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Date : 20040423

Dossier : T-1074-02

Référence : 2004 CF 600

OTTAWA (ONTARIO), LE 23e JOUR D'AVRIL 2004

PRÉSENT :     L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

ENTRE :

                                                        RICHARD DESJARDINS

                                                                                                                                         Demandeur

                                                                          - et -

                              PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA, représentant la

                         COMMISSION DE L'ASSURANCE-EMPLOI DU CANADA -

                      DÉVELOPPEMENT DES RESSOURCES HUMAINES CANADA

                                                                             

                                                                             

                                                                                                                                          Défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Le 14 mai 2002, la Commission de l'assurance-emploi du Canada (la Commission) a formellement requis l'employeur actuel du demandeur de verser au Receveur général du Canada un montant de 30 % du revenu net à prélever sur le salaire du demandeur (la saisie-arrêt). Il était alors indiqué que la dette du demandeur se chiffrait à 20 578,25 $ (le montant réclamé). Il s'agit en l'occurrence de déterminer si les procédures de recouvrement du montant réclamé, incluant la saisie-arrêt, ont validement été entreprises par la Commission, ce que conteste le demandeur.

[2]                Le défendeur soumet que les procédures de recouvrement sont valides, et ce, jusqu'à l'acquittement intégral du montant réclamé. Le défendeur précise que ce montant correspond au solde de la dette du demandeur, laquelle est composée des éléments suivants :

a)          un montant de 11 808,00 $ (le montant contesté) qui correspond au trop-payé de prestations qui ont été versées par la Commission au demandeur à compter du 4 octobre 1993 (la première période); et

b)          un montant de 7 584,00 $ qui correspond au trop-payé de prestations qui ont été versées par la Commission au demandeur à compter du 21 novembre 1994 (la deuxième période), et un montant de 3 160,00 $ qui correspond à la pénalité imposée par la Commission au demandeur pour fausses déclarations durant la deuxième période (telle que réduite le 7 septembre 2000 par le conseil arbitral suite à l'appel du demandeur); le total de ces deux derniers montants représente 10 744,00 $ (le montant non contesté).

[3]                La saisie-arrêt a été effectuée en vertu des paragraphes 126(4) et (5) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. (1996), ch. 23. Cette disposition prévoit :



(4) Lorsque la Commission sait ou soupçonne qu'une personne doit ou va bientôt devoir payer une dette ou verser une somme à une autre personne tenue d'effectuer un versement en application de la partie I ou II, ou au titre du paragraphe (7), elle peut, par un avis signifié à personne ou expédié par service de messagerie, exiger qu'elle verse au receveur général, pour imputation sur le versement en cause, tout ou partie des fonds qui seraient autrement payables à cette autre personne.

(5) Lorsque, en vertu du paragraphe (4), la Commission a exigé qu'un employeur verse au receveur général, pour imputation sur une dette d'un assuré visée par la partie I ou II, des fonds qui seraient autrement payables par l'employeur à l'assuré à titre de rémunération, cet avis vaut pour tous les versements de rémunération à faire ensuite par l'employeur à l'assuré jusqu'à extinction de la dette visée par la partie I ou II et il a pour effet d'exiger le paiement au receveur général, par prélèvement sur chacun des versements de rémunération, de la somme que peut indiquer la Commission dans l'avis mentionné au paragraphe (4).

(4) If the Commission has knowledge or suspects that a person is or is about to become indebted or liable to make a payment to a person liable to make a payment under Part I or II or under subsection (7), it may, by a notice served personally or sent by a confirmed delivery service, require the first person to pay the money otherwise payable to the second person in whole or in part to the Receiver General on account of the second person's liability.

(5) If the Commission has, under subsection (4), required an employer to pay to the Receiver General on account of an insured person's liability under Part I or II money otherwise payable by the employer to the employee as remuneration,

(a) the requirement is applicable to all future payments by the employer to the insured person as remuneration until the liability under that Part is satisfied; and

(b) the employer shall make payments to the Receiver General out of each payment of remuneration of such amount as may be stipulated by the Commission in the notice mentioned in subsection (4).        


[4]                Le demandeur admet que sa dette a pu inclure tout solde dû relativement au montant non contesté; montant qu'il a effectivement acquitté suite aux procédures de recouvrement. Quant à la réclamation visant le montant contesté, le demandeur soumet que celle-ci est prescrite et que la Commission refuse à cet égard de se conformer à la décision du conseil arbitral qui a été rendue en sa faveur. Par la présente demande de contrôle judiciaire, il demande à cette Cour de déclarer illégale la saisie-arrêt pour l'excédent du montant non contesté, et d'ordonner le remboursement de tout montant perçu qui excède le montant non contesté.

[5]                Les faits à l'origine de la présente réclamation se résument comme suit.

[6]                Le 10 janvier 1997, la Commission décide de réexaminer les demandes de prestations du demandeur pour les deux périodes susmentionnées, et, du même coup, elle décide d'imposer des pénalités pour déclarations fausses et trompeuses. En l'espèce, il n'est pas nécessaire de traiter des décisions concernant la deuxième période.

[7]                Plus particulièrement, par lettre datée du 10 janvier 1997, la Commission avise le demandeur qu'il devra rembourser tout montant auquel il n'avait pas droit en plus de payer une pénalité de 5 865,00 $. La décision de la Commission se lit comme suit :

Nous avons examiné votre demande de prestations et nous sommes d'avis que vous avez sciemment fait 17 déclarations fausses ou trompeuses. Contrairement à ce que vous aviez indiqué, nous avons appris que vous travailliez à votre compte.

Par conséquent, vous devrez rembourser tout montant auquel vous n'aviez pas droit en plus de payer une pénalité de $5,865.00. Cette pénalité est imposée parce que, de l'avis de la Commission, vous avez fait sciemment des déclarations fausses ou trompeuses. Aucun chèque ne vous sera envoyé tant que le montant dû ne sera pas entièrement remboursé.

Avez-vous fait d'autres déclarations fausses ou trompeuses dans le passé? Si oui, nous en informer promptement vous éviterait des pénalités ou des poursuites, sauf si une enquête est déjà en cours. Veuillez prendre note que si nous découvrons d'autres fausses déclarations, cela pourrait entraîner de plus lourdes amendes ou des poursuites.

Si vous avez des renseignements additionnels qui pourraient changer cette décision ou si vous désirez d'autres précisions, veuillez communiquer avec nous. Pour un service plus rapide, veuillez toujours nous fournir votre numéro d'assurance sociale.

Si vous n'êtes pas d'accord avec notre décision, laquelle se fonde sur la Loi sur l'assurance-chômage, vous avez le droit d'en appeler dans les 30 jours qui suivent la réception du présent avis. Si vous souhaitez en appeler, veuillez suivre les directives ci-jointes.

[mon soulignement]

[8]                Comme on peut le constater, l'imposition d'une pénalité de 5 865,00 $ et la demande de remboursement du trop-payé versé au demandeur découlent de la détermination de la Commission à l'effet que le demandeur a sciemment fait 17 déclarations fausses ou trompeuses.

[9]                Dans des décisions séparées rendues le même jour, la Commission avise également le demandeur :

a)          qu'elle a annulé sa demande de prestation pour la première période étant donné que Revenu Canada a décidé que son emploi n'était pas assurable (le 15 janvier 1999, la décision de Revenu Canada sera confirmée par la Cour canadienne de l'impôt; le 20 mars 2000, une demande de contrôle judiciaire à l'encontre de cette dernière décision sera rejetée par la Cour d'appel fédérale);

b)          qu'elle ne peut pas lui payer de prestations pour la première période parce qu'il contrôlait ses heures de travail et qu'il n'avait pas prouvé sa disponibilité.

[10]            Le 6 février 1997, le demandeur loge un appel à l'encontre des décisions rendues par la Commission.

[11]            Or, le 7 septembre 2000, le conseil arbitral accueille l'appel du demandeur et rescinde « la décision » de la Commission. La décision du conseil arbitral se lit comme suit :


Il s'agit de déterminer si le prestataire a fait sciemment 17 déclarations fausses et si une pénalité de 5865.00$ doit lui être imposée.

La Commission a le fardeau de la preuve CUB 23647.

La Commission n'a produit aucune preuve des déclarations qu'elle prétend fausses (pièce 12.2, 1er paragraphe). Le conseil arbitral doit conclure qu'il n'y a pas fausse déclaration. De plus, en l'absence de fausse déclaration, ce dossier est prescrit (art. 33 Loi A.E.).

Le conseil arbitral, unanimement, accueille l'appel et rescinde la décision de la Commission.

[mon soulignement]

[12]            Cette dernière décision du conseil arbitral a été confirmée le 6 juillet 2001 par un juge-arbitre. Il n'y a eu aucune demande de contrôle judiciaire à l'encontre de la décision du juge-arbitre de sorte que la décision du conseil arbitral a un caractère final et que celle-ci lie les parties. En conséquence, le demandeur soumet qu'il n'existe aucun fondement légal quant aux procédures de recouvrement visant la première période. D'une part, la décision du 10 janvier 1997 a été rescindée par le conseil arbitral. D'autre part, toute réclamation visant le montant contesté est prescrite. C'est d'ailleurs ce qu'a décidé de façon finale le conseil arbitral dans sa décision du 7 septembre 2000.


[13]            Le défendeur conteste l'interprétation que le demandeur prête à la décision du conseil arbitral, qui selon lui, se limite à l'annulation de la pénalité de 5 865,00 $. Le défendeur est également d'avis que le commentaire à l'effet que « [le] dossier est prescrit » constitue un obiter dictum. De plus, le défendeur argumente que, suite au rejet de l'appel du demandeur à l'encontre de la décision négative de Revenu Canada, il s'est volontairement désisté de son appel à l'encontre des décisions de la Commission, sauf celle relative à l'imposition d'une pénalité de 5 865,00 $.

[14]            Les arguments du demandeur m'apparaissent bien fondés.

[15]            Manifestement, le conseil arbitral a rescindé la décision du 10 janvier 1997 dont il a été fait état au paragraphe 7 des présents motifs. Or, la demande de remboursement du trop-payé contenue à cette décision repose sur la prémisse à l'effet que le demandeur a (sciemment) fait 17 déclarations fausses ou trompeuses, ce qui, manifestement, n'est pas le cas en l'espèce. En accueillant l'appel du demandeur et en rescindant « la décision » de la Commission, le conseil arbitral a donc rescindé toutes les mesures contenues à cette décision, ce qui inclut non seulement l'imposition d'une pénalité de 5 865,00 $ mais également la demande de remboursement de tout trop-payé réclamé au demandeur pour la première période. Aussi, le fait que le demandeur se soit apparemment désisté de l'appel qu'il avait déposé à l'encontre des autres décisions de la Commission, comme le prétend le défendeur, ne m'apparaît pas déterminant.


[16]            Quoiqu'il en soit, la preuve du désistement allégué par le défendeur n'a pas été versée au dossier de la Cour conformément aux règles de cette Cour. Je note également qu'il s'agit d'une preuve par ouï-dire qui ne présente pas ici une garantie suffisante de fiabilité. D'autre part, dans l'état actuel du dossier, je ne suis pas en mesure de déterminer si le conseil arbitral a effectivement pris acte et donné suite au désistement allégué. En l'occurrence, dans l'hypothèse la plus favorable au défendeur, il ne pourrait s'agir que d'un désistement partiel, lequel ne peut ici être établi avec certitude. Il appartenait au défendeur d'apporter la meilleure preuve du désistement allégué. Or, des interprétations divergentes peuvent être faites à la lumière des documents contradictoires portés à l'attention de la Cour. À cet égard, je préfère m'en tenir au contenu de la lettre en date du 16 juin 2000 adressée par le procureur du demandeur à la Commission à l'effet que ce dernier ne désire pas retirer son appel et qu'il désire poursuivre les procédures devant le conseil arbitral.

[17]            Dans la mesure où il y avait fausse déclaration, la Commission bénéficiait effectivement d'une période de réexamen de 72 mois plutôt que du délai habituel de 36 mois. L'article 43 de la Loi sur l'assurance-chômage, L.R.C. (1985), ch. U-1 (la LAC) applicable à l'époque se lit en effet comme suit :



43.(1) Nonobstant l'article 86 mais sous réserve du paragraphe (6), la Commission peut, dans les trente-six mois qui suivent le moment où des prestations ont été payées ou sont devenues payables, examiner de nouveau toute demande au sujet de ces prestations et, si elle décide qu'une personne a reçu une somme au titre de prestations pour lesquelles elle ne remplissait pas les conditions requises ou au bénéfice desquelles elle n'était pas admissible ou n'a pas reçu la somme d'argent pour laquelle elle remplissait les conditions requises et au bénéfice de laquelle elle était admissible, la Commission calcule la somme payée ou payable, selon le cas, et notifie sa décision au prestataire.

[...]

(6) Lorsque la Commission estime qu'une déclaration ou représentation fausse ou trompeuse a été faite relativement à une demande de prestations, elle dispose d'un délai de soixante douze mois pour réexaminer la demande en vertu du paragraphe (1).                       [mon soulignement]

43(1). Notwithstanding section 86 but subject to subsection (6), the Commission may at any time within thirty-six months after benefit has been paid or would have been payable reconsider any claim made in respect thereof and if the Commission decides that a person has received money by way of benefit thereunder for which has was not qualified or to which he was not entitled or has not received money for which he was qualified and to which he was entitled, the Commission shall calculate the amount that was so received or payable, as the case may be, and notify the claimant of its decision.

(...)

(6) Where, in the opinion of the Commission, a false or misleading statement or representation has been made in connection with a claim, the Commission has seventy-two months within which to reconsider the claim under subsection (1).

(my emphasis)


[18]            D'autre part, le pouvoir de la Commission d'imposer une pénalité dans le cas où elle estime que le prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse lui est accordé par le paragraphe 33(1) de la LAC; auquel cas, la pénalité infligée au prestataire doit l'être à l'intérieur du délai de 36 mois prévu au paragraphe 33(4) de la LAC. Ces dernières dispositions prévoient en effet :


33.(1) Lorsque la Commission prend connaissance de faits qui, à son avis, démontrent qu'un prestataire ou une personne agissant pour le compte de celui-ci a, relativement à une demande de prestations ou à l'occasion de renseignements exigés par la présente loi ou par les règlements, sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse, fourni un renseignement faux ou trompeur ou présenté des observations fausses ou trompeuses, elle peut infliger au prestataire, pour chacun des déclarations, renseignements ou observations faux ou trompeurs, une pénalité dont le montant ne dépasse pas le triple de son taux de prestations hebdomadaires.

[...]

(4) Les pénalités prévues aux paragraphe (1) et (2) ne peuvent être infligées plus de trente-six mois après la date à laquelle a été faite la déclaration, fourni le renseignement ou présentée l'observation faux ou trompeurs.

[mon soulignement]

33.(1) Where the Commission becomes aware of facts that in its opinion establish that a claimant or any person on the claimant's behalf has, in relation to a claim for benefit, made statements or representations that the claimant or person knew to be false or misleading or, being required under this Act or the regulations to furnish information, furnished information or made statement or representations that the claimant or person knew to be false or misleading, the Commission may impose on the claimant a penalty in respect of each false or misleading statement, representation or piece of information, but the penalty shall be not greater than an amount equal to three times the claimant's weekly rate of benefit.

(...)

(4) A penalty provided under subsection (1) or (2) shall not be imposed after thirty-six months from the date on which the false or misleading statement, representation or piece of information was made or furnished.

(my emphasis)



[19]            Des différences importantes existent entre le paragraphe 33(1) de la LAC et le paragraphe 43(6) de la LAC. Ainsi, le paragraphe 43(6) réfère simplement à une déclaration fausse ou trompeuse tandis que le paragraphe 33(1) exige que cette dernière ait été faite "sciemment". D'autre part, le fait que la Commission décide de ne pas exercer le pouvoir discrétionnaire que lui accorde le paragraphe 33(1) d'imposer une pénalité, ne l'empêche aucunement de réexaminer une déclaration fausse et trompeuse dans le délai prescrit au paragraphe 43(6) de la LAC (Canada (Procureure Générale) c. Pilote, [1998] A.C.F. no 1923 (C.A.F.) (QL)).

[20]            Il faut par ailleurs lire les articles 33 et 43 de la LAC en conjonction avec l'article 35 de cette même loi qui prévoit :


35.(1) Lorsqu'une personne a touché des prestations en vertu de la présente loi au titre d'une période pour laquelle elle était exclue du bénéfice des prestations ou a touché des prestations auxquelles elle n'est pas admissible, elle est tenue de rembourser la somme versée par la Commission à cet égard.

(2) Les sommes payables en vertu du présent article ou des articles 33, 37 ou 38 constituent des créances de Sa Majesté, dont le recouvrement peut être poursuivi à ce titre soit devant la Cour fédérale ou tout autre tribunal compétent, soit selon toute autre modalité prévue par la présente loi.

[...]

(4) Le recouvrement des créances visées au présent article se prescrit par soixante-douze mois à compter de la date où elles ont pris naissance.

[...]

35.(1) Where a person has received benefit under this Act for any period in respect of which he is disqualified or any benefit to which he is not entitled, he is liable to repay an amount equal to the amount paid by the Commission in respect thereof.

(2) All amounts payable under this section or section 33, 37 or 38 are debts due to Her Majesty and are recoverable as such in the Federal Court or any other court of competent jurisdiction or in any other manner provided by this Act.

(...)

(4) No amount due as a debt to Her Majesty under this section may be recovered after seventy-two months from the date on which the liability arose.

(...)



[21]            Ainsi, le montant de la pénalité et/ou du trop-perçu devient une dette liquide et exigible à partir du moment où le montant exact à rembourser est légalement notifié au prestataire; auquel cas, le recouvrement de cette créance se prescrit par 72 mois en vertu du paragraphe 35(4) de la LAC (Canada (Procureur Général) c. Laforest, [1988] A.C.F. no 546 (C.A.F.) (QL); et Brière c. Canada (Commission de l'Emploi et de l'Immigration), [1988] A.C.F. no 551 au para. 67 (C.A.F.) (QL). Je note ici qu'aucune preuve n'a été faite de la date où la Commission a légalement notifié au demandeur que le montant contesté est devenu payable (en effet les décisions du 10 janvier 1997 ne précisent pas quel est le montant du trop-payé réclamé au demandeur).

[22]            Ceci étant dit, lorsque le délai normal de réexamen de 36 mois prévu au paragraphe 43(1) de la LAC est expiré et que la Commission désire précisément se prévaloir de la prolongation de délai établie au paragraphe 43(6) de la LAC, en cas d'appel de sa décision, il appartient à la Commission de démontrer au conseil arbitral que l'exception prévue à cette dernière disposition s'applique. À cet égard, je suis d'avis que la Commission doit avoir plus qu'un simple soupçon qu'il y a eu déclaration fausse ou trompeuse. En effet, la Commission ne peut agir d'une manière arbitraire, sans aucune preuve devant elle ou sur la base d'informations erronées ou non vérifiées. Autrement, ce serait priver de tout effet utile le paragraphe 43(1) de la LAC et ceci irait clairement à l'encontre de l'intention exprimée par le législateur voulant que le délai normal de réexamen soit de 36 mois et non de 72 mois.


[23]            Or, tel qu'il a été souligné plus haut, le conseil arbitral a décidé de façon finale qu'il n'y avait pas eu de fausse déclaration relativement à la première période. D'une part, la Commission ne pouvait imposer une pénalité de 5 865,00 $ au demandeur car les deux conditions prévues au paragraphe 33(1) de la LAC (caractère faux ou trompeur de la déclaration et mens rea) n'étaient pas rencontrées en l'espèce. D'autre part, la condition prévue au paragraphe 43(6) de la LAC (caractère faux ou trompeur) n'était pas non plus rencontrée. Par conséquent, le réexamen de la demande de prestation devait obligatoirement s'effectuer dans le délai habituel de 36 mois prévu au paragraphe 43(1) de la LAC. Or, ce délai était expiré lorsque, en janvier 1997, la Commission a réexaminé la demande de prestation pour la première période. Le dossier de réclamation était donc prescrit. D'ailleurs, le conseil arbitral l'indique clairement dans sa décision : « en l'absence de fausse déclaration, ce dossier est prescrit (Art. 33 Loi A.E.) » .

[24]            À mon avis, contrairement à ce que prétend le défendeur, il ne s'agit pas là d'un simple obiter dictum. De plus, je ne crois pas non plus que la référence dans la décision à l'article 33 de la LAC soit déterminante. Il faut lire cette dernière dans son ensemble. On n'exige pas des membres d'un conseil arbitral qu'ils soient des juristes. Leurs décisions n'ont pas besoin d'avoir la précision juridique d'un jugement rendu par une cour de justice. Par ailleurs, le commentaire à l'effet que « en l'absence de fausse déclaration, ce dossier est prescrit » n'a de sens dans le présent dossier que si on relie celui-ci à la condition du paragraphe 43(6) de la LAC qui exige une fausse déclaration (en effet, selon le paragraphe 33(4) de la LAC aucune pénalité ne peut être imposée plus de 36 mois après la date à laquelle la déclaration fausse ou trompeuse a été faite).


[25]            Un prestataire peut par demande de contrôle judiciaire faire vérifier par cette Cour la légalité de toute procédure de recouvrement. Or, la Commission doit agir conformément à la Loi. En l'espèce, la Commission doit se conformer à la décision unanime du conseil arbitral à l'effet qu'il n'y a pas eu de fausse déclaration concernant la première période. Aussi, le dossier relatif à toute réclamation visant la première période est prescrit. En conséquence, la Commission ne peut poursuivre des procédures de recouvrement contre le demandeur aux fins d'obtenir le remboursement du montant contesté. Par ailleurs, selon la preuve non contredite au dossier, le demandeur a entièrement acquitté la pénalité et le trop-payé qui lui ont été réclamés par la Commission pour la deuxième période. En conséquence, la saisie-arrêt ne peut être maintenue et le demandeur a le droit d'être remboursé de tout montant ayant été perçu en sus du montant non contesté. Vu le résultat, le demandeur aura droit aux dépens contre le défendeur.

                                        ORDONNANCE

PAR CES MOTIFS, LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est accueillie avec dépens contre le défendeur;

2.          Les procédures de recouvrement entreprises par la Commission, incluant la saisie-arrêt, pour obtenir le paiement du montant contesté sont nulles, illégales et contraires à la Loi;


3.          Le demandeur doit être remboursé de tout montant ayant été perçu en sus du montant non contesté;

4.          Les expressions « saisie-arrêt » , « montant contesté » et « montant non contesté » utilisées dans cette ordonnance ont la même signification que celle qui leur est attribuée aux paragraphes 1 et 2 des motifs de l'ordonnance.

                   « Luc Martineau »                  

                                                                                                     Juge                                 


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1074-02

INTITULÉ :               RICHARD DESJARDINS c. PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                        QUÉBEC (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 9 MARS 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                             L'HONORABLE JUGE MARTINEAU

DATE DES MOTIFS :                             LE 23 AVRIL 2004

COMPARUTIONS :

ME DENIS GINGRAS                                     POUR LE DEMANDEUR

ME PAUL DESCHÊNES                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GINGRAS, VALLERAND, BARMA, LAROCHE, AMYOT

QUÉBEC (QUÉBEC)                                       POUR LE DEMANDEUR

M. MORRIS ROSENBERG                            

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA       POUR LE DÉFENDEUR


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