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                                                                                                                                 Date : 20040615

                                                                                                                             Dossier : T-673-03

                                                                                                                  Référence : 2004 CF 864

Calgary (Alberta), le 15 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE KELEN

ENTRE :

                            MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           demandeur

                                                                             et

                                                                  YUNAN YAN

                                                                                                                                             défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'un appel, présenté suivant le paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. 1985, ch. C-29 (la Loi), et l'article 21 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, qui vise la décision par laquelle la juge de la citoyenneté Mary Patricia Gleason a, en date du 18 mars 2003, approuvé la demande présentée par le défendeur afin que lui soit attribuée la citoyenneté suivant l'alinéa 5(1)c) de la Loi.


LES FAITS

[2]                Le défendeur est un citoyen de Chine qui, en compagnie de son épouse et de sa fille, est entré au Canada en tant que résident permanent le 22 avril 1999. Peu après son établissement, le défendeur a loué un appartement à Toronto, où il a vécu avec sa famille, et il a commencé à travailler pour Nova Chemicals Corp. (NOVA), une entreprise canadienne de pétrochimie. Son emploi chez NOVA l'obligeait à effectuer fréquemment des voyages à l'étranger. Il a présenté une demande de citoyenneté canadienne le 5 septembre 2002, date à laquelle il avait été physiquement présent au Canada pendant 653 jours sur les 1 095 jours requis, ce qui entraînait qu'il lui manquait 442 jours de présence. Les jours d'absence du défendeur étaient les suivants :

29 août 1999 au 4 septembre 1999                   - 6 jours en Chine

22 janvier 2000 au 27 janvier 2000                    - 5 jours en Suisse

13 février 2000 au 14 février 2000                     - 1 jour aux É.-U.

28 février 2000 au 25 août 2001                        - 544 jours en Suisse

15 novembre 2001 au 25 novembre 2001          - 10 jours en Corée et en Chine

5 mai 2002 au 18 mai 2002                               - 13 jours en Corée et en Chine

[3]                Le défendeur a présenté les éléments de preuve suivants pour démontrer qu'il a centralisé son mode d'existence au Canada :

-            son épouse et son enfant vivent au Canada

-           il maintient une assurance médicale depuis le 1er août 1999

-           il maintient un compte bancaire au TD Canada Trust depuis le 15 septembre 1999


-           il a obtenu un permis de retour pour résident permanent pour son absence prolongée de 544 jours et il a entreposé ses meubles au Canada

-           il est propriétaire d'une maison à Calgary, en Alberta

-           il a un emploi continu chez NOVA

-           il a une carte de soins de santé de l'Alberta

-           il a un permis de conducteur de l'Alberta

-           il paie de l'impôt sur le revenu au Canada

[4]                La juge de la citoyenneté a approuvé la demande présentée par le défendeur parce qu'elle a conclu que dans tous les cas il s'était absenté de façon temporaire, aux fins d'un emploi au Canada, et qu'il considérait toujours que c'est au Canada qu'il était chez lui. La décision définitive de la juge de la citoyenneté est rédigée comme suit :

[TRADUCTION]

Considère que c'est au Canada qu'il est chez lui - revient chaque fois qu'il en a la possibilité - est maintenant propriétaire d'une maison - paie de l'impôt au Canada, a un permis de conduire au Canada, a de l'assurance médicale, a un compte bancaire, parle bien anglais. A des placements auprès de Nova, est propriétaire de sa maison où il vit avec son épouse et sa famille. N'est pas propriétaire de biens à l'extérieur du Canada. Présent pendant 653 jours, absent pendant 578 jours, absent toujours pour l'entreprise canadienne pour laquelle il travaille.

LA DISPOSITION LÉGISLATIVE PERTINENTE

[5]                La partie pertinente de la Loi sur la citoyenneté est le sous-alinéa 5(1)c)(ii) qui prévoit ce qui suit :



Attribution de la citoyenneté

5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :

[...]

Grant of citizenship

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

...

c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

[...]

c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

...

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence;


LA NORME DE CONTRÔLE


[6]                La norme de contrôle dans un appel de cette nature est la décision correcte dans la mesure où l'appel touche la question de savoir si un demandeur de citoyenneté est réputé avoir été physiquement présent pendant la période requise. Voir la décision Zhang c. Canada (MCI), 2001 CFPI 501, [2001] A.C.F. no 778 (1re inst.)(QL), au paragraphe 7, et la décision Canada (MCI) c. Hung (1998), 47 Imm. L.R. (2d) 182 (C.F.P.I.), au paragraphe 12. Néanmoins, la Cour devrait faire preuve d'un certain niveau de retenue envers la juge de la citoyenneté et ne pas substituer son opinion à celle de la juge si cette dernière, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c); voir la décision Lam c. Canada (MCI) (1999), 164 F.T.R. 177 (1re inst.), au paragraphe 33. Le rôle de la Cour consiste à vérifier que la juge de la citoyenneté a correctement appliqué le critère qu'elle a choisi; voir la décision Canada (MCI) c. Mindich (1999), 170 F.T.R. 148 (1re inst.), au paragraphe 9.

ANALYSE

[7]                La seule question en litige dans le présent appel est celle de savoir si la juge de la citoyenneté a décidé à bon droit que le défendeur satisfait les exigences législatives en matière de résidence suivant le sous-alinéa 5(1)c)(ii) de la Loi. Le demandeur prétend que la juge de la citoyenneté a soit mal compris, soit mal appliqué le critère énoncé par la Cour dans la décision Koo (Re), [1993] 1 C.F. 286 (1re inst.). Le demandeur soutient que la juge de la citoyenneté a omis de prendre en compte tous les facteurs pertinents et prétend qu'il n'y a pas d'éléments de preuve démontrant que le défendeur s'était établi en tant que résident du Canada avant de s'absenter ou qu'il avait centralisé son mode de vie au Canada durant la période pertinente. Le demandeur prétend que ce n'est pas un cas limite qui pourrait justifier que l'on s'écarte des exigences rigoureuses de la Loi étant donné qu'il manque au défendeur plus d'un an sur le temps requis.

[8]                Le défendeur soutient qu'il ne s'est jamais absenté volontairement du Canada et que c'est seulement en raison de voyages d'affaires pour son employeur au Canada qu'il l'a fait. Il prétend que la preuve démontre qu'il a centralisé son mode de vie au Canada malgré le fait qu'il se soit absenté.


Le critère en matière de résidence

[9]                La Cour a énoncé de nombreux différents critères en matière de résidence à l'égard de l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Dans la présente affaire, la juge de la citoyenneté a appliqué le critère énoncé dans la décision Koo (Re), précitée, dans laquelle Mme la juge Reed a établi un critère en matière de résidence flexible, en six volets, qui ne dépend pas seulement du nombre de jours pendant lesquels un demandeur de citoyenneté a été physiquement présent au Canada. Au paragraphe 10, la juge Reed déclare ce qui suit :

La conclusion que je tire de la jurisprudence est la suivante : le critère est celui de savoir si l'on peut dire que le Canada est le lieu où le requérant « vit régulièrement, normalement ou habituellement » . Le critère peut être tourné autrement : le Canada est-il le pays où le requérant a centralisé son mode d'existence? Il y a plusieurs questions que l'on peut poser pour rendre une telle décision :

1) la personne était-elle physiquement présente au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter juste avant la date de sa demande de citoyenneté?

2) où résident la famille proche et les personnes à charge (ainsi que la famille étendue) du requérant?                

3) la forme de présence physique de la personne au Canada dénote-t-elle que cette dernière revient dans son pays ou, alors, qu'elle n'est qu'en visite?         

4) quelle est l'étendue des absences physiques (lorsqu'il ne manque à un requérant que quelques jours pour atteindre le nombre total de 1 095 jours, il est plus facile de conclure à une résidence réputée que lorsque les absences en question sont considérables)?     

5) l'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire (par exemple, avoir quitté le Canada pour travailler comme missionnaire, suivre des études, exécuter un emploi temporaire ou accompagner son conjoint, qui a accepté un emploi temporaire à l'étranger)?         

6) quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qui existent avec un autre pays?


[10]            J'ai examiné le dossier certifié, y compris les [TRADUCTION] « motifs de la décision à l'égard de la résidence » énoncés par la juge de la citoyenneté. Il ressort clairement de ces motifs que la juge de la citoyenneté a mal appliqué les facteurs à prendre en compte suivant le critère énoncé dans la décision Koo (Re).

[11]            L'alinéa 5(1)c) de la Loi exige qu'un demandeur de citoyenneté ait au moins 3 ans de résidence au cours des 4 ans qui précèdent sa demande de citoyenneté. Les faits montrent qu'il manque au défendeur plus d'un an de résidence. Bien que le critère énoncé dans la décision Koo (Re) permette que la résidence soit interprétée de façon à ce que la présence physique puisse ne pas être requise pour toute la période de trois ans, ce critère ne peut pas être utilisé pour permettre qu'un demandeur soit réputé avoir été physiquement présent pour la période requise s'il a été absent pendant un an et demi.


[12]            Dans son questionnaire de demande de citoyenneté, le défendeur a mentionné qu'il n'avait pas conservé une résidence au Canada ou payé de l'impôt sur le revenu au Canada pendant qu'il vivait en Suisse. Même si le défendeur a obtenu un permis de retour pour résident permanent, a maintenu au Canada un compte bancaire, une carte d'assurance médicale, un permis de conduire délivré par une province et a mis ses meubles en entreposage pendant son séjour prolongé en Suisse, ce n'est pas suffisant pour satisfaire au critère énoncé dans la décision Koo (Re). Selon la décision Koo (Re), de courtes périodes d'absence seront incluses dans le calcul après que l'individu aura été physiquement suffisamment présent pour montrer qu'il a centralisé son existence au Canada. En l'espèce, M. Yan a effectivement centralisé son existence au Canada pendant 10 mois après son arrivée au Canada en tant que résident permanent, mais il a alors quitté le Canada pendant un an et demi avec sa famille. Une telle absence est trop importante pour qu'on estime qu'il s'agit de résidence réputée aux fins du critère de la décision Koo (Re).

[13]            M. Yan deviendra sans doute un citoyen canadien, mais il doit attendre jusqu'à ce qu'il ait satisfait au critère énoncé dans la décision Koo (Re). Une présence physique d'un an et demi ne satisfait pas à ce critère. Si M. Yan a maintenant centralisé son existence à Calgary avec sa famille depuis son retour de Suisse, alors il aura bientôt satisfait au critère de présence physique au Canada pendant 3 ans et pourra obtenir sa citoyenneté. Pour ces motifs, l'appel est accueilli.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

Le présent appel est accueilli et la décision de la juge de la citoyenneté est annulée.

                                                                                                                           _ Michael A. Kelen _             

                                                                                                                                                     Juge                         

Traduction certifiée conforme

Danièle Laberge, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                               T-673-03

INTITULÉ :                                              MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           demandeur

c.

YUNAN YAN

                                                                                                                                             défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                        CALGARY (ALBERTA)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 14 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                              LE JUGE KELEN

DATE DES MOTIFS :                             LE 15 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Camille Audain                                                                          POUR LE DEMANDEUR

Yunan Yan                                                                                (POUR SON PROPRE COMPTE)

DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris A. Rosenberg                                                                 POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Yunan Yan                                                                                (POUR SON PROPRE COMPTE)

Calgary (Alberta)                                                                       DÉFENDEUR


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