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Date : 20040519

Dossier : T-1937-02

Référence : 2004 CF 646

Ottawa (Ontario), le 19 mai 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE von FINCKENSTEIN

ENTRE :

                                   THERESA JOHNSON et ADRIENNE BERNACCI

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             

                                                                             et

                            AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                À l'été 1999, des concours ont été tenus en vue de doter le poste de chef d'équipe aux Services de l'interprétation technique du ministère des Finances, à Hamilton (postes AU-03). À l'issue du concours, les demanderesses ont été nommées le 16 août 1999 à des postes AU-03 de durée indéterminée.

[2]                Le 29 août 1999, les deux candidates non retenues ont interjeté appel devant le Comité d'appel en alléguant que le concours ne s'était pas déroulé en conformité avec le principe du mérite. En décembre 2001, le Comité d'appel a fait droit à leur appel.


[3]                La Commission de la fonction publique (la Commission) a pris des mesures correctives. En juillet 2002, ces mesures ont également fait l'objet d'un appel, qui a été accueilli par le Comité d'appel. En réponse, la Commission a décidé d'annuler le concours et de révoquer la nomination des demanderesses aux postes AU-03. Par lettre datée du 4 octobre 2002, la Commission a informé les demanderesses que leur nomination aux postes AU-03 avait été révoquée en date du 21 octobre 2002.

[4]                Dans l'intervalle, le 1er novembre 1999, le ministère du Revenu national a été remplacé par l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'ADRC), maintenant appelée Agence du revenu du Canada. L'ADRC a adopté un nouveau système de classification pour ses employés cadres et elle a informé les demanderesses par lettre datée d'octobre 2001 qu'en date du 31 mars 2002, leurs postes AU-03 étaient « convertis » en postes MG-05 au sein du nouveau Groupe de la gestion de l'ADRC.

[5]                Toutefois, par suite de la décision prise par la Commission le 4 octobre 2002, l'ADRC a informé les demanderesses de ce qui suit, par lettre rédigée par John Kent, directeur adjoint des décisions de la TPS/TVH, à Hamilton, le 17 octobre 2002 :

[TRADUCTION] Nous sommes d'avis que le groupe et le niveau MG5 créés par suite de la conversion sont directement liés au poste AU3 initial, étant donné que la modification était une mesure de classification et non une mesure de dotation. Comme la nomination au poste AU03 a été révoquée, tous les avantages afférents à ce poste, y compris la conversion au groupe et au niveau MG5, sont également révoqués.

[6]                Par suite de la décision de M. Kent et de la décision prise par la Commission le 4 octobre 2002, les demanderesses ont constaté qu'elles occupaient un poste PM-03 au lieu d'un poste MG-05. Elles sollicitent maintenant le contrôle judiciaire de la décision de M. Kent.

Norme de contrôle

[7]                Dans l'arrêt Dr. Q. c. College of Physicians and Surgeons of British Columbia, [2003] 1 R.C.S. 206, [2003] A.C.S. no 18, la Cour suprême à défini les quatre facteurs dont il faut tenir compte pour déterminer la norme de contrôle appropriée, à savoir : la présence ou l'absence d'une clause privative, l'expertise relative du tribunal administratif et de la Cour, l'objet de la disposition en question et de la loi en général et la nature de la question de droit.   

[8]                Bien que le caractère mixte - de droit et de fait - des questions en litige en l'espèce invite à un degré modéré de retenue, les trois autres facteurs appellent un degré peu élevé de retenue en ce qui concerne la décision de M. Kent. Premièrement, on ne trouve aucune clause privative dans la Loi sur l'ADRC. Deuxièmement, l'objet général de la loi et des dispositions en question est de résoudre les différends entre le ministère et des personnes déterminées. Finalement, le ministère n'a pas une plus grande expertise que la Cour en ce qui concerne les questions relatives aux types de postes qui sont soulevées dans la présente affaire. Il s'ensuit que, compte tenu des quatre facteurs applicables, la norme applicable est celle de la décision correcte.


Question en litige

[9]                L'ADRC a-t-elle eu raison de conclure que les postes MG-05 des demanderesses devaient être révoqués par suite de la décision de la Commission d'annuler le concours relatif aux postes AU-03?

Analyse

[10]            L'ADRC est un organisme créé par la loi qui n'a comme pouvoirs que ceux que lui confère expressément la loi. Les pouvoirs généraux de l'Agence sont énumérés aux articles 30, 53 et 54 de la Loi sur l'ADRC :

30. (1) L'Agence a compétence dans les domaines suivants :

a) ses grandes orientations administratives;

b) son organisation;

c) les immeubles de l'Agence et les biens réels de l'Agence, au sens de l'article 73;

d) la gestion de son personnel, notamment la détermination de ses conditions d'emploi.

53. (1) L'Agence a compétence exclusive pour nommer le personnel qu'elle estime nécessaire à l'exercice de ses activités.

(2) Les attributions prévues au paragraphe (1) sont exercées par le commissaire pour le compte de l'Agence.

54. (1) L'Agence élabore un programme de dotation en personnel régissant notamment les nominations et les recours offerts aux employés.

(2) Sont exclues du champ des conventions collectives toutes les matières régies par le programme de dotation en personnel.

[11]            En vertu de ces dispositions, l'ADRC possède les pleins pouvoirs en ce qui concerne ses propres questions de dotation. L'article 100 de la Loi sur l'ADRC prévoit toutefois que les appels interjetés en matière d'emploi avant l'entrée en vigueur de la Loi sont jugés sous le régime de la Loi sur l'emploi dans la fonction publique, L.R.C. 1985, ch. P-33 (la LEFP).

[12]            En vertu des pouvoirs que lui confère l'article 54, l'ADRC a adopté un Programme de dotation. Ce programme ne parle pas de « conversion » , mais bien de reclassification. L'article 4.9 prévoit ce qui suit :

[TRADUCTION]

4.9 Promotion sans processus de sélection

4.9.1 Promotion à la suite d'une reclassification

P4.9.1-1 Par promotion à la suite d'une reclassification, on entend la désignation d'un employé au poste où il est reclassifié.

P4.9.1-2 Les personnes autorisées peuvent promouvoir des employés à leur poste reclassifié sans processus de sélection à certaines conditions :

a)             L'employé répond aux besoins en dotation et aux critères de sélection;

b)             Tous les postes identiques du même secteur de l'organisme font l'objet d'une reclassification;

c)             Le poste a été reclassifié à la suite d'un grief de classification.

P4.9.1-3 Malgré ces conditions, les personnes autorisées peuvent choisir d'organiser un processus de sélection.

P4.9.1-4 Un recours sous la forme d'une rétroaction individuelle suivie d'une révision de la décision est ouvert sur demande aux employés de l'unité de travail pour les décisions de dotation concernant une promotion accordée à la suite d'une reclassification.


[13]       Rien n'empêchait l'ADRC de prendre des dispositions au sujet de la conversion dans son Programme de dotation, mais elle a choisi de ne pas le faire. En revanche, dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Jones, [1978] 2 C.F. 39 (Jones), auquel la Cour a été renvoyée, le Conseil du Trésor avait pris, le 25 mai 1967, un règlement qui l'habilitait à procéder à la conversion de postes, à savoir le Règlement sur la rémunération lors de la transposition et subséquente à la transposition, C.T. 669255.

[14]       C'est l'affidavit souscrit par April Hoyt le 23 mars 2003 qui permet le mieux de saisir ce qui est arrivé aux demanderesses en l'espèce (paragraphes 10 et 11 de l'affidavit) :

[TRADUCTION]

Par suite de la création de la nouvelle Agence, l'ADRC a décidé de créer et de mettre en application une nouvelle classification professionnelle en ce qui concerne les employés cadres (le groupe MG). Les employés qui occupaient les postes devant faire l'objet d'une conversion au groupe MG ont reçu un préavis individuel de ce changement.

Mmes Bernacci et Johnson ont toutes deux reçu un préavis individuel. Elles ont été informées de ce qui suit : leur poste faisait partie du groupe MG, le niveau de classification désigné pour leur poste et la cote de classification de leur poste. Le préavis individuel précisait bien qu'il s'agissait d'une mesure de classification.

...

[15]       Ce ne sont pas tous les postes AU-03 qui ont été convertis en postes MG-05, mais uniquement ceux qui comportaient des fonctions de supervision. De plus, les titulaires des nouveaux postes MG-05 se sont vu confier de nouvelles fonctions, dont la plus importante était celle de rendre des décisions administratives. Ils se sont également vu attribuer un nouveau titre et ont eu droit à une hausse de traitement appréciable.


[16]       Bien que le terme « reclassification » ne soit pas défini dans la Loi sur l'ADRC, il est défini à l'article 1 du Règlement sur l'emploi dans la fonction publique (2000), D.O.R.S/2000-80, qui dispose :

« reclassification » Décision de classification visant un poste, autre qu'une décision de classification visant l'ensemble d'un groupe professionnel, entraînant un changement du groupe ou du niveau professionnel du poste, ou des deux. (reclassified) [Non souligné dans l'original.]

Ainsi qu'il ressort à l'évidence de cette définition, seule une reclassification qui vise l'ensemble d'un groupe professionnel et n'entraîne aucun changement dans les fonctions exercées peut être considérée comme une conversion. Bien que les employés de l'ADRC ne relèvent plus de la LEFP, il n'y a aucune raison qui justifierait de ne pas appliquer cette définition de façon générale à toutes les reclassifications qui sont effectuées dans la fonction publique, y compris celles auxquelles procède l'ADRC.

[17]       Vu l'ensemble des faits relatés, je conclus qu'en l'espèce, il n'y a pas eu « conversion » du poste occupé par les demanderesses. L'ADRC n'avait pas le pouvoir de procéder à une telle conversion et, surtout, la mesure qui a été prise constituait effectivement une reclassification et non une conversion. L'ADRC a exercé les pouvoirs de reclassification que lui confère l'article 4.9 de son Programme de dotation, même si elle a choisi de ne pas qualifier ainsi cette mesure. Il est de jurisprudence constante qu'une reclassification constitue une nomination (voir l'arrêt Jones, précité).

[18]       La véritable nature d'une mesure de dotation dépend de ses effets et non du nom que lui attribue l'organisme en question. Ainsi que le juge Le Dain l'a déclaré dans l'arrêt Canada (Procureur général) c. Brault, [1987] 2 R.C.S. 489, aux paragraphes 12 et 13 :


Compte tenu de l'importance du principe de la sélection établie au mérite et du droit d'appel prévu à l'art. 21 de la Loi sur l'emploi dans la Fonction publique, je ne saurais, en toute déférence, souscrire à la prémisse qui sous-tend l'arrêt de la Cour d'appel fédérale à la majorité, qui porte, si je comprends bien, qu'un nouveau poste de la Fonction publique qui exige une nomination au sens de l'art. 21, ne saurait être créé par une modification des fonctions d'un poste déjà existant, à moins que l'administration ne choisisse de considérer que cette modification crée un nouveau poste au sens de la Loi. Une telle conception permettrait de contourner le principe du mérite et le droit d'appel.

De toute évidence, l'administration doit pouvoir jouir de suffisamment de souplesse pour être en mesure d'apporter des modifications mineures aux fonctions que le titulaire d'un poste déjà existant de la Fonction publique peut être appelé à remplir, sans par là créer un nouveau poste nécessitant une nomination faite selon une sélection établie au mérite. Lorsque, toutefois, comme en l'espèce, la modification des fonctions est suffisamment importante ou substantielle pour requérir des qualifications supplémentaires ou particulières exigeant une évaluation et donc ce qui correspond à une nouvelle sélection pour le poste, un nouveau poste au sens de la Loi est alors créé.

[19]       Compte tenu du fait que les demanderesses avaient été nommées à un poste MG-05 lorsque la Commission a décidé d'annuler le concours AU-03, la révocation des postes AU-03 n'a eu aucun effet sur leur situation d'emploi. Ayant nommé les demanderesses à des postes MG-05 et ayant ainsi acquis le contrôle sur ses propres questions de dotation, l'ADRC n'était plus liée par la décision de la Commission. La décision de la Commission de révoquer le concours visant à doter des postes AU-03 n'a eu aucun effet sur les demanderesses. L'ADRC a commis une erreur en concluant qu'elle devait donner effet à la révocation de la Commission en révoquant à son tour les nominations aux postes MG-05.

[20]       La présente demande est par conséquent accueillie. La décision du 17 octobre 2002 de l'ADRC est annulée. Les demanderesses conservent par conséquent leur poste de MG-05 au sein de l'ADRC.


                                        ORDONNANCE

LA COUR :

1.          ACCUEILLE la demande et ANNULE la décision du 17 octobre 2002 de l'ADRC signée par John Kent;

2.          INTERDIT à l'ADRC de prendre quelque mesure que ce soit à l'égard des demanderesses pour donner suite à la décision 02-10-SRP-87 rendue le 1er octobre 2002 par la Commission de la fonction publique du Canada;

3.         ORDONNE à l'ADRC de prendre toutes les mesures administratives nécessaires pour réintégrer les demanderesses dans leur poste MG-05 rétroactivement au 31 mars 2002;

4.          ADJUGE aux demanderesses les dépens de la présente affaire.

     « K. von Finckenstein » "      

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                 T-1937-02

INTITULÉ :                THERESA JOHNSON et ADRIENNE BERNACCI

c.

AGENCE DES DOUANES ET DU REVENU DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 28 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : LE JUGE VON FINCKENSTEIN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 19 MAI 2004

COMPARUTIONS :

Christopher Rootham                                         POUR LES DEMANDERESSES

Catherine Lawrence                                           POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Christopher Rootham

Nelligan O'Brien Payne srl

Ottawa (Ontario)                                               POUR LES DEMANDERESSES

Morris Rosenberg                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada


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