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                                                                                                                               Date: 20010518

                                                                                                                          Dossier : T-406-00

                                                                                               Référence neutre: 2001 CFPI 549

ENTRE

                                                                 STINK INC.

                                                                                                                                          appelante

                                                                         - et -

SALT & PEPPER HOLDING LTD.

                                                                                                                                              intimée

                                               MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION


[1]         Le présent appel fondé sur l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce est interjeté par la société propriétaire d'un restaurant exploité à San Francisco sous la marque de commerce THE STINKING ROSE, dont le menu, principalement italien, met l'accent sur l'ail. La demanderesse conteste la décision rendue le 30 décembre 1999 par la Commission des oppositions des marques de commerce (la Commission), sous la plume du président de celle-ci, M. G.W. Partington. Celui-ci a rejeté l'opposition que l'appelante a soumise, le 25 octobre 1994, contre la demande d'enregistrement déposée le 10 mars 1994 par l'intimée, relativement à la marque de commerce THE STINKING ROSE employée elle aussi en liaison avec un restaurant, demande fondée sur l'emploi de la marque, à Coquitlam (C.-B.), depuis au moins le 30 août 1993.

[2]         Aucun nouvel élément de preuve n'a été soumis à la Cour. La norme d'examen applicable en l'espèce, selon moi, est celle qui a été établie dans la décision Brasseries Molson c. John Labatt Ltée, 2000 3 C.F. 145. Le juge Rothstein a indiqué, au paragraphe 51 de cette décision :

Je pense que l'approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald's Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter ... [Non souligné dans l'original]

[3]         Le juge Iacobucci a expliqué la signification de la norme de la décision raisonnable simpliciter dans l'arrêt Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam, [1997] 1 R.C.S. 748, au paragraphe 56. Voici ce qu'il en a dit :

Est déraisonnable la décision qui, dans l'ensemble, n'est étayée par aucun motif capable de résister à un examen assez poussé. En conséquence, la cour qui contrôle une conclusion en regard de la norme de la décision raisonnable doit se demander s'il existe quelque motif étayant cette conclusion. Le défaut, s'il en est, pourrait découler de la preuve elle-même ou du raisonnement qui a été appliqué pour tirer les conclusions de cette preuve. Un exemple du premier type de défaut serait une hypothèse qui n'avait aucune assise dans la preuve ou qui allait à l'encontre de l'essentiel de la preuve. Un exemple du deuxième type de défaut serait une contradiction dans les prémisses ou encore une inférence non valable.


[4]         Le juge Iacobucci a également expliqué la différence entre la décision « déraisonnable » et la décision « manifestement déraisonnable » , indiquant qu'elle réside dans le caractère flagrant ou évident du défaut. Il a écrit, au paragraphe 57 :

Si le défaut est manifeste au vu des motifs du tribunal, la décision de celui-ci est alors manifestement déraisonnable. Cependant, s'il faut procéder à un examen ou à une analyse en profondeur pour déceler le défaut, la décision est alors déraisonnable mais non manifestement déraisonnable.

Selon lui, la norme de la décision raisonnable simpliciter se rapproche de la norme qui, selon la Cour suprême du Canada, devrait s'appliquer au contrôle des conclusions de fait tirées par les juges de première instance. Il a cité l'arrêt Stein c. « Kathy K » (Le navire), [1976] 2 R.C.S. 802, où le juge Ritchie a affirmé, à la p. 806 :

... il est généralement admis qu'une cour d'appel doit se prononcer sur les conclusions tirées en première instance en recherchant si elles sont manifestement erronées et non si elles s'accordent avec l'opinion de la Cour d'appel sur la prépondérance des probabilités.

[5]         Voici comment l'appelante a exposé la question que la Cour doit trancher :

[TRADUCTION]

Le présent appel porte principalement sur la question de savoir si la notoriété au Canada de la marque THE STINKING ROSE de l'appelante empêche la marque THE STINKING ROSE de l'intimée de distinguer les services de l'intimée de ceux de l'appelante.


[6]         Cet énoncé signifie que l'appelante (opposante devant le Commission) ne défend devant la Cour qu'un seul des trois motifs qu'elle avait soulevés devant la Commission, savoir que la marque de commerce de l'intimée ne distingue pas réellement le restaurant de l'intimée ou n'est pas adaptée à cette fin au sens de l'article 2 de la Loi sur les marques de commerce parce que, pendant toute la période en cause, la marque de commerce de l'appelante était bien connue au Canada.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[7]         La Commission a constaté que l'appelante possédait et exploitait depuis le milieu de l'année 1991 un établissement appelé « THE STINKING ROSE - A GARLIC RESTAURANT » dans le quartier North Beach de San Francisco (Californie). Ce restaurant sert plus de 6 000 repas par semaine. Beaucoup des plats au menu sont d'origine italienne et mettent l'accent sur l'ail. Le nom THE STINKING ROSE a été choisi parce qu'il suggérait, avec humour, le choix du restaurant de servir des mets généreusement assaisonnés à l'ail. La marque THE STINKING ROSE est placée bien en vue à l'extérieur de l'immeuble logeant le restaurant et elle figure également sur les menus et sur les brochures publicitaires.

[8]         L'appelante emploie également la marque THE STINKING ROSE en liaison avec deux comptoirs exploités en vertu d'un accord de concession, l'un au parc Candlestick (depuis le début de la saison de base-ball 1993) et l'autre au stade de San Jose (depuis le début de la saison de hockey 1994). Aux deux endroits, la marque est exposée bien en vue à l'extérieur du comptoir et l'appelante sert un sandwich baptisé THE STINKING ROSE 40-CLOVE GARLIC SANDWICH.


[9]         En outre, l'appelante vend, en liaison avec la marque de commerce, des aliments préparés ainsi que divers produits comme des tabliers, des T-shirts et des chopes à café qu'elle expose à l'entrée du restaurant. Ces produits peuvent être achetés au restaurant aussi bien que par catalogue.

[10]       La Commission a conclu qu'un dénommé Victor Caracciolo, propriétaire d'Italian Centre Ltd. de Calgary (Alberta) avait approché M. Dante Serafini, dirigeant, administrateur et actionnaire de l'appelante pour obtenir des droits de distribution de produits portant la marque de commerce THE STINKING ROSE.

[11]       Selon la Commission, l'appelante fait de la publicité pour son restaurant en communiquant avec des agents de voyage et avec les autres personnes, au Canada, qui ont reçu sa brochure, son catalogue ou une carte postale montrant le restaurant.


[12]       Quant à l'intimée, la Commission, après examen de l'affidavit de John Venditti, l'un des associés principaux de l'intimée, a déterminé que la preuve au dossier établissait que le déposant était allé au restaurant THE STINKING ROSE de San Francisco vers la fin du mois de juillet 1993, en compagnie d'une autre associée principale de l'intimée, Mme Kotelko, et que peu après cette visite, il avait obtenu de M. Serafini, par téléphone, des renseignements concernant le fournisseur de têtes d'ail décoratives, situé à Gilroy (Californie). La Commission a toutefois estimé que la preuve était contradictoire relativement à la question de savoir si, pendant leur conversation téléphonique, M. Venditti avait indiqué à M. Serafini qu'il n'ouvrirait pas de restaurant portant le nom THE STINKING ROSE ou lui avait donné des assurances à cet effet.

[13]       Selon la Commission, la preuve établissait également que le restaurant de l'intimée se spécialisait dans la cuisine italienne, et que de quatre-vingt-cinq à quatre-vingt-dix pour cent des plats servis comprenaient de l'ail.

[14]       Dans son analyse des faits, la Commission a aussi conclu, à la p. 5 :

[TRADUCTION]

De plus, il appert de la transcription du contre-interrogatoire de M. Venditti que depuis septembre 1993 il y a chaque mois quelques clients du restaurant de la demanderesse à Coquitlam (Colombie-Britannique) qui demandent si le restaurant est affilié au restaurant de l'opposante à San Francisco. Enfin, bien que la preuve au dossier établisse que l'expression « stinking rose » est employée pour désigner l'ail, je pense que le client moyen de services de restauration n'est pas au courant de ce fait.

[15]       L'appelante/opposante avait notamment fait valoir, devant la Commission, que l'intimée/demanderesse n'avait pas droit à l'enregistrement de la marque THE STINKING ROSE car, à la date où elle avait commencé à l'utiliser, la marque créait de la confusion avec celle de l'appelante, qui l'avait déjà fait connaître au Canada.

[16]       La Commission s'est reportée à l'article 5 de la Loi sur les marques de commerce, lequel est ainsi conçu :



5. Une personne est réputée faire connaître une marque de commerce au Canada seulement si elle l'emploie dans un pays de l'Union, autre que le Canada, en liaison avec des marchandises ou services, si, selon le cas :

a) ces marchandises sont distribuées en liaison avec cette marque au Canada;

b) ces marchandises ou services sont annoncés en liaison avec cette marque :

(i) soit dans toute publication imprimée et mise en circulation au Canada dans la pratique ordinaire du commerce parmi les marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services,

(ii) soit dans des émissions de radio ordinairement captées au Canada par des marchands ou usagers éventuels de ces marchandises ou services,

et si la marque est bien connue au Canada par suite de cette distribution ou annonce.

5. A trade-mark is deemed to be made known in Canada by a person only if it is used by that person in a country of the Union, other than Canada, in association with wares or services, and

(a) the wares are distributed in association with it in Canada, or

(b) the wares or services are advertised in association with it in

(i) any printed publication circulated in Canada in the ordinary course of commerce among potential dealers in or users of the wares or services, or

(ii) radio broadcasts ordinarily received in Canada by potential dealers in or users of the wares or services,

and it has become well known in Canada by reason of the distribution or advertising.


[17]       La Commission a conclu que la marque de l'appelante n'était pas bien connue au Canada à la date de référence (le 30 août 1993), la date d'ouverture du restaurant de l'intimée en Colombie-Britannique. Elle a donné l'explication suivante à la p. 6 :

[TRADUCTION]

Pour que l'opposante soit réputée avoir fait connaître sa marque de commerce THE STINKING ROSE au Canada, elle doit démontrer au registraire non seulement qu'elle l'a employée aux États-Unis en liaison avec des services de restauration, mais également que ces services ont été annoncés sous le nom de la marque dans des publications imprimées mises en circulation au Canada, dans la pratique ordinaire du commerce, parmi les usagers éventuels de ces services. L'opposante doit aussi démontrer que sa marque était devenue « bien connue » à cause de cette publicité, à la date déclarée du premier emploi (30 août 1993), la date de référence pour l'examen de ce motif. En l'espèce, même si tous les documents sur lesquels l'opposante s'appuie pouvaient à juste titre être considérés comme de la publicité pour son restaurant au Canada - ce qui n'est pas le cas -, je ne suis pas d'avis que sa marque THE STINKING ROSE était devenue « bien connue » en Colombie-Britannique ou à Vancouver le 30 août 1993. [Non souligné dans l'original]

[18]       Elle a commencé son analyse de l'argumentation de l'appelante au sujet du caractère non distinctif la marque de l'intimée en indiquant sur qui pesait le fardeau de la preuve. Elle s'est exprimée en ces termes à la p. 7 :

[TRADUCTION]


Bien que ce soit à la demanderesse que la Loi impose de démontrer que sa marque de commerce THE STINKING ROSE est propre à distinguer ou distingue véritablement ses services de restauration d'autres services dans tout le Canada ... l'opposante a le fardeau initial de prouver les faits qu'elle allègue au soutien de son motif d'opposition. En outre, la date de référence pour l'examen des circonstances en cause est le 25 octobre 1994, date du dépôt de l'opposition ... Il faut également préciser que l'opposante n'a pas à prouver qu'elle a fait connaître sa marque de commerce THE STINKING ROSE au Canada ou que celle-ci y est bien connue par les seuls moyens limités énumérés à l'article 5 de la Loi (voir Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. (1981), 56 C.P.R. (2d) (C.F. 1re inst.), à la p 55. [Non souligné dans l'original]

[19]       Puis elle a examiné les affidavits déposés par l'appelante. Relativement aux affidavits souscrits par Doug Fyfe et Robert W. White, elle a tiré les conclusions suivantes :

[TRADUCTION]

Les pièces 1 à 4 du premier affidavit de M. Fyfe sont des copies d'extraits de quatre publications canadiennes parues avant la date de référence, lesquels extraits ne mentionnent qu'en passant le restaurant THE STINKING ROSE de San Francisco, tandis que les pièces 5 à 21 sont des copies d'extraits de diverses publications des États-Unis, dont le San Francisco Chronicle, le Los Angeles Times et le Dallas Morning News, faisant mention du restaurant de l'opposante. Cette dernière, toutefois, n'a pas prouvé que ces publications ont plus qu'une diffusion minimale au Canada. M. Fyfe a également joint à son premier affidavit, comme pièce 22, le texte d'un article tiré de la base de données LEXIS qui a été publié dans le numéro de février 1992 de la revue Men's Health, laquelle est diffusée à plus de 14 500 exemplaires au Canada, dont 2 500 en Colombie-Britannique. De plus, bien que l'affidavit de M. Fyfe présente en preuve des copies de pages de guides de voyage, l'opposante n'a pas établi que l'un quelconque de ces guides était disponible au Canada avant la date de référence.

[20]       La Commission a comparé cet élément de preuve avec l'affidavit de Scott Booth déposé par l'intimée, dans lequel M. Booth déclare avoir visité, au mois de décembre 1993, la bibliothèque municipale de Vancouver ainsi que quatre librairies exploitées dans cette ville et avoir examiné trente-deux publications se rapportant à San Francisco et à la Californie. Selon la Commission, le déposant [TRADUCTION] « n'a pu voir de mention du restaurant de l'appelante dans aucune des publications » .


[21]       La Commission a estimé que la preuve de l'appelante [TRADUCTION] « démontre qu'une publication pertinente ayant une diffusion mesurable au Canada et, plus particulièrement, en Colombie-Britannique, comprenait un article portant sur le restaurant de l'opposante » . Elle a relevé, dans l'affidavit de M. Serafini, que MM. Caracciolo et Mansueto, respectivement de Calgary et Vancouver, connaissaient également le restaurant de l'opposante avant la date de l'opposition, et elle a mentionné que cet affidavit énumérait les noms de neufs auteurs de chroniques de tourisme et d'autres personnes au Canada qui, en novembre 1992, [TRADUCTION] « avaient semble-t-il reçu la brochure, le catalogue ou une carte postale de l'intimée » . Elle a tenu les propos suivants à la p. 7 :

[TRADUCTION]

Toutefois, je ne suis pas disposé, compte tenu des recherches effectuées par M. Booth et décrites aux paragraphes 27 et 28 de son affidavit, à accorder beaucoup de poids à cet aspect du témoignage de M. Serafini.

[22]       La Commission a ensuite fait mention de la transcription du contre-interrogatoire de M. Venditti et a tiré la conclusion suivante (à la p. 7) :

[TRADUCTION]

Plus particulièrement, la transcription du contre-interrogatoire de M. Venditti établit qu'à compter du mois de septembre 1993, il y a eu chaque mois quelques clients du restaurant de la demanderesse à Coquitlam qui ont demandé aux serveurs si le restaurant était affilié à celui de l'opposante à San Francisco. Il ressort en outre de la transcription que Mme Rabson, qui est également la soeur de Nadine Kotelko, connaissait le restaurant de l'opposante et en avait parlé lors d'un dîner auquel Mme Kotelko et M. Venditti étaient conviés. Cet élément de preuve établit donc que tout au plus cinquante personnes dans la région métropolitaine de Vancouver connaissaient la marque [de l'appelante] avant la date de l'opposition. [Non souligné dans l'original]


[23]       La Commission a également mentionné la décision du juge Houghton de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, lequel avait rejeté la demande d'injonction interlocutoire présentée par l'appelante le 14 février 1994.

[24]       La Commission a signalé qu'à la date de l'opposition, l'appelante n'exploitait son restaurant à San Francisco que depuis environ trois ans et demi.

[25]       Relevant que la preuve de l'intimée confirmait que les mots « stinking rose » , employés en rapport avec l'ail, apparaissaient beaucoup plus de fois dans des publications diffusées au Canada que dans les publications faisant mention du restaurant de l'opposante, la Commission a conclu à la p. 8 :

[TRADUCTION]

Par conséquent, même en considérant qu'une cinquantaine de personnes de la région métropolitaine de Vancouver connaissaient le restaurant de l'opposante à la date de référence, je doute que cet élément, joint à la mince preuve de l'opposante à l'appui de ce motif, permette à celle-ci de s'acquitter de son fardeau de preuve.

[26]       Elle a ajouté :

[TRADUCTION]

De toute façon, en supposant même que l'opposante ait présentée une preuve suffisante pour s'acquitter du fardeau de preuve qui lui incombait, il reste que la demanderesse a établi qu'elle exploitait son restaurant de Coquitlam (Colombie-Britannique) depuis presque quatorze mois à la date de l'opposition. Je conclus donc que la demanderesse a prouvé, comme la Loi l'y obligeait, que sa marque de commerce THE STINKING ROSE distingue, au Canada, ses services de restauration de ceux de son opposante, y compris dans la région de Vancouver où la demanderesse a exploité son entreprise.


ANALYSE

[27]       Commençons par nous reporter, pour déterminer ce que signifie l'absence de caractère distinctif, à la décision Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Limited, [1982] 1 C.F. 638 (1re inst.). Dans cette affaire, la personne morale demanderesse, qui exploitait une chaîne d'environ trois cents motels aux États-Unis mais n'avait aucun établissement au Canada, contestait la marque déposée d'un exploitant canadien de motels. Le juge Addy a écrit ce qui suit à la p. 653 :

La définition de « distinctive » se trouve à l'article 2 précité. Une marque de commerce ne peut distinguer ni être propre à distinguer les services d'une personne si une autre personne a employé cette marque dans un pays étranger et que celle-ci soit devenue connue au Canada comme la marque de cette dernière personne en liaison avec des services similaires. Quant à la question de l'absence de caractère distinctif d'une marque, bien qu'il doive être établi que la marque rivale ou adverse est connue au moins jusqu'à un certain point, il n'est pas nécessaire de prouver qu'elle est bien connue ou qu'elle a été révélée uniquement par les moyens limités prévus à l'article 5 cité plus haut. Il suffit d'établir que l'autre marque est devenue suffisamment connue pour annuler le caractère distinctif de la marque attaquée. [Non souligné dans l'original]

[28]       Le juge Addy a ensuite abordé la question de la nature de la preuve relative à la notoriété. Voici ce qu'il en a dit à la p. 654 :

Le moyen tiré du caractère non distinctif n'est pas limité à l'exécution réelle des services au Canada comme le cas d'une revendication en emploi antérieur sous le régime de l'article 4. Il peut être aussi fondé sur la preuve d'une connaissance ou notoriété de la marque rivale acquise par le bouche à oreille et sur la preuve d'une notoriété et d'une renommée obtenues par voie d'articles de journaux ou de magazines plutôt que par de la publicité. Peuvent être pris en compte tous les éléments de preuve pertinents tendant à établir le caractère non distinctif.

[29]       Une conclusion d'absence de caractère distinctif est une conclusion de fait.


[30]       Voici ce qu'a affirmé Madame le juge L'Heureux-Dubé à propos de l'examen des conclusions de fait d'un tribunal administratif, dans l'arrêt Syndicat canadien de la fonction publique, section locale 301 c. Montréal (Ville), [1997] 1 R.C.S. 793, au paragraphe 85 :

Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue ... Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve.

[31]       L'appelante a fait valoir que la preuve abondante de l'importance de la notoriété de la marque THE STINKING ROSE au Canada est plus que suffisante pour faire conclure à l'absence de caractère distinctif de la marque contestée. Elle a signalé les éléments de preuve suivants, lesquels sont, d'après elle, clairs et convaincants :

(a)         M. Venditti a choisi d'appeler son restaurant THE STINKING ROSE en sachant fort bien que le restaurant de l'appelante à San Francisco portait le même nom;

(b)         M. Venditti savait également qu'au mois d'avril 1993 le nom « THE STINKING ROSE - A GARLIC RESTAURANT LTD. » faisait l'objet d'une réservation au registre des entreprises de la Colombie-Britannique et que la réservation avait été renouvelée en juin 1993;

(c)         M. Serafini avait été approché par des Canadiens de l'Ontario et de la Colombie-Britannique relativement à l'utilisation du nom THE STINKING ROSE en liaison avec des restaurants;


(d)         beaucoup de Canadiens sont allés au restaurant de l'appelante à San Francisco;

(e)         des éléments de preuve solides et clairs établissent qu'à plusieurs reprises des clients du restaurant de l'intimée ont demandé s'il existait une affiliation entre les deux établissements, et il est fort probable que le nombre de ces cas de confusion véritable soit sous-évalué;

(f)          beaucoup de matériel promotionnel comprenant de la publicité relative à la marque de l'appelante ont été mis en circulation au Canada, dont des brochures et des guides de voyage;

(g)         la marque de l'appelante est aussi mentionnée dans de nombreux articles de publications dont le lectorat au Canada est élevé.

[32]       L'appelante soutient, plus particulièrement, que la conclusion de la Commission voulant que [TRADUCTION] « tout au plus cinquante personnes dans la région métropolitaine de Vancouver connaissaient la marque [de l'appelante] avant la date de l'opposition » n'est pas raisonnable.

[33]       Selon l'appelante, il était déraisonnable de la part de la Commission de considérer que le témoignage de M. Venditti relativement au nombre de cas de confusion était crédible, car la contradiction contenue dans son affidavit jetait un doute sur la crédibilité du témoin.


[34]       L'appelante ajoute qu'il était également déraisonnable, pour la Commission, de conclure qu'une cinquantaine de personnes tout au plus connaissaient la marque; sa conclusion aurait dû être que le nombre de cas de confusion déclarés indiquait que la confusion était beaucoup plus répandue. D'après l'appelante, la Commission aurait dû déduire que le nombre de personnes qui connaissaient sa marque excédait de beaucoup le simple nombre de personnes chez lesquelles le restaurant de l'intimé avait créé de la confusion et qui avaient pris la peine de demander s'il existait un lien entre les deux établissements.

[35]       L'avocat de l'intimée a souligné un certain nombre de faits mentionnés dans le dossier de la Cour qui appuient les conclusions de la Commission, notamment les suivants :

(a)         quatre articles parus dans des publications canadiennes mentionnent en passant l'appelante, mais, selon l'avocat, ils le font indirectement en parlant d'autres sujets et ne consacrent pas plus d'une phrase au restaurant;

(b)         plusieurs articles de publications américaines mentionnent en passant le restaurant de l'appelante, mais ces publications ne jouissent pas d'une grande diffusion au Canada;


(c)         l'avocat a reconnu qu'un article du San Francisco Chronicle du 23 octobre 1991 traitait du restaurant de l'appelante, mais a fait valoir que l'étendue de la diffusion de cette édition du journal au Canada n'avait pas été établie;

(d)         l'avocat a reconnu que quatre guides de voyage sur San Francisco ou la Californie faisaient mention du restaurant de l'appelante, mais il a soutenu que l'appelante n'avait pas prouvé que ces guides étaient disponibles au Canada et il a opposé cet élément de preuve au témoignage de M. Booth;

(e)         l'avocat a étayé, de plusieurs façons, qu'il n'est pas nécessaire de passer en revue ici, les conclusions de la Commission au sujet de l'envoi par M. Serafini d'une brochure, d'un catalogue ou d'une carte postale à neuf personnes au Canada.

[36]       Après avoir examiné la preuve soumise à la Commission, dont la transcription du contre-interrogatoire de M. Venditti, je suis d'avis de rejeter l'appel.

[37]       La preuve présentée à la Commission permettait à celle-ci de tirer les conclusions auxquelles elle est parvenue.

[38]       On ne peut dire que les conclusions de la Commission - des conclusions de fait - sont déraisonnables ou manifestement erronées (norme établie dans l'arrêt Southam, précité).


[39]       Il me semble que l'appelante demande à la Cour de réévaluer les conclusions de fait de la Commission, ce que la Cour ne peut faire.

[40]       L'appelante soutient que la Commission a eu tort de ne pas tirer de conclusion négative relativement à la crédibilité de M. Venditti et, par conséquent, de son témoignage, à cause des réponses qu'il a données en contre-interrogatoire au sujet du nombre de clients de son restaurant ayant demandé aux serveurs si le restaurant avait des liens avec celui de l'appelante à San Francisco.

[41]       La séquence des questions et réponses du contre-interrogatoire me convainc que la Commission n'a pas commis d'erreur en ne concluant pas à la non-crédibilité de M. Venditti. À mon avis, le témoin a répondu de façon directe aux questions sans se montrer vague ou évasif.


DISPOSITIF

[42]       Pour ces motifs, l'appel est rejeté avec dépens.

       « François Lemieux »                 

Juge

OTTAWA (ONTARIO)

LE 18 MAI 2001

Traduction certifiée conforme

                               

Ghislaine Poitras, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NO DU GREFFE :                                             T-406-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                          STINK INC. c. SALT & PEPPER HOLDINGS LTD.

LIEU DE L'AUDIENCE :                                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :                              Le 22 février 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE DU JUGE LEMIEUX EN DATE DU 18 MAI 2001

ONT COMPARU :

M. Robert MacDonald                           pour l'appelante

M. Christopher Wilson                           pour l'intimée

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson s.a.r.l.                      pour l'appelante

Ottawa (Ontario)

Bull Housser Tupper                                             pour l'intimée

Vancouver (C.-B.)

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