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Date : 20010717

Dossier : T-662-01

OTTAWA (Ontario), le 17 juillet 2001

EN PRÉSENCE DE Monsieur le juge Rouleau

ENTRE :

HELIODORE AUCOIN, LUCIEN CHIASSON, ROMEO CORMIER, AURÉLIEN HACHÉ, GUY HACHÉ, RHÉAL HACHÉ, ROBERT F. HACHÉ, JEAN-PIERRE LeBOUTHILLIER, ALBANIE NOËL, ALPHÉE NOËL, JOSEPH NOËL, LÉVI NOËL, LORENZO NOËL, MARTIN NOËL, MATHURIN NOËL, NICHOLAS NOËL, ONÉSIME NOËL, RÉNALD NOËL, RAYMOND NOËL, SERGE NOËL, JEAN-CAMELLE ROUSSEL, DONAT VIENNEAU et RHÉAL VIENNEAU

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA; FONDS DE SOLIDARITÉ DE L'INDUSTRIE DU CRABE DES NEIGES INC.; et PARTENARIAT DU CRABE DES NEIGES INC.

défendeurs

ORDONNANCE

[1]         La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision que le ministre a prise en vue du transfert de 20 p. 100 du contingent au Partenariat est nulle et non avenue et elle excède les pouvoirs conférés au ministre par la Loi sur les pêches. La décision est annulée; de plus, il est interdit au ministre de mettre le plan en oeuvre.


[2]         Je suis prêt à entendre les observations des demandeurs au sujet de l'adjudication des dépens. Les demandeurs déposeront et signifieront leurs observations au plus tard le 1er août 2001 et les défendeurs déposeront et signifieront leur réponse au plus tard le 17 août 2001.

« P. Rouleau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


Date : 20010717

Dossier : T-662-01

Référence neutre : 2001 CFPI 800

ENTRE :

HELIODORE AUCOIN, LUCIEN CHIASSON, ROMEO CORMIER, AURÉLIEN HACHÉ, GUY HACHÉ, RHÉAL HACHÉ, ROBERT F. HACHÉ, JEAN-PIERRE LeBOUTHILLIER, ALBANIE NOËL, ALPHÉE NOËL, JOSEPH NOËL, LÉVI NOËL, LORENZO NOËL, MARTIN NOËL, MATHURIN NOËL, NICHOLAS NOËL, ONÉSIME NOËL, RÉNALD NOËL, RAYMOND NOËL, SERGE NOËL, JEAN-CAMELLE ROUSSEL, DONAT VIENNEAU et RHÉAL VIENNEAU

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA, représentée par

LE MINISTRE DES PÊCHES ET DES OCÉANS, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA; FONDS DE SOLIDARITÉ DE L'INDUSTRIE DU CRABE DES NEIGES INC.; et PARTENARIAT DU CRABE DES NEIGES INC.

défendeurs

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]                Les demandeurs, qui pêchent le crabe des neiges sur la côte est du Nouveau-Brunswick, sollicitent au moyen d'un contrôle judiciaire l'annulation de la décision du ministre des Pêches et des Océans par laquelle le ministère a imposé une redevance aux titulaires de permis traditionnels de pêche au crabe des neiges pour la saison de pêche 2001, en plus des droits exigibles pour les permis; les demandeurs allèguent que le ministre n'est pas autorisé à prendre cette mesure.

[2]                Seul le ministre des Pêches et des Océans a comparu à l'audition de la demande de contrôle judiciaire. Fonds de solidarité de l'industrie du crabe des neiges Inc. et Partenariat du crabe des neiges Inc. n'étaient pas représentés.

[3]                Pour comprendre la question en litige, il est essentiel de faire un bref historique des événements qui ont entraîné la délivrance d'une directive par le ministère des Pêches et des Océans, au mois d'avril 2001.

[4]                Environ 130 pêcheurs de crabe des neiges sont titulaires de permis aux fins de la capture dans le secteur 12, qui est un secteur situé du côté ouest du golfe du Saint-Laurent, comprenant des personnes résidant sur les côtes du Nouveau-Brunswick, du Québec et de Terre-Neuve, en bordure du golfe.

[5]                Dès 1995, par suite de modifications apportées à la Loi sur l'assurance-chômage qui était alors en vigueur, il est devenu évident que les employés des usines de traitement du crabe des neiges ne pouvaient pas effectuer un nombre suffisant de semaines afin d'être admissibles aux prestations lorsque leur emploi saisonnier prenait fin.


[6]                À un moment donné, au cours de l'automne 1995, les représentants du ministère des Pêches et des Océans (ci-après le ministère) ont entamé des discussions avec les pêcheurs de crabe des neiges du secteur 12 en vue de mettre en oeuvre un programme visant à subventionner les employés des usines de traitement du crabe des neiges. L'objet du programme était de créer un fonds auquel les pêcheurs de crabe des neiges contribueraient avec le Nouveau-Brunswick. Le fonds devait organiser des projets de création d'emplois avec le concours de la province du Nouveau-Brunswick; les travailleurs d'usine qui étaient mis à pied, ainsi que certains membres de l'équipage de bateaux de pêche, devaient être embauchés; ils accumuleraient ainsi un nombre suffisant de semaines d'emploi assurable afin d'être admissibles aux prestations. Il importe de noter en passant qu'au mois de juin 1996, le gouvernement du Canada a apporté certaines modifications à la Loi sur l'assurance-emploi qui est en vigueur depuis le 1er janvier 1997, lesquelles modifiaient les règles d'admissibilité, les semaines étant remplacées par des heures d'emploi assurable aux fins de l'admissibilité aux prestations.


[7]                Depuis un certain nombre d'années, le ministère des Pêches et des Océans envisageait la création d'un partenariat aux fins de la gestion des pêches. Il existait déjà dans certains secteurs un système de cogestion permettant aux pêcheurs de collaborer directement à la gestion des pêches. Divers groupes avaient été invités à participer au processus décisionnel et, dans certains cas, ces groupes partageaient les frais de gestion des pêches. La nouvelle initiative devait inclure les personnes qui travaillaient à terre dans diverses usines de traitement du poisson; le but ultime était de partager la responsabilité entre les divers intéressés en matière de gestion de l'industrie de la pêche et de fournir des emplois à long terme.

[8]                En prévision de la création du partenariat et sur une base purement volontaire, les pêcheurs de crabe des neiges qui détenaient des permis étaient prêts à venir en aide à leurs collègues travaillant dans l'industrie; une entente de principe a été conclue au mois de février 1996 entre les représentants du ministère et diverses associations représentant les pêcheurs de crabe des neiges qui détenaient des permis. Il a été convenu que les recettes brutes réalisées par les divers pêcheurs seraient en partie versées dans un fonds et serviraient à financer la réalisation des projets de création d'emplois destinés aux personnes travaillant à terre dans des usines de traitement du crabe des neiges qui étaient mises à pied. Il s'agissait d'une entente conditionnelle; il y était stipulé ce qui suit :

Une entente de partenariat entre le ministère des Pêches et des Océans et les 130 pêcheurs de crabe des neiges de la Zone 12 lorsqu'une telle entente sera légalement possible selon la nouvelle Loi sur les pêches.

[Non souligné dans l'original.]

[9]                Le défendeur Fonds de solidarité de l'industrie du crabe des neiges Inc. (ci-après le Fonds) est une société à but non lucratif qui a été constituée le 22 mai 1997. Le défendeur Partenariat du crabe des neiges Inc. (ci-après le Partenariat) n'a été constitué que le 10 mai 1999 à la demande du ministre. Le Partenariat ne possède pas et n'exploite pas de bateaux de pêche et il ne se livre pas à des activités de pêche au sens de la Loi sur les pêches (la Loi).


[10]            La preuve non contestée du déposant Aurélien Haché, qui est l'un des demandeurs, énonce dans ses grandes lignes les modalités du programme. Chaque année, au printemps, les représentants du ministère publiaient une directive prévoyant que 20 p. 100 du contingent traditionnel alloué à chaque pêcheur devait être retenu et transféré au Partenariat. Sur paiement par chaque pêcheur au Partenariat d'une somme d'argent, qui était fonction du contingent total du pêcheur par livre, le Partenariat avisait le ministère que le pêcheur en question avait contribué la somme due sur sa prise par livre; la somme d'argent était virée au Fonds et les représentants du ministère libéraient en faveur du pêcheur les 20 p. 100 qui avaient été retenus sur le contingent.

[11]            Tous les demandeurs ici en cause font partie d'une association appelée « Crabiers du Nord-Est Inc. » , dont le principal porte-parole est Aurélien Haché. Au mois de février 1996, l'un des demandeurs, Robert Haché, a signé l'entente préliminaire pour leur compte. Le ministre a alors rédigé le projet de loi C-62 de 1996, qui a été présenté en première lecture devant la Chambre des communes le 3 octobre 1996. Ce projet de loi apportait un certain nombre de modifications à la Loi et aux règlements sur les pêches; il était destiné à améliorer et à autoriser les « accords de gestion des pêches » qui avaient été conclus. Les paragraphes 17(1) à (4) du projet de loi auraient autorisé le ministre à conclure des accords de gestion des pêches et prévoyaient entre autres choses ce qui suit :

17(2) L'accord peut prévoir [...]

[...]

d) les obligations, responsabilités et mesures de financement liées à la gestion de cette pêche.


[12]            Malheureusement, le projet de loi C-62 est mort au feuilleton lors de la dissolution du Parlement, le 27 avril 1997.

[13]            Dans un communiqué de presse en date du mois de mai 1997 énonçant les grandes lignes d'un système de gestion de la pêche au crabe des neiges, il était expressément dit que, selon une entente qui était envisagée, on devait créer un fonds aidant les employés des usines de traitement du crabe des neiges afin d'accorder des semaines d'emploi aux travailleurs qui perdraient leur emploi saisonnier.

[14]            Les pêcheurs de crabe des neiges ont respecté les conditions de l'entente même si le projet de loi C-62 était mort au feuilleton et ils ont continué à verser volontairement les sommes requises au Partenariat; ils n'ont contesté leur obligation qu'au mois de février 2000 lorsque le déposant, M. Haché, a écrit au vérificateur général du Canada, L. Denis Desautels, pour remettre en question la légalité du programme. Dans sa réponse en date du 1er mars 2000, voici ce que le vérificateur a dit :

Plus précisément, une étude de cas de ce chapitre décrit nos préoccupations face à l'imposition d'une redevance aux pêcheurs, ce qui n'était pas prévu par la loi.

[15]            Dans son affidavit, M. Haché cite également un rapport en date du 17 juillet 2000 préparé par le vérificateur général du Canada dans lequel il est dit ce qui suit :

Les fonds de solidarité : imposition aux pêcheurs de frais qui ne semblent pas prévus par la loi


[16]            M. Desautels confirme qu'il s'est renseigné sur l'affaire et il reconnaît que les pêcheurs participaient au programme sur une base purement volontaire; il donne un bref historique de l'entente et conclut ce qui suit :

Nos préoccupations. Le Ministère participe aux décisions concernant les fonds et s'assure que la redevance est payée et virée au fonds de solidarité. À notre avis, par ces mesures, il a en fait imposé aux pêcheurs des frais d'accès à la ressource, ce qui ne semble pas prévu par la loi.

De plus, le Ministère n'a aucun mécanisme pour rendre compte de ses activités en regard des fonds. Il a déclaré qu'il n'a pas de lien de dépendance avec le fonds; il n'agit donc pas, selon nous, de façon transparente et responsable.

[17]            L'entente provisoire du mois de février 1996 prévoyait que les fonds versés par les pêcheurs devaient être remis au ministère des Pêches et des Océans, région des Maritimes. Étant donné que le projet de loi C-62 est mort au feuilleton, cela ne s'est pas produit. Les sommes ont donc été versées au Fonds plutôt que d'être versées de la façon prévue dans l'entente provisoire. (Voir la pièce C jointe à l'affidavit du 17 avril 2001 d'Aurélien Haché.)

[18]            Une fiche d'information publiée par le ministère des Pêches et des Océans le 9 avril 2001 indique clairement que les soi-disant ententes de partenariat prévoyaient la ratification par le Parlement puisque, à la page 4, la déclaration suivante est faite :

Quelle est la prochaine étape?

Le projet de loi qui autorisera le MPO à conclure des ententes de partenariat a été déposé au Parlement. La nouvelle Loi sur les pêches, si elle est adoptée, fournira les fondements juridiques de toute entente de partenariat. Jusqu'à l'adoption du projet de loi, il est impossible de conclure des ententes de partenariat exécutoires pour la gestion de la pêche.

[Non souligné dans l'original.]


[19]            Les représentants des pêches savaient sans aucun doute que le projet de loi C-62 était mort au feuilleton et ils étaient également sans aucun doute au courant dès le mois de juillet 2000 des préoccupations que le vérificateur général avait exprimées au sujet du bien-fondé du programme dans son ensemble. Néanmoins, le 10 avril 2001, un communiqué de presse a été publié par Pêches et Océans Canada. Ce communiqué renferme des détails au sujet du plan de gestion du crabe des neiges pour l'année 2001. Dans le corps du communiqué, après qu'il a été fait mention des secteurs 12, 25 et 26 du golfe du Saint-Laurent, il est dit ce qui suit :

Il est attendu que les participants à l'approche de cogestion continueront de respecter l'engagement pris envers le Fonds de solidarité, une initiative de l'industrie.

[20]            Dans son affidavit, M. Haché a déclaré que le 9 avril 2001, Monique Baker et Rhéal Vienneau, gestionnaires de la ressource au ministère affectés à Moncton (Nouveau-Brunswick), avaient confirmé au nom du ministre que, sur le contingent total alloué aux titulaires de permis de pêche traditionnels, le ministre devait transférer 2 125 tonnes au Partenariat comme il l'avait fait au cours de la saison de pêche précédente. Dans son affidavit, il déclare en outre savoir que le Partenariat devait conserver cette part du contingent tant que le ministre ne ferait pas savoir que les titulaires de permis de pêche au crabe des neiges avaient versé leur quote-part au Partenariat.


[21]            La procédure adoptée par le passé pour la saison de pêche 1999-2000, laquelle devait être suivie en 2001, est énoncée dans un document publié par la Direction de la gestion des ressources de Pêches et Océans Canada, à Moncton (Nouveau-Brunswick). Ce document est daté du 8 avril 2000; il est joint sous la cote S à l'affidavit de M. Haché. Il y est question des « formulaires de transfert temporaire » et de la procédure qui doit être suivie aux fins de l'allocation et de la cogestion de 2 125 tonnes de crabe des neiges. Il indique que le Partenariat doit obtenir un permis temporaire pour 2 125 tonnes et que, sur réception des fonds, le Partenariat doit donner des instructions au ministère au sujet de chaque pêcheur individuel. Le Partenariat doit ensuite transmettre la demande à la représentante du ministre, Monique Baker, à Moncton (Nouveau-Brunswick), celle-ci devant vérifier le montant dû par chaque pêcheur individuel; une fois la vérification effectuée, le formulaire de transfert approprié [TRADUCTION] « est remis à chaque pêcheur, qui doit le conserver à bord de son bateau » .

[22]            Le 10 avril 2001, Pêches et Océans Canada a publié un communiqué de presse intitulé : « Détails du Plan de gestion du crabe des neiges pour l'année 2001 dans les secteurs de pêche 12, 25 et 26 - Sud du golfe du Saint-Laurent » . Ce communiqué de presse dit ce qui suit : « Il est attendu que les participants à l'approche de cogestion continueront de respecter l'engagement pris envers le Fonds de solidarité, une initiative de l'industrie. »


[23]            Le 19 avril 2001, le ministère des Pêches et des Océans, par l'entremise de son directeur général régional, M. J.B. Jones, a informé les titulaires de permis dans les secteurs 12, 25 et 26 qu'encore une fois, compte tenu de l'entente de projet conjoint, Pêches et Océans allouerait au Partenariat une partie du contingent relatif au crabe des neiges.

[24]            À la suite du communiqué de presse du 10 avril et de la lettre du 19 avril 2001 du ministère, les demandeurs ont présenté la requête ici en cause le 30 avril 2001. Le 2 mai 2001, M. Haché, pour le compte de son association, a écrit au ministère, aux soins de Mme Baker, pour l'informer que la demande de contrôle judiciaire devait être entendue par la Cour fédérale le 22 mai 2001; il était convaincu que la plupart des pêcheurs de crabe des neiges rempliraient leur contingent au complet avant l'audition de l'affaire et il a proposé que les sommes d'argent qui devaient être versées au Fonds soient détenues en fiducie tant que l'affaire ne serait pas réglée. Le 10 mai 2001, Mme Baker a répondu qu'elle se fondait sur les instructions de son avocat et qu'elle ne s'engageait à rien.

[25]            Au moyen de lettres datées du 1er mai 2001, tous les demandeurs ici en cause ont transmis au ministère, aux soins de Mme Baker, des chèques en faveur du Partenariat, lesquels s'élevaient à 247 000 $ en tout.


[26]            Le 5 mai 2001, tous ces demandeurs avaient payé la redevance supplémentaire afin de libérer les 20 p. 100 qui avaient été retenus sur le contingent. Les 8 et 10 mai 2001, le ministère a délivré des permis saisonniers temporaires de pêche au crabe des neiges pour l'année 2001 au nom du Partenariat, représentant les 20 p. 100 qui avaient été retenus sur le contingent afférent au crabe des neiges; ces permis prenaient apparemment effet le 10 mai 2001 et devaient expirer peu de temps après.

[27]            Les défendeurs ne contestent pas les faits que j'ai énoncés et aucun des affidavits déposés par les représentants du ministère ne contredit de quelque façon que ce soit les circonstances et les faits ayant donné lieu au litige.

[28]            Dans le dossier de la requête des défendeurs, Monique Baker déclare travailler au ministère des Pêches et des Océans. Dans son affidavit, elle soutient qu'aucune lettre semblable à celle qui avait été envoyée pour la saison de pêche 2000 n'a été envoyée aux titulaires de permis respectifs pour l'année 2001 en vue de leur rappeler leur obligation. Elle affirme avoir télécopié un projet de lettre à M. Gauvin, indiquant que la lettre avait été préparée, mais qu'elle n'était pas encore datée et signée à la date de son affidavit, le 7 mai 2001.

[29]            J'ai examiné le projet de lettre préparé par le ministre des Pêches et des Océans conformément à l'autorisation donnée par un certain J.B. Jones, directeur général régional et, contrairement à ce que Mme Baker soutient, le ministère a envoyé pareille lettre aux pêcheurs le 19 avril 2001. (Voir la pièce A jointe à l'affidavit supplémentaire d'Aurélien Haché, en date du 25 avril 2001.)


[30]            J'ai également examiné un autre affidavit dans lequel Hilaire Chiasson, agent principal, Analyses économiques, au ministère des Pêches et des Océans, déclare avoir assisté à des réunions du conseil d'administration du Fonds. Il déclare que depuis le mois de septembre 1999, la participation du ministère était limitée à un observateur et à une personne-ressource et qu'il n'a pas le droit de voter aux réunions du conseil d'administration tenues par le Fonds. Cela est peut-être bien vrai, mais il doit certainement savoir que les seules ressources dont le Fonds disposait proviennent de la province du Nouveau-Brunswick et des pêcheurs de crabe. Je comprends parfaitement qu'il n'a peut-être pas le droit de voter aux réunions puisque l'on y détermine les projets de création d'emplois qui devraient être approuvés. Il est néanmoins au courant du programme.


[31]            Les défendeurs ont déposé un autre affidavit d'un certain Rhéal Vienneau, qui travaille également à Pêches et Océans Canada. Le déposant admet qu'un communiqué de presse a été publié le 10 avril 2001 et il déclare, au paragraphe 4, [TRADUCTION] qu' « [a]ucun contingent alloué aux demandeurs n'a été retenu et [qu']aucune condition des permis des demandeurs n'indique qu'un contingent a été "retenu" » . Au paragraphe 5, le déposant ajoute [TRADUCTION] qu' « [à] la date du présent affidavit, le défendeur Partenariat du crabe des neiges Inc. (le Partenariat) ne [s'était] pas vu attribuer de permis de pêche et [qu']aucun contingent ne lui [avait] été alloué pour le crabe des neiges » . Au paragraphe 7, il déclare ce qui suit : [TRADUCTION] « Ni le ministre ni le ministère ne doivent recevoir une confirmation des sommes que les demandeurs versent au Fonds comme condition de l'approbation d'une allocation de contingent. » Au dernier paragraphe, il affirme ce qui suit : [TRADUCTION] « Les sommes versées au Fonds ne font pas partie des sommes versées en vertu de l'entente de projet conjoint. Les demandeurs dans ce cas-ci ne sont pas parties à l'entente de projet conjoint. » Cet affidavit a été souscrit le 7 mai 2001.

[32]            Cet affidavit est rédigé de façon à tenter d'éviter indirectement les faits; il est évident que le ministère a attribué des contingents ou des permis au Partenariat le lendemain même, soit le 8 mai 2001. Il est inconcevable que des représentants du ministère travaillant si près les uns des autres n'aient pas été au courant des sommes transmises à Mme Baker, lesquelles étaient payables au Partenariat, et qu'ils n'aient pas su que les permis avaient été transférés au Partenariat. (Voir la pièce B jointe à l'affidavit du 11 mai 2001 d'Aurélien Haché).


[33]            M. Vienneau ne saurait soutenir qu'il n'était pas au courant de l'existence de l'entente de projet conjoint et des sommes versées au Partenariat. Il est convenu qu'aucune entente officielle n'a été conclue puisque le projet de loi C-62 autorisant le ministre à mettre en oeuvre pareil programme est mort au feuilleton à la Chambre des communes, au printemps 1997. Néanmoins, la pièce C jointe à l'affidavit du 17 avril 2001 souscrit par Aurélien Haché est un projet d'entente qui a été signé le 8 février 1996. À la première page de cette entente, on indique le pourcentage des recettes que les pêcheurs doivent transmettre au Fonds. Cette entente a été signée non seulement par les diverses associations représentant les pêcheurs de crabe des neiges et par M. Robert Haché, qui est l'un des demandeurs, mais elle a aussi été signée par le déposant, Rhéal Vienneau, pour le compte du ministère.

[34]            Le défendeur soutient qu'aucun contingent n'a été retenu ou transféré au Partenariat, qu'aucune directive prévoyant le versement de certaines sommes au Fonds n'a été donnée et qu'aucun élément de preuve n'étaye les allégations, ce que le ministre appuie expressément.

[35]            L'appréciation des faits qui sont étayés par les documents contredit tout à fait cette allégation. Il suffit de consulter la pièce O jointe à l'affidavit du 17 avril 2001 qu'Aurélien Haché a souscrit. Il indique non seulement que les permis sont transférés temporairement au Partenariat, mais aussi que le ministère fait savoir quel formulaire les pêcheurs devraient remplir après avoir versé les sommes requises. La pièce B jointe à l'affidavit supplémentaire d'Aurélien Haché, en date du 11 mai 2001, fait état d'un permis transférant expressément environ 1 345 tonnes du contingent relatif au crabe, lequel a été délivré au nom du Partenariat les 8 et 10 mai. La pièce E jointe au même affidavit indique le pourcentage du contingent qui a été retenu et finalement remis aux pêcheurs individuels par le Partenariat.


[36]            La preuve dans son ensemble étaye clairement la prétention selon laquelle les demandeurs ici en cause se sont volontairement engagés à verser certaines sommes en fonction du contingent qui leur était alloué en vue de tenter de remédier aux problèmes auxquels les travailleurs saisonniers faisaient face. Je ne doute aucunement que les représentants du ministère des Pêches et des Océans ont aidé aux négociations et à mettre en place cette entente. Les faits indiquent clairement qu'une partie du contingent était retenue et que les sommes versées au Partenariat constituaient une redevance ou une condition additionnelle illégale. Il existe un bon nombre d'éléments de preuve non contestés montrant que ce n'était qu'une fois la redevance additionnelle payée que les 20 p. 100 retenus sur le contingent alloué aux pêcheurs étaient de nouveau alloués.

[37]            Le défendeur allègue en outre qu'il n'existe aucune décision à examiner et que cette demande est prématurée.

[38]            Dans un communiqué de presse daté du 10 avril 2001, le ministre défendeur déclare ce qui suit :

« Détails du Plan de gestion du crabe des neiges pour l'année 2001 dans les secteurs de pêche 12, 25 et 26 - Sud du golfe du Saint-Laurent

[...]

Il est attendu que les participants à l'approche de cogestion continueront de respecter l'engagement pris envers le Fonds de solidarité, une initiative de l'industrie.


[39]            Ce communiqué montre clairement que le plan devait être exécuté comme par les années passées. Je ne doute aucunement que les retenues effectuées sur le contingent à l'égard des sommes à verser au Fonds faisaient partie intégrante du plan pour la saison de pêche 2001 du crabe des neiges.

[40]            Il ressort encore une fois fort clairement de la preuve que, les 8 et 10 mai 2001, le ministre avait mis en branle le plan pour la saison 2001 de pêche du crabe des neiges en allouant une partie du contingent au Partenariat. Il est également évident qu'au mois de mai 2001, les demandeurs ont versé des sommes au Fonds en vue de recevoir le contingent qui avait été retenu. Ils ont rempli les formulaires nécessaires aux fins de la réallocation du contingent. En particulier, le « Formulaire de transfert temporaire » a été rempli par les demandeurs et approuvé par un fonctionnaire du ministère des Pêches et des Océans. Je conclus que la demande de contrôle judiciaire ici en cause n'est aucunement prématurée ou conjecturale.

[41]            Le défendeur affirme en outre que le pouvoir discrétionnaire que possède le ministre conformément au régime administratif de la Loi est fort étendu et que les articles 7 de la Loi et 22 du Règlement confèrent au ministre le pouvoir de délivrer des permis temporaires au Partenariat et, en fait, de créer des permis conditionnels valides.


[42]            L'article 7 de la Loi sur les pêches, L.R.C. (1985), ch. F-14, est ainsi libellé :


7.(1) En l'absence d'exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d'exploitation de pêcheries - ou en permettre l'octroi -, indépendamment du lieu de l'exploitation ou de l'activité de pêche.

(2) Sous réserve des autres dispositions de la présente loi, l'octroi de baux, permis et licences pour un terme supérieur à neuf ans est subordonné à l'autorisation du gouverneur général en conseil.

7.(1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.

(2) Except as otherwise provided in this Act, leases or licences for any term exceeding nine years shall be issued only under the authority of the Governor in Council.


[43]            Selon certains éléments de preuve, les permis de pêche du crabe des neiges ont été délivrés au Partenariat, qui ne possédait aucun bateau de pêche et qui n'exerçait aucune activité de pêche. Le ministre possède un pouvoir discrétionnaire absolu, mais il est précisé qu'il peut octroyer des permis de pêche et des licences d'exploitation; il n'est pas dit qu'il peut aider à mettre sur pied un programme de prestations d'assurance-chômage et percevoir des redevances additionnelles. La conduite du ministre à cet égard n'est fondée sur aucun pouvoir et elle n'est conforme à aucune fin prévue par la loi. La Loi sur les pêches vise à protéger et à réglementer les pêches, et les mesures prises par le ministre excédaient sans aucun doute le pouvoir discrétionnaire qui lui était conféré.

[44]            Dans l'arrêt Matthews c. Canada (Procureur général), [1999] A.C.F. no 830, Monsieur le juge Marceau, au nom de la Cour d'appel, a fait les remarques suivantes :


Nous sommes d'accord avec le juge des requêtes pour dire que, en exerçant le pouvoir que lui confère l'article 7 de la Loi sur les pêches de délivrer à sa « discrétion » un permis de pêche, le ministre des Pêches et des Océans ne peut pas attacher au permis des limitations ou des conditions dont le seul but soit d'imposer des sanctions pour la conduite passée du requérant. Si largement exprimé que soit le pouvoir discrétionnaire accordé au ministre de délivrer ou non un permis, les réserves qu'il peut attacher à un permis doivent viser nécessairement et strictement à favoriser les objectifs pour lesquels existe son pouvoir, à savoir la gestion des pêches et la conservation et la protection du poisson.

[45]            En l'espèce, je suis convaincu que le ministre n'était pas de bonne foi en agissant comme il l'a fait. Dans l'arrêt Comeau Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, page 26, Monsieur le juge Major, au nom de la Cour suprême du Canada, a dit ce qui suit, au paragraphe 37, en parlant de l'article 7 de la Loi sur les pêches :

[...] Les permis sont un outil dans l'arsenal de pouvoirs que la Loi sur les pêches confère au Ministre pour gérer les pêches. Ils permettent de restreindre l'accès à la pêche commerciale, de limiter le nombre de pêcheurs et de navires et d'imposer des restrictions quant aux engins de pêche utilisés et à d'autres aspects de la pêche commerciale.

[46]            Un régime visant à apporter de l'aide financière aux employés saisonniers travaillant dans les usines de traitement du poisson de la région qui ne sont plus admissibles aux prestations d'assurance-emploi n'a absolument rien à voir avec l'octroi de baux ou de licences aux fins de la gestion et du contrôle des pêches et de la conservation et de la protection du poisson.


[47]            À la fin de l'audience, l'avocat du ministre des Pêches et des Océans a fait savoir qu'il voulait soumettre des arguments additionnels par écrit; ces arguments ont été transmis à la Cour au moyen d'une lettre datée du 24 mai 2001. Cette lettre est ainsi libellée :

[TRADUCTION]

Le pouvoir que le ministre des Pêches et des Océans possède en vue de conclure une entente de projet conjoint et de traiter les sommes reçues conformément à l'entente est fondé sur le pouvoir général que possède le ministre en vue de passer un contrat qui lie la Couronne ainsi que sur le paragraphe 21(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques.

Le pouvoir que possède le ministre, en ce qui concerne la première proposition, est énoncé dans l'arrêt La Reine c. CAE Industries [1986] 1 C.F. 129 (C.A.F.), à la page 165, où Monsieur le juge Stone a dit ce qui suit :

Je suis convaincu que dans la décision qu'elle a rendue dans l'affaire Verreault, la Cour suprême du Canada voulait déroger à ce qui était considéré comme la prudence juridique en matière de contrat, c'est-à-dire qu'un ministre de la Couronne n'est pas habilité à lier la Couronne par contrat à moins que le pouvoir d'agir ainsi ne soit prévu dans une loi ou un décret. Si je comprends bien, il est statué que, suivant les règles générales du mandat et notamment celles concernant le mandat apparent, un ministre de la Couronne est habilité, en sa qualité de chef d'un ministère, à lier la Couronne par contrat à moins que ce pouvoir ne soit restreint par une loi.

Le paragraphe 21(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques prévoit ce qui suit :

Fonds reçus à des fins particulières

21. (1) Les fonds visés à l'alinéa d) de la définition de « fonds publics » à l'article 2 et qui sont reçus par Sa Majesté, ou en son nom à des fins particulières et versés au Trésor peuvent être prélevés à ces fins sur le Trésor sous réserve des lois applicables.

L'expression « fonds publics » est définie comme suit :

Fonds appartenant au Canada, prélevés ou reçus par le receveur général ou un autre fonctionnaire public agissant en sa qualité officielle ou toute autre personne autorisée à en prélever ou recevoir. La présente définition vise notamment:

[...]


d) les fonds prélevés ou reçus par un fonctionnaire public sous le régime d'un traité, d'une loi, d'une fiducie, d'un contrat ou d'un engagement et affectés à une fin particulière précisée dans l'acte en question ou conformément à celui-ci.

[48]            En réponse, l'avocat des demandeurs soutient qu'aucun élément de preuve ne montre que les sommes versées par ses clients ont été transférées au Trésor; il affirme que le paragraphe 21(1) de la Loi sur la gestion des finances publiques ne s'applique donc pas en l'espèce. En outre, pendant toute la durée du litige, le ministre a soutenu qu'il n'avait pas reçu de fonds des demandeurs. Il est possible de faire une distinction à l'égard de la décision La Reine c. CAE Industries, [1986] 1 C.F. 129. En effet, dans l'affaire CAE Industries, le Cabinet avait conféré aux ministres un pouvoir de signature au nom du gouvernement. Or, en l'espèce, aucun élément de preuve ne montre que le Cabinet ait approuvé l'entente de projet conjoint ou qu'il ait autorisé la conclusion de cette entente.


[49]            Dès 1997, lorsque le projet de loi C-62 est mort au feuilleton, le ministre a perdu le pouvoir discrétionnaire de négocier pareille entente, qui prévoyait la retenue d'une partie du contingent. Tous les fonctionnaires concernés au sein du ministère des Pêches et des Océans le savaient fort bien. En 2000, le vérificateur général du Canada s'est montré fort inquiet et a déclaré que le ministère excédait les limites de ses attributions. La preuve dans son ensemble étaye la thèse avancée par les demandeurs ici en cause, à savoir qu'une retenue était effectuée sur le contingent tant qu'ils ne payaient pas leur quote-part au Fonds. Je ne doute aucunement que le ministre des Pêches et des Océans ait excédé les limites de ses attributions en autorisant pareil programme et en permettant le transfert au Partenariat.

[50]            Je déclare donc que la décision que le ministre a prise en vue du transfert de 20 p. 100 du contingent au Partenariat est nulle et non avenue et qu'elle excède les pouvoirs conférés au ministre par la Loi sur les pêches. La décision est annulée; de plus, il est interdit au ministre de mettre le plan en oeuvre.

[51]            Dans un contrôle judiciaire, l'adjudication des dépens est discrétionnaire. Eu égard aux circonstances de la demande, je suis prêt à entendre les observations des demandeurs à ce sujet. Les demandeurs déposeront et signifieront leurs observations au plus tard le 1er août 2001 et les défendeurs déposeront et signifieront leur réponse au plus tard le 17 août 2001.


[52]            En ce qui concerne les sommes qui devaient être détenues en fiducie en vertu de l'ordonnance que j'ai rendue le 22 mai 2001, j'entendrai les observations des parties après l'expiration du délai d'appel.

« P. Rouleau »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 17 juillet 2001

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad.a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                              T-662-01

INTITULÉ DE LA CAUSE :                               HELIODORE AUCOIN et autres

c.

LA REINE et autres

LIEU DE L'AUDIENCE :                                   Fredericton (Nouveau-Brunswick)

DATE DE L'AUDIENCE :                                  le 22 mai 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :            Monsieur le juge Rouleau

DATE DES MOTIFS :                                         le 17 juillet 2001

ONT COMPARU

David Rogers                                                          POUR LES DEMANDEURS

Danys Delaquis

John Ashley                                                             POUR LES DÉFENDEURS

Ginette Mazerolle

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Gilbert, McGloan, Gillis                                           POUR LES DEMANDEURS

Saint-John (Nouveau-Brunswick)

Morris Rosenberg                                                    POUR LES DÉFENDEURS

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

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