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     T-1144-97

     OTTAWA (ONTARIO), LE JEUDI 25 SEPTEMBRE 1997

     EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

E n t r e :

     ELI LILLY AND COMPANY et

     ELI LILLY CANADA INC.,

     requérantes,

     et

     APOTEX INC. et

     MINISTRE DE LA SANTÉ,

     intimés.

     ORDONNANCE

     Pour les motifs exposés dans les motifs de mon ordonnance, je fais droit à la demande présentée par les requérantes en vue d'obtenir la permission de déposer une contre-preuve dans les sept jours du prononcé de l'ordonnance par laquelle j'accueille la présente demande. L'intimée a le droit de contre-interroger les auteurs des affidavits déposés en réponse.

     " Max M. Teitelbaum "

                                     J U G E

Traduction certifiée conforme     

                                 Martine Guay, LL.L.

     T-1144-97

E n t r e :

     ELI LILLY AND COMPANY et

     ELI LILLY CANADA INC.,

     requérantes,

     et

     APOTEX INC. et

     MINISTRE DE LA SANTÉ,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

GENÈSE DE L'INSTANCE

     Dans la présente audience, on me demande d'examiner une requête présentée par Eli Lilly and Company et Eli Lilly Canada Inc. (les requérantes) et :

     1.      d'autoriser les requérantes à déposer dans les sept jours du prononcé de mon ordonnance des éléments de preuve en réponse aux affidavits de Jan Oudenes et Bernard Sherman qui ont été déposés le 12 août 1997;
     2.      d'établir, en vertu de l'article 1614 des Règles de la Cour fédérale, l'échéancier suivant pour les mesures qu'il reste à prendre dans la présente instance :
         a)      les contre-interrogatoires devront avoir lieu dans les 30 jours de la date du dépôt et de la signification de la contre-preuve des requérantes;
         b)      les requérantes devront déposer et signifier leur dossier de la demande dans les 30 jours de la fin des contre-interrogatoires;
         c)      les intimés devront déposer et signifier leur dossier de la demande dans les 30 jours du dépôt et de la signification du dossier de la demande des requérantes;
         d)      les requérantes devront déposer et signifier leur dossier supplémentaire, s'il en est, dans les dix jours du dépôt et de la signification des dossiers de demande des intimés.
     3.      d'accorder toute autre réparation jugée à propos.

     À l'ouverture de l'audience, il a été convenu que je ne devais pas m'occuper du second volet de la présente demande, c'est-à-dire celui concernant les mesures à prendre par les parties pour terminer les contre-interrogatoires, etc.

LES FAITS

     Par avis de requête introductif d'instance déposé le 29 mai 1997, les requérantes ont introduit la présente instance par laquelle elles sollicitent notamment un bref de certiorari annulant la délivrance de l'avis de conformité qui a été délivré le 30 avril 1997 à Apotex Inc. (Apotex) pour le médicament nizatidine.

     Une des questions en litige dans la présente instance est celle de savoir si le procédé synthétique dont Apotex a informé les requérantes et qui fait l'objet de l'allégation d'Apotex est le même procédé que celui qui est exposé dans la présentation de drogue nouvelle (PDN) d'Apotex. Le procédé dont il serait question dans l'allégation a été divulgué aux requérantes par lettre en date du 29 novembre 1995.

     Lors de l'introduction de la présente instance, les requérantes n'ont pas inclus dans leur preuve de détails au sujet du procédé synthétique exposé dans la lettre du 29 novembre 1995, étant donné qu'Apotex affirmait que ces détails étaient confidentiels.

     Ces éléments ressortent de la requête qu'Apotex a déposée le 27 juin 1997. Apotex demandait la radiation de certaines parties de l'avis de requête introductif d'instance et des affidavits souscrits par MM. Peter Stringer et Terry McCool en partie au motif que les requérantes avaient utilisé irrégulièrement ces renseignements confidentiels en citant la lettre du 29 novembre 1995.

     Le 30 juillet 1997, le juge Gibson a rejeté la requête d'Apotex, mais a précisé qu'Apotex pouvait soulever ces questions à l'audience sur le fond. En outre, le juge Gibson a précisé que les intimés avaient 14 jours pour déposer leurs éléments de preuve et que les requérantes avaient 30 jours, après la réception des éléments de preuve des intimés, pour déposer leur dossier de la demande. Aucune autre date n'a été fixée.

     Le 22 août 1997, Apotex a déposé ses éléments de preuve dans la présente instance. Parmi ces éléments de preuve se trouvaient les affidavits souscrits le 11 août 1997 par MM. Jan Oudenes et Bernard Sherman, ainsi que la lettre du 29 novembre 1995. Cette lettre a été produite sans qu'une ordonnance de confidentialité n'ait été prononcée et Apotex adopte maintenant le point de vue, dans sa preuve, que le contenu de cette lettre n'est plus confidentiel.

     De plus, Apotex a pour la première fois produit des extraits du fichier maître des médicaments de Torcan dans lesquels est expliqué en détail le procédé exposé dans sa PDN. Par Torcan, il faut entendre Torcan Chemical Ltd., qui a présenté une demande de brevet relativement à une présumée amélioration du procédé de fabrication de la nizatidine. Dans son affidavit, le président de Torcan affirme que le procédé divulgué par Torcan dans sa demande de brevet fait partie de la PDN d'Apotex et qu'Apotex l'utilisera pour fabriquer sa nizatidine. Les requérantes soutiennent que le procédé de Torcan n'est pas le même que celui qu'Apotex a déjà divulgué aux requérantes dans la lettre du 29 novembre 1995. Qui plus est, aucun avis d'allégation n'a été envoyé aux requérantes au sujet du procédé synthétique divulgué dans la demande de brevet de Torcan.

     Les requérantes ont sollicité le consentement d'Apotex à la demande qu'elles ont présentée en vue de déposer une contre-preuve et de proroger en conséquence les délais fixés par le juge Gibson. Apotex n'a pas consenti à ce que les requérantes présentent une contre-preuve. Le ministre n'adopte aucun point de vue sur la question.


LES RÈGLES DE DROIT APPLICABLES

La demande présentée par les requérantes en vue de déposer une contre-preuve

     La partie V.1 des Règles de la Cour fédérale intitulée " Règles concernant les demandes de contrôle judiciaire " ne précise nulle part dans quelles circonstances une contre-preuve peut être présentée. Cette question a toutefois été examinée dans quelques décisions.

     Dans l'affaire Bayer AG c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1994), 58 C.P.R. (3d) 37 (C.F. 1re inst.), le juge MacKay était saisi d'une requête présentée par l'intimé en vue de présenter une contre-preuve dans une affaire dans laquelle l'instance principale portait sur la demande présentée par Bayer A.G. pour faire interdire la délivrance d'un avis de conformité à Apotex. Le juge MacKay a fait remarquer ce qui suit au sujet de l'autorisation de présenter une contre-preuve :

     [TRADUCTION]         
     Il est vrai que la partie V.1 des Règles ne prévoit pas spécifiquement la possibilité pour le requérant ou l'intimé de déposer des affidavits en réponse. J'estime toutefois que la Cour a le pouvoir discrétionnaire de permettre cette mesure si elle sert les intérêts de la justice, si elle aide la Cour et si elle ne cause aucun préjudice grave à l'autre partie.         

     Le juge Rouleau a cité et approuvé cette déclaration dans le jugement AB Hassle c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1995), 61 C.P.R. (3d) 492 (C.F. 1re inst.), conf. à (1995), 64 C.P.R. (3d) 78 (C.A.F.).

     Dans l'arrêt Adria Laboratories of Canada Ltd. c. Canada (ministre de la Santé nationale et du Bien-être social), (1995), 61 C.P.R. (3d) 82 (C.A.F.) (Adria), le juge Stone a permis à l'appelante de produire trois affidavits en réponse. Le juge Stone a estimé qu'il ne serait pas dans l'intérêt de la justice d'empêcher l'appelante de produire une contre-preuve, bien que le tribunal dût s'assurer que les intimés n'en subissent aucun préjudice grave.

     Ainsi, il faut tenir compte de trois facteurs lorsqu'il s'agit de décider s'il y a lieu de permettre à un requérant de présenter une contre-preuve dans une affaire comme celle dont je suis saisi : 1) Cette mesure servirait-elle les intérêts de la justice? 2) Cette mesure aiderait-elle la Cour à rendre une décision définitive? 3) Cette mesure causerait-elle un préjudice important ou grave à l'intimé?

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

1.      Prétentions et moyens des requérantes

     Les requérantes ne souscrivent pas à la thèse d'Apotex selon laquelle le procédé qui leur a été divulgué dans la lettre du 29 novembre 1995 et le procédé figurant dans le fichier maître de médicaments de Torcan sont identiques. Les requérantes soutiennent que, comme elles n'ont pas pu consulter le fichier maître de médicaments de Torcan et qu'elles ne pouvaient pas, avant le 22 août, citer la lettre du 29 novembre 1995, elles ne pouvaient formuler aucun commentaire au sujet des similitudes ou des différences existant entre le procédé synthétique révélé aux requérantes et celui qui est contenu dans le fichier maître de médicaments de Torcan. Les requérantes soutiennent en outre que, comme Apotex n'allègue plus que la lettre du 29 novembre 1995 est confidentielle, c'est la première fois que les requérantes peuvent formuler des commentaires précis sur la façon dont elles affirment que le procédé d'Apotex pour lequel l'avis de conformité a été délivré est différent de ce qu'on leur a dit.

     Plus précisément, les requérantes souhaitent répondre aux affirmations de M. Oudenes, qui affirme que le procédé divulgué dans la lettre du 29 novembre 1995 est le même que celui qui est révélé dans le fichier maître de médicaments de Torcan dont il est question dans la PDN d'Apotex. De plus, les requérantes aimeraient répondre aux commentaires formulés par M. Oudenes au sujet du réactif dont il est question au paragraphe 16 de son affidavit. Les requérantes affirment que le réactif qui est utilisé pour transformer le B916 en A432 par le biais du B930 n'est pas mentionné dans la lettre du 29 novembre 1995.

     En ce qui concerne l'affidavit de M. Bernard Sherman, les requérantes aimeraient notamment répondre aux assertions suivant lesquelles les requérantes ont reçu un avis d'allégation au sujet du procédé du 29 novembre 1995 (paragraphes 3 et 11) et aux assertions que les procédés exposés dans la PDN d'Apotex et dans la lettre du 29 novembre 1995 sont identiques (paragraphes 6, 8, 9 et 10).

2.      Prétentions et moyens de l'intimée

     L'intimée soutient que les articles 1600 et suivants des Règles de la Cour fédérale ne mentionnent nulle part de la possibilité de présenter une contre-preuve par affidavit. Elle ajoute que, si une partie désire modifier les Règles de manière à pouvoir présenter une contre-preuve sous forme d'affidavit, elle doit convaincre la Cour en lui " expliquant de façon raisonnable " pourquoi cette mesure est nécessaire en faisant valoir, si j'ai bien compris, que des circonstances imprévues ou une " crise " l'ont empêchée de présenter sa preuve sans qu'il soit nécessaire de " modifier les Règles ".

     L'intimée invoque le jugement Nu-Pharm Inc. c. Procureur général du Canada et autre, (1994) 56 C.P.R. (3d) 445, à l'appui de ce principe. Dans cette affaire, la requérante Nu-Pharm Inc. avait présenté une demande en vue de faire annuler l'ordonnance prononcée d'office par la Cour pour rejeter une demande de contrôle judiciaire en raison du défaut de la requérante de déposer son dossier de la demande dans le délai prescrit par l'article 1606 des Règles de la Cour fédérale. La requérante demandait également la prorogation du délai qui lui était imparti pour déposer son dossier de la demande.

     Le juge Strayer déclare à la page 448, au sujet de la requête en prorogation du délai imparti à la requérante pour déposer son dossier de la demande, que, pour que le juge accorde une prorogation de délai, les éléments portés à sa connaissance doivent expliquer de façon raisonnable pourquoi le dossier de la demande a été déposé en retard.

     Les faits de l'affaire Nu-Pharm sont tout à fait différents de ceux qui ont été portés à ma connaissance en l'espèce. Dans l'affaire Nu-Pharm, la requérante avait délibérément attendu plus d'un mois après l'expiration du délai prescrit avant de commencer à préparer son dossier de la demande.

     Le jugement Nu-Pharm ne s'applique pas aux faits qui me sont soumis. Le jugement Pfizer Canada Inc. et autre c. Apotex et autre, (1996) 67 C.P.R. (3d) 423, ne s'applique pas non plus. Dans l'affaire Pfizer, la question en litige était celle de la prorogation du délai imparti pour terminer les contre-interrogatoires et de la requête en nouvelle comparution qui n'avait été présentée qu'après l'expiration du délai prescrit par une ordonnance antérieure sans qu'aucune explication raisonnable ne soit fournie.

     En l'espèce, l'avocat de l'intimée reconnaît que celle-ci ne subira aucun préjudice si j'accueille la présente demande, mais ajoute que le " préjudice " n'est pas un facteur pertinent. Il affirme que ce qui est exigé de la requérante, c'est une " explication raisonnable " et que la question du préjudice est sans importance.

     De plus, dans une lettre qu'il a écrite le 12 septembre 1997 à l'avocat des requérantes, l'avocat d'Apotex affirme qu'il ne comprend pas les raisons invoquées par les requérantes pour affirmer qu'elles ont le droit de présenter une contre-preuve, étant donné que les documents d'Apotex [TRADUCTION] " renferment des renseignements que les requérantes connaissent déjà. Il n'y a aucune nouvelle allégation ".

ANALYSE

     Ainsi que je l'ai déjà déclaré, je suis convaincu qu'il y a trois facteurs dont il faut tenir compte pour évaluer la demande déposée par les requérantes pour présenter une contre-preuve : 1) Cette mesure servirait-elle les intérêts de la justice? 2) Cette mesure aiderait-elle la Cour à rendre sa décision définitive? 3) Cette mesure causerait-elle un préjudice important ou grave aux intimés?

     Je ne parle que du droit de présenter une contre-preuve.

     Il y a peu de doute que la présentation de cette preuve servirait les intérêts de la justice et aiderait la Cour à rendre sa décision définitive. La question de savoir si le procédé synthétique qui a été exposé en détail dans la lettre du 29 novembre 1995 et qui fait l'objet de l'allégation d'Apotex est identique au procédé exposé dans la PDN d'Apotex est une question importante à trancher. Les renseignements que les requérantes cherchent à communiquer par voie de contre-preuve sont au coeur même de cette question.

     De plus, la requête présentée par Apotex en vue de faire radier certains paragraphes des affidavits des requérantes est la preuve que la lettre du 29 novembre 1995 était très confidentielle. Maintenant que cette lettre n'est plus confidentielle et qu'elles peuvent consulter le fichier maître des médicaments de Torcan, je suis convaincu que les requérantes devraient être autorisées à présenter des éléments de preuve fondés sur elle. Bien que l'avocat d'Apotex ait déclaré que la preuve d'Apotex [TRADUCTION] " renferme [...] des renseignements que les requérantes connaissent déjà ", ce fait est sans importance. Ce qui importe, ce n'est pas le fait que les requérantes connaissaient déjà ces renseignements, mais plutôt le fait qu'elles ne pouvaient pas révéler ces renseignements et qu'elles ne pouvaient pas les invoquer devant la Cour.

     La question qui se pose toujours est celle de savoir si le fait de permettre aux requérantes de déposer une contre-preuve causerait un préjudice grave ou important aux intimés. Je ne crois pas que cela serait le cas, étant donné que j'incorpore des garanties dans mon ordonnance. À titre d'exemple, dans l'arrêt Adria, le juge Stone a accordé aux intimés le droit de contre-interroger au sujet de la contre-preuve et de prolonger les contre-interrogatoires qui étaient en cours au moment de l'audience.

     Qui plus est, il ressort à l'évidence de l'échéancier soumis par les parties que l'enquête préalable n'est pas terminée. Il est donc peu probable que les répercussions sur les intimés soient sérieuses.


DISPOSITIF

     Par ces motifs, je fais droit à la requête présentée par les requérantes en vue d'obtenir la permission de déposer une contre-preuve dans les sept jours du prononcé de l'ordonnance par laquelle j'accueille la présente demande. L'intimée a le droit de contre-interroger les auteurs des affidavits déposés en réponse.

     " Max M. Teitelbaum "

                                     J U G E

O T T A W A

Le 25 septembre 1997.

Traduction certifiée conforme     

                                 Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-1144-97
INTITULÉ DE LA CAUSE :      Eli Lilly and Company et autre c.
                     Apotex Inc. et autre
LIEU DE L'AUDIENCE :          Ottawa (Ontario)
DATE DE L'AUDIENCE :      18 septembre 1997

MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Teitelbaum le 25 septembre 1997

ONT COMPARU :

     Me Patrick Smith                      pour les requérantes
     Me Andrew Brodkin                      pour l'intimée Apotex
     Me Maya Rimon                      pour le ministre intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Gowlings                          pour les requérantes
     Ottawa (Ontario)
     Goodman, Phillips & Vinebert              pour l'intimée Apotex
     Toronto (Ontario)
     Me George Thomson                      pour le ministre intimé
     Sous-procureur général
     du Canada
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