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Date : 20021220

Dossier : T-1634-99

Ottawa (Ontario), le 20 décembre 2002

En présence de :         MADAME LE JUGE HENEGHAN

ENTRE :

                                                SULLIVAN ENTERTAINMENT INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                                             (défenderesse reconventionnelle)

                                                                                   et

                          ANNE OF GREEN GABLES LICENSING AUTHORITY INC.,

                                      DAVID MACDONALD et RUTH MACDONALD

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                                                                                (demandeurs reconventionnels)

                                                                     ORDONNANCE

La requête en jugement sommaire est rejetée. À moins que les parties ne s'entendent sur les dépens, elles pourront déposer d'autres observations sur la question.

                                                                                                                                             « E. Heneghan »

ligne

                                                                                                                                                                 Juge

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


Date : 20021220

Dossier : T-1634-99

Référence neutre : 2002 CFPI 1321

ENTRE :

                                                SULLIVAN ENTERTAINMENT INC.

                                                                                                                                              demanderesse

                                                                                                             (défenderesse reconventionnelle)

                                                                                   et

                          ANNE OF GREEN GABLES LICENSING AUTHORITY INC.,

                                      DAVID MACDONALD et RUTH MACDONALD

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                                                                                (demandeurs reconventionnels)

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE HENEGHAN

INTRODUCTION

[1]                 La demanderesse, Sullivan Entertainment Inc. (Sullivan), présente une requête en vertu des Règles de la Cour fédérale (1998) pour obtenir un jugement sommaire à l'encontre de l'Anne of Green Gables Licensing Authority Inc. (AGGLA), l'un des défendeurs et demandeurs reconventionnels dans la présente procédure.


LES PARTIES

[2]                 Sullivan est une personne morale constituée selon les lois de l'Ontario, qui exerce l'activité de production cinématographique.

[3]                 Anne of Green Gables Licensing Authority Inc. est une personne morale constituée par lettres patentes de la province de l'Île-du-Prince-Édouard, en vertu du Companies Act, R.S.P.E.I., 1988, chap. C-14. Elle a été constituée le 26 mai 1994.

[4]                 David Macdonald est un descendant de Lucy Maud Montgomery et Ruth Macdonald est une belle-fille de Lucy Maud Montgomery.

LE CONTEXTE

[5]                 Lucy Maud Montgomery est l'auteur célèbre du personnage de la petite fille aux cheveux roux qu'elle a créé, « Anne of Green Gables » . Anne of Green Gables est associée à l'Île-du-Prince-Édouard par le public et dans la culture populaire. Ce personnage a continué d'être une source d'inspiration pour les générations ultérieures d'artistes et d'artisans, dont Sullivan.


[6]                 Dans les années 80, Sullivan et ses sociétés affiliées ont produit deux mini-séries télévisées inspirées du livre Anne of Green Gables, intitulées « Anne of Green Gables » et « Anne of Green Gables - The Sequel » . Elles ont réalisé des films et la série télévisée « Road to Avonlea » , qui s'inspirent du livre. Ces productions, « Anne of Green Gables » , « Anne of Green Gables - The Sequel » et « Road to Avonlea » , constituent des oeuvres originales basées sur les personnages et les lieux des oeuvres littéraires de Lucy Maud Montgomery.

[7]                 D'autres se sont également inspirés de l'oeuvre créée par Lucy Maud Montgomery. David Macdonald et Ruth Macdonald ont déposé deux demandes de marques de commerce le 26 février 1990. La première demande de marque de commerce canadienne, qui portait le numéro 652012, visait la marque de commerce ANNE OF GREEN GABLES. L'enregistrement a été effectué le 11 février 1998.

[8]                 La seconde demande de marque de commerce portait le numéro 652011 et visait la marque de commerce ANNE OF GREEN GABLES Design. L'enregistrement a été effectué le 1er juin 1998 sous le numéro 495616.

[9]                 Par la suite, M. et Mme Macdonald ont fait l'acquisition du numéro d'enregistrement 277120 pour la marque de commerce GREEN GABLES DOLL HOUSE Design et du numéro d'enregistrement 279147 pour la marque de commerce GREEN GABLES TOY Design, en vertu d'une cession qui a pris effet le 27 juillet 1992.


[10]            Le 27 août 1992, la province de l'Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.) a demandé au registraire des marques de commerce de donner avis de son adoption et de son emploi de neuf marques, à titre de marques officielles.

[11]            Le 10 mai 1994, l'Î.-P.-É. a demandé au registraire des marques de commerce de donner avis public de son adoption et de son emploi d'ANNE'S LAND DAYTOUR comme marque officielle. Cette marque a été publiée le 13 juillet 1994 sous le numéro 906728. Ces marques sont désignées collectivement ci-dessous comme les « marques Î.-P.-É. » .

MARQUE

NUMÉRO

GIRL Design

905528

ANNE OF THE ISLAND Design

905529

HOUSE Design

905530

GIRL Design

905531

GIRL Design

905532

ANNE OF GREEN GABLES

905533

GREEN GABLES HOUSE

905613

ANNE OF THE ISLAND

905614

ANNE OF THE ISLAND Design

905615

ANNE'S LAND DAYTOUR

906728


[12]            Le 23 janvier 1985, la Prince Edward Island Development Agency a déposé deux demandes auprès du Bureau canadien des marques de commerce. Le 3 janvier 1986, la marque de commerce ANNE OF THE ISLAND a été enregistrée sous le numéro 310178. Le 21 février 1986, le dessin-marque ANNE OF THE ISLAND a été enregistré sous le numéro 311560. Ces marques de commerce sont connues sous la désignation « marques Î.-P.-É. » .

[13]            Le 5 mai 1994, M. et Mme Macdonald ont conclu une entente avec l'Î.-P.-É. et la société Avonlea Productions Limited (Avonlea). Sullivan avait créé une comédie musicale, intitulée « Anne of Green Gables - The Musical » , sur laquelle elle était titulaire du droit d'auteur. Cette comédie musicale était basée sur le livre Anne of Green Gables de Lucy Maud Montgomery. Cette entente, désignée dans les actes de procédure comme « l'entente de l'AGGLA » , prévoyait notamment la création d'une personne morale désignée « Anne of Green Gables Licensing Authority » . L'objet de cette personne morale visait notamment la production, la publicité, la vente et la distribution de marchandises et de services portant les marques de commerce et d'autres symboles renvoyant aux personnages, aux lieux et aux faits décrits dans les oeuvres littéraires de Lucy Maud Montgomery.

[14]            L'entente de l'AGGLA prévoyait également, entre autres éléments, que l'Î.-P.-É. ainsi que M. et Mme Macdonald collaboreraient aux fins suivantes :

20.        [traduction] L'entente de l'AGGLA prévoyait notamment ce qui suit :

                 a)            l'AGGLA deviendrait la seule propriétaire inscrite au Canada des marques de commerce associées aux images ou aux représentations d'Anne of Green Gables et l'Î.-P.-É. et M. et Mme Macdonald céderaient tous leurs droits ou prétentions à l'égard de ces marques de commerce à l'AGGLA;

             b)            l'Î.-P.-É. et M. et Mme Macdonald feraient tout en leur pouvoir pour acquérir au nom de l'AGGLA d'autres marques de commerce associées aux images ou aux représentations d'Anne of Green Gablesdont ils conviendraient qu'elles doivent être protégées;


             c)            l'Î.-P.-É. et M. et Mme Macdonald ne conféreraient de licences et n'utiliseraient tous les droits mondiaux à l'égard de ces marques qu'en conformité avec les dispositions de l'entente de l'AGGLA;

             d)            l'Î.-P.-É. et M. et Mme Macdonald n'autoriseraient pas l'emploi d'images ou de représentations d'Anne of Green Gables ni d'aucune marque de commerce associée à Anne of Green Gables à moins que cet usage ait été préalablement autorisé par l'AGGLA;

             e)            les affaires de l'AGGLA seraient dirigées par un conseil d'administration composé de trois personnes désignées par l'Î.-P.-É., trois personnes désignées par M. et Mme Macdonald et deux personnes nommées conjointement par l'Î.-P.-É. et M. et Mme Macdonald, et les questions soulevées à toute réunion du conseil d'administration seraient décidées à la majorité des voix des administrateurs, cette majorité incluant les voix d'au moins une personne désignée exclusivement par M. et Mme Macdonald et d'au moins une personne désignée exclusivement par l'Î.-P.-É.;

             f)            M. et Mme Macdonald auraient la faculté de maintenir les licences conférées aux termes d'engagements de mise en marché préexistants pour des marchandises ou des services portant les marques de commerce associées aux images ou aux représentations d'Anne of Green Gables à l'égard de la production audiovisuelle, de la production audio ou d'un spectacle en direct par des licenciés ou des sous-licenciés autorisés avant la constitution en personne morale de l'AGGLA (y compris les films de Sullivan), ces activités devant être autorisées par une licence du comité familial des licences de l'AGGLA (le comité familial), ou au gré de M. et Mme Macdonald, par une licence conférée par eux, sous réserve de sa notification à l'AGGLA.

[Paragraphe 20 de la déclaration modifiée en date du 14 septembre 1999]

[15]            Cet exposé partiel des objets de l'entente de l'AGGLA est admis par les défendeurs et demandeurs reconventionnels.


[16]            Selon l'entente de l'AGGLA, M. et Mme Macdonald ont cédé à l'AGGLA, avec effet rétroactif, tous leurs droits sur les enregistrements de marques de commerce mentionnés ci-dessus. Ils ont également cédé à l'AGGLA, avec effet rétroactif, tous leurs droits sur les marques de commerce suivantes :

21.        [traduction] Aux termes de l'entente de l'AGGLA :

             ...

                b)            M. et Mme Macdonald ont cédé à AGGLA, avec effet rétroactif, tous leurs droits sur les marques de commerce ANNE WITH AN « E » ; RED-HAIRED ANNE/ RED HAIR ANNE; AKAGE NO ANNE; RAINBOW VALLEY; ANNE OF INGLESIDE; RILLA OF INGLESIDE; INGLESIDE; RAINBOW VALLEY; KINDRED SPIRITS; AVONLEA; ANNE OF AVONLEA; ROAD TO AVONLEA; ROAD TO YESTERDAY; ANNE SHIRLEY; MARILLA CUTHBERT; MATTHEW CUTHBERT; JOSIE PYE; GILBERT BLYTHE; RACHEL LYNDE; DIANA BARRY; ANNE COLLECTION; LAND OF ANNE/ANNE'S LAND; ANNE OF WINDY POPLARS; LAKE OF SHINING WATERS et sur les autres « Images d'Anne » définies dans l'entente de l'AGGLA, en date du 5 mai 1994; et...

Ces cessions ont pris effet le 5 mai 1994.

[17]            En outre, l'Î.-P.-É. a cédé à l'AGGLA, avec effet rétroactif, tous ses droits sur les marques Î.-P.-É. et les marques de commerce Î.-P.-É., en date du 5 mai 1994. Le registraire des marques de commerce continue de considérer l'Î.-P.-É. comme la partie ayant donné avis de l'adoption et de l'emploi par elle des marques Î.-P.-É. Les marques de commerce Î.-P.-É. sont maintenant enregistrées au nom de l'AGGLA.

[18]            Après la constitution de l'AGGLA en personne morale et sur sa demande, le registraire des marques de commerce a donné avis public de l'adoption et de l'emploi par l'AGGLA, à titre de marques officielles, des marques suivantes :


MARQUE

PUBLICATION

NUMÉRO

LAND OF ANNE

13 mars 1996

907857

THE ANNE COLLECTION

13 mars 1996

907535

RED-HAIRED ANNE

15 janvier 1997

909009

RAINBOW VALLEY

15 janvier 1997

909010

GILBERT BLYTHE

15 janvier 1997

909011

AKAGE NO ANNE

15 janvier 1997

909012

AVONLEA

15 janvier 1997

909013

MATTHEW CUTHBERT

15 janvier 1997

909014

ANNE WITH AN "E"

15 janvier 1997

909015

ANNE OF GREEN GABLES THE MUSICAL

15 janvier 1997

909016

MARILLA CUTHBERT

15 janvier 1997

909017

JOSIE PYE

15 janvier 1997

909018

ROAD TO AVONLEA

15 janvier 1997

909019

KINDRED SPIRITS

15 janvier 1997

909020

RILLA OF INGLESIDES

15 janvier 1997

909021

ANNE OF AVONLEA

15 janvier 1997

909022

ANNE SHIRLEY

15 janvier 1997

909023

DIANA BARRY

15 janvier 1997

909024

Ces marques sont connues sous le nom des marques AGGLA.


[19]            La déclaration modifiée mentionne d'autres faits mais ils ne sont pas pertinents pour les questions soulevées dans la présente requête en jugement sommaire. Toutefois, les paragraphes 28 et 29 qui suivent sont pertinents :

28.          [traduction] Sullivan a achevé la production d' « Anne of Green Gables, The Continuing Story » et en fera la distribution sous peu. Sullivan est en train de terminer la série d'animation et de planifier le programme de mise en marché correspondant. Sullivan déclare être une personne intéressée à l'égard de la validité des enregistrements des marques de commerce AGGLA, à l'égard de la faculté de l'AGGLA de se prévaloir des avantages qui lui sont conférés par le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce (Canada) en ce qui concerne les marques AGGLA... parce qu'elle s'inquiète de ce que M. et Mme Macdonald ainsi que l'AGGLA puissent adopter des mesures pour interrompre la distribution d' « Anne of Green Gables, The Continuing Story » , la série d'animation et le programme de mise en marché correspondant et faire opposition aux marques Sullivan, ce qui causerait un préjudice à Sullivan. Sullivan se préoccupe également du fait que certaines de ses marques puissent être rejetées par le Bureau des marques de commerce en raison des marques AGGLA, des marques Î.-P.-É. et des marques de commerce déposées AGGLA.

29.          Pour l'instant, Sullivan ne s'oppose pas à la décision du registraire des marques de commerce de donner avis public des marques AGGLA et des marques Î.-P.-É. Cependant, Sullivan déclare que l'AGGLA n'a pas le droit de se prévaloir et ne peut se prévaloir des avantages conférés aux autorités publiques par le sous-alinéa 9(1)iii) de la Loi sur les marques de commerce (Canada) pour les marques AGGLA et les marques Î.-P.-É. pour les raisons suivantes :

             a)            l'AGGLA n'est pas une autorité publique au sens du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce (Canada);

             b)            l'AGGLA n'a ni adopté ni employé aucune des marques AGGLA ou des marques Î.-P.-É; et

c)            la cession des marques Î.-P.-É. par l'Î.-P.-É. à l'AGGLA est invalide, nulle et sans effet.

[20]            La réponse des défendeurs et demandeurs reconventionnels figure au paragraphe 10 de la défense modifiée :


10.          [traduction] Les paragraphes 29 à 32 de la déclaration sont contestés. L'AGGLA est une autorité publique aux termes du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, ce qui a été reconnu dans une décision définitive de la Cour supérieure de l'Ontario rendue au terme d'un procès en bonne et due forme entre l'AGGLA et M. et Mme Macdonald, demandeurs, et Avonlea Traditions Inc., défenderesse, dossier du greffe n º 95-CU-89192, du 10 mars 2000, maintenant publiée à (2000) 4 CPR (4th) 289. Cette décision a été portée en appel, mais l'appel a été retiré.

[21]            Il est affirmé au paragraphe 15 de la demande reconventionnelle :

[traduction] La demanderesse reconventionnelle AGGLA est une autorité publique au sens du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, modifiée. Elle est propriétaire de la marque officielle ANNE OF GREEN GABLES, qu'elle a adoptée et employée au Canada, ce dont un avis public a été publié au Journal des marques de commerce le 18 novembre 1992, et qui lui a été cédée par une confirmation de cession datée du 28 mars 1995.

[22]            La qualité d'autorité publique de l'AGGLA est un élément central des actes de procédure. La qualité alléguée d'autorité publique est traitée également dans la réponse et défense reconventionnelle modifiée :

             9.            [traduction] S'agissant des allégations du paragraphe 10 de la défense, Sullivan reconnaît qu'une décision de la Cour supérieure de justice de l'Ontario dans le litige opposant l'AGGLA et M. et Mme Macdonald en qualité de demandeurs, et Avonlea Traditions Inc. en qualité de défenderesse, concernait en partie la qualité d'autorité publique de l'AGGLA sur le fondement de preuves et d'observations présentées à la Cour. Toutefois, Sullivan déclare que la Cour supérieure de justice ne disposait pas de tous les faits pertinents relatifs à la qualité de l'AGGLA et qu'elle n'a pas traité la question de savoir si l'AGGLA avait adopté et employé toutes les marques AGGLA ou marques Î.-P.-É. spécifiées ni la question de la validité de la cession des marques Î.-P.-É. Par conséquent, Sullivan affirme que la décision de la Cour supérieure de justice ne tranche pas définitivement ces questions, qu'elle n'est pas correcte et n'établit aucunement un précédent à l'égard des questions soulevées devant la Cour.

                                ...


             14.          S'agissant des allégations figurant au paragraphe 15 de la demande reconventionnelle, Sullivan conteste que l'AGGLA soit une autorité publique pour les raisons formulées au paragraphe 30 de la déclaration. Pour les raisons exposées au sous-alinéa 30b) de la déclaration, Sullivan affirme que l'AGGLA n'est pas assujettie à un degré de contrôle public important et qu'elle ne faisait l'objet d'aucun contrôle au moment où elle a revendiqué la qualité d'autorité publique devant le registraire des marques de commerce. De plus, Sullivan refuse d'admettre que l'AGGLA a adopté et employé la marque ANNE OF GREEN GABLES, et affirme que si l'AGGLA a adopté et employé cette marque, la marque n'avait pas été adopté et employée par AGGLA au moment où a été donné l'avis public au Journal des marques de commerce et n'avait pas été adoptée et utilisée de manière continue par l'AGGLA depuis la publication de l'avis public. Sullivan ajoute qu'en admettant que la marque a été utilisée, elle ne l'a pas été par l'AGGLA mais plutôt par un licencié autorisé de l'AGGLA, et que cet emploi d'une marque par un licencié autorisé d'une autorité publique alléguée ne constitue pas l'adoption et l'emploi de la marque par l'autorité publique comme marque officielle. Sullivan déclare en outre que la marque ANNE OF GREEN GABLES n'est pas une marque officielle et au mieux est le titre d'un livre écrit par Montgomery. Sullivan déclare que les marques publiées en vertu de l'article 9 de la Loi sur les marques de commerce ne peuvent être cédées ou transférées et que la « confirmation de cession » visée au paragraphe 15 de la demande reconventionnelle est invalide, nulle et sans effet.

[23]            Sullivan cherche maintenant à obtenir un jugement sommaire partiel à l'égard des sous-alinéas 1a)(i), (iii), (iv) et (v) de la déclaration modifiée. Ces sous-alinéas sont ainsi rédigés :

          1.            [traduction] La demanderesse, Sullivan Entertainment Inc. (Sullivan) cherche à obtenir :

             a)             une déclaration portant que :

                                (i)            la défenderesse, Anne of Green Gables Licensing Authority Inc. (AGGLA), n'a pas droit et ne peut prétendre aux avantages conférés aux autorités publiques par le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, modifiée (la Loi sur les marques de commerce (Canada));

                                ...

                                (iii)          l'AGGLA n'a ni adopté ni employé les marques suivantes (les marques AGGLA) qui ont fait l'objet d'un avis public du registraire des marques de commerce à la demande de l'AGGLA :


MARQUE

NUMÉRO

LAND OF ANNE

907857

THE ANNE COLLECTION

907535

RED-HAIRED ANNE

909009

RAINBOW VALLEY

909010

GILBERT BLYTHE

909011

AKAGE NO ANNE

909012

AVONLEA

909013

MATTHEW CUTHBERT

909014

ANNE OF GREEN GABLES THE MUSICAL

909015

ANNE WITH AN "E"

909016

MARILLA CUTHBERT

909017

JOSIE PYE

909018

ROAD TO AVONLEA

909019

KINDRED SPIRITS

909020

RILLA OF INGLESIDES

909021

ANNE OF AVONLEA

909022

ANNE SHIRLEY

909023

DIANA BARRY

909024

(iv)          l'AGGLA n'a ni adopté ni employé les marques suivantes qui, à la demande de Sa Majesté la Reine du chef de la Province de l'Île-du-Prince-Édouard, représentée par le ministre du Tourisme et des Parcs (Î.-P.-É), ont fait l'objet d'un avis public du registraire des marques de commerce (les marques Î.-P.-É.) :

MARQUE

NUMÉRO

GIRL Design

905528

ANNE OF THE ISLAND Design

905529

HOUSE Design

905530

GIRL Design

905531

GIRL Design

905532

ANNE OF GREEN GABLES

905533

GREEN GABLES HOUSE

905613

ANNE OF THE ISLAND

905614

ANNE OF THE ISLAND Design

905615

ANNE'S LAND DAYTOUR

906728

                       (v)           La cession des marques Î.-P.-É. par Î.-P.-É. à l'AGGLA est invalide, nulle et sans effet et elle ne confère à l'AGGLA aucun des avantages prévus au sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce (Canada);

[24]            Sullivan cherche à obtenir les réparations suivantes :

1.             a)            une déclaration portant que l'Anne of Green Gables Licensing Authority (AGGLA) n'a pas droit et ne peut prétendre aux droits exclusifs conférés aux autorités publiques par le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi à l'égard des marques visées à l'article 9 identifiées aux sous-alinéas 1a)(iii) et (iv) de la déclaration;

             b)            une déclaration portant que les marques visées à l'article 9 identifiées aux sous-alinéas 1a)(iii) et (iv) de la déclaration sont invalides, nulles et sans effet; et

             c)            une injonction permanente interdisant à l'AGGLA et à toute personne agissant de concert avec elle, à sa demande ou selon ses instruction ou qui est son licencié de prétendre aux avantages conférés aux autorités publiques par le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi à l'égard des marques visées à l'article 9 identifiées aux sous-alinéas 1a)(iii) et (iv) de la déclaration.

2.          Une ordonnance enjoignant :

             (i)           à l'AGGLA de demander au registraire des marques de commerce de retirer l'avis public d'adoption et emploi par l'AGGLA des marques visées par l'article 9 identifiées au sous-alinéa 1a)(iii) de la déclaration et de donner avis public au Journal des marques de commerce de l'invalidité de ces marques; et


             (ii)          à l'AGGLA et à la Province de l'Île-du-Prince-Édouard (Î.-P.-É.) de demander au registraire des marques de commerce de retirer l'avis public d'adoption et emploi par elles des marques visées par l'article 9 identifiées au sous-alinéa 1a)(iv) de la déclaration et de donner avis public au Journal des marques de commerce de l'invalidité de ces marques.

3.          Une ordonnance adjugeant les dépens à la demanderesse.

[25]            Sullivan fonde sa requête sur les motifs suivants :

[traduction] La demanderesse, Sullivan Entertainment Inc. (Sullivan), aux sous-alinéas 1a)(i) et (iii) à (v) de sa déclaration, cherche à obtenir une déclaration portant que l'AGGLA n'a pas droit et ne peut prétendre aux avantages conférés aux autorités publiques pour certaines marques officielles de l'autorité publique visées à l'article 9 qui ont fait l'objet d'un avis public du registraire des marques de commerce en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, modifiée (la Loi), du fait que ni l'AGGLA ni son prédécesseur en titre allégué, l'Î.-P.-É., n'ont adopté ni employé ces marques (les marques de l'article 9).

[26]            Comme preuve au soutien de sa requête, Sullivan s'appuie sur l'affidavit de Karissa Ward, associée chez Osler, Hoskin & Harcourt, s.r.l., les actes de procédure de la présente action et certaines ordonnances et motifs d'ordonnance, des interrogatoires préalables ainsi qu'une annexe résumant les preuves d'adoption et d'emploi de chacune des marques en litige.

[27]            L'AGGLA a déposé un dossier de requête en réponse à la requête. Il comprend les affidavits de Louise McLean, technicienne juridique employée par les avocats de l'AGGLA, de Marian Hebb, une avocate de M. et Mme Macdonald, et de John B. MacDonald, Registraire des véhicules automobiles de la Province de l'Île-du-Prince-Édouard. Diverses pièces justificatives accompagnaient les affidavits. L'AGGLA se fonde également sur les actes de procédure déposés dans l'action.


LES OBSERVATIONS DE LA DEMANDERESSE

[28]            Sullivan fait valoir un certain nombre d'arguments à l'appui de sa requête. Premièrement, elle soutient que certaines personnes au Canada qui ont qualité d' « autorités publiques » ont droit à des avantages touchant des « marques officielles » en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, modifiée (la Loi). Cette disposition prévoit que ces « marques officielles » sont exclues de la définition des « marques de commerce » et que les dispositions de la Loi visant l'enregistrement, la validité et l'application de la loi visée ne s'appliquent pas aux marques officielles. Si une personne ayant qualité d' « autorité publique » a adopté et employé une marque et demande ensuite au registraire des marques de commerce de donner avis public de l'adoption et de l'emploi de cette marque, elle bénéficie des droits exclusifs conférés par l'article 9. À cet égard, la demanderesse s'appuie sur la décision Ordre des architectes de l'Ontario c. Association of Architectural Technologists of Canada (2000), 9 C.P.R. (4th) 496 (C.F. 1re inst.) à la page 503, infirmée pour d'autres motifs, 2002 CAF 218, [2002] A.C.F. n º 813 (C.A.) (QL).


[29]            Sullivan fait valoir que les marques officielles énumérées aux sous-alinéas 1a)(iii) et 1a)(iv) de la déclaration modifiée n'ont pas été adoptées et employées par l'AGGLA avant la demande faite au registraire des marque de commerce de donner avis de leur adoption et de leur emploi. Par conséquent, l'AGGLA n'a pas le droit de prétendre aux avantages conférés par le sous-alinéa 9(1)n)(iii).

[30]            Sullivan soutient ensuite que l'AGGLA n'a pas le droit de prétendre aux avantages conférés par le sous-alinéa 9(1)n)(iii) à l'égard de marques qui ont été employées exclusivement par les licenciés. Elle fait aussi valoir que, dans de nombreux cas, l'attribution d'une licence pour une marque officielle au Canada n'est intervenue qu'après la date de publication de cette marque.

[31]            En outre, selon l'argumentation de Sullivan, l'avis donné par le registraire à l'égard des marques officielles identifiées ci-dessus comme celles qui ont été enregistrées à la demande de l'Î.-P.-É. n'a pas conféré un droit ou un actif que pouvait céder l'Î.-P.-É. Sullivan soutient qu'en cherchant à céder tous ses droits sur ces marques à l'AGGLA, l'Î.-P.-É. a renoncé à tous les avantages dont elle pouvait bénéficier en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi.

[32]            Sullivan prétend ensuite que, dès lors qu'un doute a été soulevé au sujet de l'emploi d'une marque officielle par une autorité publique, le propriétaire de la marque officielle ne peut s'appuyer sur une « simple assertion » d'adoption et d'emploi. Dans ce cas, il doit fournir la preuve de son adoption et de son emploi de la marque officielle. Sur ce point, Sullivan renvoie à la décision Piscitelli (exerçant son activité sous le nom de Millenium Wines & Spirits) c. Ontario (Régie des alcools) (2001), [2002] 1 C.F. 247 (1re inst.), aux paragraphes 45 à 47.


[33]            Sullivan dit que l'AGGLA ne fait qu'accorder des licences reliées à Anne of Green Gables et qu'elle n'a jamais fabriqué ou vendu de produits en liaison avec les marques officielles. Par conséquent, elle soutient que l'AGGLA n'a pas le droit de prétendre aux droits exclusifs conférés par le sous-alinéa 9(1)n)(iii).

[34]            L'emploi d'une marque de commerce par un licencié est réputé être l'emploi de la marque de commerce par le propriétaire dans le seul cas où la marque de commerce fait l'objet d'une licence en conformité avec l'article 50 de la Loi. Cependant, Sullivan fait valoir que l'article 50 ne s'applique pas aux marques officielles et fonde son raisonnement sur la décision Société canadienne des postes c. The Post Office (2000), 8 C.P.R. (4th) 289 (C.F. 1re inst.), au paragraphe 52.

[35]            Enfin, Sullivan avance que l'AGGLA ne peut prétendre aux avantages conférés par le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi en invoquant l'article 48 de la Loi, car l'article 48 ne s'applique pas aux marques officielles. Elle soutient que la cession des marques officielles n'est pas autorisée et que la cession prétendue de ces marques par l'Î.-P.-É. à l'AGGLA est nulle et inopérante.


[36]            Sur ordre ultérieur de la Cour, Sullivan et l'AGGLA ont été invitées à présenter d'autres observations au sujet de l'arrêt de la Cour d'appel fédérale FileNet Corp. c. Registraire des marques de commerce, 2002 CAF 418, [2002] A.C.F. n º 1508 (C.A.) (QL), daté du 29 octobre 2002. Sullivan affirme que cet arrêt ne change aucune de ses observations, la Cour d'appel fédérale ayant confirmé la décision et le raisonnement du juge Blais de la Section de première instance de la Cour fédérale, décision publiée sous [2002] 1 C.F. 266 (1re inst.).

[37]            Sullivan soutient que les jugements FileNet, précités, tant en première instance qu'en appel, confirment que l'affichage d'un avis dans un bureau privé ne peut constituer à lui seul un « emploi » d'une marque officielle en vertu du sous-alinéa 9(1)n)(iii). Sullivan fait valoir que le raisonnement du juge Blais, confirmé par la Cour d'appel fédérale, appuie son argumentation portant que « l'emploi » d'une marque officielle au titre du sous-alinéa 9(1)n)(iii) exige que la marque ait été visible et accessible au public. De plus, ni la décision ni l'arrêt FileNet ne tranchent la question de savoir si des « services de soutien au licencié » peuvent constituer un « emploi » au sens du sous-alinéa 9(1)n)(iii).

[38]            Sullivan soutient également que l'arrêt FileNet de la Cour d'appel confirme que le fardeau de la preuve de l'adoption et de l'emploi incombe à l'AGGLA, du fait que Sullivan a produit des preuves qui soulèvent des doutes sur l'adoption et l'emploi avant les dates d'avis public des marques officielles.


LES OBSERVATIONS DE L'AGGLA

[39]            L'AGGLA soulève les questions suivantes en relation avec la présente requête en jugement sommaire partiel. Premièrement, la défenderesse soutient que la demanderesse n'a pas la qualité requise pour présenter sa requête puisqu'elle n'est pas une « personne intéressée » , n'étant pas engagée dans la distribution cinématographique ou télévisuelle ni dans la vente de marchandises reliées à Anne of Green Gables.

[40]            Deuxièmement, la défenderesse fait valoir qu'elle a établi l'adoption et l'emploi des marques à la date de leur publication. À cet égard, elle s'appuie sur l'emploi des marques dans des brochures de tourisme et des guides touristiques promotionnels de l'Île-du-Prince-Édouard ainsi que sur les plaques d'immatriculation de l'Île-du-Prince-Édouard.

[41]            Troisièmement, la défenderesse allègue, sur le fondement des principes établis dans la décision Granville Shipping Co. c. Pegasus Lines Ltd., [1996] 2 C.F. 853 (1re inst.) aux pages 859 et 860, qu'un jugement sommaire ne doit être rendu que lorsque le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès.


[42]            La défenderesse soutient que les déclarations d'un témoin à l'interrogatoire préalable ne sont pas des aveux formels et appellent une pondération et d'autres témoignages au cours du procès. Les déclarations de l'interrogatoire préalable ne peuvent avoir plus de poids que la preuve au procès; en l'espèce, la défenderesse renvoie à la décision Vancouver Art Metal Works Limited c. Sa Majesté la Reine, [2001] 3 C.T.C. 65 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 20 et 21.

[43]            La défenderesse fait valoir que la demanderesse se heurte à une fin de non-recevoir quand elle conteste les droits de commercialisation de M. et Mme Macdonald, du fait qu'elle a reconnu leurs droits dans des lettres d'entente et dans sa correspondance. À cet égard, la défenderesse fait appel à l'arrêt Cheerio Toys and Games Limited c. Dublin, [1966] R.C.S. 206, à la page 220.

[44]            Comme argument supplémentaire, la défenderesse affirme que « l'adoption » et « l'emploi » d'une marque peuvent être établis par l'affichage de la marque sur un site Web ou sur des produits manufacturés. Dans ce cas, elle s'appuie sur la décision FileNet Corp. c. Canada (Registraire des marques de commerce), précitée (1re inst.) au paragraphe 61, confirmée par 2002 CAF 418, et sur l'arrêt The Queen and Expo 86 Corp. c. Mihaljevic, et al. (1986), 10 C.P.R. (3d) 374 (C.S.C.-B.), à la page 376.

[45]            La défenderesse soutient que l'emploi d'une marque officielle par un licencié constitue un emploi de la marque officielle par le propriétaire; voir la décision Magnotta Winery Corp. c. Vintners Quality Alliance (2001), 214 F.T.R. 137, en appel auprès de la Cour d'appel fédérale.


[46]            En outre, la défenderesse soutient que « l'adoption et l'emploi » peuvent être établis par la demanderesse ou par ses licenciés, s'appuyant ici sur la décision de première instance Ordre des architectes de l'Ontario, précitée, au paragraphe 25.

[47]            S'agissant des autres observations de l'AGGLA au sujet de l'arrêt FileNet, précité, de la Cour d'appel fédérale, l'AGGLA affirme que la Cour d'appel a dit que la simple demande originale faite au registraire de donner avis public de l'adoption de la marque et de son emploi comme marque officielle « établit suffisamment » « l'emploi » visé par le sous-alinéa 9(1)n)(iii) et que cette preuve pouvait ensuite être réfutée par une partie qui conteste la marque officielle car elle a « une bonne raison » de croire que la marque n'a pas été adoptée ou employée par l'autorité publique avant la communication de l'avis public : voir FileNet, (CAF) aux paragraphes 9 et 11.

[48]            L'AGGLA plaide que tant la décision de première instance que l'arrêt FileNet confortent sa position, que l'AGGLA elle-même a employé certaines marques du fait qu'elles ont été « affichées » aux bureaux de l'AGGLA à Toronto et à Charlottetown avant leurs dates de publication respectives. L'AGGLA fait également valoir qu'elle a fourni des « services de soutien au licencié » en rapport avec ces marques.


[49]            Pour d'autres marques officielles, l'AGGLA soutient que l'emploi par elle n'est pas établi, mais qu'il y a « une abondante preuve » d'emploi par ses licenciés avant la date de publication de chaque marque. Selon l'AGGLA, la demanderesse n'a pas établi qu'il existait « une bonne raison » d'attaquer l'adoption et l'emploi des marques avant leurs dates de publication respectives.

[50]            La défenderesse dit que les autorités chargées d'accorder des licences, telles que l'AGGLA, qui pour l'essentiel autorisent des tiers à utiliser leurs marques officielles moyennant des redevances, ne sont pas tenues de produire, vendre ou distribuer des marchandises et des services en liaison avec les marques officielles pour assurer la validité et le caractère opérant de leurs marques. La défenderesse s'appuie ici sur l'arrêt Expo 86 Corp., précité, à la page 379.

[51]            Enfin, en se fondant sur la décision Bruce Trail Association c. Camp (2001), 12 C.P.R. (4th) 104 aux pages 110 et 111, la défenderesse affirme que les marques officielles ne peuvent être cédées.

LES QUESTIONS SOULEVÉES

[52]            La présente requête en jugement sommaire partiel soulève trois questions spécifiques, à savoir :

          1.        La demanderesse a-t-elle la qualité requise pour présenter sa requête?

          2.        Une marque officielle peut-elle être cédée par une autorité publique à une autre?

          3.        Chacune des marques officielles visées dans la requête a-t-elle été adoptée et employée au sens où l'entend le sous-alinéa 9(1)n)(iii)?


LES DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[53]            Les dispositions pertinentes de la Loi figurent à l'article 2, au sous-alinéa 9(1)n)(iii), à l'article 48 et à l'article 50, qui prévoient :



2. Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi.

...

« personne intéressée » Sont assimilés à une personne intéressée le procureur général du Canada et quiconque est atteint ou a des motifs valables d'appréhender qu'il sera atteint par une inscription dans le registre, ou par tout acte ou omission, ou tout acte ou omission projeté, sous le régime ou à l'encontre de la présente loi.

9. (1) Nul ne peut adopter à l'égard d'une entreprise, comme marque de commerce ou autrement, une marque composée de ce qui suit, ou dont la ressemblance est telle qu'on pourrait vraisemblablement la confondre avec ce qui suit :

...

n) tout insigne, écusson, marque ou emblème :

...

(iii) adopté et employé par une autorité publique au Canada comme marque officielle pour des marchandises ou services, à l'égard duquel le registraire, sur la demande de Sa Majesté ou de l'université ou autorité publique, selon le cas, a donné un avis public d'adoption et emploi;

48. (1) Une marque de commerce, déposée ou non, est transférable et est réputée avoir toujours été transférable, soit à l'égard de l'achalandage de l'entreprise, soit isolément, et soit à l'égard de la totalité, soit à l'égard de quelques-uns des services ou marchandises en liaison avec lesquels elle a été employée.

(2) Le paragraphe (1) n'a pas pour effet d'empêcher qu'une marque de commerce soit considérée comme n'étant pas distinctive si, par suite de son transfert, il subsistait des droits, chez deux ou plusieurs personnes, à l'emploi de marques de commerce créant de la confusion et si ces droits ont été exercés par ces personnes.(3) Le registraire inscrit le transfert de toute marque de commerce déposée, une fois que lui ont été fournis une preuve du transfert qu'il juge satisfaisante et les renseignements qu'exigerait l'alinéa 30g) dans une demande, par le cessionnaire, d'enregistrer cette marque de commerce.

50. (1) Pour l'application de la présente loi, si une licence d'emploi d'une marque de commerce est octroyée, pour un pays, à une entité par le propriétaire de la marque, ou avec son autorisation, et que celui-ci, aux termes de la licence, contrôle, directement ou indirectement, les caractéristiques ou la qualité des marchandises et services, l'emploi, la publicité ou l'exposition de la marque, dans ce pays, par cette entité comme marque de commerce, nom commercial - ou partie de ceux-ci - ou autrement ont le même effet et sont réputés avoir toujours eu le même effet que s'il s'agissait de ceux du propriétaire.

(2) Pour l'application de la présente loi, dans la mesure où un avis public a été donné quant à l'identité du propriétaire et au fait que l'emploi d'une marque de commerce fait l'objet d'une licence, cet emploi est réputé, sauf preuve contraire, avoir fait l'objet d'une licence du propriétaire, et le contrôle des caractéristiques ou de la qualité des marchandises et services est réputé, sauf preuve contraire, être celui du propriétaire.

(3) Sous réserve de tout accord encore valide entre lui et le propriétaire d'une marque de commerce, le licencié peut requérir le propriétaire d'intenter des procédures pour usurpation de la marque et, si celui-ci refuse ou néglige de le faire dans les deux mois suivant cette réquisition, il peut intenter ces procédures en son propre nom comme s'il était propriétaire, faisant du propriétaire un défendeur.

2. In this Act,

...

"person interested" includes any person who is affected or reasonably apprehends that he may be affected by any entry in the register, or by any act or omission or contemplated act or omission under or contrary to this Act, and includes the Attorney General of Canada;

9. (1) No person shall adopt in connection with a business, as a trade-mark or otherwise, any mark consisting of, or so nearly resembling as to be likely to be mistaken for,

...

(n) any badge, crest, emblem or mark

...

(iii) adopted and used by any public authority, in Canada as an official mark for wares or services,

in respect of which the Registrar has, at the request of Her Majesty or of the university or public authority, as the case may be, given public notice of its adoption and use;

48. (1) A trade-mark, whether registered or unregistered, is transferable, and deemed always to have been transferable, either in connection with or separately from the goodwill of the business and in respect of either all or some of the wares or services in association with which it has been used.

(2) Nothing in subsection (1) prevents a trade-mark from being held not to be distinctive if as a result of a transfer thereof there subsisted rights in two or more persons to the use of confusing trade-marks and the rights were exercised by those persons.

(3) The Registrar shall register the transfer of any registered trade-mark on being furnished with evidence satisfactory to him of the transfer and the information that would be required by paragraph 30(g) in an application by the transferee to register the trade-mark.

50. (1) For the purposes of this Act, if an entity is licensed by or with the authority of the owner of a trade-mark to use the trade-mark in a country and the owner has, under the licence, direct or indirect control of the character or quality of the wares or services, then the use, advertisement or display of the trade-mark in that country as or in a trade-mark, trade-name or otherwise by that entity has, and is deemed always to have had, the same effect as such a use, advertisement or display of the trade-mark in that country by the owner.

(2) For the purposes of this Act, to the extent that public notice is given of the fact that the use of a trade-mark is a licensed use and of the identity of the owner, it shall be presumed, unless the contrary is proven, that the use is licensed by the owner of the trade-mark and the character or quality of the wares or services is under the control of the owner.

(3) Subject to any agreement subsisting between an owner of a trade-mark and a licensee of the trade-mark, the licensee may call on the owner to take proceedings for infringement thereof, and, if the owner refuses or neglects to do so within two months after being so called on, the licensee may institute proceedings for infringement in the licensee's own name as if the licensee were the owner, making the owner a defendant.



ANALYSE

i)           La qualité requise

[54]            La première question à trancher est de savoir si la demanderesse a la qualité requise pour présenter la requête. Le paragraphe 28 de la déclaration modifiée énonce ce qui suit :

[traduction] Sullivan a achevé la production d' « Anne of Green Gables, The Continuing Story » et en fera la distribution sous peu. Sullivan est en train de terminer la série d'animation et de planifier le programme de mise en marché correspondant. Sullivan déclare être une personne intéressée à l'égard de la validité des enregistrements des marques de commerce AGGLA, à l'égard de la faculté de l'AGGLA de se prévaloir des avantages qui lui sont conférés par l'alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi sur les marques de commerce (Canada) en ce qui concerne les marques AGGLA... parce qu'elle s'inquiète de ce que M. et Mme Macdonald ainsi que l'AGGLA puissent adopter des mesures pour interrompre la distribution d' « Anne of Green Gables, The Continuing Story » , la série d'animation et le programme de mise en marché correspondant et faire opposition aux marques Sullivan, ce qui causerait un préjudice à Sullivan. Sullivan se préoccupe également du fait que certaines de ses marques puissent être rejetées par le Bureau des marques de commerce en raison des marques AGGLA, des marques Î.-P.-É. et des marques de commerce déposées AGGLA.

[55]            La défenderesse fait valoir que la demanderesse n'a pas la qualité requise pour présenter une requête en jugement sommaire partiel parce qu'elle n'est pas une « personne intéressée » , ce qui est allégué au paragraphe 28 de la déclaration modifiée.

[56]            La défenderesse appuie son argumentation sur les affidavits de Louise McLean et de Marian Hebb, accompagnés des pièces justificatives annexées, et sur le paragraphe 28 de la déclaration modifiée.


[57]            L'affidavit McLean renvoie notamment aux questions et aux réponses de l'interrogatoire préalable de Kevin Sullivan, représentant de la demanderesse, en particulier au sujet du paragraphe 28 de la déclaration modifiée.

[58]            À l'interrogatoire préalable, M. Sullivan a reconnu que Sullivan Entertainment International Inc. est l'entité qui distribue les oeuvres de la demanderesse. L'AGGLA suggère maintenant que Sullivan Entertainment Inc., et non la demanderesse, est la véritable « partie intéressée » à la présente action.

[59]            La demanderesse fait valoir qu'elle n'est pas tenue d'établir sa qualité pour attaquer les droits de l'AGGLA sur la marque officielle visée. Elle affirme que l'action est intentée en vertu de l'article 55 de la Loi, qui dispose :


55. La Cour fédérale peut connaître de toute action ou procédure en vue de l'application de la présente loi ou d'un droit ou recours conféré ou défini par celle-ci.

55. The Federal Court has jurisdiction to entertain any action or proceeding for the enforcement of any of the provisions of this Act or of any right or remedy conferred or defined thereby.

  

[60]            Cependant, dans la mesure où la demanderesse cherche à obtenir des réparations par voie d'injonction, l'article 53.2 s'applique. Il prévoit :



53.2 Lorsqu'il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu'un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu'il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d'injonction ou par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, pour l'imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction, exportation ou autrement des marchandises, colis, étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard.

53.2 Where a court is satisfied, on application of any interested person, that any act has been done contrary to this Act, the court may make any order that it considers appropriate in the circumstances, including an order providing for relief by way of injunction and the recovery of damages or profits and for the destruction, exportation or other disposition of any offending wares, packages, labels and advertising material and of any dies used in connection therewith.


[61]            Le terme « personne intéressée » a fait l'objet d'un examen dans l'arrêt Mihaljevic c. Colombie-Britannique (1990), 34 C.P.R. (3d) 54 (C.A.F.), confirmant (1988), 23 C.P.R. (3d) 80 (C.F.1re inst.). La Cour d'appel fédérale a déclaré à la page 56 :

Une personne est intéressée au sens de l'article 2 s'il y a raisonnablement lieu de craindre qu'elle subira un préjudice quelconque si une marque de commerce n'est pas supprimée du registre.

[62]            Dans l'arrêt Mihaljevic, précité, la Cour se penchait sur une action en radiation de marques concernant les marques « Expo 86 » . Il s'agissait à la fois de marques de commerce déposées et de marques officielles dont le registraire avait donné avis public conformément au sous-alinéa 9(1)n)(iii), à la demande de la Colombie-Britannique. La Cour a décidé que comme la partie attaquant les marques officielles n'avait produit aucune preuve susceptible de soulever des doutes sur la validité des marques officielles et s'était contentée de demander la radiation des marques de commerce déposées, l'attribution de la réparation recherchée ne changerait pas sa position, du fait que la radiation des marques de commerce n'aurait pas d'incidence sur l'existence des marques officielles. Par conséquent, la partie contestant la marque officielle dans l'arrêt Mihaljevic, précité, n'était pas une « personne intéressée » selon la définition de la Loi.


[63]            À mon avis, l'arrêt Mihaljevic, précité, se distingue de l'espèce en ce que la demanderesse attaque ici le caractère opérant de l'avis public des marques officielles en établissant que l'AGGLA n'aurait pas adopté ni employé les marques visées avant leur date de publication.

[64]            L'affidavit Hebb porte sur diverses ententes entre les défendeurs Macdonald concernant une option sur certains droits cinématographiques et télévisuels reliés à Anne of Green Gables. La défenderesse AGGLA déclare que, sous réserve de cette option, tous les autres droits ont été spécifiquement réservés à M. et Mme Macdonald.

[65]            La question de la qualité requise a été soulevée auparavant par les défendeurs, précisément par la voie d'une requête en radiation, notamment aux sous-alinéas 1a)(i), (ii), (iii) et (iv) de la déclaration de la demanderesse, sans autorisation de modifier. La défenderesse a prétendu que la Cour n'était pas compétente pour connaître de l'action de la demanderesse à l'égard des réparations recherchées figurant aux sous-alinéas ci-dessus. La requête a été rejetée par le protonotaire en chef adjoint Giles par une ordonnance du 6 juin 2000; voir Sullivan Entertainment Inc. c. Anne of Green Gables Licensing Authority Inc. (2000), 7 C.P.R. (4th) 532 (C.F. 1re inst.).


[66]            Le juge Muldoon a rejeté l'appel de cette ordonnance le 19 octobre 2000; voir Sullivan Entertainment Inc. c. Anne of Green Gables Licensing Authority Inc. (2000), 9 C.P.R. (4th) 344 (C.F. 1re inst.). Le paragraphe 8 de ses motifs fait clairement ressortir que les défendeurs avaient soulevé la question de la qualité de la demanderesse pour intenter une action dans leur requête en radiation antérieure, car la Cour fait référence à cet argument avancé par les défendeurs.

[67]            Après examen des motifs du protonotaire en chef adjoint, le juge Muldoon identifie comme suit les questions soulevées aux paragraphes 26 et 27 :

Indépendamment des conclusions que le protonotaire adjoint Giles a tirées, il est nécessaire de décider si les sous-alinéas en question devraient être radiés de la déclaration. Tel qu'il est mentionné plus haut, la demanderesse Sullivan ne conteste pas la décision du registraire de publier un avis des marques revendiquées. Ce qui est contesté, c'est la possibilité pour les défendeurs de bénéficier de la protection découlant de l'article 9 de la Loi alors qu'ils ne respectent apparemment pas les critères définissant une autorité publique.

Pour leur part, les défendeurs soutiennent qu'ils constituent une autorité publique, en raison de la participation du gouvernement de l'Île-du-Prince-Édouard à la mise en valeur et à la gestion de l'AGGLA. Cependant, Sullivan réplique en invoquant le critère à trois volets que la Cour d'appel fédérale a énoncé dans l'arrêt Registraire des marques de commerce c. Association olympique canadienne, précité. Lorsque ce critère est appliqué aux défendeurs, notamment à l'AGGLA, il est impossible de convenir [TRADUCTION] « qu'il est manifeste et évident que cette partie ne peut aboutir » . Même s'il s'agit d'une allégation nouvelle, comme l'admet Sullivan, cette allégation soulève d'importantes questions concernant la définition d'une autorité publique et concernant les personnes admissibles à invoquer les avantages découlant de l'article 9.

[68]            À mon avis, le dossier établit clairement que la qualité de la demanderesse pour intenter l'action a été examinée, dans l'attente du procès complet sur la question, mais dans le cadre d'une requête en radiation. Cet argument de la défenderesse doit être rejeté.


ii)         La cessibilité des marques Î.-P.-É.

[69]            Une question subsidiaire est soulevée, à savoir si l'Î.-P.-É. était légalement habilitée à céder certaines marques officielles à l'AGGLA. La demanderesse soutient en effet la non-cessibilité des marques officielles.

[70]            Le sous-alinéa 9(1)n)(iii) de la Loi est crucial pour ces questions. Dans la décision Techniquip Ltd. c. Association olympique canadienne (1998), 80 C.P.R. (3d) 225 (C.F. 1re inst.), confirmée par (1999), 3 C.P.R. (4th) 298 (C.A.F.), le tribunal de première instance décrit l'objet de l'article 9 à la page 233 :

À mon avis, l'article 9 a pour objet de supprimer des divers secteurs d'activité ou du commerce toutes les sortes de marques énumérées plus haut. Suivant cette disposition, nul ne peut tirer profit d'un symbole public bien connu et respecté, ni l'adopter pour ses propres marchandises ou services. Ces emblèmes, insignes ou écussons sont associés à des institutions publiques qui ne prennent aucune part aux différents secteurs d'activité ou au commerce, mais qui sont néanmoins réputées être revêtues de respectabilité, de crédibilité et d'autres vertus civiques. En un sens, cette disposition veille à ce que ces symboles ne deviennent pas le gage d'une entreprise ou d'un secteur d'activité donné.


[71]            Les marques officielles ont un caractère unique dans le cadre de la Loi. Contrairement aux marques de commerce à caractère commercial, les marques officielles ne sont pas soumises à l'examen du bureau du registraire et ne doivent pas obligatoirement être distinctives. Aucune disposition de la Loi ne prévoit la possibilité d'une opposition à leur notification. Elles ont un caractère perpétuel et leur renouvellement n'est pas assujetti au paiement de droits (voir la décision Techniquip, précitée, la décision FileNet, précitée, et le texte d'A. David Morrow, « Official Marks » dans l'ouvrage de G.F. Henderson, Trade-marks Law of Canada (Toronto : Carswell, 1993) à la page 377).

[72]            Comme je l'ai indiqué précédemment, la demanderesse fait valoir que les marques officielles accordées à l'origine à l'Î.-P.-É. ne peuvent avoir été cédées à l'AGGLA. Elle affirme que l'Î.-P.-É. n'avait pas le pouvoir de céder ses marques à l'AGGLA et qu'en le faisant elle a renoncé à la protection que lui conférait le sous-alinéa 9(1)n)(iii). Par contre, la défenderesse AGGLA, s'appuyant sur la décision Bruce Trail Assn., précitée, soutient que l'Î.-P.-É. avait le droit de céder ses marques.

[73]            L'article 48 de la Loi autorise la cession d'une marque de commerce avec ou sans l'achalandage. Toutefois, il est muet sur la cession d'une marque officielle; il mentionne seulement qu'une marque de commerce est transférable.

[74]            À mon avis, la question de la cessibilité d'une marque officielle doit être décidée sur le critère de la qualité du cessionnaire. Dans la décision Bruce Trail Assn., précitée, la qualité d'autorité publique a été reconnue au cessionnaire. La qualité d'autorité publique de l'AGGLA est une question qui reste à trancher en l'espèce à ce stade-ci. En l'absence d'une preuve factuelle appropriée à l'appui de cet argument, l'argument est rejeté.


iii)        L'adoption et l'emploi

[75]            La question suivante est de savoir si l'AGGLA peut se fonder sur l'emploi par ses licenciés pour établir l'adoption et l'emploi prescrits au sous-alinéa 9(1)n)(iii). En l'espèce, la demanderesse s'appuie sur la décision Canada Post Corp., précitée. La Cour a dit aux paragraphes 50 à 52 :

Je suis d'accord avec la demanderesse sur ce point. L'article 50 de la Loi prévoit que dans certains cas l'emploi d'une marque de commerce par un licencié sera présumé être un emploi par le propriétaire de la marque de commerce. Cet article ne fait aucunement référence aux marques officielles.

De plus, le paragraphe 9(2) de la Loi porte précisément sur l'emploi d'une marque officielle. Le paragraphe 9(2) de la Loi permet l'emploi d'une marque officielle par un tiers mais ne crée aucune présomption portant que l'emploi profite au propriétaire de la marque officielle. Le paragraphe 9(2) de la Loi est ainsi libellé :

9(2) Le présent article n'a pas pour effet d'empêcher l'adoption, l'emploi ou l'enregistrement, comme marque de commerce ou autrement, quant à une entreprise, d'une marque [... ]

Je suis d'opinion que le paragraphe 9(2) de la Loi constitue un code pour l'emploi des marques officielles et je ne peux déduire du silence du législateur le même effet légal que celui prévu à l'article 50 de la Loi pour ce qui est des marques de commerce.

[76]            En réponse, la défenderesse invoque le paragraphe 49 de la décision Magnotta Winery Corporation, précitée, où la Cour a déclaré :


En outre, selon la preuve présentée par Magnotta elle-même, Magnotta était membre de la VQA et a employé la marque ICEWINE et la marque VQA pendant quelques années. L'emploi des marques de la VQA par ses membres constituait un emploi par la VQA, puisque seuls les membres de l'association, ou les titulaires d'une licence concédée par celle-ci, avaient le droit d'utiliser les marques. L'emploi de la marque par Magnotta constituait un emploi par la VQA et démontrait l'adoption de la marque par la VQA. Rien n'interdit l'emploi d'une marque officielle par le titulaire d'une licence ou par celui qui en a obtenu l'autorisation d'une autre manière de l'autorité publique qui a adopté et employé la marque, ce que le registraire a accepté et dont il a publié avis, et cet emploi autorisé constitue un emploi par l'autorité publique.

[77]            La défenderesse prétend que l'affirmation figurant dans la décision Canada Post Corp., précitée, sur laquelle se fonde la demanderesse, n'est qu'une remarque incidente et que la décision Magnotta Winery Corporation fait autorité.

[78]            Dans la présente procédure, la demanderesse a déposé une annexe visant à établir l'absence de preuve relative à l'adoption et à l'emploi des marques visées. Parallèlement, la défenderesse a produit des éléments de preuve, notamment une annexe visant à établir l'adoption et l'emploi des marques.

[79]            Dans l'arrêt récent FileNet Corp., précité, la Cour d'appel fédérale a déclaré que l'adoption d'une marque est une question de fait. Elle dit notamment au paragraphe 11 :

... À mon sens, la question de l'adoption d'une marque officielle est une question de fait. Dans la présente affaire, et dans la plupart des cas selon moi, la demande présentée au registraire pour qu'il donne un avis public conformément à l'article 9 établit suffisamment ce fait, sauf s'il existe une bonne raison de croire que la demande n'était pas autorisée. Une telle raison n'existe pas en l'espèce.

[80]            S'agissant de la question de l' « emploi » , la Cour d'appel fédérale a confirmé la décision du juge de première instance portant que l'affichage d'une marque officielle sur un site Web en liaison avec un service de dépôt par l'Internet constituait un « emploi » d'une marque officielle.


[81]            À mon avis, la nature et le volume des pièces produites établissent que la question de l'adoption et de l'emploi ne devrait pas être tranchée dans le cadre d'une requête en jugement sommaire partiel. En l'espèce, la preuve de l'emploi est inférée, en partie, de l'emploi par les licenciés. La jurisprudence de la Cour est partagée sur le fait de savoir si l'emploi de marques officielles par des licenciés satisfait aux prescriptions du sous-alinéa 9(1)n)(iii) touchant l'adoption et l'emploi avant la date de publication. La décision Magnotta, précitée, sur laquelle la défenderesse s'appuie, est actuellement en appel.

[82]            De plus, il faut également se demander si la qualité de licencié, autorité publique ou pas, influe sur les effets juridiques de l'emploi par un licencié, compte tenu de la nature et de l'objet des marques visées à l'article 9 tels que les décrit la Cour dans la décision Techniquip, précitée. Les marques officielles sont des marques particulières et selon la décision Techniquip, précitée, sont tenues à l'écart des activités purement commerciales.

[83]            À mon avis, la portée juridique de l'emploi par les licenciés doit être débattue dans le cadre d'un procès complet.

[84]            Elle fait intervenir des questions de crédibilité, de fiabilité et de pondération. La qualité d'autorité publique de l'AGGLA est également un point crucial dans la présente action.


iv)        Jugement sommaire

[85]            Les principes applicables au jugement sommaire, en tout ou en partie, sont exposés dans la décision Granville Shipping Co. Inc., précitée, aux pages 859 et 860. Bien qu'il soit superflu de les reprendre intégralement, il est utile de renvoyer à la mise en garde exprimée par la Cour : un jugement sommaire ne doit être rendu que lorsque le succès de la demande est tellement douteux que celle-ci ne mérite pas d'être examinée par le juge des faits dans le cadre d'un éventuel procès.

[86]            Je note que certains des paragraphes que la défenderesse a cherché sans succès à faire radier de la déclaration modifiée font maintenant l'objet de la présente requête en jugement sommaire partiel. Selon la position adoptée par la demanderesse dans la présente requête, la qualité d' « autorité publique » de l'AGGLA n'est pas une question déterminante pour l'issue de la requête. À mon avis, la qualité d'autorité publique de l'AGGLA est au contraire cruciale pour l'issue finale de la procédure et je ne vois pas comment elle pourrait être écartée de la requête.

[87]            Je renvoie ici à une décision un peu antérieure qui a traité de la requête en jugement sommaire, soit Marine Atlantic Inc. c. Blyth (1994), 77 F.T.R. 97 (C.F. 1re inst.). Madame le juge Reed y a décidé qu'il n'était pas approprié d'accorder un jugement sommaire sur une question qui ne pouvait être isolée d'une autre avant qu'on ait tranché les questions en litige.


[88]            C'est l'approche adoptée et suivie par la Cour dans la décision Aussant c. Canada (2000), 188 F.T.R. 245, aux paragraphes 57 et 58, et dans la décision Pallmann Maschinenfabrik G.m.b.H. Co. KG c. CAE Machinery Ltd. (1995), 98 F.T.R. 125, au paragraphe 43.

[89]            J'estime que le même raisonnement s'applique à l'espèce.

[90]            La requête en jugement sommaire est rejetée. À moins que les parties ne s'entendent sur les dépens, elles pourront déposer d'autres observations sur la question.

  

                                                                                         « E. Heneghan »

ligne

                                                                                                             Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 20 décembre 2002

  

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

  

DOSSIER :                               T-1634-99

INTITULÉ :                              SULLIVAN ENTERTAINMENT INC. c. ANNE OF

GREEN GABLES ET AL.

LIEU DE L'AUDIENCE :      TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :    LE MARDI 25 JUIN 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :           MADAME LE JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS

ET DE L'ORDONNANCE : Le 20 décembre 2002

   

COMPARUTIONS :              M. Randy Pepper

                                                  M. Webster                                

                                                                                                       POUR LA DEMANDERESSE

                                                                                                

                                                 M. Roger Hughes, c. r.

                                                  M. Trent Horne

                                                                                                       POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Randy Pepper

                                                  M. Webster

                                                  Barristers & Solicitors

                                                  Osler, Hoskin & Harcourt

                                                  1, First Canadian Place, Boîte postale 50

                                                   Toronto (Ontario), M5X 1B8

                                                                                                       POUR LA DEMANDERESSE

                        M. Roger Hughes, c. r.

                                                  M. Trent Horne

                                                  Sim, Hughes, Ashton & McKay

                                                  330, University Avenue, Toronto,

                                                                                                       POUR LES DÉFENDEURS


                                                         

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                                                          SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

Date : 20021220

Dossier : T-1634-99

ENTRE :

SULLIVAN ENTERTAINMENT INC.

           demanderesse                                                                                    

- et -

ANNE OF GREEN GABLES LICENSING AUTHORITY INC. ET AL.

     défendeurs

                                                                           

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE

  

                                                                           

  
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