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Date : 19990817


Dossier : IMM-3014-98

                                        

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 AOÛT 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE EVANS


ENTRE :

     JIAN LIANG,

     demandeur,

     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.



     ORDONNANCE


     La demande de contrôle judiciaire est rejetée.




     " John M. Evans "

    

                                     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme


Suzanne Bolduc, LL.B.



Date : 19990817


Dossier : IMM-3014-98

                                        


ENTRE :

     JIAN LIANG,

     demandeur,

     - et -



     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION,

     intimé.



     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE EVANS


A.      INTRODUCTION

[1]      Jian Liang est citoyen de la République populaire de Chine où il est né en 1954. M. Liang s"est adressé au Consulat général du Canada à Hong Kong afin d"obtenir un visa lui permettant d"entrer au Canada à titre de résident permanent dans la catégorie des parents aidés. Le père de M. Liang habite au Canada depuis 1981.

[2]      Dans une lettre datée du 3 avril 1998, Mme Coulter, vice-consul, Immigration, a informé M. Liang que sa demande avait été refusée pour le motif qu"il n"avait pas obtenu assez de points d"appréciation pour remplir les conditions d"obtention d"un visa. Elle a aussi dit :

         [TRADUCTION] J"estime que les points d"appréciation qui vous ont été accordés reflètent avec précision votre capacité de réussir votre installation au Canada.

[3]      Dans une lettre d"accompagnement, le chargé du programme d"immigration au Consulat, M. Oppertshauser, a informé M. Liang que sa demande visant à obtenir que son admission au Canada soit facilitée pour des raisons d"ordre humanitaire avait aussi été rejetée parce que sa situation ne le justifiait pas.

[4]      Invoquant des motifs de fond ainsi que des motifs de forme, le demandeur a présenté une demande de contrôle judiciaire du refus de lui délivrer un visa.

B.      UNE QUESTION PRÉLIMINAIRE

[5]      Avant d"aborder les motifs de contrôle qu"il invoquait, l"avocat a fait valoir que je ne devrais pas considérer que les notes prises par Mme Coulter au sujet de la demande de M. Liang faisaient partie du dossier de la demande dont j"ai été saisi et ce, parce qu"elles n"étaient pas appuyées d"un affidavit qui attestait leur exactitude et au sujet duquel Mme Coulter aurait pu être contre-interrogée.

[6]      La Cour fédérale a déjà statué que le ministre n"est nullement tenu de déposer l"affidavit d"un agent des visas et que, par conséquent, les notes de l"agent, qui font partie du dossier du tribunal soumis à la Cour conformément à la règle 317 des Règles de la Cour fédérale (1998) , DORS\98-106, font partie du dossier de la demande à partir duquel la décision est contrôlée : Awwad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (C.F. 1re inst., IMM-1003-98, 19 janvier 1999); Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (C.F. 1re inst., IMM-2073-98, 19 février 1999).

[7]      La décision invoquée par le demandeur, Terminaux portuaires du Québec Inc. c. Canada (Conseil des relations de travail) (1993), 17 Admin. L. R. (2d) 16 (C.A.F.), n"est d"aucune utilité pour lui. Les documents en cause dans cette affaire avaient été fournis par le Conseil à la demande du requérant, mais comme ils n"existaient pas lorsque le Conseil a rendu sa décision, ils ne faisaient pas partie du dossier.

[8]      Par contraste, la seule objection de l"avocat à l"inclusion des notes de Mme Coulter dans le dossier de la demande était que celles-ci n"étaient pas appuyées d"un affidavit. Par conséquent, les notes font partie du dossier du tribunal, même si l"absence de l"affidavit a empêché le demandeur de contre-interroger son auteur sur celles-ci.



C.      LES MOTIFS DE CONTRÔLE
     (i) Le facteur de la préparation professionnelle spécifique

[9]      L"avocat du demandeur a soutenu que Mme Coulter avait commis une erreur de droit en concluant que M. Liang ne satisfaisait pas aux exigences de la préparation professionnelle spécifique (PPS) en ce qui concerne le métier de mécanicien de machine à imprimer, l"un des métiers à l"égard desquels elle a évalué sa demande. L"avocat a soutenu qu"elle avait fondé sa décision sur le fait que le demandeur avait suivi un apprentissage de treize mois, ce qui est bien en dessous de la formation minimale de quatre ans prescrite dans la Classification nationale des professions pour une préparation professionnelle spécifique de 18 unités, et du programme d"apprentissage de deux ans, ou formation en cours d"emploi, requis pour ce métier.

[10]      L"avocat a fait valoir que la vice-consul s"était exclusivement attardée sur la formation régulière qu"avait suivie le demandeur pour ce métier, et qu"elle n"avait pas tenu compte d"autres facteurs pertinents telle sa formation universitaire en électronique - domaine médical et l"expérience professionnelle qu"il avait acquise dans d"autres emplois.

[11]      L"avocat du demandeur ne m"a toutefois pas convaincu que Mme Coulter a commis une erreur de droit en concluant que M. Liang ne satisfait pas aux exigences de la PPS parce que, à mon avis, on ne peut pas affirmer qu"une telle conclusion est déraisonnable ou a été tirée sans égard aux considérations pertinentes.

[12]      Il n"est absolument pas évident d"après les notes qu"elle a prises que Mme Coulter n"a pas tenu compte d"autres facteurs que l"apprentissage de M. Liang. Ces notes font simplement état de sa conclusion que le demandeur avait eu une préparation professionnelle spécifique d"une durée de treize mois seulement. Il est logique qu"ayant examiné toutes les observations qui lui ont été faites par M. Liang et son représentant, la vice-consul ait décidé que, compte tenu des faits, la formation universitaire du demandeur et son expérience professionnelle dans d"autres emplois ne constituaient pas une préparation professionnelle spécifique lui permettant d"occuper le poste de mécanicien de machine à imprimer.

[13]      De plus, il se peut fort bien qu"elle n"ait accordé que relativement peu de poids à ces facteurs parce que le demandeur a surtout insisté dans ses observations sur son apprentissage régulier.

     (ii) Motifs d"ordre humanitaire

[14]      Dans les observations faites à Mme Coulter lors de l"entrevue et dans les lettres échangées avec le représentant de M. Liang, il est allégué que s"il était jugé que le demandeur ne satisfaisait pas aux critères de sélection, il faudrait exercer le pouvoir discrétionnaire conféré par le paragraphe 114(2) de la Loi sur l"immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, et par l"article 2.1 du Règlement sur l"immigration de 1978, DORS\78-172, pour accorder une dispense d"application de ces critères.

[15]      En vertu de ces dispositions, le ministre possède un pouvoir discrétionnaire, qui a été délégué aux chargés du programme d"immigration, lui permettant d"accorder à une personne une dispense d"application d"un règlement ou de faciliter l"admission de cette personne au Canada lorsqu"il est convaincu qu"il existe des raisons d"ordre humanitaire justifiant de telles mesures.

[16]      Dans sa demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire, le demandeur faisait valoir qu"il était l"enfant unique de son père qui vivait au Canada depuis 1981 et qui avait maintenant de graves problèmes de santé. Comme il était peu probable que son père soit capable d"aller en Chine à l"avenir, le demandeur ne pourrait revoir son père si aucun visa ne lui était délivré et il serait incapable de lui prodiguer des soins et de lui assurer un soutien affectif pendant sa maladie.

[17]      Les notes que Mme Coulter a consignées dans le STIDI renvoient à ces observations. Elles indiquent que celle-ci a porté son attention sur la dépendance financière et affective du demandeur et de son père. Se fondant sur les réponses fournies par le demandeur, elle a conclu qu"il n"y avait pour l"instant aucune dépendance financière. Quant à la dépendance affective, les notes de Mme Coulter indiquent que le demandeur lui a dit qu"outre sa visite actuelle, son père lui avait rendu visite en Chine à trois reprises depuis 1981 et ils se téléphonaient une fois par mois. Les notes ne contiennent ni recommandation ni décision quant aux considérations d"ordre humanitaire de la demande.

[18]      La partie importante de la lettre du chargé du programme d"immigration au Consulat, lettre qui accompagnait la lettre dans laquelle Mme Coulter faisait part de sa décision, contenait les deux phrases suivantes :

         [TRADUCTION] J"ai examiné attentivement, comme vous nous l"avez demandé, s"il était possible de faciliter votre admission au Canada pour des raisons d"ordre humaitaire ainsi que pour les motifs que vous avez fait valoir. J"ai le regret de vous informer que les motifs que vous avez invoqués ne justifient pas une décision favorable.

[19]      Le seul autre document au dossier qui est pertinent pour cet aspect de la demande de visa de M. Liang est une note de service adressée par Mme Coulter au chargé de programme relativement à la demande de dispense qu"a présentée le demandeur conformément à l"article 2.1 du Règlement. Il y est simplement indiqué que M. Liang a demandé une dispense pour des raisons d"ordre humanitaire et que le chargé de programme doit indiquer si sa demande est accueillie ou refusée. M. Oppertshauser a signé son nom dans la case " refusé ".

[20]      L"avocat a soutenu que cette décision était erronée en droit parce qu"elle n"était pas motivée. Il a invoqué le Guide de l"immigration qui traite du pouvoir des chargés de programme dans les bureaux de visa à l"étranger de dispenser une personne de l"application des critères réguliers de sélection pour des raisons d"ordre humanitaire. Le Guide prévoit ce qui suit :

         Le Ministère s"attend également à ce que les chargés de programme puissent justifier l"exercice de ce pouvoir. Ils doivent faire un rapport complet sur les circonstances du cas et sur la justification de leur décision, car cette décision fait partie du dossier du requérant.

[21]      De plus, l"avocat a invoqué l"arrêt récent de la Cour suprême du Canada Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration) (motifs du jugement rendus le 9 juillet 1999) où la Cour a statué ce qui suit :

         ...il est maintenant approprié de reconnaître que, dans certaines circonstances, l"obligation d"équité procédurale requerra une explication écrite de la décision.

La Cour a statué que le rejet d"une demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire pour le motif qu"une personne se trouvant au Canada a obtenu illégalement le droit d"y demeurer revêtait une " importance cruciale " pour les personnes visées de sorte que l"équité imposait l"obligation de fournir des motifs.

[22]      On peut considérer que le refus d"une demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire présentée par une personne qui demande un visa à l"extérieur du Canada n"a pas la même " importance cruciale " que celle qu"il revêt pour une personne qui est déjà au Canada et qui est susceptible d"être renvoyée du pays. Par conséquent, l"avocat du ministre a laissé entendre que l"obligation d"équité qui incombait au chargé de programme à l"égard de M. Liang était minime et ne comportait pas l"obligation de fournir des motifs.

[23]      Je ne considère pas que cet argument est convaincant. Présumer qu"une décision discrétionnaire qui peut entraîner le renvoi d"une personne du Canada est forcément plus grave pour la personne que celle lui refusant l"admission est, à mon avis, trop simpliste. Certes, la gravité de l"effet préjudiciable dépendra des circonstances particulières de l"espèce. Je ne suis donc pas disposé à statuer que le refus d"une demande de visa pour des raisons d"ordre humanitaire a un effet préjudiciable si minime pour le demandeur que cela fait disparaître l"obligation de donner des motifs imposée par l"équité.

[24]      Bien que le Guide de l"immigration n"impose aucune obligation juridique aux fonctionnaires auxquels il s"adresse, j"ai pu en arriver à la conclusion qui précède parce que le Guide oblige les chargés de programme à motiver leurs décisions pour qu"ils soient en mesure de justifier l"exercice de ce très important pouvoir discrétionnaire.

[25]      L"avocat du ministre a fait valoir que, même si je concluais que le chargé de programme était tenu par l"équité de motiver sa décision, étant donné les faits dont j"ai été saisi, il s"est acquitté de cette obligation. Dans l"arrêt Baker, la Cour suprême du Canada a statué que la portée de l"obligation imposée par l"équité, notamment le libellé et la forme des motifs de la décision, varie en fonction du contexte décisionnel.

[26]      L"avocat a soutenu que le caractère suffisant des motifs fournis en l"espèce doit, par conséquent, être examiné en fonction du refus d"exercer un pouvoir discrétionnaire résiduel permettant de dispenser une personne se trouvant à l"étranger de l"application des critères normaux de sélection pour la résidence permanente. Il a fait valoir que, dans un tel contexte, le contenu de l"obligation se situe clairement au bas de l"échelle et il sera facile de satisfaire à l"obligation de fournir des motifs.

[27]      L"avocat s"est d"abord appuyé sur le libellé de la lettre du chargé de programme, M. Oppertshauser, qui a dit qu"il avait examiné la demande de M. Liang, mais qu"il avait conclu que le motif invoqué par le demandeur [TRADUCTION] " ne justifi[ait] pas une décision favorable ". À mon avis, il s"agit d"une conclusion et non d"un motif de la décision; cela n"indique nullement au demandeur pourquoi le chargé de programme a refusé sa demande.

[28]      Deuxièmement, l"avocat m"a invité à examiner la lettre du chargé de programme en tenant compte de l"ensemble du dossier. En particulier, il a soutenu que je devrais déduire de la note de service que Mme Coulter a adressée au chargé de programme au sujet de la demande de dispense fondée sur des raisons d"ordre humanitaire présentée par M. Liang qu"elle avait joint à celle-ci les parties pertinentes du dossier, notamment les observations écrites faites au nom du demandeur ainsi que les notes qu"elle avait prises à l"entrevue.

[29]      De plus, même si ces notes ne contenaient pas de recommandation quant à la décision à rendre sur la demande, comme c"était le cas des notes consignées dans le STIDI dans l"arrêt Baker , elles précisaient néanmoins la question pertinente, savoir si les faits invoqués par le demandeur établissaient l"existence d"un degré de dépendance affective suffisant pour justifier la délivrance d"un visa pour des raisons d"ordre humanitaire. En l"absence de preuve contraire, on devrait en déduire que le chargé de programme a conclu que tel n"était pas le cas.

[30]      À mon avis, le demandeur n"a pas démontré que le refus de la demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire constituait un manquement à l"obligation d"équité.

[31]      Tout d"abord, la disposition administrative du Guide de l"immigration exhortant les chargés de programme à motiver leurs décisions relatives à des demandes de dispense semble signifier qu"ils devraient normalement verser leurs motifs dans le dossier. Toutefois, à mon avis, l"obligation d"équité exige simplement que des motifs soient fournis à la demande de la personne à laquelle cette obligation est due et, en l"absence d"une telle demande, il n"y a aucun manquement à l"obligation d"équité.

[32]      Rien dans le dossier de la demande dont j"ai été saisi n"indique que le demandeur a demandé au chargé de programme de motiver sa décision. Si le demandeur ou son représentant considéraient que la lettre exposant la décision constituait une explication insuffisante, ils auraient dû demander des éclaircissements.

[33]      Subsidiairement, je conclus que le dossier satisferait une personne équitable que le chargé de programme a refusé la demande fondée sur des raisons d"ordre humanitaire parce qu"il estimait que les contacts limités entre le demandeur et son père depuis 1981 n"établissaient pas l"existence d"un lien affectif suffisamment fort pour justifier l"exercice du pouvoir discrétionnaire permettant d"accorder le statut de résident permanent au demandeur.

[34]      À partir des faits de la présente espèce, je suis disposé à faire les déductions qui s"imposent pour en arriver à une telle conclusion, notamment en raison de la nature discrétionnaire résiduelle de la décision et du fait que le demandeur ne se trouve pas au Canada.

[35]      Cependant, il serait possible à l"avenir pour les chargés de programme d"éviter une certaine incertitude s"ils expliquaient plus clairement les motifs de leurs décisions relatives à des demandes fondées sur des raisons d"ordre humanitaire.


D.      CONCLUSION

[36]      Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                    

OTTAWA (ONTARIO)      " John M. Evans "

    

17 août 1999      J.C.F.C.



Traduction certifiée conforme



Suzanne Bolduc, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              IMM-3014-98


INTITULÉ DE LA CAUSE :      Jian Liang c. Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration


LIEU DE L"AUDIENCE :          Toronto (Ontario)


DATE DE L"AUDIENCE :          26 juillet 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du juge Evans en date du 17 août 1999



ONT COMPARU :

Max Chaudhary              POUR LE DEMANDEUR
David Tyndal                  POUR L"INTIMÉ


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Chaudhary              POUR LE DEMANDEUR

North York (Ontario)


Morris Rosenberg              POUR L"INTIMÉ

Sous-procureur général du Canada

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