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Date : 20041119

Dossier : T-214-03

Référence : 2004 CF 1631

Ottawa (Ontario), le 19 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                                       JANSSEN-ORTHO INC. et

DAIICHI PHARMACEUTICAL CO., LTD.

                                                                                                                                  demanderesses

                                                                             et

                                                     NOVOPHARM LIMITED et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                                                                                          défendeurs

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Janssen-Ortho Inc. et Daiichi Pharmaceutical Co. Ltd. cherchent à obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à Novopharm Limited concernant la commercialisation de comprimés d'un médicament antimicrobien connu sous le nom générique de « lévofloxacine » avant l'expiration du brevet de Daiichi sur la lévofloxacine. Janssen-Ortho détient une licence de Daiichi pour vendre le médicament au Canada sous la marque nominative LEVAQUIN. Novopharm allègue que le brevet est invalide pour cause d'absence de nouveauté, d'évidence, d'ambiguïté, de portée excessive et d'insuffisance du mémoire descriptif. Elle ajoute que son produit à base de lévofloxacine ne contreferait aucune revendication du brevet. La question de fond en l'espèce est de savoir si les allégations de Novopharm concernant l'absence de contrefaçon et l'invalidité du brevet sont justifiées.

CONTEXTE

Les parties

[2]         Janssen-Ortho est la « première personne » à laquelle renvoient l'article 2 et le paragraphe 4(1) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, (le Règlement sur les médicaments brevetés). Conformément au paragraphe 6(4) du Règlement sur les médicaments brevetés, Daiichi Pharmaceutical est devenue, en tant que propriétaire du brevet, une partie à la présente instance, bien que ce soit la « première personne » , à savoir Janssen-Ortho, qui a engagé la présente procédure conformément au paragraphe 6(1) du Règlement sur les médicaments brevetés et qui cherche à obtenir une réparation dans la présente procédure d'interdiction. Janssen-Ortho a inscrit le brevet en litige au registre des brevets relativement à son avis de conformité (AC) à l'égard du LEVAQUIN. Elle commercialise le médicament sous la forme de comprimés de 250 mg et de 500 mg.


[3]                La défenderesse, Novopharm, est la « seconde personne » mentionnée à l'article 2 et au paragraphe 5(1) du Règlement sur les médicaments brevetés. Dans une lettre en date du 20 décembre 2002, Novopharm a envoyé à Janssen-Ortho un avis d'allégation (AA) comprenant un énoncé détaillé du droit et des faits sur lesquels elle fonde ses allégations, conformément à l'alinéa 5(3)c) du Règlement sur les médicaments brevetés. Elle cherche à obtenir un AC pour commercialiser les comprimés de 250 mg et de 500 mg de lévofloxacine hémihydrate.

[4]                Le défendeur, le ministre de la Santé (le ministre), est chargé de l'examen des demandes de délivrance d'AC présentées par les entreprises pharmaceutiques en vertu du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C. 1985, ch. 870. Il n'a déposé aucun document dans la présente demande.

Le brevet en litige

[5]                Pour comprendre l'invention revendiquée dans le brevet en litige, il faut comprendre certains termes et relations chimiques. J'ai pu bénéficier de l'aide des avocats et des affidavits des experts déposés par les deux parties. L'expert principal de Janssen-Ortho, M. Klibanov, est un professeur de chimie et de génie biologique au Massachusetts Institute of Technology. L'expert de Novopharm, M. Caldwell, est le doyen de la faculté de médecine de l'Université de Liverpool. Ils ont tous deux des compétences indiscutables et une grande expérience dans le domaine de la pharmacologie et de la chimie organique. Pour plus de commodité, les définitions des termes employés dans les présents motifs figurent à l'annexe A. Elles sont basées sur ma compréhension de la preuve.


[6]                Le brevet en litige, à savoir le brevet canadien 1,304,080 (le brevet '080), a été accordé à Daiichi Pharmaceutical le 23 juin 1992. La date de dépôt du brevet '080 est le 19 juin 1986 et sa date d'expiration est le 23 juin 2009.

[7]                Daiichi est également propriétaire du brevet canadien 1,157,840 (le brevet '840), délivré le 22 mai 1984, qui divulguait et revendiquait un antibiotique connu sous le nom d' « ofloxacine » . Janssen-Ortho était aussi titulaire d'une licence de Daiichi pour commercialiser l'ofloxacine au Canada, ce qu'elle a fait sous la marque nominative FLOXIN. Le brevet '840 à l'égard de l'ofloxacine a expiré le 22 mai 2001.

La lévofloxacine et l'ofloxacine

[8]                La lévofloxacine, objet du brevet '080 et de la présente instance, et l'ofloxacine, divulguée dans le brevet '840 expiré, peuvent toutes deux être décrites comme des agents antibactériens synthétiques à large spectre utiles pour le traitement d'infections causées par certaines souches de microorganismes comme, par exemple, certains types de pneumonie, de grippe, d'infections de la peau et d'infections des voies urinaires. Des produits à base d'ofloxacine et de lévofloxacine ont également été commercialisés sous diverses marques nominatives pour le traitement d'infections oculaires.

[9]                L'ofloxacine est un composé racémique, c'est-à-dire une substance qui contient des quantités égales de deux isomères optiques. Un isomère est une molécule parmi un certain nombre de molécules ayant les mêmes atomes constitutifs, mais dont les liaisons entres les atomes sont orientées différemment dans l'espace. Leur qualité optique correspond à leur capacité de faire tourner le plan d'une lumière polarisée, c'est-à-dire la lumière focalisée de façon à luire dans une seule direction. Un isomère optique qui fait tourner la lumière polarisée vers la droite est appelé « dextrogyre » et est désigné par les symboles (+) ou (d) pour « dextro » . Un isomère optique qui fait tourner la lumière polarisée vers la gauche, dans le sens contraire des aiguilles d'une montre, est lévogyre et désigné par les symboles (-) ou (l) pour « lévo » . Le médicament en litige en l'espèce est l'isomère optique S(-) de l'ofloxacine, c'est-à-dire la lévofloxacine.

[10]            Un autre terme utilisé pour décrire les isomères optiques est « énantiomère » . Un énantiomère est l'une d'une paire d'images dans un miroir, donc des images non superposables, comme, par analogie, les mains d'une personne. Les composés qui possèdent cette propriété sont dits « chiraux » . Ils possèdent un centre chiral et, dans les composés carbonés, comme l'ofloxacine, le centre chiral est un atome lié à quatre atomes différents ou groupes d'atomes tous différents. La chiralité donne à une molécule une dimension tridimensionnelle.


[11]            On a constaté que la lévofloxacine ainsi produite présente des avantages par rapport tant à la forme racémique de l'ofloxacine qu'à l'isomère optique R(+). Sous le titre « Contexte de l'invention » aux pages 1 et 2, le mémoire descriptif du brevet '080 divulgue de la façon suivante les avantages que possède l'énantiomère S(-) de l'ofloxacine (lévofloxacine) par rapport à la forme racémique de l'ofloxacine et au composé R(+) :

[traduction] [...] Les inventeurs ont obtenu les composés optiquement actifs de la forme racémique de l'ofloxacine et ont constaté que le composé S(-) possède une activité antimicrobienne environ 2 fois plus puissante que le composé (") et une toxicité aiguë DL50 plus faible que celle du composé ("), comme en font foi les essais effectués sur des souris à qui on en a administrés par voie intraveineuse. Les inventeurs ont, par contre, observé que le composé R(+) possède une activité microbienne ne représentant qu'environ 1/10 à 1/100 celle du composé ("), alors que sa toxicité aiguë est à peu près égale à celle du composé ("). La forme S(-) de l'ofloxacine a donc des propriétés très prisées, à savoir une activité antimicrobienne accrue et une toxicité réduite, et devrait constituer un agent pharmaceutique très utile comparativement au composé ("). De plus, les formes libres de l'ofloxacine, aussi bien R(+) que S(-), ont une solubilité dans l'eau remarquablement élevée comparativement au composé (") et aux formes libres de composés de ce type, et elles peuvent être utilisées comme préparations injectables. Les données expérimentales présentées ci-dessous feront apparaître ces avantages.

QUESTIONS

[12]            1. Fardeau de la preuve en ce qui concerne la validité du brevet.

2. Comment devrait-on interpréter le brevet '080?

3. L'allégation de Novopharm selon laquelle le brevet '080 est invalide est-elle justifiée en raison de :

a) l'évidence;

b) l'antériorité;

c) les autres allégations relatives à l'invalidité?

4. L'allégation de Novopharm selon laquelle son produit ne contrefera pas le brevet '080 est-elle justifiée?


ANALYSE

Fardeau de la preuve en ce qui concerne la validité du brevet

[13]            Il est bien établi que la charge de persuasion de prouver que les allégations de la seconde personne ne sont pas justifiées repose sur la personne qui cherche à obtenir l'ordonnance d'interdiction, à savoir Janssen-Ortho. Cette dernière doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations de Novopharm ne sont pas justifiées. Elle doit donc s'acquitter de la charge de persuasion générale, mais la charge de présentation repose sur Novopharm qui doit mettre en preuve les allégations de son AA et de son énoncé détaillé : voir Merck Frosst Canada Inc. c. Canada (Ministre de Santé nationale et du Bien-être social) (1994), 55 C.P.R. (3d) 302 (C.A.F.), Pharmacia Inc. c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 60 C.P.R. (3d) 328 (C.F. 1re inst.), décision confirmée par (1995), 64 C.P.R. (3d) 450 (C.A.F.), et Bayer Inc. et al. c. Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social et al. (2000), 6 C.P.R. (4th) 285 (C.A.F.). Les faits contenus dans l'AA et l'énoncé détaillé sont réputés vrais, du moins en ce qui concerne les allégations d'absence de contrefaçon, sauf dans la mesure que la partie requérante prouve le contraire : voir l'arrêt Merck Frosst, précité, à la page 319.


[14]            Janssen-Ortho accepte que la charge de persuasion repose clairement sur elle en ce qui concerne la contrefaçon. Cependant, relativement à la validité, elle soutient que le fardeau de la preuve dans une procédure relative à un AC passe à la défenderesse à cause de la présomption de validité du brevet prévue à l'article 45 de la Loi sur les brevets en vigueur avant 1989. Comme la demande pour le brevet '080 a été faite en 1986, les parties conviennent que la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4, s'applique.

[15]            À l'appui de cette prétention, la demanderesse renvoie au passage suivant du juge Hugessen, tiré de l'arrêt Merck Frosst, précité, à la page 319 :

Si je saisis bien l'économie du règlement, c'est la partie qui se pourvoit en justice en application de l'article 6, en l'espèce Merck, qui doit poursuivre la procédure et assumer la charge de la preuve initiale. Cette charge me paraît difficile puisqu'il s'agit de réfuter certaines ou l'ensemble des conclusions de l'avis d'allégation, conclusions qui, si elles n'étaient pas contestées, permettraient au ministre de délivrer l'avis de conformité. Il y a bien entendu certaines présomptions (par exemple la présomption légale de validité du brevet) (Loi sur les brevets, article 43) qui peuvent être à l'avantage de la partie requérante et peuvent avoir pour effet de faire passer la charge de la preuve à la partie intimée. [...]


[16]            La demanderesse s'appuie aussi sur les arrêts de la Cour suprême du Canada Monsanto Canada Inc. c. Schmeiser, 2004 CSC 34, (2004) 320 N.R. 201, et Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2002] 4 R.C.S. 153, faisant valoir qu'ils indiquent que, dans une procédure relative à un AC, le fardeau de démontrer l'invalidité repose sur la personne qui attaque le brevet, à savoir la seconde personne ou la partie défenderesse. La demanderesse affirme aussi que les termes utilisés par la Cour suprême dans ces arrêts indiquent que la conclusion quant à l'invalidité ne peut être tirée que lorsque le Cour est convaincue que le commissaire aux brevets avait « clairement tort » ou que sa décision d'accorder le brevet était manifestement déraisonnable. La demanderesse prétend que le raisonnement de la Cour suprême dans ces actions en matière de brevets s'applique également aux procédures relatives aux AC.

[17]            La défenderesse Novopharm invoque l'arrêt Bayer, précité, rendu en 2000, où la juge Sharlow de la Cour d'appel fédérale s'est penchée sur la présomption légale de validité et son incidence sur le fardeau de la preuve dans une procédure relative à un AC. Novopharm soutient que la présomption de validité disparaît lorsque la partie défenderesse présente une preuve à l'effet contraire et si, après la présentation des preuves des deux côtés, la Cour ne peut trancher en faveur de l'une ou de l'autre partie, la partie demanderesse ne peut avoir gain de cause dans sa demande puisqu'elle avait l'obligation de prouver les faits selon la prépondérance des probabilités, la charge générale de persuasion reposant sur elle. Au paragraphe 6 de l'arrêt Bayer, la juge Sharlow a déclaré ce qui suit :

Pour tenter de se décharger de ce fardeau, Bayer s'est appuyée sur la présomption légale de la validité de son brevet. En raison de cette présomption, on peut dire qu'Apotex, en sa qualité de partie répondant à la demande d'ordonnance de prohibition, a le fardeau de la preuve en ce sens que si Apotex n'avait produit aucun élément de preuve susceptible d'établir l'invalidité du brevet, Bayer aurait pu obtenir gain de cause sur le seul fondement de cette présomption légale. Comme l'a dit correctement le juge des requêtes au paragraphe 15 :

Une présomption légale, par exemple, peut aider Bayer et « avoir pour effet de faire passer la charge de la preuve [à l'autre partie] » .

[Non souligné et pas de caractères gras dans l'original.]

[18]            La juge Sharlow a fait remarquer que la seconde personne dans cette affaire avait présenté une preuve sous la forme d'un affidavit. Elle a ensuite fait observer, au paragraphe 9, que la réfutation de la présomption légale de validité dépendra de la force de la preuve de l'invalidité :


L'application de la présomption légale en présence d'une preuve de l'invalidité dépend de la force de cette preuve. Si celle-ci démontre selon la probabilité la plus forte que le brevet est invalide, la présomption est réfutée et n'est plus pertinente : Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.), à la page 359.

[19]            La demanderesse répond que l'arrêt Bayer n'étaie pas l'affirmation selon laquelle le défendeur n'a qu'à déposer « l'ombre d'une preuve » pour que le fardeau de la preuve relativement à la validité passe à la partie demanderesse dans une procédure engagée relativement à un AC. Janssen soutient que la preuve de la seconde personne doit démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que le brevet est invalide avant que la présomption légale puisse être réfutée et considérée non pertinente.

[20]            Mon interprétation de l'arrêt Bayer est la suivante : la preuve fournie par la seconde personne ne doit pas être clairement inapte à étayer ses allégations et, si elle satisfait à ce critère, la présomption légale disparaît et ne peut aider la partie demanderesse dans une procédure sommaire engagée relativement à un AC. Le libellé de l'article 45 de la Loi sur les brevets en vigueur avant 1989 appuie cette interprétation selon laquelle la présomption s'applique « sauf preuve contraire » . Je remarque cependant que le simple fait de réfuter la présomption ne veut pas dire que la seconde personne aura gain de cause dans une demande d'interdiction puisqu'elle doit présenter suffisamment d'éléments de preuve pour mettre en cause la validité du brevet ainsi que la preuve du demandeur sur laquelle repose toujours la charge de persuasion générale.

[21]            Le raisonnement concernant le fardeau de la preuve énoncé dans les arrêts Schmeiser et Wellcome de la Cour suprême sur lequel s'est appuyée la demanderesse n'est pas utile à mon sens puisqu'il s'agissait dans les deux cas d'actions en matière de brevet visant l'obtention de déclarations d'invalidité et de contrefaçon. Je ne suis pas d'accord pour dire qu'un tel raisonnement est directement applicable dans une procédure engagée relativement à un AC, procédure à l'égard de laquelle il a été statué qu'elle s'apparente à une procédure sommaire intentée par voie de demande et qu'elle comporte ses propres principes et son propre règlement et où une conclusion concernant la contrefaçon ou la validité n'est pas déterminante advenant une action subséquente relativement au brevet. Pour reprendre les termes de l'arrêt Merck Frosst, précité, à la page 319, la procédure engagée concernant l'AC n'est pas une action et ne vise « qu'à faire interdire la délivrance d'un avis de conformité sous le régime du Règlement sur les aliments et drogues » .

Interprétation du brevet '080


[22]            Au coeur du présent litige qui oppose les parties sur l'interprétation du brevet '080 se pose la question de savoir si ce brevet revendique l'isomère optique lévogyre présent dans la forme racémique de l'ofloxacine ou déjà divulgué par celle-ci (position de Novophparm) ou s'il revendique cet énantiomère en tant que composé séparé et inventif (position de Janssen). Une question connexe est de savoir si le symbole « S(-) » , utilisé pour décrire l'énantiomère lévogyre de l'ofloxacine, peut être interprété comme désignant l'isomère S(-) sous une forme essentiellement pure.

[23]            Comme l'a statué la Cour suprême dans les arrêts Whirlpool Corp. c. Camco Inc., [2000] 2 R.C.S. 1067, et Free World Trust c. Électro Santé Inc., [2000] 2 R.C.S. 1024, il convient de donner une interprétation téléologique aux revendications de brevet, à savoir une interprétation réaliste du libellé des revendications faite du point de vue de la personne versée dans l'art (arrêt Whirlpool, précité, paragraphe 44). De plus, la Cour peut examiner l'ensemble du mémoire descriptif du brevet pour comprendre les mots utilisés dans la revendication contestée, dans la mesure où cela n'élargit pas et ne restreint pas la portée de cette revendication.

[24]            L'interprétation des revendications demeure en fin de compte une question de droit sur laquelle la Cour doit statuer : Whirlpool, précité, et Beecham Canada Ltd. c. Procter & Gamble Co. (1982), 61 C.P.R. (2d) 1 (C.A.F.). Comme l'a formulé le juge Binnie dans l'arrêt Whirlpool, précité, l'interprétation téléologique repose sur l'identification par la cour des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l'inventeur, constituait les « éléments essentiels » de l'invention (paragraphe 45).


[25]            Le brevet '080 contient 19 revendications. Les revendications 1, 3, 5, 10 et 11 revendiquent divers procédés de fabrication de la lévofloxacine et de composés connexes. Les parties conviennent que les revendications portant sur les procédés ne sont pas en litige dans la présente instance. Les revendications 2, 4, 6, 12 à 17 et 19 revendiquent, entre autres substances, la lévofloxacine et/ou ses sels et hydrates. Les revendications 7, 8, 9 et 18 ont trait à des formulations pharmaceutiques qui contiennent de la lévofloxacine, y compris ses sels et hydrates.

[26]            Janssen fait valoir que, selon l'interprétation téléologique des revendications pertinentes, qui repose entre autres sur la lecture du mémoire descriptif, l'invention consiste en la reconnaissance des vertus inattendues de l'énantiomère S(-) et la Cour devrait soutenir la validité des revendications qui peuvent à bon droit être interprétées comme couvrant cet énantiomère.

[27]            Novopharm soutient que toutes les revendications du brevet concernant un composé S(-) - sans restriction quant à sa pureté, sa purification partielle ou son isolation, ou son non-accompagnement par le composé R(+) - couvrent le racémate d'ofloxacine. Elle fait valoir que le rédacteur des revendications a commis une erreur en omettant d'incorporer toute restriction concernant la pureté. Par conséquent, Novopharm prétend que les revendications telles qu'elles sont rédigées visent le composé racémique, qu'il n'y a rien de nouveau dans les composés revendiqués et que la divulgation du brevet ne peut sauver les revendications.


[28]            À mon avis, une personne versée dans l'art interpréterait les revendications du brevet '080 comme faisant référence à l'isomère lévogyre de l'ofloxacine et non à la forme racémique de l'ofloxacine. Les revendications 1, 2 et 10 du brevet '080 utilisent le terme [traduction] « composé S(-) [...] » ainsi que des coins pleins dans les représentations graphiques des formules des composés de ces revendications. D'après l'affidavit de l'expert dans la présente instance, l'utilisation des symboles « S » et « (-) » et des coins pleins représente un isomère optiquement actif à configuration « S » faisant tourner le plan de lumière polarisée dans le sens contraire des aiguilles d'une montre. La forme racémique de l'ofloxacine n'utiliserait pas le préfixe S(-). De plus, le mémoire descriptif du brevet '080 confirme cette interprétation des revendications. La divulgation renvoie à des « composés optiquement actifs de l'ofloxacine » ou à la « forme racémique de l'ofloxacine » , par opposition à la description de l'énantiomère S(-).

[29]            Après examen des revendications à l'aide de la preuve de l'expert dans la présente instance, je suis d'avis que la divulgation du brevet doit faire partie de l'interprétation pour permettre à la Cour de bien comprendre la signification des formules chimiques figurant dans les revendications. Cette divulgation indique que l'activité antimicrobienne des isomères optiques (-) et (+) de l'ofloxacine contre divers microorganismes a été comparée à celle de la forme racémique de l'ofloxacine. Cela démontre, à mon avis, que la découverte des vertus de l'isomère optique S(-) constituait l'objet et l'utilité de ce brevet.


[30]            En ce qui concerne la question de savoir si le symbole « S(-) » , utilisé pour décrire l'énantiomère lévogyre de l'ofloxacine dans le brevet '080, peut être interprété comme représentant une forme S(-) essentiellement pure, j'accepte cette proposition. Je suis d'avis qu'un chimiste versé dans l'art qui lit « composé S(-)-pyridobenzoxazine » , tel que décrit dans une formule particulière, comprendrait que ce composé est constitué principalement de l'énantiomère S(-) d'un composé racémique, où l'activité optique de l'énantiomère S(-) est non seulement décelable, mais également dominante. L'absence de quantification numérique du niveau de pureté de l'énantiomère S(-) n'est pas cruciale pour pouvoir distinguer ce composé soit de la forme racémique, soit de l'énantiomère R(+).

[31]            Cette interprétation du brevet '080 est semblable à celle adoptée par le juge Keeley de la Northern District Court de la Virginie-Occidentale, aux États-Unis, dans la décision Ortho-McNeil Pharmaceutical Inc., et. al. c. Mylan Laboratories, Inc. et al., 267 F. Supp. 2d 533 (N.D. W. Virg. 2003), où était contesté le brevet américain[1] sur la lévofloxacine. La Cour n'est en aucune façon liée par la décision Mylan à titre de précédent et est consciente des différences entre le droit des brevets canadien et américain, mais le raisonnement de cette cour américaine a été d'utilité générale pour la Cour dans son interprétation du brevet '080.

[32]            L'existence de ces énantiomères de l'ofloxacine semble clairement acceptée avant 1984 et le brevet '080 revendiquait le développement du procédé de production de l'énantiomère S(-) et la découverte des avantages de cet énantiomère par rapport à la forme racémique de l'ofloxacine ou à l'isomère R. Les questions de savoir si l'invention revendiquée était évidente, antériorisée ou incorrectement énoncée dans les revendications du brevet et si elle pourrait être déclarée invalide pour d'autres motifs, sont traitées dans l'analyse qui suit.


Invalidité

[33]            Comme nous l'avons vu plus tôt, les parties conviennent que la Cour doit fonder son analyse sur la Loi sur les brevets, L.R.C. 1985, ch. P-4. On désigne couramment cette version de la Loi sur les brevets sous le nom de Loi sur les brevets « antérieure au 1er octobre 1989 » . Les paragraphes 27(1) et 61(1) de la Loi sont pertinents et prévoient ce qui suit :



27. (1) Sous réserve des autres dispositions du présent article, l'auteur de toute invention ou le représentant légal de l'auteur d'une invention peut, sur présentation au commissaire d'une pétition exposant les faits, appelée dans la présente loi le "dépôt de la demande", et en se conformant à toutes les autres prescriptions de la présente loi, obtenir un brevet qui lui accorde l'exclusive propriété d'une invention qui n'était pas :

a) connue ou utilisée par une autre personne avant que lui-même l'ait faite;

b) décrite dans un brevet ou dans une publication imprimée au Canada ou dans tout autre pays plus de deux ans avant la présentation de la pétition ci-après mentionnée;

c) en usage public ou en vente au Canada plus de deux ans avant le dépôt de sa demande au Canada.

61. (1) Aucun brevet ou aucune revendication dans un brevet ne peut être déclaré invalide ou nul pour la raison que l'invention qui y est décrite était déjà connue ou exploitée par une autre personne avant d'être faite par l'inventeur qui en a demandé le brevet, à moins qu'il ne soit établi que, selon le cas :

a) cette autre personne avait, avant la date de la demande du brevet, divulgué ou exploité l'invention de telle manière qu'elle était devenue accessible au public;

b) cette autre personne avait, avant la délivrance du brevet, fait une demande pour obtenir au Canada un brevet qui aurait du donner lieu à des procédures en cas de conflit;

c) cette autre personne avait à quelque époque fait au Canada une demande ayant, en vertu de l'article 28, la même force et le même effet que si elle avait été enregistrée au Canada avant la délivrance du brevet et pour laquelle des procédures en cas de conflit auraient dû être régulièrement prises si elle avait été ainsi enregistrée.                                    

27. (1) Subject to this section, any inventor or any legal representative of an inventor of an invention that was

(a) not known or used by any other person before he invented it,

(b) not described in any patent or in any publication printed in Canada or in any other country more than two years before presentation of the petition hereunder mentioned, and

(c) not in public use or on sale in Canada for more than two years prior to his application in Canada,

may, on presentation to the Commissioner of a petition setting out the facts, in this Act termed the filing of the application, and on compliance with all other requirements of this Act, obtain a patent granting to him an exclusive property in the invention.

61. (1) No patent or claim in a patent shall be declared invalid or void on the ground that, before the invention therein defined was made by the inventor by whom the patent was applied for, it had already been known or used by some other person, unless it is established that

(a) that other person had, before the date of the application for the patent, disclosed or used the invention in such manner that it had become available to the public;

(b) that other person had, before the issue of the patent, made an application for patent in Canada on which conflict proceedings should have been directed; or

(c) that other person had at any time made an application in Canada which, by virtue of section 28, had the same force and effect as if it had been filed in Canada before the issue of the patent and on which conflict proceedings should properly have been directed had it been so filed.


Évidence

[34]            Tout d'abord, en ce qui concerne la question de l'évidence, la Cour d'appel fédérale a décrit l'exigence que l'invention ne soit pas évidente à la page 365 de l'arrêt Diversified Products Corp. c. Tye-Sil Corp. et al. (1991), 35 C.P.R. (3d) 350 (C.A.F.) :

Il n'existe aucune disposition particulière de la Loi sur les brevets concernant l'inventivité ou la conception originale, mais il a été jugé et il n'est plus contesté que par l'utilisation des mots « invention » ou « inventeur » , le législateur entend que l'inventivité ou la conception originale est requise en vue de l'obtention d'un brevet valide.

[35]            Dans l'arrêt Beloit Canada Ltd. c. Valmet Oy (1986), 8 C.P.R. (3d) 289 (C.A.F. ), à la page 294, le juge Hugessen a énoncé le critère généralement retenu pour l'évidence dans les termes suivants :

Pour établir si une invention est évidente, il ne s'agit pas de se demander ce que des inventeurs compétents ont ou auraient fait pour solutionner le problème. Un inventeur est par définition inventif. La pierre de touche classique de l'évidence de l'invention est le technicien versé dans son art mais qui ne possède aucune étincelle d'esprit inventif ou d'imagination; un parangon de déduction et de dextérité complètement dépourvu d'intuition; un triomphe de l'hémisphère gauche sur le droit. Il s'agit de se demander si, compte tenu de l'état de la technique et des connaissances générales courantes qui existaient au moment où l'invention aurait été faite, cette créature mythique (monsieur tout-le-monde du domaine des brevets) serait directement et facilement arrivée à la solution que préconise le brevet. C'est un critère auquel il est très difficile de satisfaire.

[Pas de caractères gras dans l'original.]

[36]            Pour déterminer si une revendication de brevet est évidente, la Cour doit éviter de tirer des conclusions a posteriori. Il s'agit de se demander si la solution que préconise le brevet serait évidente pour le technicien compétent qui cherchait une chose nouvelle, sans avoir à faire d'expérimentation ou de recherche. Des hypothèses ou indications dans des antériorités ne suffisent pas pour rendre un brevet invalide pour cause d'évidence : Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 79 C.P.R. (3d) 193 (C.F. 1re inst.), décision modifiée mais pas sur la question de l'évidence, [2001] 1 C.F. 495 (C.A.), conf. par [2002] 4 R.C.S. 153, Bayer Aktiengesellschaft c. Apotex Inc. (1995), 60 C.P.R. (3d) 58 (Div. gén. Ont.), décision modifiée pour d'autres motifs (1998), 82 C.P.R. (3d) 526 (C.A.O.), autorisation de pourvoi devant la Cour suprême du Canada refusée, [1998] S.C.C.A. no 563 (QL), et Fabwerke Hoechst c. Halocarbon (Ont) Ltd., [1979] 2 R.C.S. 929. L'extrait suivant de l'arrêt Beloit, précité, à la page 295, est également souvent cité :

Une fois qu'elles ont été faites, toutes les inventions paraissent évidentes, et spécialement pour un expert du domaine. Lorsque cet expert a été engagé pour témoigner, l'infaillibilité de sa sagesse rétrospective est encore plus suspecte. Il est si facile de dire, une fois que la solution préconisée par le brevet est connue : « j'aurais pu faire cela » ; avant d'accorder un poids quelconque à cette affirmation, il faut obtenir une réponse satisfaisante à la question : « Pourquoi ne l'avez-vous pas fait? »


[37]            Pour établir l'évidence, l'invention n'a pas besoin d'être divulguée dans un brevet ou une antériorité unique, comme lorsqu'on veut prouver l'antériorité. La Cour a le droit d'examiner tous les brevets et autres publications qu'un homme de métier compétent pourrait trouver en faisant une recherche raisonnable et diligente pour décider si leur « combinaison » mène directement à l'invention : Illinois Toolworks Inc. c. Cobra Fixations Cie. (2002), 221 F.T.R. 161, décision confirmée sur ce point, modifiée uniquement relativement aux dépens : (2003), 312 N.R. 184 (C.A.F.).

[38]            La date déterminante aux fins de l'évaluation du caractère évident est la date revendiquée pour l'invention. Le brevet '080 revendique une priorité fondée sur trois demandes de brevets japonais. La défenderesse soutient que la demanderesse n'a pas présenté de preuve établissant la date de l'invention; par conséquent, on ne peut prendre comme date pertinente aux fins de l'examen de l'évidence une date antérieure à la première date de priorité possible, à savoir le 20 juin 1985 ou un an avant la date de demande du brevet canadien. La demanderesse l'a admis à l'audience et j'accepte qu'il s'agit de la date correcte eu égard aux articles 28 et 29 de la Loi sur les brevets telle qu'elle était rédigée avant le 1er octobre 1989.

[39]            De plus, pour évaluer les antériorités quant à la question de l'évidence, celles-ci doivent relever du domaine public. La demanderesse affirme qu'on ne devrait examiner que les antériorités pouvant être trouvées par un homme de métier qui a fait une recherche raisonnable et diligente.


[40]            L'avis d'allégation des défendeurs, daté du 20 décembre 2002, cite 26 antériorités présumées en ce qui concerne l'évidence, notamment le brevet '840 sur l'ofloxacine décrit précédemment, le brevet américain sur l'ofloxacine correspondant[2], les brevets américains et japonais relatifs à d'autres composés racémiques ayant des propriétés antimicrobiennes et plusieurs présentations et articles académiques, dont :

Repta et al., « Utilization of an Enantiomer as a Solution to a Pharmaceutical Problem : Application to Solobilization of a 1,2-Di(4-piperazine-2.6-dione) propane » , J.Pharm.Sciences, Vol. 65(2), 238 (1976).

Gerster et al., « Proceedings of the North American Medicinal Chemistry Symposium » , Toronto, Canada, 153 (1982).

Gerster et al., [TRADUCTION] Présentation par affiches donnée lors du symposium nord-américain sur la pharmacie chimique, Toronto, Canada, juin 1982.

[41]            Les avocats de Janssen s'élèvent contre le fait que Novopharm n'a pas établi comment les documents cités ont été trouvés ou comment on aurait pu les trouver sans effectuer d'efforts démesurés et sans le bénéfice de la rétrospection. En particulier, Janssen mentionne les deux documents de Gerster datant de 1982 que l'un de ses souscripteurs d'affidavit, M. Hans Schroeder, n'a pu trouver dans aucune bibliothèque canadienne malgré deux jours de recherche. Comme Novopharm n'a pas présenté de preuve indiquant comment ces documents pouvaient être obtenus ou comment ils ont été trouvés, la demanderesse soutient qu'ils ne constituent pas des antériorités valides.

[42]            Novopharm affirme que le public avait accès aux documents de Gerster en 1982. Les deux documents ont trait à un article présenté par Gerster en 1982 lors d'un symposium de quatre jours à Toronto, commandité par trois corps professionnels importants. L'un de ces documents a par la suite été cité dans une bibliographie d'un article daté de 1985 publié dans le Journal of Antimicrobial Chemotherapy ainsi que dans la bibliographie du brevet américain no 5,053,407.


[43]            En ce qui concerne les autres documents cités par Novopharm, Janssen soutient qu'ils ne divulguent pas les vertus de l'isomère optique S(-) puisque l'on ne peut constater celles-ci qu'en séparant l'isomère du racémate et en effectuant de nombreuses expériences avec les énantiomères S(-) et R(+) et le composé racémique de l'ofloxacine. La demanderesse prétend que ce n'est qu'une fois l'isomère optique S(-) « fabriqué » et les essais effectués qu'il y a eu invention, laquelle consiste en la découverte de certaines vertus de la lévofloxacine en tant que composé distinct. Cette découverte comporte une activité inventive suffisante pour démontrer que les revendications du brevet ne sont pas évidentes.

[44]            La demanderesse fait référence à un article rédigé par l'expert de Novopharm, M. Caldwell, intitulé « Putting Chirality to Work : The Strategy of Chiral Switches » , où ce dernier reconnaît que, dans des paires d'énantiomères constituant des mélanges racémiques, il n'est pas possible de déterminer avec certitude quel énantiomère est le composé « antagoniste » ou « actif » . Se fondant sur la décision Bayer Aktiengesellschaft, précitée, Janssen souligne que le critère de l'évidence n'exige pas qu'il y ait des essais ou de l'expérimentation, mais plutôt que le technicien mythique et compétent connaisse « instantanément et spontanément » la solution préconisée dans le brevet, à partir de l'état des connaissances dans l'art au moment de l'invention.


[45]            Se fondant également sur la décision Bayer Aktiengesellschaft, précitée, la défenderesse fait valoir que l'interprétation du critère de l'évidence faite par la demanderesse est incorrect puisque la jurisprudence établit que la personne fictive versée dans l'art a le droit d'effectuer des recherches courantes, y compris des analyses chimiques visant simplement à déterminer les caractéristiques d'un composé connu. Novopharm décrit ce type d'essais effectués sur des énantiomères connus de composés racémiques comme étant de la nature de la « simple vérification » des propriétés inhérentes et déjà connues du composé plutôt que de la nature de la « quête d'une nouveauté » . Conformément à la décision Bayer Aktiengesellschaft, précitée, la « quête d'une nouveauté » doit faire partie du processus d'invention et cet esprit inventif est absent du brevet '080.

[46]            Novopharm renvoie à l'arrêt SmithKline Beecham Pharma Inc. c. Apotex Inc. (2002), 21 C.P.R. (4th) 129 (C.A.F.), de la Cour d'appel fédérale. Dans cette affaire, des antériorités divulguaient que le médicament aurait pu être mis au point par des méthodes conventionnelles et que des « habiletés d'ordre technique » plutôt que le génie inventif étaient nécessaires pour parvenir aux revendications du brevet contesté; les « perfectionnements » mentionnés dans la divulgation du brevet ne faisaient que vérifier les propriétés d'une substance connue mise au point en utilisant des techniques courantes.


[47]            Le brevet '080 peut être désigné sous le nom de « brevet de sélection » en ce sens que la lévofloxacine a été choisie parmi des substances de sa classe - le racémate et les deux énantiomères - en raison de ses vertus. Dans l'extrait suivant tiré de The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e éd., (Toronto : Carswell Company Ltd., 1969), aux pages 89 et 90, H.G. Fox décrit l'inventivité dans le contexte des brevets de sélection :

[traduction] On peut faire une invention en sélectionnant une substance parmi un certain nombre de substances dans un but particulier même si d'autres substances de cette classe ont déjà été utilisées dans le même but, pour autant que l'utilisation de la substance sélectionnée et sa sélection présente un avantage particulier et un progrès certain par rapport aux connaissances actuelles. S'il est vrai qu'une personne qui choisit un certain nombre de subtances à partir d'une série ou d'un groupe déjà divulgués n'a rien inventé, mais il peut en être autrement si ses recherches l'ont mené à la découverte de certaines substances dans le groupe ou les séries qui possèdent des qualités ou des caractéristiques qui leur sont propres et jusque là inconnues.

[Pas de caractères gras dans l'original.]

[48]            Novopharm s'appuie sur l'extrait suivant de Fox, op.cit., à lapage 90 :

[traduction] On trouve plus souvent des brevets de sélection en chimie que dans les autres domaines. Si, en pratique, il n'est pas évident pour les chimistes compétents qui connaissent l'état des connaissances chimiques à la date d'un brevet de sélection que les composantes sélectionnées possèdent une propriété particulière, il y a, ou du moins il peut y avoir, une étape inventive suffisante pour justifier le brevet. La simple vérification ne constitue cependant pas une invention. Lorsque la méthode de fabrication est indiquée dans le brevet original, le brevet de sélection ne doit pas être une reproduction exacte du même procédé à laquelle est jointe un énoncé des propriétés des corps sélectionnés du brevet. Nul ne peut obtenir un brevet simplement en indiquant les propriétés d'une substance connue.

[Non souligné et pas de caractères gras dans l'original.]


[49]            Novopharm soutient que le brevet '080 ne satisfait pas aux critères d'un brevet de sélection. Pour reprendre les termes du professeur Fox, elle fait valoir que la simple vérification ne constitue pas une invention et qu'un brevet de sélection ne doit pas être une reproduction du même procédé à laquelle est jointe un énoncé des propriétés des corps sélectionnés. La défenderesse affirme que, contrairement au brevet en litige dans la décision Re E.I. DuPont Nemours & Co. Application, [1982] F.S.R. 303 (H.L.), le brevet '080 ne divulgue pas la découverte d'une entité sélectionnée qui possède des propriétés prisées dans un domaine différent.

[50]            La position de Janssen est que l'article 32 de la Loi sur les brevets autorise les brevets qui constituent des perfectionnements d'une invention brevetée et que la description des propriétés particulières de la lévofloxacine par rapport au racémate et à l'ofloxacine comportait une telle activité inventive.

[51]            À mon avis, Fox et la jurisprudence indiquent que le génie inventif est démontré lorsque les brevets de sélection font état de la découverte d'une vertu ou d'une qualité particulière jusqu'alors inconnue ou d'un avantage permettant une utilisation nouvelle, découverte qui constitue un progrès certain par rapport aux connaissances actuelles à l'égard du groupe ou des séries originales. Dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (1997), 77 C.P.R. (3d) 547 (C.F. 1re inst.), le juge Richard (maintenant juge en chef de la Cour d'appel fédérale) a conclu à la validité d'un brevet de sélection qui revendiquait la préparation pharmaceutique du fluconazole, le brevet original ayant revendiqué « une vaste catégorie de composés » .


[52]            Dans cette affaire, le composé revendiqué dans le brevet subséquent n'était pas décrit dans le brevet original, non plus que son « efficacité supérieure et antérieurement inconnue » n'était décrite ou connue. La Cour s'est appuyée sur la preuve d'expert qui décrivait les caractéristiques surprenantes du fluconazole et la découverte de sa solubilité dans l'eau en comparaison avec le composé antérieurement divulgué qui était quasiment insoluble. Le juge Richard a conclu qu'étant donné que le fluconazole avait « des propriétés inattendues et valables que ne possèdent pas les composés les plus proches par leurs structures divulgués » dans le brevet original antérieur, le brevet n'était pas invalide pour cause soit d'évidence soit d'antériorité.

[53]            À mon avis, un tel raisonnement est applicable en l'espèce, mais il donne le résultat opposé. Les vertus découvertes et énoncées au brevet '080 n'étaient pas inconnues. Il s'agissait des propriétés de l'ofloxacine, mais avec un degré d'efficacité supérieur. De plus, j'estime que le chimiste ordinaire connaissait l'existence des deux énantiomères de l'ofloxacine et savait qu'il était possible de les séparer. Le fait de déterminer quel énantiomère possédait à un degré supérieur des mêmes propriétés ne constituait ni une surprise ni une invention. La sélection a été faite à partir de trois possibilités et non d'un grand nombre de possibilités : soit l'énantiomère S (-), soit l'énantiomère R (+), soit le racémate démontrerait des qualités supérieures par rapport aux autres quant à l'activité antimicrobienne, la toxicité ou la solubilité.


[54]            En ce qui concerne la prétention de Janssen selon laquelle une invention ne peut être considérée comme évidente si des expérimentations ou des essais sont nécessaires pour y parvenir, je souscris à la prétention de Novopharm selon laquelle le critère de l'évidence n'exclut pas les essais de routine visant à déterminer les caractéristiques des composés connus non effectués dans un but de « quête d'une nouveauté » , mais plutôt dans celui de vérifier les attributs véritables de composés déjà connus lorsque les résultats n'indiquent aucun nouvel usage, ne donnent aucun résultat surprenant ou ne font pas état de propriétés clairement supérieures à celle d'un composé breveté connu. En ce qui a trait à la question de savoir, au regard de l'évidence, s'il y a eu une activité inventive ou une « expérimentation excessive » , voir le raisonnement de la juge Dawson de la Cour dans la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc. (2002), 22 C.P.R. (4th) 466 (C.F. 1re inst.), aux paragraphe 103 à 114.

[55]            Comme nous l'avons vu, la défenderesse a invoqué plusieurs brevets américains déposés bien avant 1985, dont les 26 documents cités en tant qu'antériorités.

[56]            Le brevet américain 3,917,609 a divulgué la fluoroquinolone tricyclique, un composé antibactérien, et a indiqué que l'un de ses isomères optiquement actifs était beaucoup plus actif en tant qu'agent antibactérien. Le brevet américain 3,976,651 (le brevet '651) a divulgué une autre fluoroquinolone tricyclique dont l'un des isomères avait une activité antimicrobienne supérieure à celle de l'autre. Selon M. Caldwell, il s'agit de composés racémiques ayant une structure semblable à l'ofloxacine.


[57]            Aux paragraphes 72 et 73 de son affidavit, M. Caldwell mentionne le brevet américain 4,314,081, qui indique que le composé racémique en cause « peut être divisé en ses deux isomères individuels d et l au moyen de méthodes bien connues dans le milieu, notamment en formant des sels avec des acides optiquement actifs et en séparant les sels par cristallisation » . Ce brevet ne figurait pas parmi les documents cités par la défenderesse dans son AA, et conformément à la décision de la Cour d'appel fédérale AB Hassle c. Canada (2000), 7 C.P.R. (4th) 272, les défendeurs ne peuvent l'invoquer comme antériorité. Je le trouve cependant utile en tant qu'illustration du témoignage de M. Caldwell selon lequel la façon de séparer les isomères optiques d'un composé racémique était un processus courant avant 1985.

[58]            Le brevet américain '651 divulgue que les isomères optiques purs du composé en cause pourraient être synthétisés, mais que le procédé était [traduction] « pénible et économiquement peu réaliste compte tenu des techniques actuelles » . M. Caldwell déclare que la capacité d'un chimiste versé dans son art de diviser un racémate en ses isomères optiques n'est pas diminuée du fait qu'il est difficile de concevoir un procédé de production économiquement viable pour produire commercialement l'énantiomère pur.

[59]            M. Klibanov, l'expert de Janssen, ne traite pas de ces brevets américains dans son affidavit, mais il mentionne une autre antériorité citée dans l'AA de Novopharm, à savoir la demande de brevet japonaise no 59-219293. Il déclare que l'isomère optique divulgué dans cette demande est un composé très différent de l'ofloxacine et que ce document n'indique aucun avantage de l'un des isomères optiques par rapport à l'autre isomère ou au racémate.

[60]            J'accepte le témoignage de M. Caldwell selon lequel les techniques d'isolation et de vérification des isomères optiques étaient dans l'ensemble connues et paraissent avoir été comprises et utilisées par des chimistes au début des années 80. Les antériorités décrites par M. Caldwell, qui comprennent plusieurs brevets publiés avant la date de l'invention faisant état des avantages particuliers des énantiomères isolés par rapport aux autres antibiotiques racémiques, démontrent également qu'il n'était pas « extrêmement difficile » de synthétiser individuellement des énantiomères à partir des composés racémiques comme le soutenait à un certain moment M. Klibanov. En fait, ce dernier a reconnu relativement au procédé que, s'il est vrai qu'il était difficile de fabriquer des isomères optique comportant une grande pureté optique, on pouvait quand même recourir pour ce faire à [traduction] « diverses techniques connues à cette époque » , à savoir au début des années 80.

[61]            L'article de 1976 intitulé Utilization of an Enantiomer as a Solution to a Pharmaceutical Problem : Application to Solubilization of 1,2-Di(4-piperazine-2,6-dione) propane de Repta et al., op. cit., cité par la défenderesse en tant qu'antériorité, mentionne la facilité avec laquelle on peut créer des isomères optiques, mais indique, à la page 241, qu'il est difficile de les séparer en obtenant une pureté optique proche de 100 % :

[traduction] L'utilisation d'un énantiomère comporte comme inconvénient inhérent qu'il est plus difficile à obtenir et plus coûteux que le composé racémique. Généralement, il n'est pas particulièrement difficile d'obtenir une pureté optique supérieure à 90 %. Cependant, il est extrêmement difficile et coûteux de préparer une substance ayant une pureté optique proche de 100 %. Par conséquent, il faut réaliser qu'il n'est pas nécessaire d'atteindre 100 % de pureté optique pour obtenir un accroissement sensible de la solubilité.

[Pas de caractère gras dans l'original.]


L'article de Repta décrit, à la page 239, une caractéristique bien connue, à savoir qu'un seul des énantiomères possède généralement une activité supérieure à celle du racémate ou différente de celle-ci :          

[tradution] Bien que l'emploi de composés optiquement actifs dans des préparations pharmaceutiques ne soit pas nouveau, leur utilisation passée et présente a été largement attribuable à l'un des énantiomères présentant une activité biologique quantitativement ou qualitativement différente de celle du composé racémique correspondant (6,7). On peut mentionner, par exemple, [...] [quatre médicaments sont mentionnés, mais pas l'ofloxacine].

[62]            Bien que Repta et al. aient noté qu'il était connu que l'un des énantiomères optiquement actifs présente une activité biologique différente de celle du racémate, je constate que les résultats dont fait état cette étude à la page 241 étaient que [traduction] « l'activité antitumorale de chaque énantiomère était équivalente à celle de (")-I. Par conséquent, tout avantage pharmaceutique réalisé grâce à l'emploi d'un énantiomère ne pourrait l'être qu'en raison de sa solubilité significativement supérieure par rapport à (")-I » . L'article de Repta décrit ensuite les résultats faisant état de la solubilité supérieure de chacun des énantiomères par rapport à celle du racémate.

[63]            L'interprétation que M. Klibanov fait de l'article de Repta est qu'il est possible que l'on ait su que certains isomères avaient une certaine solubilité, mais on ne pouvait prévoir la solubilité du racémate comparativement à celle de chacun des isomères optiques de l'ofloxacine. On n'a pu obtenir cette information que grâce à l'expérimentation.

[64]            L'article de Repta et les brevets américains appuient la position de M. Caldwell selon laquelle il existait diverses techniques connues pour isoler des énantiomères des composés racémiques au début des années 80. En contre-interrogatoire, M. Klibanov a admis que, selon lui, le brevet '080 permettait d'obtenir une pureté d'au moins 90 %, et il a reconnu qu'il était virtuellement impossible d'obtenir une pureté optique de 100 % pour un énantiomère et qu'une telle pureté était avant tout théorique.

[65]            Selon M. Caldwell, les essais effectués relativement au brevet '080 pour déterminer la solubilité, l'activité antimicrobienne et les niveaux de toxicité des énantiomères ne requéraient que des procédures simples et analytiques ne comportant aucune inventivité. M. Klibanov ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si les expériences qui ont été effectuées pour déterminer les propriétés de l'isomère lévogyre de l'ofloxacine étaient relativement simples. Je constate, à la lecture de son affidavit et de son contre-interrogatoire, qu'il n'a touché qu'à la question de l'isolation de l'énantiomère S(-) distinct de l'ofloxacine, concluant qu'il était difficile de parvenir à l'isoler et que cela n'était divulgué dans aucun brevet antérieur sur l'ofloxacine.


[66]            M. Caldwell déclare que les résultats des essais sur les isomères optiques de la forme racémique de l'ofloxacine n'étaient ni inattendus ni surprenants compte tenu du fait que l'état des connaissances scientifiques de l'époque permettait de savoir que des composés racémiques ayant certaines propriétés provenaient généralement de l'un des énantiomères ayant une activité biologique quantitative ou qualitative différente du composé racémique ou de l'autre énantiomère. Sa déclaration est conforme à un article intitulé « Putting Chirality to Work: The Strategy of Chiral Switches » Nature Reviews : Drug Discovery, Vol. 1, octobre 2002, dont il est l'un des auteurs, porté à son attention lors de son contre-interrogatoire par l'avocat de Janssen-Ortho.

[67]            Bien qu'il ne constitue pas une antériorité, cet article de M. Caldwell illustre une prémisse utile selon laquelle l'inventivité est nécessaire dans le cas des drogues chirales. L'extrait suivant est tiré du contre-interrogatoire de M. Caldwell, aux pages 876 et 877 du dossier de la demanderesse :

[traduction]

Q. Sur la même page, à la colonne de gauche, sous le titre « Patentability of chiral switches » , je veux lire une phrase qui se trouve à environ sept ligne du bas de la page.

R. D'accord.

Q. Il est écrit :

« Quand les effets pharmacologiques des deux énantiomères d'une drogue chirale sont suffisamment différents l'un par rapport à l'autre et par rapport au racémate, il pourrait être possible d'obtenir un brevet pour l'un des énantiomères ou les deux énantiomères même s'il existe un brevet valide (ou expiré) du racémate correspondant. »

A. Oui.

Q. En principe, je présume que vous êtes d'accord avec cela.

R. Oui. Je veux dire lorsqu'ils sont suffisamment différents l'un de l'autre et du racémate. La phrase au complet tourne autour de ce que nous entendons par suffisamment différents.

[68]            À mon avis, cela va dans le sens du droit des brevets selon lequel une découverte doit contenir une certaine activité inventive pour pouvoir faire l'objet d'un brevet. Pour que le brevet soit déclaré invalide pour cause d'évidence, les perfectionnements observés par rapport au composé racémique déjà découvert doivent démontrer l'existence de caractéristiques « suffisamment différentes » de ce qui était déjà connu. Il s'agit du même concept de « propriété particulière » décrit par Fox (voir plus haut), formulé de façon différente, selon lequel un brevet de sélection doit comprendre une description d'une substance d'un groupe ou d'une série déjà connue pour pouvoir donner lieu à nouveau brevet fondé sur la sélection.

[69]            La vérification de certaines propriétés d'un composé déjà divulgué ne satisfait pas au critère de l'inventivité requise pour qu'il y ait protection par brevet. Dans l'arrêt SmithKline Beecham, précité, la Cour d'appel fédérale a conclu qu'il faut une « habileté d'ordre technique » , plutôt que du génie inventif pour appliquer l'antériorité et arriver à l'invention décrite dans le brevet contesté. Pour reprendre les termes employés par la Cour aux pages 138 et 139, « [l]e seul "perfectionnement" mentionné dans la divulgation est simplement la vérification des propriétés d'une substance connue formulée à l'aide de techniques courantes » . Je suis d'avis que la présente affaire est similaire étant donné que les inventeurs du brevet '080 ont simplement vérifié les propriétés de la forme racémique de l'ofloxacine connue en déterminant lequel parmi ses énantiomères présentait les meilleurs résultats en ce qui concerne l'activité antimicrobienne, la solubilité et la toxicité.

[70]            Dans l'arrêt Sharp & Dohme Inc. c. Boots Pure Drug Company Ltd. (1928), 45 R.P.C. 153 (C.A.), le lord juge Lawrence de la Cour d'appel de l'Angleterre a affirmé ce qui suit aux pages 191 et 192 :

[traduction] À mon avis, le fait de faire ressortir les propriétés intéressantes d'une substance chimique (pouvant revêtir une importance du point de vue de l'utilité, alors que l'on cherche à obtenir un brevet pour une substance entièrement nouvelle) ne constitue pas en soi une invention pouvant faire l'objet d'un brevet, particulièrement quand personne n'a le droit de fabriquer une telle substance, mais tout au plus une découverte. Les demanderesses, lorsqu'elles ont obtenu leurs quatre corps alkyles en employant une méthode [publiée], ont, sans l'ombre d'un doute, fait subir à ces substances les essais courants bien connus pour établir leur identité et leur valeur thérapeutique respective.

[71]            Je préfère retenir le témoignage de M. Caldwell selon lequel les qualités supérieures présumées de l'énantiomère S(-) de l'ofloxacine quant à l'activité antimicrobienne énoncées au brevet '080 ne sont pas véritablement différentes ou de nature particulière et inattendue par rapport aux propriétés dont font état les antériorités, y compris dans le brevet '840 qui décrit en détail la nature de l'ofloxacine. Repta et al., les brevets américains susmentionnés et les deux documents de Gerster me convainquent, selon la prépondérance des probabilités, qu'il aurait été évident, pour un chimiste qualifié, que l'un des énantiomères de la forme racémique de l'ofloxacine pourrait présenter des vertus supérieures et que, pour le confirmer, il suffisait d'effectuer des essais courants et simples. Il n'était pas nécessaire de faire preuve de génie inventif pour déterminer et noter quel énantiomère possédait une activité antimicrobienne supérieure, qualité que possédait déjà le racémate.

[72]            De plus, j'accepte le témoignage selon lequel on pourrait non seulement s'attendre, à la lecture des antériorités, à ce que l'activité antimicrobienne soit attribuable à l'un des deux énantiomères connus de l'ofloxacine, mais encore à ce qu'un chimiste spécialiste en produits pharmaceutiques de compétence ordinaire prévoit que l'énantiomère (-) soit celui qui présente l'activité antimicrobienne supérieure. Les documents de Gerster sur la fluméquine ont traité de cette question.

[73]            La façon insatisfaisante dont l'expert de Janssen M. Schroeder a cherché les documents de Gerster sur la fluméquine est pertinente quant à cette question. Cités par Novopharm à titre d'antériorités dans son AA, ces documents indiquaient qu'il était probable que l'énatiomère (-) de la fluméquine possédait des propriétés supérieures à celles du racémate. L'incapacité de trouver ces antériorités alléguée par M. Schroeder est pertinente quant à la question de savoir si une personne versée dans l'art aurait pu prévoir que ce serait l'énantiomère (-) de l'ofloxacine qui serait à l'origine de l'activité antimicrobienne du racémate.

[74]            M. Klibanov affirme que la fluméquine est un composé « complètement différent » de l'ofloxacine et que, en raison des différences entre les deux composés, l'extrapolation des résultats de Gerster à l'égard de l'ofloxacine n'aurait pas été fiable ou ne serait pas une façon appropriée de prédire si l'un des isomères optiques de l'ofloxacine aurait des propriétés supérieures à l'autre isomère ou au racémate.

[75]            À l'inverse, M. Caldwell décrit la fluméquine comme étant un composé antimicrobien « structurellement similaire » à la forme racémique de l'ofloxacine. Il prétend que M. Klibanov a « inversé » le diagramme de la fluméquine dans son affidavit. Selon le résumé du document de Gerster, lorsque l'on isole les deux isomères optiques de la fluméquine, on observe que l'isomère (-) posséde une « activité antibactérienne potentielle » et que l'isomère (+) ne démontre qu'une « très faible activité » . La présentation par affiches de Gerster a divulgué non seulement une méthode pour séparer les énantiomères du racémate fluméquine, mais aussi que l'énantiomère (-) présente une activité antimicrobienne différentielle environ deux fois plus importante que la forme racémique de la fluméquine et de 10 à 100 fois supérieure à celle de l'énantiomère (+). M. Caldwell explique de façon assez détaillée pourquoi ces résultats seraient applicables à l'ofloxacine.

[76]            En contre-interrogatoire, il s'est avéré que la recherche de M. Schroeder n'était pas aussi approfondie que ce à quoi on pouvait raisonnablement s'attendre de lui. Il n'a pas gardé de copie des résultats de sa recherche ou des termes qu'il a utilisé pour la faire dans les diverse bases de données en ligne. De plus, il ne savait pas comment le bibliothécaire ayant agi sous sa supervision avait effectué les recherches. Par conséquent, je conclus que la recherche effectuée par M. Schroeder n'était pas aussi « raisonnable et diligente » que celle à laquelle on aurait pu s'attendre de la part d'un homme de métier : General Tire et Rubber Co. c. Firestone Tyre et Rubber Co., [1972] R.P.C. 457 (C.A.);Illinois Tool Works Inc. et al. c. Cobra Fixations Cie, précité.


[77]            Même si je devais conclure que les documents de Gerster sur la fluméquine ne constituaient pas des antériorités valides, cela n'aurait pas d'incidence sur ma conclusion selon laquelle les chimistes oeuvrant dans le domaine des stéréoisomères en 1984 s'attendaient dans l'ensemble à ce que l'un des énantiomères de l'ofloxacine présente une activité antimicrobienne supérieure. Par conséquent, le fait de vérifier quel énantiomère possédait cette qualité - et à quel degré par rapport au racémate et à l'autre isomère optique - n'avait rien d'inventif.

[78]            Concernant les propriétés de solubilité dont fait état le brevet '080, M. Klibanov affirme que l'article de Repta de 1976 indique qu'il n'est pas possible de prédire lequel des deux isomères présenterait la plus grande solubilité ni quel isomère serait plus soluble que son racémate. M. Caldwell renvoie aux conclusions de l'article de Repta qui divulguent que la solubilité des énantiomères purs est plusieurs fois plus élevée que celle de leurs racémates.

[79]            M. Caldwell mentionne aussi la simplicité de l'expérience visant à tester les caractéristiques de solubilité d'un racémate. M. Klibanov ne s'est pas prononcé sur la question de savoir si les essais visant à confirmer les propriétés de chaque énantiomère étaient des expériences habituelles, mais a insisté sur le fait que l'expérimentation était requise pour connaître avec certitude la nature exacte des énantiomères par rapport au racémate.

[80]            En ce qui concerne les conclusions sur la toxicité, M. Caldwell déclare que les conclusions comparatives sur la toxicité énoncées au brevet '080 ne sont pas toutes importantes au regard des formulations pharmaceutiques puisque les agents thérapeutiques utilisent des concentrations de drogue comportant des taux de toxicité loin du seuil de la « toxicité aigue » . Cette déclaration n'a pas été attaquée en contre-interrogatoire.De plus, M. Caldwell a fait remarquer qu'on s'attendrait à partir des antériorités à ce qu'un seul énantiomère d'un composé optiquement actif présente une toxicité inférieure à celle de son racémate.

[81]            Selon les déclarations figurant à l'affidavit de M. Klibanov, seuls les essais ont permis de découvrir les propriétés exactes de l'isomère S(-) par rapport à l'énantiomère R(+) et à la forme racémique de l'ofloxacine. Cependant, il n'a pas fait de commentaire sur la question de savoir si ces propriétés étaient inattendues ou supérieures ou encore si elles présentaient des avantages particuliers par rapport à ceux déjà divulgués par le composé d'origine, à savoir l'ofloxacine. En fait, il n'a cessé de répéter que la nature exacte des propriétés de l'énantiomère S(-) n'aurait pas été connue sans expérimentation. L'affidavit de Mme Wendy Arnott, vice-présidente de Janssen-Ortho, traite de la toxicité, mais seulement en ce qui concerne l'allégation de Novopharm portant que les données relatives à la toxicité énoncées dans le brevet '080 induisent en erreur et sont fausses.


[82]            Selon le témoignage de M. Caldwell, les essais visant à déterminer les vertus de l'énantiomère S(-) étaient entièrement habituels, non compliqués et, dans l'ensemble, acceptés bien avant 1985. Ils ne comportaient aucune inventivité. S'il est vrai qu'on ne pouvait prévoir avec une certitude absolue les caractéristiques de la lévofloxacine en ce qui concerne l'activité antimicrobienne, la solubilité et la toxicité exactes sans les vérifier par des essais, de telles propriétés auraient été facilement prévisibles ou évidentes pour un chimiste qualifié ayant des connaissances dans le domaine des énantiomères et de la stéréochimie et auraient pu être vérifiées en effectuant les essais analytiques habituels en 1984 pour les des chimistes spécialistes des produits pharmaceutiques.

[83]            Bien qu'il ne s'agisse pas d'une antériorité, une section de l'ouvrage anglais de Philip W. Grubb, Patents in Chemistry and Biotechnology (Clarendon Press : Oxford, U.K.), publié en 1986, illustre les connaissances courantes chez les chimistes à cette époque en ce qui concerne la nature des isomères optiques revendiqués comme nouveaux composés dans des brevets. Il a écrit ce qui suit à la page 134 :

[Traduction] Peut-être le plus près qu'un nouveau composé peut se situer d'une antériorité correspond à la situation où le nouveau composé est un énantiomère optiquement actif d'un composé qui n'était connu précédemment que sous sa forme racémique. Cela peut être considéré comme une forme extrême d'invention sélective, et il a été allégué que la forme optiquement active ne peut être considérée comme nouvelle si le racémate est connu puisque ce dernier pourrait être considéré comme un mélange équimolaire des formes d- et l-. Cependant, dans des décisions rendues tant au Royaume-Uni qu'aux États-Unis, les tribunaux ont statué que les isomères optiques des racémates connus pourraient être considérés comme nouveaux en soi.

Cependant, le problème est généralement considéré comme étant un problème d'évidence plutôt que d'absence de nouveauté. Il est évident, d'après la présence d'un centre asymétrique dans la molécule, que des formes optiquement actives peuvent exister, et il est généralement évident qu'elles peuvent être isolées l'une de l'autre à l'aide de méthodes de dédoublement courantes. Un isomère optique ne peut être brevetable que s'il possède des propriétés étonnamment supérieures à celles du racémate ou qu'il a une utilité que le racémate n'avait pas.

[Pas de caractères gras dans l'original.]

[84]            Comme je l'ai déjà mentionné, j'accepte le témoignage de M. Caldwell selon lequel les propriétés décrites dans le brevet '080 concernant l'isomère lévogyre de l'ofloxacine n'étaient pas plus inattendues ou plus surprenantes que celles qui avaient déjà été divulguées concernant l'ofloxacine. Compte tenu des antériorités constituées de l'article de Repta et al., des documents de Gerster, du brevet '840 divulguant l'ofloxacine en tant que composé racémique comportant des vertus particulières et des brevets américains cités portant sur d'autres composés racémiques ayant des structures semblables à celle de l'ofloxacine[3], une telle « découverte » aurait été évidente pour le chimiste qualifié ordinaire instruit de l'état des connaissances dans le domaine des stéréoisomères en 1985.

[85]            Je suis convaincu que Novopharm a établi, selon la prépondérance des probabilités, qu'un technicien versé dans l'art serait arrivé directement et sans difficulté à la solution décrite au brevet '080 en effectuant simplement des expériences connues et courantes avec le composé racémique de l'ofloxacine. Je conclus que les revendications du brevet '080 sont évidentes et que ce qui est désigné sous le nom de « découverte » ou d' « invention » dans le brevet '080 ne semble comporter aucune étincelle de génie inventif permettant de donner droit au monopole conféré par les brevets, mais constitue plutôt une « simple vérification » de propriétés de composantes déjà connues d'un composé.

[86]            De plus, étant donné l'état des connaissances en 1985, je suis d'avis que, avant même d'effectuer de tels essais, le chimiste moyen serait arrivé directement à la conclusion qu'un des énantiomères comporterait probablement des avantages supérieurs à ceux du racémate ou de l'autre isomère optique quant aux mêmes vertus déjà découvertes, à savoir l'activité antimicrobienne, la solubilité et la toxicité. Par conséquent, aucune activité inventive n'a été nécessaire pour effectuer l'expérimentation visant à vérifier quel énantiomère possédait comparativement les meilleures qualités à ces égards.

[87]            Je conclus que le brevet '080 est invalide pour cause d'évidence. Dans l'ensemble, Janssen n'a pas démontré, selon la prépondérance des probabilités, que l'allégation d'invalidité de Novopharm pour ce motif n'était pas justifiée.

Antériorité/ Absence de nouveauté


[88]            Bien que les conclusions déjà tirées au sujet de l'évidence suffisent pour trancher la présente demande, je traiterai des autres questions posées dans la présente instance. Les alinéas 27(1)b) et 61(1)a) de la Loi sur les brevets antérieure à 1989 sont applicables quant à l'antériorité. La demande de brevet '080 a été déposée le 19 juin 1986. Les antériorités mentionnées par Novopharm doivent être soit un brevet délivré deux ans avant la date de dépôt, à savoir le 19 juin 1984, soit un document publié ou un article accessible au public avant cette même date. On ne peut invoquer l'antériorité à l'égard de documents non publiés et non accessibles au public avant le 19 juin 1984.

[89]            Janssen fait valoir que les antériorités citées par Novopharm dans son AA relativement à l'absence de nouveauté ne faisaient pas état des avantages découverts de l'isomère optique particulier divulgué dans le brevet '080. L'avocat renvoie à la décision In re May, 197 U.S. P.Q. 601 (C.C.P.A. 1978), où la Court of Customs and Patent Appeals des États-Unis a conclu qu'une revendication de brevet relative à un composé (-) n'était pas dépourvue de nouveauté même si une antériorité divulguait son racémate.

[90]            La demanderesse s'appuie également sur la décision Imperial Chemical Industries Ltd. (Howe's) Application, en date du 18 novembre 1971, où le Patent Appeal Tribunal de l'Angleterre a statué que la divulgation antérieure d'un racémate ne constituait pas une antériorité à l'égard de ses isomères bien qu'un chimiste se rendrait compte qu'un racémate pourrait être séparé en ses isomères lévogyre et dextrogyre. La demanderesse mentionne une décision de la Commission d'appel des brevets du Canada où des revendications relatives à un isomère sous une forme essentiellement pure ont été permises même si l'isomère précis comportant un niveau de pureté inférieur avait été antérieurement divulgué : University of Strathclyde Patent Application (Re) (1996), 77 C.P.R. (3d) 328 (Commission d'appel des brevets).

[91]            La défenderesse prétend que l'énantiomère S(-) de l'ofloxacine était divulgué de façon inhérente dans le brevet '840 sur l'ofloxacine en mai 1984 et que, avant 1984, la décomposition chimique d'énantiomères à partir d'un composé racémique était « courante » et ne comportait aucun exercice de génie inventif.

[92]            Novopharm mentionne d'autres brevets relatifs à des mélanges racémiques dont la structure est similaire à celle de l'ofloxacine qui peuvent exister sous des formes optiquement actives. Dans ces brevets, les isomères optiques étaient couverts par l'invention et la divulgation du brevet en faisait état.

[93]            Pour affirmer qu'une revendication de brevet a une antériorité, l'argument est que l'invention a déjà été divulguée au public et n'est par conséquent pas nouvelle. Le principe bien établi en matière d'antériorité est énoncé dans l'arrêt Beloit, précité, à la page 297 :

On se souviendra que celui qui allègue l'antériorité, ou absence de nouveauté, prétend que l'invention était connue du public avant la date pertinente.L'enquête porte sur l'invention litigieuse elle-même et non, comme dans le cas de l'évidence, sur l'état de la technique et des connaissances générales. De plus, [...] l'antériorité doit se trouver dans un brevet particulier ou dans un autre document publié; il ne suffit pas de recueillir des renseignements à partir de diverses publications antérieures et de les ajouter les uns aux autres et d'en arriver à l'invention revendiquée. Il faut en effet pouvoir s'en remettre à une seule publication antérieure et y trouver tous les renseignements nécessaires, en pratique, à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif. Les instructions contenues dans la publication antérieure doivent être d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée. Lorsque, comme c'est le cas ici, l'invention consiste en une combinaison de plusieurs éléments connus, une publication qui ne révèle pas la combinaison de tous ces éléments ne peut avoir un caractère d'antériorité.

[Pas de caractères gras dans l'original.]

[94]           Plus récemment, la Cour suprême du Canada a cité, en l'approuvant, ce principe dans l'arrêt Free World Trust, précité, au paragraphe 26, où le juge Binnie a en outre mis en garde contre l'utilisation d'une déduction après coup pour évaluer si une invention comportait une antériorité dans une publication particulière puisque la constitution d'un dossier d'antériorité lorsque l'on bénéficie du recul « n'est que trop facile, après la divulgation d'une invention » (Free World Trust, au paragraphe 25).

Le brevet '840, son équivalent américain - le brevet '892 - et la publication d'Osada et al. datant de 1983

[95]           Ces trois documents sont les antériorités citées par la défenderesse dans son AA relativement à l'antériorité ou la nouveauté.

[96]           L'expert de Novopharm, M. Caldwell, affirme que la lévofloxacine, divulguée dans le brevet '080, avait une antériorité : le brevet '840 relatif à l'ofloxacine. Selon M. Caldwell, un chimiste qui lit le brevet '840 (et implicitement son équivalent américain, le brevet '892) « comprendrait immédiatement » que l'ofloxacine possède un centre chiral unique et, sur la seule base de la structure chimique de la substance, il serait évident pour lui qu'il doit exister deux énantiomères ou isomères optiques. M. Caldwell déclare également que la nature énantiomérique de l'ofloxacine a été expressément divulguée dans une publication d'Osada et al. en 1983, « Antimycoplasmal Activity of Ofloxacin » , où l'ofloxacine est identifiée avec le symbole ("). L'utilisation de ce symbole indique que les auteurs de cet article ont reconnu l'existence des deux énantiomères (+) et (-) de l'ofloxacine.


[97]            L'expert de Janssen, M. Klibanov, convient que même si le brevet '840 n'indique pas expressément que l'ofloxacine est un composé chiral, [traduction] « cela serait évident pour le chimiste ordinaire en raison de la structure chimique de l'ofloxacine » (paragraphe 64 de son affidavit). Novopharm invoque le contre-interrogatoire de M. Klibanov au cours duquel ce dernier a reconnu qu'un chimiste ayant lu le brevet '840 en entier comprendrait que la structure qui y est décrite est celle d'un racémate.

[98]            M. Caldwell a déclaré ce qui suit au paragraphe 41 de son affidavit :

[traduction] En utilisant l'analogie entre la divulgation de l'ofloxacine (+/-) et la divulgation d'une paire de gants (à savoir des gants pour les mains gauche et droite), la déclaration précédente selon laquelle un « composé [...] S(-) » ne serait pas utilisé pour décrire la forme racémique de l'ofloxacine équivaut à dire que le terme « gant gauche » ne serait pas utilisé [...] pour décrire une paire de gants. Cependant, cela ne porte pas sur le fait essentiel que le composé S(-) que l'on veut revendiquer dans le brevet '080 est divulgué dans le brevet '840 et la publication d'Osada et al.


[99]            Novopharm prétend que la divulgation antérieure d'une paire de gants divulgue intrinsèquement les gants pour mains gauche et droite qui le composent et que le fait de revendiquer à l'appui de la validité d'un brevet simplement que celui-ci emploie le terme « gant gauche » ne peut être considéré comme étayant le fait qu'il s'agit d'une revendication nouvelle qui n'avait pas antérieurement été divulguée par le brevet sur la « paire de gants » . Pour déterminer si les revendications du brevet '080 sont nouvelles, Novopharm fait également valoir que l'expert de Janssen a incorrectement compris que la divulgation du brevet faisait état d'un niveau de pureté ou de restrictions à cet égard. Novopharm prétend qu'une telle interprétation de la divulgation ne devrait pas permettre d'étendre la portée des revendications du brevet et de les considérer nouvelles.

[100]        La demanderesse fait valoir que le document d'Osada et al. n'ajoute rien de nouveau par rapport aux solutions préconisées dans le brevet '840 antérieur et qu'il ne constitue pas une antériorité du brevet '080 puisque les indications qui sont données dans ce document n'auraient pas permis d'arriver infailliblement et sans erreur à la lévofloxacine.

[101]        Existe-t-il une antériorité faisant à elle seule état de la « découverte » revendiquée dans le brevet '080? Pour reprendre le critère accepté, existe-t-il une seule publication contenant tous les renseignements nécessaires à la production de l'invention revendiquée sans l'exercice de quelque génie inventif? Et cette publication antérieure contient-elle des instructions d'une clarté telle qu'une personne au fait de l'art qui en prend connaissance et s'y conforme arrivera infailliblement à l'invention revendiquée?

[102]        M. Klibanov a affirmé que les solutions préconisées dans les brevets '840 et '892 ne peuvent que mener à la forme racémique de l'ofloxacine. Aux paragraphes 67 et 68 de son affidavit, il a ajouté ce qui suit :

[traduction] Il existe des techniques particulières qui doivent être utilisées pour fabriquer un isomère optique, et ces techniques sont généralement propres à un composé. Au début des années 80, il était extrêmement difficile de fabriquer des isomères optiques ayant une pureté optique élevée. Il existait diverses techniques à l'époque, mais il était impossible de prédire leur succès pour un composé en particulier, particulièrement pour un composé aussi complexe [que] l'ofloxacine.


De plus, il fallait développer dans beaucoup de cas une méthodologie précise pour obtenir un isomère optique. En fait, une grande partie du brevet '080 porte sur la description de procédés utilisés pour obtenir les nouveaux isomères optiques de l'ofloxacine. Pour ces raisons, je peux affirmer sans réserve qu'une personne versée dans l'art qui suit les solutions préconisées aux brevets '840 et '8[9]2 n'obtiendrait jamais les isomères optiques de l'ofloxacine parce que les procédés énoncés dans ces brevets permettent de fabriquer la forme racémique de l'ofloxacine.

Il a maintenu cette position en contre-interrogatoire. Il a également déclaré qu'aucune des antériorités mentionnées par Novopharm n'a divulgué les propriétés particulières d'un des isomères optiques de l'ofloxacine par rapport à l'autre isomère ou au racémate.

[103]        M. Caldwell et M. Klibanov conviennent que le brevet '840 semble indiquer, pour le chimiste ordinaire versé dans l'art, que l'ofloxacine est un composé chiral possédant des isomères optiques actifs. Leur désaccord porte sur la question de savoir si cette compréhension du brevet entraîne inévitablement la reconnaissance des avantages de l'un des énantiomères par rapport à l'autre et au racémate et si un procédé efficace servant à isoler et à fabriquer l'un des énantiomères est divulgué de façon « tellement claire » dans un document antérieur qu'il existait une antériorité.

[104]        M. Klibanov maintient que le procédé servant à isoler ou dédoubler les énantiomères de l'ofloxacine ne serait pas manifeste à la lecture du brevet '840 et serait en fait difficile à déterminer. De plus, aucun des documents cités par Novopharm en tant qu'antériorités ne permet de découvrir les vertus de l'isomère optique S(-) d'ofloxacine.

[105]        M. Caldwell maintient que la déclaration de M. Klibanov selon laquelle il serait très difficile de concevoir un procédé servant à isoler les énantiomères ne vise pas le simple dédoublement de la forme racémique de l'ofloxacine en ses isomères optiques, mais porte plutôt sur l'élaboration de procédés de production de l'énantiomère qui sont intéressants sur les plans commercial et économique après isolation d'un composé et essais sur celui-ci pour confirmer son activité pharmacologique. M. Caldwell déclare ensuite que les trois procédés divulgués dans le brevet '080 sont des « procédés de production » et non de simples procédés de dédoublement.

[106]        À mon avis, ce n'est pas ce qu'indique la déclaration de M. Klibanov. Je n'interprète pas ses mots comme indiquant que la difficulté de « fabrication » de l'isomère optique ayant une pureté optique élevée est restreinte à la production à l'échelle commerciale d'un énantiomère particulier.

[107]        L'analogie du gant faite par M. Caldwell n'est valable qu'à l'égard des composés qui requièrent un procédé d'isolation particulier qui permettra aux chimistes de noter les propriétés de chaque énantiomère. Une paire de gants est visible sans qu'il soit nécessaire d'avoir un procédé pour produire cette visibilité. Dans le cas des brevets '840 et '892, ils n'apportent pas de solution sur la façon de différencier les énantiomères de la forme racémique de l'ofloxacine et il n'existe pas non plus une antériorité indiquant que l'un des énantiomères aura des qualités supérieures à l'autre énantiomère ou au racémate. De plus, le document d'Osada ne divulgue pas ces enseignements.


[108]        À mon avis, lorsque l'on examine séparément le brevet '840, le brevet américain '892 et le document d'Osada, on constate qu'aucun d'eux ne fournit tous les renseignements qu'une personne ordinaire versée dans l'art aurait besoin pour mener au brevet '080. Celui-ci est donc nouveau et les revendications qui y figurent n'ont pas été antérieurement divulguées par l'une des trois antériorités citées par Novopharm. Janssen a démontré que l'allégation d'invalidité fondée sur ce motif n'est pas justifiée.

Autres motifs d'invalidité allégués

Allégations d'ambiguïté et de portée excessive par rapport à l'invention divulguée

[109]        Novopharm allègue de plus que les revendications du brevet sont à la fois ambigues et de portée plus large que l'invention puisqu'elles ne font état d'aucune « restriction quant à la pureté » pour les compositions qui incluent l'énantiomère S(-) mélangé avec d'autre composantes, notamment l'énantiomère R(+). La défenderesse soutient par conséquent que les revendications du brevet '080 ont une portée plus large que l'invention divulguée dans le brevet puisqu'elles peuvent couvrir tout composé contenant des molécules de lévofloxacine, y compris la forme racémique de l'ofloxacine déjà connue (dont fait état le brevet '840 antérieur) qui consiste en un mélange égal d'ofloxacine S(-) et d'ofloxacine R(+), et qu'elles sont invalides pour ce motif.

[110]        Les demanderesses soutiennent que certains mots « restrictifs » ne sont pas requis parce que le libellé du brevet '080 est suffisant pour démontrer qu'un chimiste possédant des connaissances ordinaires dans l'art n'utiliserait jamais le symbole « S » ou (-) pour désigner un racémate. Pour une personne ordinaire versée dans l'art, le symbole S(-) indique plutôt que « pratiquement toutes » les molécules du composé possèdent cette configuration et que le composé est « pratiquement exempt » de molécules possédant la configuration « R » . Un chimiste saurait également que le symbole du coin plein indique que « pratiquement toutes » les molécules ont une configuration « S » . Selon Janssen, les revendications du brevet '080 seraient interprétées comme couvrant « une forme optiquement pure » de la lévofloxacine puisqu'il faut utilliser une composition pharmaceutique constituée principalement de l'énantiomère S(-) pour parvenir à l'invention avec ses vertus pharmacologiques.


[111]        Les demanderesses s'appuient sur la décision américaine Ortho-McNeil Pharmaceutical Inc., et al. c. Mylan Laboratories, Inc. et al., précitée, où la cour a interprété le brevet américain relatif à la lévofloxacine comme ne renvoyant pas à la forme racémique de l'ofloxacine. Une [traduction] « restriction quant à la pureté en anglais clair » n'était pas requise puisque l'inventeur était réputé utiliser des termes qu'une personne versée dans l'art comprendrait et le symbole « S(-) » indique clairement que le composé racémique n'était pas couvert par le brevet. La cour a également conclu dans la décision Mylan que la répétition des mots « optiquement actifs » dans le mémoire descriptif et la distinction faite entre la forme racémique de l'ofloxacine et la lévofloxacine dans la divulgation du brevet indiquaient que le brevet couvrait l'énantiomère lévogyre de l'ofloxacine. Dans la décision Mylan, il s'agissait d'une action en contrefaçon de brevet où la partie défenderesse tentait d'obtenir un jugement sommaire relativement à l'invalidité du brevet pour cause d'antériorité. La cour a rejeté la requête en jugement sommaire.

[112]        Les demanderesses mentionnent aussi les brevets accordés à la société mère de Novopharm à l'égard d'isomères qui n'incluent pas de restriction quant à la pureté.

[113]        Selon les experts, la pureté optique est la mesure de l'excès de l'un des énantiomères sur un autre dans un échantillon optiquement actif. Un mélange racémique a une pureté optique de 0 % puisque l'égalité des énantiomères ne permet pas d'activité optique.

[114]        À mon avis, le brevet '080 n'est pas invalide pour ce motif. Une personne versée dans l'art qui interprète les revendications du brevet '080 comprendrait que la description vise l'énantiomère S(-) de l'ofloxacine sous une forme optiquement pure puisque ce n'est qu'en présence d'une pureté optique importante que l'énantiomère S(-) peut être différencié du racémate et de l'isomère optique R(+). Janssen m'a convaincu, selon la prépondérance des probabilités, que l'allégation d'invalidité de Novopharm sur le fondement de l'ambiguïté, au motif que le brevet ne comporte pas de définition ou de description de la pureté optique, n'est pas justifiée.


Mémoire descriptif insuffisant

[115]        Après avoir cité des données incohérentes sur la toxicité, Novopharm allègue que le mémoire descriptif du brevet '080 est insuffisant puisqu'il ne décrit pas correctement et complètement l'invention comme l'exige l'alinéa 34(1)a) de la Loi sur les brevets. Dans l'AA, Novopharm a allégué que si une telle omission était faite intentionnellement pour induire en erreur le public, le brevet est nul en vertu du paragraphe 53(1) de la Loi sur les brevets.

[116]        Janssen soutient que la preuve ne semble pas indiquer que les données relatives à la toxicité dont fait état le brevet '080 sont incorrectes. Janssen a présenté l'affidavit de Mme Wendy Arnott relativement à cette question. Novopharm n'a pas déposé de preuve en réponse.

[117]        Novopharm prétend que les données relatives à la toxicité énoncées à l'égard du mélange racémique dans le brevet '080 sont incohérentes avec les données relatives à la toxicité antérieurement rapportées par les inventeurs sur brevet '080 relatif à l'ofloxacine revendiquant le racémate. Novopharm souligne la connaissance lacunaire de Mme Arnott en ce qui concerne les études sur la toxicité effectuées pour les brevets '840 et '080 présentées en contre-interrogatoire. La défenderesse s'appuie sur la décision H. Lundbeck A/S c. Apotex, 2003 CF 1334, (2003), 30 C.P.R. (4th) 198, où la Cour a récemment affirmé que les allégations énoncées dans l'AA sont présumées vraies sauf si la partie demanderesse les réfute.

[118]        Comme l'a expliqué Mme Arnott, la toxicité intraveineuse aigue d'une substance est déterminée par l'administration de diverses doses de la substance sur des animaux et l'enregistrement du nombre de décès reliés à une dose particulière. Ces données sur la mortalité sont utilisées pour calculer la DL50 d'une substance - à savoir la mesure de la dose administrée ayant entraîné la mort de 50 pour cent des animaux soumis au test. Les valeurs LD50 sont généralement exprimées en milligrammes de la drogue administrée par kilogramme de la masse de l'animal soumis au test (mg/kg). Une valeur LD50 plus élevée indique qu'une substance est moins toxique, alors qu'une valeur plus faible indique qu'elle est plus toxique.

[119]        Mme Arnott a affirmé que le brevet '080 énonce correctement que les tests effectués sur des souris auxquelles on a administré la drogue par voie intraveineuse indiquaient que la lévofloxacine avait une toxicité moins aigue que l'ofloxacine. Elle a renvoyé au tableau 3 se trouvant à la page 21 du brevet '080. Pour une dose de 200 mg, deux souris sur cinq sont mortes lorsqu'on leur a administré la forme racémique de l'ofloxacine, trois sur cinq sont mortes lorsqu'on leur a donné l'énantiomère R(+) de l'ofloxacine et aucune des cinq souris soumises au test n'a succombé par suite de l'administration de l'énantiomère S(-). Mme Arnott a également renvoyé aux monographies de produit relatives au FLOXIN (marque nominative de la forme racémique de l'ofloxacine) et au LEVAQUIN (lévofloxacine) pour démontrer que la toxicité intraveineuse aigue de la lévofloxacine était moindre que celle de l'ofloxacine.


[120]        Après avoir examiné le contre-interrogatoire de Mme Arnott, où l'avocat de Novopharm a attiré son attention sur les valeurs de LD50 relatives à l'administration orale à des souris mâles qui paraissent indiquer que la lévofloxacine a une toxicité supérieure à l'ofloxacine, je n'accepte pas la prétention de Novopharm selon laquelle les données du brevet '080 sont incorrectes ou induisent en erreur. Mme Arnott a expliqué que des doses de lévofloxacine paraîtraient plus toxiques lorsqu'elles sont administrées oralement en raison du fait que la lévofloxacine est environ dix fois plus soluble dans l'eau que l'ofloxacine et qu'une plus grande quantité est absorbée lorsque la drogue est injectée par intraveineuse. La divulgation du brevet indique que les résultats faisant état d'une toxicité aigue ont été [traduction] « obtenus grâce à l'administration intraveineuse à des souris » et ces résultats ne fournissent pas de données sur la toxicité relativement à l'administration orale. Les données figurant dans les monographies de produit FLOXIN et LEVAQUIN paraissent présenter des conclusions contradictoires en ce qui concerne le dosage oral donné aux souris, et le brevet '080 n'est pas censé porter sur une telle administration orale.

[121]        Il incombe à Janssen de s'acquitter de la charge de persuasion de démontrer que les allégations ne sont pas justifiées et son témoin, Mme Arnott, a fait une déposition qui a résisté au contre-interrogatoire de Novopharm grâce à l'explication adéquate qu'elle a fourni sur la différence entre les résultats de l'administration orale et intraveineuse des dosages. De plus, Novopharm a toujours le fardeau de présentation et elle n'a pas présenté d'affidavit pour contrer les conclusions de Mme Arnott. Par conséquent, je suis d'avis que Janssen a démontré que l'allégation d'invalidité de Novopharm sur ce fondement n'est pas justifiée.


Contrefaçon

[122]        Malgré le fait que ma conclusion quant à la question de l'évidence suffit pour rejeter la demande visant l'obtention d'une ordonnance d'interdiction, je traiterai brièvement de la question de la contrefaçon. Les deux parties conviennent que les seules revendications en cause quant à la contrefaçon sont les revendications 2, 4, 7 à 9 et 17 à 19. Comme je l'ai déjà indiqué, les revendications relatives au procédé (1, 3, 5, 10 et 11) ne sont pas en litige. La revendication 6 ne l'est pas non plus puisqu'elle revendique un composé qui n'est pas la lévofloxacine étant donné que la formule contient de l' « éthyle » plutôt que du « méthyle » . Les revendications 12 à 16 ne sont pas en litige puisque la demanderesse a reconnu qu'elles portent clairement sur des sels de la lévofloxacine.

[123]        À mon avis, les revendications les plus importantes quant aux allégations de contrefaçon sont les revendications 2, 4, 17 et 18. Elles sont rédigées comme suit :

[traduction]

2. Un composé S(-)-pyridobenzoxazine représenté par la formule générale (VI)


où X1 représente un atome d'halogène, R1 un groupe alkyle constitué de 1 à 4 atomes de carbone, et R3 un groupe alkyle constitué de 1 à 3 atomes de carbone.

4. Acide S(-)-9-fluoro-3-méthyl-10-(4-méthyl-1-pipérazinyl)-7- oxo-2,3-dihydro-7H-pyrido [ 1,2,3-de] [ 1,4] benzoxazine-6-carboxylique.

17. Un composé de formule générale (VI) définie à la revendication 2 et ses sels acceptables en sur le plan pharmaceutique, où ce composé est un hydrate.

18. Une composition pharmaceutique comprenant un composé de formule générale (VI) définie à la revendication 2 ou ses sels acceptables sur le plan pharmaceutique et l'un ou plusieurs composés choisis dans le groupe constitué des produits suivants : véhicules, charges, diluants, liants, humectants, accélérateurs d'absorption, mouillants, adsorbants, lubrifiants, agents de solubilisation, émulsifiants, stabilisateurs, agents de préservation.

[124]        La demanderesse fait valoir qu'il est clair que le produit de Novopharm, décrit dans l'AA comme étant de la lévofloxacine hémihydrate fabriquée à partir de l' « acide libre » du composé plutôt que du sel du composé, contrefera les revendications 2 et 17 du brevet '080. Elle affirme que ces dernières sont interdépendantes et qu'elles incluent toutes deux de la lévofloxacine hémihydrate. La formule donnée à la revendication 2 mélangée à 1/2 mole d'eau forme la lévofloxacine hémihydrate. La revendication 17 renvoie au composé de la revendication 2 où le composé est un hydrate.

[125]        Dans son affidavit, M. Klibanov indique que la revendication 17 ne peut se limiter aux hydrates d'un sel de lévofloxacine et que le produit de Novopharm, en tant que lévofloxacine hémihydrate, sera couvert par les revendications 2 et 17 ainsi que par les revendications 4, 7 à 9, 18 et 19. Comme Novopharm admet qu'elle fabriquera des comprimés contenant la lévofloxacine hémihydrate ainsi qu'un véhicule, son produit contrefera aussi la revendication 18 du brevet.


[126]        Novopharm prétend que son produit à base de lévofloxacine hémihydrate ne contrefera pas la revendication 17 parce qu'il sera fabriqué à partir de l'acide libre du composé et non du sel du composé. La formulation de Novopharm ne contient pas de sel. Novopharm souligne que la revendication 17 doit être lue avec la revendication 18, en ce sens que la revendication 17 exige, en raison du mot « et » , la présence de « sels pharmaceutiques » du composé défini à la revendication 2 où ce composé est un hydrate. L'avocat a insisté sur le fait que le libellé de la revendication 18 où est utilisé le mot « ou » doit être évalué et différencié de celui utilisé à la revendication 17, et que cela indique que la préparation revendiquée au point 17 est le composé décrit à la revendication 2 seulement lorsqu'il s'agit d'un sel d'une forme pharmaceutique acceptable.

[127]        Novopharm soutient que la prétention de Janssen selon laquelle les revendications 2, 4, 6, 8 , 9 et 18 comprennent toutes les formes, y compris divers hydrates, produits de solvatation ou formes polymorphiques de la lévofloxacine, ne peut tenir. Compte tenu de l'opinion de l'expert de Janssen selon laquelle environ 90 % des molécules sont des isomères optiques S(-) de l'ofloxacine, les revendications du brevet ne peuvent couvrir la forme hémihydratée de la lévofloxacine, car pour que celle-ci puisse exister, l'énantiomère S(-) de l'ofloxacine serait lié à 1/2 molécule d'eau, ce qui signifie qu'1/3 des molécules de la lévofloxacine hémihydrate ne correspondraient pas à la définition d'énantiomère S(-) revendiquée dans le brevet.

[128]        À mon avis, l'interprétation de Novopharm ne peut être acceptée. Comme l'a souligné Janssen, l'expert de Novopharm, M. Caldwell, a en fait reconnu en contre-interrogatoire que la lévofloxacine hémihydrate est couverte par la revendication 17. Novopharm a décrit son produit dans l'AA comme étant de la lévofloxacine hémihydrate. De plus, l'interprétation de Novopharm ne tient pas compte des derniers mots de la revendication 17 : « où ce composé est un hydrate » . Il convient d'interpréter la revendication 17 comme couvrant la lévofloxacine dans toute forme hydrate, notamment ses sels acceptables sur le plan pharmaceutique. Je n'accepte cependant pas l'affirmation de Janssen selon laquelle « S(-) » - qui désigne principalement S(-) ou l'isomère optique d'ofloxacine S(-) sous une forme essentiellement pure - indique que l'eau ne peut exister sous la forme de composé. Le brevet '080 indique expressément que le composé sous forme hydrate est couvert par la revendication 17.

[129]        Je suis donc d'avis que le produit de Novopharm à base de lévofloxacine hémihydrate contreferait les revendications 2 et 17 du brevet '080 si celui-ci était valide.

Dépens


[130]        En ce qui concerne Novopharm et les demanderesses, Novopharm a droit, sous réserve d'une disposition à l'effet contraire dans une autre ordonnance de la Cour, à ses dépens, lesquels doivent être calculés selon le barème ordinaire, à moins que, dans les quatorze jours suivant la date de la présente ordonnance, Novopharm ne demande à la Cour de rendre une ordonnance pour que ses dépens soient calculés différemment. Advenant une telle demande, les demanderesses auront le droit de signifier et de déposer une réponse et Novopharm pourra signifier et déposer une réponse à cette réponse, le tout conformément aux Règles de la Cour. Une telle demande sera faite conformément à l'article 369 des Règles ou pourra être présentée à l'endroit, à la date et à l'heure qui conviendra à la Cour et aux avocats.

[131]        Aucuns dépens ne seront adjugés en faveur ou à l'encontre du défendeur, le ministre de la Santé.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que soit rejetée la demande visant l'obtention d'une ordonnance interdisant au ministre de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Novopharm Limited. Les dépens sont adjugés à la défenderesse de la façon indiquée aux paragraphes 130 et 131 des motifs de la présente ordonnance.

« Richard G. Mosley »

Juge

Traduction certifiée conforme

Sandra D. de Azevedo, LL.B.


ANNEXE « A »

Définitions utilisées dans les présents motifs

Isomères : différents composés qui ont la même formule moléculaire.

Stéréochimie, stéréoisomères : termes s'appliquant à l'orientation spatiale tridimensionnelle de composés constitués d'atomes. Les stéréoisomères ont la même formule moléculaire, mais les liaisons liant les atomes sont arrangées différemment dans l'espace.

Énantiomères : stéréoisomères qui sont l'image l'un de l'autre dans un miroir, donc non superposables, comme, par analogie, nos mains. Souvent appelés « isomères optiques » .

Isomères optiques, énantiomères : isomères qui sont optiquement actifs, mais qui ont des propriétés physiques et chimiques différentes de celles de leur « racémate » et qui peuvent être considérés comme des composés distincts de leur racémate.

Composés chiraux, chiralité : les composés non superposables, à la manière d'images dans un miroir, sont appelés chiraux. Ces composés possèdent un centre chiral et, dans les composés carbonés, comme l'ofloxacine, le centre chiral est un atome de carbone lié à quatre différents atomes ou groupes d'atomes, chaque groupe étant différent. La chiralité confère à une molécule une forme tridimensionnelle spécifique.


Symboles « R » et « S » : employés par les chimistes pour distinguer les isomères optiques d'après l'arrangement spatial de leurs atomes fixés au centre chiral. Lorsque le sens de l'atome ou groupe d'atomes - lié au carbone chiral - de priorité maximale à priorité minimale, telle que déterminée par le numéro atomique, correspond à celui des aiguilles d'une montre, alors il s'agit de l'isomère « R » ; si le sens est contraire à celui des aiguilles d'une montre, c'est l'isomère « S » . Pour illustrer graphiquement cet arrangement, les chimistes utilisent une liaison chimique qui se projette, sous forme de coin uni, à partir du plan du papier vers l'observateur, et une autre qui se projette, sous forme de coin hachuré, vers le bas en s'éloignant de l'observateur.

Symboles « (-), (+) et (") » : employés par les chimistes pour distinguer les isomères optiques selon leur activité optique, c.-à-d. le sens dans lequel ils font tourner le plan de la lumière polarisée. Les isomères optiques qui font tourner ce plan vers la droite, dans le sens des aiguilles d'une montre, sont « dextrogyres » et désignés par les symboles (+) ou (d) pour « dextro » . Les isomères optiques qui font tourner ce plan vers la gauche, dans le sens contraire des aiguilles d'une montre, sont « lévogyres » et désignés par les symboles (-) ou (l) pour « lévo » .

Mélanges racémiques, racémates : substances contenant des quantités égales de deux isomères optiques et généralement représentées par les symboles ("), (+/-), (R/S) ou (dl), mais ces symboles ne sont pas toujours présents pour désigner le racémate. Ces substances ne font pas tourner le plan de la lumière polarisée et, par conséquent, ne sont pas « optiquement actives » . La rotation causée par les molécules (-) est annulée par la rotation égale et opposée des molécules (+). Exemple : l'ofloxacine est un racémate constitué de quantités égales de deux isomères optiques, l'ofloxacine (+) et l'ofloxacine (-); on l'appelle parfois l'ofloxacine (").


Formes hydratées : forme d'un composé dont la structure solide cristallisée renferme de l'eau; un composé qui cristallise en l'absence d'eau est un « anhydrate » . Lorsqu'il y a deux molécules d'eau dans la structure cristallisée pour chaque molécule de composé, il s'agit d'un « dihydrate » ; s'il y a une molécule d'eau pour chaque molécule de composé, on est en présence d'un « monohydrate » ; enfin, une molécule d'eau pour deux molécules de composé correspondent à un « hémihydrate » .


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                    T-214-03

INTITULÉ :                                                   JANSSEN-ORTHO INC. et

DAIICHI PHARMACEUTICAL CO., LTD.

et

NOVOPHARM LIMITED et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

                                                                              

LIEU DE L'AUDIENCE :                             Ottawa (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                           le 25 mai 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   Le juge Mosley

DATE DES MOTIFS :                                  le 19 novembre 2004

COMPARUTIONS :

Anthony Creber                                                POUR LES DEMANDERESSES

Cristin Wagner                                                 (Janssen-Ortho Inc.)

Michael Charles                                                (Daiichi Pharmaceutical Co., Ltd)

David Aitken                                                    POUR LES DÉFENDEURS

J. Bradley White                                               (Novopharm Limited)

Frederick B. Woyiwada                                   (Ministre de la Santé)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ANTHONY CREBER                                     POUR LES DEMANDERESSES

CRISTIN WAGNER                                       (Janssen-Ortho Inc.)

Gowling Henderson Lafleur LLP

Ottawa (Ontario)

MICHAEL CHARLES                                    (Daiichi Pharmaceutical Co., Ltd)

Bereskin & Parr                                              

Toronto (Ontario)

DAVID AITKEN                                            POUR LA DÉFENDERESSE

J. BRADLEY WHITE                                     (Novopharm Limited)

Osler, Hoskin & Harcourt LLP

Ottawa (Ontario)

MORRIS ROSENBERG                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)



[1]Brevet américain no 5,053,407.

[2] Brevet américain no 4,382,892.

[3] Je ne renvoie pas ici au brevet américain 4,314, 081 étant donné qu'il n'était pas cité dans l'AA en tant qu'antériorité.


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