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     IMM-1856-97

     OTTAWA (ONTARIO), LE 23 OCTOBRE 1997

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE CULLEN

Entre :

     ABDULLAI IDDI MASASI,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     ORDONNANCE

     LA COUR,

     VU le recours en contrôle judiciaire introduit contre la décision en date du 28 avril 1997, par laquelle Anne Micillo, arbitre de la section d'arbitrage, Commission de l'immigration et du statut de réfugié, a conclu que le requérant n'était pas admissible au Canada par application du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l'immigration, et à la suite de laquelle l'expulsion du requérant du Canada a été ordonnée en application du paragraphe 36(2) de la même loi,

     ORDONNE l'accueil du recours en contrôle judiciaire du requérant, l'annulation de la décision de l'arbitre, et le renvoi de l'affaire à un autre arbitre pour instruction conforme à la loi.

     Signé : B. Cullen

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     IMM-1856-97

Entre :

     ABDULLAI IDDI MASASI,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

Le juge CULLEN

     Il y a en l'espèce recours en contrôle judiciaire introduit contre la décision en date du 28 avril 1997, par laquelle Anne Micillo, arbitre de la section d'arbitrage, Commission de l'immigration et du statut de réfugié [l'arbitre], a conclu que le requérant n'était pas admissible au Canada par application du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l'immigration [la Loi], et à la suite de laquelle l'expulsion du requérant du Canada a été ordonnée en application du paragraphe 36(2) de la même loi.

     Le requérant conclut à ordonnance de certiorari pour annuler la décision de l'arbitre et pour renvoyer l'affaire à un autre arbitre pour nouvelle instruction.

LES FAITS DE LA CAUSE

     Le requérant, citoyen tanzanien né le 12 octobre 1970, était en 1993 un étudiant à la Winona State University aux États-Unis. Le 26 juillet 1993, il fut impliqué dans une rixe avec une autre personne de la même université dans une taverne. Par suite, il a été arrêté et inculpé de " voies de fait du second degré ", infraction punie par le paragraphe 2 de l'article 609.222 du Code pénal du Minnesota.

     Selon la version officielle des faits relatifs aux voies de fait ci-dessus, telle qu'elle figurait dans le rapport d'enquête établi par le Service correctionnel de l'État de Minnesota aux fins d'application de la peine, le requérant avait eu une altercation avec la victime, puis l'a frappée à la tête avec une chope à bière. La victime a dû être transportée à l'hôpital en ambulance, où sa blessure a nécessité plusieurs points de suture.

     Le requérant est arrivé au Canada en provenance des États-Unis en février 1996. En décembre 1996, une enquête a été tenue pour juger s'il ne faisait pas partie de la catégorie des gens non admissibles par application du sous-alinéa 19(2)a.1)(i) de la Loi. Il a été jugé qu'il n'en faisait pas partie.

     En 1997, il a fait l'objet d'une nouvelle enquête, visant cette fois à découvrir s'il faisait partie de la catégorie des gens non admissibles par application du sous-alinéa 19(1)c.1)(i).

     Au cours de l'enquête, son avocat soutenait que l'infraction punissable au Minnesota avait pour équivalent l'infraction visée à l'article 266 du Code criminel du Canada. Cette dernière est une infraction hybride punissable d'un emprisonnement maximal de cinq ans en cas de poursuite par voie de mise en accusation. La représentante du ministre soutenait pour sa part que l'infraction équivalente se trouvait à l'alinéa 267b) du Code criminel du Canada. Cependant, après avoir entendu les arguments de l'avocat du requérant, elle a changé ses conclusions pour convenir que l'infraction équivalente au Canada ne se trouvait pas dans l'alinéa 267b). En conséquence, le requérant ne se trouvait pas dans le cas articulé dans les conclusions de la représentante du ministre.

     N'empêche que l'arbitre, rejetant les conclusions de l'une et l'autre parties, a jugé que l'infraction équivalente au Canada était celle visée à l'alinéa 267b), que de ce fait, le requérant se trouvait dans le cas articulé et qu'il relevait de la catégorie des gens non admissibles. Elle a dès lors confirmé l'ordonnance d'expulsion prise contre le requérant.

LE POINT LITIGIEUX

     Le point à trancher en l'espèce est bien simple, savoir si l'arbitre a appliqué correctement le critère d'équivalence.

CONCLUSIONS

Les textes en jeu

     La disposition en jeu de la Loi sur l'immigration prévoit ce qui suit :

         19.(1) Les personnes suivantes appartiennent à une catégorie non admissible :         

         "

         c.1) celles dont il y a des motifs raisonnables de croire qu'elles ont, à l'étranger :         
             (i) soit été déclarées coupables d'une infraction qui, si elle était commise au Canada, constituerait une infraction qui pourrait être punissable, aux termes d'une loi fédérale, d'un emprisonnement maximal égal ou supérieur à dix ans "         

     Le requérant avait été inculpé de l'infraction suivante, que punit le Code pénal du Minnesota :

     [TRADUCTION]

     609.222 COUPS ET BLESSURES GRAVES         
     Par. 2, Armes dangereuses, lésions corporelles graves, Quiconque agresse une autre personne au moyen d'une arme dangereuse et lui cause des lésions corporelles graves peut être condamné à une peine d'emprisonnement n'excédant pas dix ans et à une amende n'excédant pas 20 000,00 $, ou à l'une de ces deux peines seulement.         

Par ailleurs, la notion de " lésions corporelles graves " est définie comme suit :

     [TRADUCTION]

     Al. 7a. Lésions corporelles graves, " Lésions corporelles graves " s'entend de la blessure corporelle qui se traduit par une défiguration temporaire mais importante, ou par la perte ou l'affaiblissement temporaire, mais important, de la fonction d'un membre ou d'un organe, ou par la fracture d'un membre.         

     Dans Steward c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (No. 1), [1988] 2 C.F. 363, la Cour d'appel fédérale a défini la méthodologie applicable à la question de l'équivalence des infractions. Les éléments essentiels de l'infraction sont les facteurs déterminants de l'équivalence, qui peut être vérifiée de trois manières :

1.      Par la comparaison des termes précis de chacun des textes de loi en jeu avec le concours, si possible, d'un ou des spécialistes du droit du pays étranger en question, en vue de dégager les éléments essentiels des infractions respectives;
2.      Par l'examen des témoignages et des preuves documentaires produits devant l'arbitre, pour vérifier s'ils sont suffisants pour montrer que les éléments essentiels de l'infraction punissable au Canada ont été établis dans la procédure engagée à l'étranger, qu'ils soient ou non articulés dans les chefs de poursuite ou dans le texte de loi dans les mêmes termes;
3.      Par une combinaison des deux méthodes ci-dessus.

Analyse

     Le requérant a été déclaré coupable d'une infraction aux États-Unis. Pour savoir si ce verdict de culpabilité tombe ou non sous le coup du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l'immigration, il faut examiner s'il y a une infraction comparable dans le droit pénal canadien. S'il y en a une, qui entraîne une peine d'emprisonnement allant jusqu'à dix ans ou plus, alors l'infraction punissable aux États-Unis tombe sous le coup de cette disposition, auquel cas ce qui reste à savoir, c'est si l'agent des visas avait raisonnablement lieu de penser que le requérant avait été reconnu coupable à l'étranger d'une infraction équivalente.

     La disposition en jeu de la Loi sur l'immigration oblige l'arbitre à examiner la loi pénale du pays étranger comme du Canada pour vérifier s'il y a une infraction équivalente dans le droit pénal canadien, ce qui requiert l'examen des éléments essentiels de l'infraction punissable dans le pays étranger et de celle qui pourrait en être l'équivalent au Canada. Si les éléments essentiels concordent, cela veut dire qu'il y a une infraction équivalente.

     Quelle infraction a-t-elle été jugée par l'arbitre comme étant l'équivalent d'une infraction punissable par la loi canadienne?

     La décision de l'arbitre - Voici les preuves dont l'arbitre a été saisie : le texte de la disposition du Code pénal du Minnesota sous le régime de laquelle le requérant a été reconnu coupable; la preuve qu'il a été condamné à une peine d'emprisonnement de 20 jours et à une période de probation qui a pris fin le 29 novembre 1996; l'ordonnance judiciaire portant levée de la probation à l'égard de l'infraction ci-dessus, laquelle ordonnance note que celle-ci était réputée être un " misdemeanour " sous le régime du paragraphe 609.13 de la Minnesota State Statute; et une photocopie du texte de cette disposition, aux termes de laquelle un verdict de culpabilité de " felony " peut être réputé être un verdict de culpabilité de " misdemeanour " dans certaines circonstances (lesquelles étaient présentes dans le cas du requérant).

     Je peux voir des motifs pris par l'arbitre dans sa décision qu'à son avis, les éléments essentiels de l'infraction punissable au Minnesota étaient : a) le fait d'agresser quelqu'un avec une arme dangereuse, et b) le fait de lui causer des lésions corporelles graves. Elle a conclu ensuite que ces éléments essentiels sont ceux qui constituent l'infraction prévue à l'article 267 du Code criminel comme suit :

     Est coupable soit d'un acte criminel et passible d'un emprisonnement maximal de dix ans, soit d'une infraction punissable sur déclaration de culpabilité par procédure sommaire et passible d'un emprisonnement maximal de dix-huit mois quiconque, en se livrant à des voies de fait, selon le cas : a) porte, utilise ou menace d'utiliser une arme ou une imitation d'arme; b) inflige des lésions corporelles au plaignant.         

                                                 [non souligné dans l'original]

Elle a ensuite fait observer que, l'infraction punissable au Canada étant une infraction hybride, peu importe que le ministère public engage la poursuite par mise en accusation ou par procédure sommaire. Ce qui compte dans le texte de loi en jeu, c'est la peine d'emprisonnement pouvant aller jusqu'à dix ans.

     Elle a conclu en ces termes :

     [TRADUCTION]

     " le fait que l'infraction dont vous avez été reconnu coupable était considéré comme un " misdemeanour " et non comme une " felony " n'a rien à voir avec l'équivalence.         

     L'infraction dont le requérant fut reconnu coupable au Minnesota était réputé être un " misdemeanour ".

Infraction équivalente : l'élément essentiel que sont les " lésions corporelles ", art. 266 ou 267?

     L'arbitre n'a tiré aucune conclusion spécifique au sujet de la notion de " lésions corporelles " telle que la définit le Code criminel du Canada et telle que l'entend la loi du Minnesota au moment considéré. Du moment qu'elle a jugé que les " lésions corporelles " étaient un élément essentiel de l'infraction, il lui incombait d'en analyser la définition dans la loi canadienne et dans la loi du Minnesota pour dégager l'équivalence. Ce qu'elle n'a pas fait. En fait, on peut lire en page 30 de la transcription de l'enquête que l'arbitre a fait expressément savoir qu'elle ne s'attarderait pas sur la définition de lésions corporelles dans le Code criminel du Canada .

     De ce fait, elle a refusé d'exercer sa compétence et commis une grave erreur de droit. Une fois identifiés les éléments essentiels de l'infraction, il est nécessaire de les analyser pour voir s'ils sont équivalents ou non. Bien que les textes de loi de différents ressorts puissent comporter les mêmes termes à l'égard d'une infraction donnée, ils peuvent signifier en fait des choses tout à fait différentes. L'arbitre aurait dû chercher à savoir ce que signifie " lésions corporelles " dans la loi du Minnesota et dans la loi canadienne. Il ne suffit pas de relever des termes contenus dans une disposition pénale pour conclure à l'équivalence, puisque ces termes représentent souvent des concepts juridiques très complexes. Il s'ensuit que, l'arbitre n'ayant pas cherché à savoir ce qui peut constituer des lésions corporelles telles que les définit le Code criminel du Canada, il ne lui était pas possible de conclure à l'équivalence entre l'infraction étrangère de coups et blessures et l'infraction visée à l'alinéa 267a) ou 267b) du Code criminel du Canada.

     Il est indiscutable qu'une simple comparaison des termes de deux textes de loi sans qu'il y ait examen de leur contenu juridique, n'est pas suffisante pour établir l'équivalence dans le contexte du sous-alinéa 19(1)c.1)(i) de la Loi sur l'immigration. Bien que l'analyse, à laquelle est tenue l'arbitre, de ces dispositions de la Loi sur l'immigration puisse devenir plutôt complexe lorsqu'il s'agit d'aller au-delà des simples termes des dispositions pénales en jeu, cette analyse ne vaut pas nouveau jugement comme le soutient l'avocat de l'intimé.

     Celui-ci fait encore observer que la date à prendre en considération pour l'équivalence est 1997 et non 1993. Si l'arbitre avait seulement appliqué le critère comme il convenait, la date aurait été un facteur. Étant donné cependant les motifs supra, il n'est pas nécessaire d'examiner quelle est la date qui convient pour l'analyse du point litigieux.

DÉCISION

     L'arbitre a refusé d'exercer sa compétence et, de ce fait, a mal appliqué le critère d'équivalence. Les points relevés supra sont déterminants et suffisent pour justifier le renvoi de l'affaire pour nouvelle instruction. En conséquence, je fais droit au recours en contrôle judiciaire, annule la décision de l'arbitre, et renvoie l'affaire à un autre arbitre pour nouvelle instruction conforme à la loi.

OTTAWA (ONTARIO),

le 23 octobre 1997

     Signé : B. Cullen

     ________________________________

     J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme      ________________________________

     F. Blais, LL. L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :          IMM-1856-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Abdullai Iddi Masasi

                         c.

                         Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration

LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      14 octobre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE CULLEN

LE :                          23 octobre 1997

ONT COMPARU :

M. Stuart Beverley Scott              pour le requérant

M. R. Jeff Anderson                  pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Stuart Beverley Scott              pour le requérant

Kingston (Ontario)

M. George Thomson                  pour l'intimé

Sous-procureur général du Canada

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