'instance, Stéphane, après avoir quitté le domicile de sa mère, a obtenu de son père le versement de la pension alimentaire en mains propres. Le libellé de la requête qu'il présenta en Cour supérieure révèle qu'elle avait comme fondement le fait que malgré la réception par sa mère d'une pension pour son bénéfice, cette pension n'était plus payable puisqu'il avait atteint la majorité et ne demeurait plus avec sa mère. Après avoir allégué qu'il demeurait tout de même dans le besoin, la requête conclut à une ordonnance de pension alimentaire à l'encontre de son père. La requête fut accordée et, de façon concomitante, la pension que le défendeur versait à son épouse pour le bénéfice de Stéphane fut annulée.                 
             Puisqu'au moment pertinent, Stéphane avait quitté la garde de sa mère, le paragraphe 60.1(1) n'a pas comme effet de réputer les montants qu'il reçut de son père comme ayant été reçus par sa mère avec comme résultat qu'ils ne sont pas déductibles en vertu de l'article 60(b) de la Loi.                 
                         (C"est moi qui souligne.)                 

[8]      Le juge McArthur de la Cour canadienne de l'impôt a tiré la même conclusion dans l'affaire Lafrenière c. Canada (12 juin 1995), 94-2397(IT) :

             The point at issue is whether alimony paid to an emancipated adult daughter, of sound mind and body, who has voluntarily chosen to liberate herself from parental authority, is an amount paid for the benefit of a child under the terms of subsection 60.1(1) of the Act.                 
             [ . . . ]                 
             Counsel for the respondent referred us to The Queen v. Curzi, 94 D.T.C. 6304, in which the situation was similar to that of the instant case.                 
             [ . . . ]                 
             I concur with the reasoning of Noël J., as stated above, and make it my own.                 
             Because France had left the custody of her parents, subsection 60.1(1) does not have the effect that the amounts she received from her father, the appellant, are deemed to have been received by the person described in section 60.1 of the Act.                 

[9]      Je souscris aussi entièrement aux propos ci-dessus de Noël J. dans Curzi, et ce, bien que les faits devant moi, en comparaison avec ceux considérés par la Cour canadienne de l'impôt dans le jugement a quo, soient quelque peu nuancés en ce qui a trait à l'affirmation originale, par le demandeur, qu'en 1986 et 1987 son fils Laurent "n'habitait ni chez sa mère ni chez son père". À mon sens, les faits mis en preuve devant moi demeurent toutefois essentiellement les mêmes que ceux considérés par la Cour canadienne de l'impôt et Noël J. de cette Cour, dans Curzi. En effet, rien n'indique que c'est sous l'autorité de sa mère que Laurent poursuivait des études universitaires à Montréal où il demeurait en appartement. Laurent ayant atteint sa majorité en 1982, il est plus plausible de considérer, dans les circonstances, qu'il a lui-même choisi de poursuivre ses études universitaires et d'avoir son propre appartement près de l'Université. Que sa mère ait signé avec lui le bail de l'appartement n'est pas surprenant, vu la protection et la sécurité ordinairement recherchées par les locateurs de logements. Quant au fait que sa mère continuait à lui offrir une chambre et même à laver son linge, il importe de souligner ce qu'a aussi si bien dit le juge Biron, dans une affaire concernant le Droit de la famille - 1920, devant la Cour supérieure du Québec, [1994] R.J.Q. 375 à 378, à la page 378:

             Le Tribunal est d'avis que la Loi sur le divorce ne peut conférer aux parents ou à l'un d'eux des droits sur un enfant, même à charge, qui est majeur; cette loi ne peut que leur imposer des obligations.                 
             Cette conclusion n'est pas incompatible avec la décision rendue par la Cour d'appel dans l'affaire Droit de la famille - 245 [C.A. Montréal 500-09-000599-845, le 31 octobre 1985 (J.E. 85-1007)], qui a reconnu un droit d'habitation à un enfant à charge majeur durant ses études. Le Tribunal est d'avis que ce jugement n'implique nullement, contrairement à ce que prétendent les requérants, que le droit d'habitation est nécessairement sous-jacent au droit de garde.                 

[10]      Ainsi, appliquant les principes énoncés dans l'arrêt Curzi, supra, au présent cas, je conclus que durant les années d'imposition 1986 et 1987, le fils Laurent Guardo, qui, majeur, s'était manifestement soutiré de l'autorité parentale, n'était pas sous la garde de sa mère aux termes du paragraphe 60.1(1) de la Loi. La pension alimentaire que lui a directement payée son père, le demandeur, à cette époque, ne saurait donc faire l'objet de la déduction fiscale requise par ce dernier.

[11]      En conséquence, l'action du demandeur est rejetée, avec dépens.

                            

                                     JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 23 décembre 1998


__________________

1      Greg Guardo c. Le ministre du Revenu national (8 janvier 1991), 89-1660(IT).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.