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Date : 20030212

Dossier : T-1283-02

Référence neutre : 2003 CFPI 149

Winnipeg (Manitoba), le mercredi 12 février 2003

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                                       APOTEX INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                              - et -

ASTRAZENECA CANADA INC.

                                                                                                                                               défenderesse

                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE DAWSON


[1]                 La Cour est saisie d'une requête présentée par Apotex Inc. (Apotex) en vue de faire annuler l'ordonnance par laquelle le protonotaire Lafrenière a suspendu la présente instance jusqu'à ce qu'une décision définitive ait été rendue dans l'instance introduite devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario qui oppose Astrazeneca Canada Inc. (Astrazeneca), en qualité de demanderesse, et Apotex, en tant que défenderesse (l'instance ontarienne). Voici les motifs pour lesquels je rejette l'appel d'Apotex.

FAITS À L'ORIGINE DU LITIGE

[2]                 Astrazeneca a introduit l'instance ontarienne le 16 juillet 2002. Dans cette action, Astrazeneca sollicitait un jugement déclarant qu'entre elle et Apotex, c'était elle-même qui était propriétaire du droit d'auteur sur deux monographies de produit pharmaceutique. La première monographie se rapporte à des comprimés de LOSEC (magnésium d'oméprazole), et la seconde à des capsules de LOSEC. Astrazeneca sollicitait également un jugement déclarant que les deux monographies de produit relatives aux comprimés et aux capsules d'Apo-omeprazole d'Apotex violaient le droit d'auteur d'Astrazeneca. Astrazeneca affirmait qu'elle était titulaire de quatre droits d'auteur enregistrés se rapportant à ses deux monographies de produit. Par ailleurs, Astrazeneca réclamait entre autres une injonction interlocutoire et une injonction provisoire, des dommages-intérêts pour violation du droit d'auteur, une reddition de compte des profits réalisés par suite du plagiat des monographies relatives à ses capsules et à ses comprimés LOSEC, des dommages-intérêts punitifs et des dommages-intérêts légaux, si elle choisissait d'en réclamer.


[3]                 Par la suite, le 9 août 2002, Apotex a introduit la présente instance devant notre Cour en déposant une déclaration. Dans cette déclaration, Apotex sollicitait un jugement déclarant qu'il n'existait plus de droit d'auteur dans les deux monographies de produit d'Astrazeneca se rapportant aux comprimés et aux capsules LOSEC, de même qu'une ordonnance radiant les enregistrements de droit d'auteur d'Astrazeneca se rapportant aux monographies de produit en question.

[4]                 Astrazeneca a déposé le 7 octobre 2002 une défense et demande reconventionnelle en réponse à la demande d'Apotex. Dans cet acte de procédure, Astrazeneca affirmait qu'elle était titulaire du droit d'auteur sur les deux monographies de produit et elle soutenait que ses enregistrements de droit d'auteur étaient toujours valides. Astrazeneca réclamait le rejet de la demande d'Apotex et sollicitait, dans sa demande reconventionnelle, les mêmes réparations que celles qu'elle réclamait dans la déclaration qu'elle avait déposée dans l'instance introduite en Ontario.

[5]                 Le 10 octobre 2002, Apotex a déposé sa défense en réponse à l'instance introduite en Ontario. Dans sa défense, Apotex affirmait qu'Astrazeneca n'était titulaire d'aucun droit d'auteur sur les monographies de produit LOSEC et elle niait la validité des enregistrements de droit d'auteur d'Astrazeneca.

[6]                 Les faits et les points invoqués respectivement par chacune des parties dans les deux instances sont pratiquement identiques, et les mêmes questions litigieuses sont soulevées. Ainsi que les avocats l'ont fait remarquer lors du débat, les parties feraient preuve de malhonnêteté intellectuelle si elles prétendaient qu'une action n'a pas précipité l'autre.


[7]                 Dans chacune des instances en question, la partie défenderesse a présenté une requête en vue de faire suspendre l'action. La requête en sursis d'instance qui a été déposée en l'espèce est celle qui a été instruite en premier et, le 11 octobre 2002, le protonotaire Lafrenière a fait droit à la requête, suspendant ainsi la présente instance. La Cour est saisie de l'appel interjeté de cette ordonnance.

[8]                 La requête en suspension de l'instance introduite en Ontario n'a pas encore été instruite.

DÉCISION DU PROTONOTAIRE

[9]                 Dans sa requête en suspension de la présente action, Astrazeneca réclamait non seulement la suspension de l'instance, mais également, dans la cas où sa requête serait accueillie, une ordonnance l'obligeant à acquiescer à la réparation in rem réclamée par Apotex dans la présente action pour le cas où Astrazeneca n'obtiendrait pas gain de cause dans l'instance ontarienne. Plus particulièrement, Astrazeneca serait obligée d'acquiescer au jugement par lequel notre Cour radierait certains ou la totalité de ses quatre enregistrements de droit d'auteur si l'un ou plusieurs étaient jugés invalides par la Cour supérieure de justice de l'Ontario.

[10]            Le protonotaire Lafrenière a signalé, dans sa décision manuscrite, qu'Astrazeneca s'était engagée à acquiescer à la réparation in rem si elle n'obtenait pas gain de cause dans l'instance introduite en Ontario. Il a ensuite conclu que la Cour supérieure de justice de l'Ontario était une juridiction qui convenait tout autant que la Cour fédérale du Canada pour se prononcer sur les questions litigieuses soulevées dans les deux instances et que la suspension de la présente instance ne causerait pas d'injustice à Apotex. En conséquence, le protonotaire Lafrenière a ordonné que la présente action soit suspendue jusqu'à ce qu'une décision définitive soit rendue sur le fond dans le cadre de l'instance ontarienne.

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[11]            L'ordonnance réclamée par Astrazeneca visait à empêcher notre Cour de statuer au fond sur les questions litigieuses soulevées par Apotex. Je suis par conséquent convaincue qu'une question cruciale en ce qui concerne le sort final de l'affaire a été soulevée, en ce sens que la question de savoir s'il y a lieu ou non d'accorder une suspension aura une influence déterminante sur le sort du principal. Je devrais donc statuer sur le présent appel en exerçant mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l'affaire depuis le début (voir l'arrêt Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd., [1993] 2 C.F. 425, à la page 463 (C.A.)).


CRITÈRE APPLICABLE EN MATIÈRE DE SUSPENSION D'INSTANCE

[12]            Le paragraphe 50(1) de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7 (la Loi) régit la suspension d'instances. Il dispose :


50. (1) La Cour a le pouvoir discrétionnaire de suspendre les procédures dans toute affaire :

a) au motif que la demande est en instance devant un autre tribunal;

b) lorsque, pour quelque autre raison, l'intérêt de la justice l'exige.

50. (1) The Court may, in its discretion, stay proceedings in any cause or matter,

(a) on the ground that the claim is being proceeded with in another court or jurisdiction; or

(b) where for any other reason it is in the interest of justice that the proceedings be stayed.


[13]            Voici les principaux éléments qui se dégagent des décisions dans lesquelles notre Cour a examiné le paragraphe 50(1) de la Loi :

i)           Le pouvoir de suspendre une instance doit être exercé avec modération et la suspension d'instance ne doit être accordée que dans les cas les plus évidents.

ii)          Pour justifier une suspension, deux conditions doivent être réunies, une positive et une négative :

a) le défendeur doit convaincre le tribunal que la poursuite de l'action entraînerait une injustice parce qu'elle serait abusive ou vexatoire pour lui ou qu'elle constituerait un abus de procédure;


b) la suspension d'instance ne doit causer aucune injustice au demandeur.

Dans les deux cas, la charge de la preuve incombe au défendeur.

iii)          Lorsqu'il existe des raisons de compétence fondamentales d'introduire une action tant devant le tribunal supérieur d'une province que devant la Cour fédérale du Canada, il n'y a pas lieu de suspendre l'instance introduite devant la Cour fédérale.

(Voir les jugements Varnam c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) et al., (1987), 12 F.T.R. 34 (C.F. 1re inst.) et Figgie International Inc. c. Citywide Machine Wholesale Inc., (1993), 50 C.P.R. (3d) 89 (C.F. 1re inst.)).

[14]            Pour ce qui est de l'application de ces principes aux faits de la présente requête, il ne fait aucun doute que l'alinéa 50(1)a) de la Loi s'applique. La demande qu'Apotex formule devant notre Cour correspond essentiellement à la défense qu'elle a déposée dans l'instance ontarienne. Or, cette instance existait déjà lorsqu'Apotex a introduit la présente action. Notre Cour a donc le pouvoir discrétionnaire de suspendre la présente instance.


[15]            Pour ce qui est de la première des deux conditions qui doivent être respectées, Astrazeneca m'a convaincue que la poursuite de la présente action lui causerait une injustice. Je conclus qu'il serait abusif et vexatoire de l'obliger à plaider de nouveau les mêmes questions contre la même partie, sur le fondement des mêmes éléments de preuve devant deux tribunaux canadiens ayant tous les deux compétence en matière de droit d'auteur, tout en s'exposant au bout du compte à la possibilité de résultats contradictoires.

[16]            Quant à la seconde condition à remplir, Astrazeneca m'a également persuadée que la suspension de la présente instance ne causera pas d'injustice à Apotex. Apotex affirme qu'elle subit un préjudice à deux égards. En premier lieu, Apotex a réclamé une réparation in rem en ce qui concerne la radiation des enregistrements de droit d'auteur d'Astrazeneca, une mesure que seule notre Cour a le pouvoir d'accorder. En second lieu, Apotex subirait une véritable perte d'avantage juridique si elle était forcée de contester les questions en litige devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario parce qu'il n'y a pas de droit automatique d'appel en ce qui concerne les ordonnances interlocutoires rendues par ce tribunal. La règle 62.02(1) des Règles de procédure civile de l'Ontario prévoit en effet qu'il faut demander l'autorisation pour pouvoir faire appel d'une ordonnance interlocutoire. La règle 62.02(4) est ainsi libellée :

62.02(4) Moyens qui peuvent fonder l'autorisation d'interjeter appel

L'autorisation d'interjeter appel n'est accordée que dans les cas où :

a) un autre juge ou un autre tribunal de l'Ontario ou d'ailleurs a rendu une décision incompatible sur la question qui fait l'objet de l'appel projeté, et le juge qui entend la requête estime qu'il est souhaitable d'accorder l'autorisation;

b) le juge qui entend la motion a des motifs de mettre en doute le bien-fondé de l'ordonnance en cause et l'appel projeté soulève des questions d'une importance telle qu'il estime souhaitable d'accorder l'autorisation.

[17]            Par contraste, dans le genre d'action qui nous intéresse, il existe un appel de plein droit des décisions interlocutoires de la Section de première instance à la Cour fédérale du Canada.

[18]            Sur le premier préjudice allégué, si elle succombe devant le tribunal ontarien, Astrazeneca sera irrecevable à opposer à Apotex la validité de son droit d'auteur sur les monographies de produit par application des principes de l'autorité de la chose jugée, de la fin de non-recevoir résultant de l'identité des questions en litige ou de l'abus de procédure. Le fait que le droit d'auteur ne serait pas éteint en ce qui concerne les tiers ne changerait pas grand-chose, selon moi, pour Apotex ou pour ses ayants-droit.

[19]            Qui plus est, si Astrazeneca n'obtient pas gain de cause dans l'instance ontarienne, son engagement d'acquiescer à un jugement in rem devant notre Cour règle le sort de l'argument relatif à ce présumé préjudice.

[20]            Pour ce qui est de la présumée perte d'un avantage juridique, la Cour suprême du Canada a souligné l'importance de la courtoisie judiciaire. Voir, par exemple, les observations du juge La Forest, qui écrivait au nom de la Cour, dans l'arrêt Morguard Investments Ltd. c. De Savoye, [1990] 3 R.C.S. 1077, aux pages 1097 à 1102, et en particulier les propos qu'il a tenus aux pages 1099 et 1100 :


Le système judiciaire canadien est organisé de telle manière que toute crainte de différence de qualité de justice d'une province à l'autre ne saurait être vraiment fondée. Tous les juges de cour supérieure - qui ont également un pouvoir de contrôle sur tous les tribunaux judiciaires et administratifs provinciaux - sont nommés et rémunérés par les autorités fédérales. De plus, toutes les cours de justice sont sujettes à l'examen en dernier ressort de leurs décisions par la Cour suprême du Canada qui peut décider si les cours d'une province ont à bon droit exercé leur compétence dans une action et dans des circonstances où les cours d'une autre province devraient reconnaître ces jugements. Tout risque d'iniquité procédurale est aussi écarté par d'autres facteurs non constitutionnels, comme par exemple, le fait que les avocats canadiens observent tous le même code de déontologie partout au Canada.

[21]            Compte tenu de ce que la Cour suprême du Canada appelle l'absence de fondement des craintes exprimées au sujet de la différence de la qualité de la justice entre les juridictions supérieures du Canada, je ne puis conclure qu'un droit limité d'interjeter appel de décisions interlocutoires constitue une perte d'avantage juridique. Qui plus est, ainsi que le protonotaire Lafrenière l'a fait remarquer, les parties seront toutes les deux assujetties aux même restrictions en Ontario en ce qui concerne leur capacité de faire appel. Aucune requête interlocutoire n'a encore été instruite en Ontario.

[22]            Je me suis également demandée s'il existait des motifs de compétence fondamentaux qui justifieraient l'existence d'instances parallèles devant notre Cour et devant la Cour supérieure de justice de l'Ontario. Or, pour les motifs déjà exposés, au sujet des raisons pour lesquelles l'instance in personam introduite en Ontario ne causera aucun préjudice à Apotex, il n'existe à mon avis aucun motif fondamental de compétence qui justifierait la poursuite de la présente instance.


[23]            Les parties ont beaucoup débattu de la question du forum conveniens. J'abonde toutefois dans le sens de l'avocat d'Apotex lorsqu'il fait valoir que notre Cour a appliqué les principes articulés dans des décisions comme les jugements Varnam et Figgie, précités, pour décider de l'opportunité de suspendre une instance lorsqu'une instance parallèle a été introduite devant une autre juridiction canadienne.

[24]            Je constate par ailleurs que, dans l'arrêt Morguard, précité, la Cour suprême du Canada s'est dite d'avis, à la page 1098, qu'on commettrait une grave erreur si l'on transposait les règles conçues pour l'exécution des jugements étrangers, à l'exécution des jugement des autres provinces du pays. À mon avis, on aurait tout aussi tort d'appliquer les principes du droit international au sein de l'État fédéral canadien lorsqu'on examine l'opportunité de suspendre une instance introduite devant un tribunal supérieur en raison de l'existence d'une instance parallèle dans un autre tribunal. On trouve une illustration des problèmes que cette situation risque de créer dans les observations qui ont été soumises à notre Cour suivant lesquelles la suspension de la présente action ne devrait être ordonnée que si la Cour est convaincue que le tribunal ontarien est [traduction] « une juridiction qui convient mieux » et dans l'invitation qui en résulte, à procéder à ce qu'on pourrait qualifier de comparaisons injustes de la qualité de la justice rendue par chaque tribunal.

[25]            Par ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens.


ORDONNANCE

[26]            LA COUR ORDONNE :

1.          que l'appel interjeté de l'ordonnance du protonotaire Lafrenière soit rejeté;

2.          qu'Apotex soit condamnée à payer à Astrazeneca les dépens du présent appel, lesquels devront être taxés.

                 « Eleanor R. Dawson »                                                                                                                                          Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉ RALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-1283-02

INTITULÉ:              Apotex Inc. c. Astrazeneca Canada Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :     Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :     28 novembre 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE : MADAME LA JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :        12 février 2003

COMPARUTIONS:

Andrew R. Brodkin                               POUR LA DEMANDERESSE

Nathalie Butterfield

John R. Morrissey                               POUR LA DÉFENDERESSE

Denise L. Lacombe

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

Goodmans LLP                                    POUR LA DEMANDERESSE

250, rue Yonge, bureau 2400

Toronto (Ontario) M5B 2M6

Tél. : (416) 979-2211

Téléc. : (416) 979-1234

Smart & Biggar                                  POUR LA DÉFENDERESSE

Avocats

438, avenue University, bureau 1500

Toronto (Ontario) M5G 2K8

Tél : (416) 593-5514

Téléc. : (416) 591-1690

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