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     IMM-3143-96

Ottawa (Ontario), le vendredi 29 août 1997

En présence de monsieur le juge Gibson

ENTRE :

     ZHI GAN LIU,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     FREDERICK E. GIBSON

     Juge

Traduction certifiée conforme     

                                     F. Blais, LL.L.

     IMM-3143-96

ENTRE :

     ZHI GAN LIU,

     requérant,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE GIBSON

     Les présents motifs font suite à une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la section du statut de réfugié (la "SSR") de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié, en date du 30 juillet 1996, concluant que le requérant n'est pas un réfugié au sens de la Convention aux termes du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration1.

     Les faits entourant la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention par le requérant se dégagent de l'exposé raisonnablement succinct figurant dans le formulaire de renseignements personnels du requérant dont voici l'extrait pertinent :

     [TRADUCTION]         
     Mon nom est LIU, ZAI GAN et je suis citoyen chinois. Je suis venu au Canada de crainte d'être persécuté pour mes convictions religieuses. Plus précisément je suis protestant.         
     En 1989, je me suis joint à l'église de mon village. C'est mon ancien condisciple Wong Li Ming qui m'a fait connaître l'église et la religion. J'ai été baptisé au domicile de Huang Yi par le pasteur Lin, en décembre 1989. J'ai alors reçu comme prénom de baptême celui de Peter. Par la suite, j'ai assisté aux cérémonies religieuses environ deux fois par mois. La petite église était située à Huang, lieu de domicile de Yi.         
     J'ai refusé de m'affilier à la Patriotic Church du fait qu'elle est soumise au contrôle du gouvernement chinois et non à celui de Dieu.         
     Mes activités consistaient à recruter des membres pour l'église et j'ai réussi à réunir 15 des 60 fidèles qui la fréquentaient.         
     Je faisais office d'agent de liaison et d'organisateur pour l'église et prenais contact avec le pasteur et les fidèles respectivement pour préparer les cérémonies religieuses.         
     Lorsque de nouveaux fidèles arrivaient à l'église, je veillais aux préparatifs de leur baptème. En outre, j'apportais mon aide pour procurer des publications religieuses sur l'éducation aux nouveaux membres de l'assemblée.         
     Vers le 14 août 1993, une cérémonie devait avoir lieu à l'église pour baptiser trois nouveaux membres. J'ai organisé cette cérémonie à laquelle environ 30 fidèles ont participé. Elle a commencé à 21 heures, mais dix minutes seulement s'étaient écoulées lorsque le BSP a envahi l'église. La personne de garde a averti l'assistance de l'arrivée prochaine du BSP donnant ainsi le temps aux fidèles de s'enfuir. Je me suis enfui avec le pasteur et deux autres fidèles en courant vers la zone boisée. Le pasteur accompagné des deux fidèles s'est rendu dans la maison de l'un d'eux. Je suis allé au domicile de mon cousin qui se trouvait à 30 kilomètres de là. Le lendemain, mon cousin est allé chez moi pour s'enquérir de la situation. Mes parents lui ont dit que le BSP avait forcé la maison et emporté des publications religieuses en disant à mes parents que j'avais organisé des activités religieuses clandestines et que le propriétaire du bâtiment où se trouvait l'église et l'un des fidèles avaient été arrêtés sur place. Le BSP a laissé une sommation en vue de m'arrêter.         
     Plusieurs jours après, mon cousin a appris par son ami que la police avait fait une descente à l'endroit où se cachait le pasteur et que celui-ci et plusieurs autres personnes ont été arrêtés. On les a accusés de s'être livrés à des activités religieuses contre-révolutionnaires et qu'une sentence leur sera imposée.         
     Je craignais beaucoup d'être arrêté. C'est pourquoi, mon cousin a pris les dispositions nécessaires pour me faire sortir de Chine. Après mon arrivée au Canada, j'ai appelé mon cousin qui m'a informé que le pasteur a été condamné à une peine d'emprisonnement et que deux autres fidèles l'avaient été également.         
     J'ai maintenant peur de retourner en Chine car je suis certain d'être arrêté, envoyé en prison et torturé. En outre, je ne serais jamais autorisé à pratiquer librement ma religion en Chine.         

     À ce qui précède est venu s'ajouter, bien sûr, le témoignage du requérant devant la section du statut.

     Trois auditions étalées sur presque exactement un an ont eu lieu à des dates différentes devant la SSR. Aux deux premières auditions, la formation était secondée par un même agent de revendication du statut de réfugié et, à la troisième, par un agent différent qui a fait parvenir des observations complémentaires à l'occasion de cette dernière audition. Quelque trois semaines plus tard, l'avocat du requérant a présenté d'autres observations qui ont été suivies de nouvelles preuves documentaires deux mois environ après la dernière audition. La décision et les motifs de la SSR ont été livrés à peu près trois mois et demi après la dernière audition. La section du statut a conclu que :

     [TRADUCTION]         
     La formation n'est pas persuadée que le requérant se trouvait en Chine après le mois de mai 1992. Elle estime que ses déclarations concernant son affiliation à l'assemblée de son église, la position et les responsabilités qu'il y occupait, l'incident du mois d'août 1993 ainsi que le mandat d'arrêt lancé contre lui par le BSP, ne sont ni crédibles ni dignes de foi. En outre, du fait que cette preuve est cruciale pour la revendication, la formation est d'avis qu'il n'existe aucune preuve crédible ou digne de foi sur laquelle fonder une décision favorable.         

En tirant cette conclusion, la SSR a dit ce qui suit :

     [TRADUCTION]         
     ... la formation n'est pas persuadée, en raison de l'attitude du requérant, que celui-ci était pêcheur.         

     La SSR a trouvé que des éléments essentiels du témoignage du requérant n'étaient pas dignes de foi. Si elle a noté que :

     [TRADUCTION]         
     ... le requérant avait bien gardé son calme et son sang-froid tout au long de l'audition et répondu à chaque question de façon réfléchie et en prenant son temps...         

elle a également observé plus tard que :

     [TRADUCTION]         
     ... il a fallu à diverses reprises arracher des réponses à l'intéressé surtout lorsqu'il devait décrire les moyens utilisés pour transmettre aux membres de l'église les renseignements concernant la date des services religieux.         

     Dans les motifs à l'appui de sa décision, la SSR a signalé cinq invraisemblances dans le témoignage du requérant. Elle a également relevé deux contradictions qu'elle a portées à son attention pour qu'il puisse y répondre. Au sujet des quatre autres contradictions relevées dans le témoignage et sur lesquelles la section du statut s'est appuyée, elle a reconnu, au vu de ses motifs, qu'elle ne les avait pas signalées à l'attention du requérant.

     Son avocat a mis en évidence les questions suivantes qu'il a fait valoir devant la Cour en tant que fondement pour annuler la décision de la section du statut; à savoir :

     en premier lieu, le requérant a-t-il été privé du droit à une audition équitable suivant les principes de justice naturelle lorsque la SSR l'a prétendument trompé au sujet des points qu'il devait défendre et a omis de lui relever les présumées contradictions dans son témoignage?
     en deuxième lieu, la SSR a-t-elle fondé sa décision sur des conclusions non prouvées?
     enfin, la conclusion voulant que la crainte de persécution que nourrissait le requérant ne fût pas bien fondée était-elle basée sur une mauvaise interprétation de la preuve, à un refus d'en tenir compte et à des déductions inexactes?

     À l'ouverture de la première audition devant la section du statut, les questions que celle-ci tenait pour cruciales au regard du cas du requérant ont été déterminées. À l'ouverture de la troisième audition, une nouvelle question s'y est ajoutée concernant l'identité du requérant. L'avocat de celui-ci s'est énergiquement opposé à ce qu'on inclue ce point. Une brève suspension d'audience a été accordée afin que le requérant et son avocat puissent se consulter à ce sujet. L'avocat n'a pas demandé un nouvel ajournement pour se préparer à cet égard ni pour convoquer de nouveaux témoins. L'occasion a été offerte de présenter des observations après l'audition; elle a été saisie et la question de l'identité abordée. La possibilité de présenter de nouvelles preuves documentaires a également été offerte et mise à profit.

     La décision que j'ai rendue dans l'affaire Rehman, et al. c. Canada (Secrétaire d'État)2 a été citée à l'appui de la proposition voulant que l'addition tardive d'une question que la SSR jugeait importante, constituait de la part de celle-ci une erreur susceptible de contrôle. Je ne peux être d'accord là-dessus. Dans la décision Rehman, j'ai écrit à la page 299 ce qui suit :

     Par conséquent, dès le début de l'audience, on a clairement fait savoir aux intéressés et à leur avocat que la question de l'identité et de la citoyenneté n'était pas en litige.         

     À la page 300, j'ai dit ceci :

     Par conséquent, bien qu'on ait dit aux requérants et à leur avocat, au début de l'audience, que leur identité et leur citoyenneté n'étaient pas remises en question, les requérants ont appris pour la première fois, lorsqu'ils ont reçu la décision de la SSR, qu'on ne croyait pas qu'ils étaient ceux qu'ils affirmaient être et qu'on ne croyait pas qu'ils étaient citoyens du Kenya.         

     Ainsi, d'après les faits entourant la cause, les requérants n'ont pas eu l'occasion d'aborder la question de l'identité et de la citoyenneté. Même si l'identité n'a pas été signalée le plus tôt possible dans ce cas-ci en tant que point litigieux, elle l'a été alors que le requérant avait la possibilité de répondre à la question, comme il l'a d'ailleurs fait, sans demander une autre occasion pour cela. Je suis convaincu que la SSR n'a commis à cet égard aucune erreur susceptible de contrôle.

     Comme on l'a dit plus tôt, la SSR a relevé, dans le témoignage du requérant, quatre contradictions sur lesquelles elle s'est appuyée dans ses motifs, mais elle a omis d'en faire état en présence du requérant et de lui donner l'occasion d'y répondre.

     Dans l'affaire Gracielome c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)3, le juge Huggessen a écrit ce qui suit :

     Il est à noter que dans aucun des trois cas n'a-t-on confronté les requérants avec leurs prétendues contradictions ni demandé qu'ils s'expliquent à ce sujet. Au contraire, il est évident que chaque exemple a été relevé par la majorité après coup et suite à un examen minutieux des transcriptions de la preuve. Dans ces circonstances, la position de la Commission pour apprécier les contradictions n'est pas plus privilégiée que la nôtre.         

     À mon sens, la citation qui précède ne signifie pas que le défaut de déceler des contradictions dans un témoignage et d'offrir l'occasion d'y répondre constitue une erreur susceptible de contrôle.

     Dans la cause Vorobieva c. Canada (Solliciteur général)4, M. le juge Rouleau s'est prononcé en ces termes :

     Il est maintenant de règle qu'en concluant au manque de crédibilité du témoignage du demandeur, la Commission commet une erreur de droit si elle recherche les contradictions dans ce témoignage pour fonder ce verdict défavorable; en outre, les règles de justice fondamentale lui font obligation de confronter le demandeur aux contradictions de son témoignage et de lui donner la possibilité de s'expliquer...         

     À l'appui de la susdite proposition, le juge Rouleau cite le cas de Gracielome et celui d'Owusu-Ansah c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration5 qui, à l'instar de Gracielome, ne conforte pas pleinement, comme j'en conclus en toute déférence, l'énoncé du juge Rouleau.

     Dans la cause Guo c. le Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration6, le juge Heald écrit ceci :

     La jurisprudence pertinente établit que les incohérences présentes dans la déposition d'un demandeur du statut qui pourraient amener un tribunal à conclure que le demandeur n'est pas crédible doivent être signalées au demandeur, à qui il faut donner l'occasion de se justifier. Le dossier indique que la requérante n'a pas été confrontée aux incohérences que le tribunal aurait trouvées dans sa déposition et qu'elle n'a pas eu l'occasion de se justifier, comme l'exigent les règles de justice naturelle. Plus particulièrement, la requérante aurait dû avoir l'occasion d'expliquer les incohérences alléguées en rapport avec la carte d'unité de travail chinoise et la liste des articles saisis par le BSP. Ne pas avoir donné cette occasion à la requérante constitue une erreur de droit.         

     À l'appui de la susdite proposition, le juge Heald cite les cas de Gracielome et de Vorobieva.

     Avec beaucoup d'égards, compte tenu des faits qui m'ont été présentés, je suis d'avis que les décisions rendues dans les causes Vorobieva et Guo comportent une obligation trop lourde pour la SSR. Dans le présent cas d'espèce, comme on l'a déjà vu, l'audition à la SSR s'est déroulée en trois temps très éloignés l'un de l'autre. La section était secondée par deux différents agents de revendication du statut. Elle a effectivement relevé certaines contradictions dans les témoignages du requérant et les a portées à son attention en présence de son avocat, de sorte que celui-ci et son client savaient que la section du statut s'en inquiétait. Quatre autres contradictions sur lesquelles la section du statut s'est finalement appuyée, n'ont pas été signalées au requérant.

     On peut à bon droit supposer que, durant l'audition, les membres de la formation de la SSR n'étaient guère plus en mesure de déceler les contradictions que le requérant et son avocat. La substitution de l'agent de revendication du statut entre la deuxième et la troisième audition a eu pour conséquence que l'aptitude de l'agent, affecté à la dernière séance, de relever les contradictions était limitée. Dans ces circonstances, bien qu'il eût été préférable que la SSR portât à l'attention du requérant toutes les contradictions de son témoignage sur lesquelles elle pouvait s'appuyer, je conclus que le fait d'y avoir manqué ne constitue ni une entorse aux principes de justice naturelle ni une erreur de droit. Comme on l'a déjà dit, le requérant et son avocat savaient que la SSR s'inquiétait à ce sujet et il incombait au requérant d'établir sa preuve. Il était assisté par un avocat et se trouvait dans la même situation que la section du statut pour déceler d'autres contradictions.

     On a vu plus tôt qu'à part les contradictions sur lesquelles elle s'est fondée, la SSR a relevé une série d'invraisemblances. Elle a conclu que les preuves qu'on lui a soumises ne suffisaient pas pour conclure que le requérant résidait en Chine après le mois de mai 1992, et bien qu'elle ait trouvé que celui-ci avait gardé son calme et son sang-froid tout au long de l'audition, elle a également noté qu'il avait fallu à plusieurs reprises lui "arracher" les réponses. Quant à savoir si l'avocat de l'intéressé ou moi-même aurions abouti aux mêmes conclusions, est une question évidemment hors de propos. D'après les témoignages et les documents recueillis, je trouve qu'il était loisible à la SSR de tirer raisonnablement toutes ses conclusions, sauf en ce qui a trait à la résidence du requérant en Chine après le mois de mai 1992. Le témoignage de l'intéressé à ce sujet n'a pas été contredit. Son témoignage prêté sous serment et non contredit doit, en l'absence de raison infirmante, être tenu pour vrai. La SSR n'a donné aucune raison permettant de réfuter cet aspect du témoignage.

     Elle a également conclu qu'elle n'était

     [TRADUCTION]         
     ... pas persuadée, en raison de l'attitude du requérant, que celui-ci était pêcheur.         

     À défaut de plus amples explications, il est difficile de savoir comment l'occupation du requérant pourrait être établie à partir de son attitude. Cela dit, je juge que cette conclusion n'était pas au coeur de la décision de la SSR.

     Ni l'une ni l'autre des susdites conclusions ne l'étaient non plus, à mon avis.

     Pour les susdits motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

     Aucun des deux avocats n'a recommandé la certification d'une question. Je considère que la responsabilité de la SSR de déceler les contradictions que présente un témoignage et de confronter le ou la requérant(e) à celles-ci de façon qu'il (elle) puisse se justifier est une question grave. Cela dit, j'ai limité ma conclusion à cet égard aux faits très précis de cette cause. Je conclus, par conséquent, que ma décision à ce sujet ne revêt pas une importance générale et ne constitue pas, par conséquent, une question appropriée aux fins de certification.

     Aucune question ne sera certifiée.

     FREDERICK E. GIBSON

     Juge

Ottawa (Ontario)

Le 29 août 1997

Traduction certifiée conforme     

                                     F. Blais, LL.L.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

No du greffe : IMM-3143-96

Entre

ZHI GAN LIU,

     requérant,

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE



     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :              IMM-3143-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :ZHI GAN LIU

                     et

                 LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :      12 AOÛT 1997

LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE      PAR LE JUGE GIBSON

EN DATE DU              29 AOÛT 1997

ONT COMPARU :

Mme Noami S.D. Solomonpour le requérant
M. Godwin Fridaypour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis and Associates

175, rue Harbord

Toronto (Ontario)

M5S 1H3pour le requérant

George Thomson

Sous-procureur général du Canada                      pour l'intimé
__________________

1      L.R.C. (1985), chap. I-2.

2      (1995), 92 F.T.R. 297.

3      (1989), 9 Imm. L.R. (2d) 237 (C.A.F.).

4      (1994), 84 F.T.R. 93 (C.F. 1re inst.).

5      (1989), 98 N.R. 312 (C.A.F.).

6      16 septembre 1996, A-928-92 (non publié) (C.F. 1re inst.).

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