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Date : 20011024

Dossier : T-1942-98

Référence neutre : 2001 CFPI 1148

ENTRE :

                                                             STELLA-JONES INC. et

                                                  AXA BOREAL ASSURANCES INC.

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                              - et -

                                                                 HAWKNET LTD.,

                                             SUNLIGHT COMPANIA NAVIERA S.A.,

                                             SEBILAN COMPANIA NAVIERA S.A. et

                          LES PROPRIÉTAIRES ET TOUTES AUTRES PERSONNES

                   AYANT UN DROIT SUR LE NAVIRE MARIANA (ex « ANEMELI » )

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                    MOTIFS DE L'ORDONNANCE

                                                (Exposés à l'audience à Montréal (Québec)

                                                              le mardi 23 octobre 2001)

LE JUGE HUGESSEN


[1]                 Il s'agit d'une requête en vue de suspendre la présente action et de renvoyer la demande en vue d'un arbitrage à Londres. La requête est présentée par les défendeurs, propriétaires du Mariana. L'action elle-même est intentée par les propriétaires et expéditeurs d'une grosse cargaison de poteaux télégraphiques qui ont été expédiés de Bécancour et de Pictou (Nouvelle-Écosse) à Lattaquié, en Syrie. Avant l'expédition même, les mandataires des propriétaires du navire ont conclu une note de chargement avec la demanderesse. Cette note de chargement a été consignée par écrit. Il s'agissait du formulaire type de la note de chargement « lignes régulières » et la partie pertinente de la page des signatures, qui curieusement est la page 2, est libellée ainsi :

[traduction] Il est convenu par les présentes que le présent contrat doit être exécuté conformément aux conditions prévues aux pages 1 et 2 des présentes qui auront préséance sur toute entente antérieure et qui seront à leur tour remplacées (sauf pour le faux-fret et la surestarie) par les conditions du connaissement dont les modalités figurent, en tout ou en partie, à l'endos des présentes.

[2]                 On notera que la clause a trait aux modalités figurant à la page 1 et aux modalités du connaissement se trouvant à l'endos. La copie même qui a été signée, ce qui ressort clairement de la preuve, n'était pas une page 1 ni ne portait aucun texte imprimé à l'endos. La feuille contenant les signatures était un fac-similé qui avait été transmis par télécopieur; ni la première page ni l'endos n'avaient été transmis.

[3]                 Au moment opportun, après la signature de la note de chargement « lignes régulières » , la cargaison a été chargée, ainsi que je l'ai mentionné, à Bécancour et à Pictou et un connaissement a été délivré à cet effet. Ce connaissement contient à l'endos une clause d'arbitrage « Centrocon » . Cette clause ne fait pas partie du formulaire imprimé du connaissement. Elle apparaît comme étant une modification apportée à ce formulaire imprimé. Elle est dactylographiée dans la marge à angle droit du texte imprimé. C'est la teneur de cette clause dont la présente requête réclame la mise en application en demandant la suspension de la présente action et le renvoi de l'affaire en arbitrage à Londres. Elle est rédigée ainsi :


[traduction] CE CONNAISSEMENT EST RÉGI PAR LE DROIT ANGLAIS. EN CAS DE DIFFÉREND OU DE RÉCLAMATION, L'AFFAIRE SERA RÉGLÉE PAR UN ARBITRAGE À LONDRES EN VERTU DU DROIT ANGLAIS. LA CLAUSE CENTROCON S'APPLIQUE, MODIFIÉE POUR STIPULER QUE LES ARBITRES DOIVENT ÊTRE MEMBRES DE LA L.M.A.A.

[4]                 La cargaison de poteaux a été dûment expédiée à Lattaquié et avait été déchargée en partie lorsqu'on a découvert que l'acheteur de la demanderesse, le gouvernement de la Syrie, refusait certains des poteaux, nommément ceux de 12 mètres. La demanderesse se trouvait alors dans la situation de devoir faire quelque chose avec des marchandises de valeur qui se trouvaient à quai à Lattaquié. Elle a amorcé de nouveau des négociations avec le mandataire du propriétaire. À cette étape-là, il y a eu changement de propriétaire et de nom du navire, mais, à mon avis, absolument rien ne tourne autour de cette question. La demanderesse a amorcé, ainsi que je l'ai dit, des négociations avec le mandataire du propriétaire et alors est intervenue entre eux une autre entente, qui a pris la forme d'un ajout à la note de chargement. En voici le texte :

[traduction] Ajout à la note de chargement en date du 3 mars 1998

Il est par les présentes convenu mutuellement que les poteaux de 12 mètres seront chargés de nouveau et retournés à Bécancour, au Canada, à bord du MV Anameli (qui sera renommé le MV Mariana). Les propriétaires en pondéreront les frais autant que possible en prenant à bord une autre cargaison. Le solde des frais sera supporté par Stella Jones Inc., frais qui devraient s'élever à 150 000 $US au moins.

Modifications logiques apportées à la note de chargement :

MV Anameli (renommé le Mariana)

Date du chargement aux alentours du 20 mai 1998

             De Lattaquié en Syrie à 1 GSB AAAA Bécancour au Canada (ou un autre port du Saint-Laurent qui pourrait être fixé plus tard par entente mutuelle)

Le tarif-marchandises ne sera pas applicable, mais tous les frais qui ne seront pas couverts par l'autre cargaison devront être payés par Stella Jones. Les frais de retour devraient s'élever à environ 350 000 $US payables sur réception des factures de Hawknet pour les dépenses encourues. Des copies des pièces justificatives disponibles des dépenses facturées devront être transmises après réception.


(s) Guy Walker                                                           (s) Joseph Kaddis

Guy Walker                                                                Joseph Kaddis

Hawket Ltd.                                                                Stella Jones

[5]                 Les marchandises ont ensuite été rechargées, le navire a quitté Lattaquié et, conformément aux termes de la modification, il est allé à la recherche d'une autre cargaison, qu'il a trouvée dans la mer Noire. Durant le voyage de retour de la mer Noire, pendant la traversée du Bosphore , un incendie s'est déclaré à bord et c'est à la suite de cet incendie que la présente réclamation a été présentée par la demanderesse pour les dommages-intérêts allégués et d'autres formes de réparation.

[6]                 Il s'agit donc de savoir si le propriétaire défendeur peut réclamer le recours à l'arbitrage à Londres à l'exclusion de la compétence de la Cour. À mon avis, cette question est réglée par la Loi sur l'arbitrage commercial et plus particulièrement le Code d'arbitrage commercial, qui est mis en vigueur par la Loi.

[7]                 Selon les dispositions de l'article 8 du Code, lorsque la Cour juge qu'il y a une clause d'arbitrage au sens du Code, elle ne peut exercer aucun pouvoir discrétionnaire mais doit renvoyer l'affaire à l'arbitrage conformément à cette clause. Ce qui nous importe grandement en l'espèce, ce sont les dispositions du paragraphe 7(2). Il se lit comme suit :


7(2) La convention d'arbitrage doit se présenter sous forme écrite. Une convention est sous forme écrite si elle est consignée dans un document signé par les parties ou dans un échange de lettres, de communications télex, de télégrammes et de tout autre moyen de télécommunications qui en atteste l'existence, ou encore dans l'échange d'une conclusion en demande et d'une conclusion en réponse dans lequel l'existence d'une telle convention est alléguée par une partie et n'est pas contestée par l'autre. La référence dans un contrat à un document contenant une clause compromissoire vaut convention d'arbitrage, à condition que le contrat soit sous forme écrite et que la référence soit telle qu'elle fasse de la clause une partie du contrat.

[8]                 En l'espèce, il est tout à fait clair qu'aucune clause d'arbitrage ne figurait par écrit à l'endos de la note de chargement. Il est tout à fait clair également, selon en effet la déposition même du défendeur, que les termes imprimés à l'endos du formulaire complet imprimé de la note de chargement étaient ceux du connaissement type « lignes régulières » . Ces termes ne comprennent pas de clause d'arbitrage. La clause d'arbitrage dont on recherche l'application en l'espèce est, comme je l'ai dit précédemment, insérée en tant que modification au connaissement type « lignes régulières » et à la note de chargement type « lignes régulières » et rien dans la preuve n'indique que la demanderesse ait jamais donné son consentement par signature à cette clause d'arbitrage. Aucun des documents signés par les parties ne fait mention de la clause « Centrocon » .

[9]                 C'est au défendeur, qui invoque les termes de la clause d'arbitrage, de prouver que cette clause d'arbitrage a été conclue, était en vigueur et est exécutoire conformément aux termes du Code d'arbitrage commercial. À mon avis, il n'a pas présenté une telle preuve.


[10]            J'ajouterai seulement que je n'attache aucune importance particulière à la preuve relative aux transactions intervenues antérieurement entre les parties. J'estime que cette preuve est peu concluante; elle ne démontre en aucune façon, à supposer qu'une telle preuve fût pertinente, que, dans tous les cas antérieurs, les parties avaient toujours donné leur consentement à une clause d'arbitrage « Centrocon » . Il y avait des cas où elles l'avaient fait et d'autres où elles ne l'avait pas fait.

[11]            Il faudrait, je pense, mentionner un autre point et c'est le fait que, à mon avis, les modalités du voyage de retour étaient, sauf dans la mesure où elles ont été modifiées par l'ajout à la note de chargement, identiques aux modalités de l'aller. Je ne vois aucune autre conclusion logique à tirer du document que les parties elles-mêmes ont rédigé et signé en tant qu' « ajout » à la note de chargement et de la liste détaillée des « modifications logiques » apportées à celle-ci. Et comme je l'ai dit, à mon avis, l'aller n'était pas assujetti à la clause d'arbitrage « Centrocon » ; le connaissement délivré pour l'aller n'était pas conforme à l'entente écrite intervenue entre les deux parties du fait qu'elle contenait une clause d'arbitrage « Centrocon » qui était une modification apportée au texte imprimé.

[12]            Je conclus donc que le défendeur n'a pas prouvé l'existence d'une entente écrite pouvant faire l'objet d'un arbitrage et que la requête doit être rejetée avec dépens.

                                                                                                                               JAMES K. HUGESSEN                                           

                                                                                                                                                                 Juge                       

Ottawa (Ontario)

24 octobre 2001

Traduction certifiée conforme

Yvan Tardif, B.A., LL.L.


                                                    COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                                  SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                   AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DE DOSSIER :                                  T-1942-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :    STELLA-JONES INC. et al.

c. HAWKNET LTD. et al.

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 23 octobre 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE (exposés à l'audience) DE MONSIEUR LE JUGE HUGESSEN

DATE DES MOTIFS :              le 24 octobre 2001

ONT COMPARU :

Louis Buteau                                                                      POUR LA DEMANDERESSE

Sean Harrington                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Flynn Rivard, Montréal                                        POUR LA DEMANDERESSE

Borden, Ladner Gervais LLP, Montréal                          POUR LE DÉFENDEUR

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