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Date : 20190501


Dossier : T-1456-18

Référence : 2019 CF 557

Ottawa (Ontario), le 1er mai 2019

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

LE MINISTRE DE L'INDUSTRIE

demandeur

et

MARC BLANCHETTE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le ministre de l’Industrie (connu à l’heure actuelle sous le nom « ministre de l’Innovation, des Sciences et du Développement économique du Canada ») [Ministre] sollicite une ordonnance d’injonction permanente en vertu du paragraphe 10(4) de la Loi sur la radiocommunication, LRC 1985, c R-2 [Loi] pour que le défendeur cesse d’installer, de faire fonctionner ou de posséder des appareils radio, sans être muni d’une autorisation de radiocommunication dûment octroyée par le Ministre aux termes de la Loi.

[2]  Le défendeur n’a pas comparu au dossier, bien qu’il ait été dûment signifié des procédures intentées par le Ministre.

[3]  Selon la preuve au dossier, une enquête menée par des inspecteurs nommés en vertu de la Loi (alinéa 5(1)j)), a révélé que depuis la fin 2015, le défendeur s’est livré à plusieurs activités illégales en matière de radiocommunication. Notamment, on lui reproche d’avoir utilisé un appareil radio sans être titulaire d’une autorisation de radiocommunication octroyée sous l’égide de la Loi, d’avoir usurpé l’identité d’un radioamateur, d’avoir utilisé illégalement un indicatif d’appel d’un radioamateur, d’avoir entravé la radiocommunication des radios d’urgence, et, de manière plus générale, d’avoir créé des conflits sur les ondes radio.

[4]  Grâce aux informations obtenues aux termes de cette enquête, le Ministre affirme que le défendeur n’a jamais possédé un certificat d’opérateur radio. En vertu du sous-alinéa 5(1)a)(iii) de la Loi et de l’article 33 du Règlement sur la radiocommunication, DORS/96-484 [Règlement], obligation est faite à quiconque fait fonctionner un appareil radio dans le cadre du service de radioamateur d’être muni d’un certificat d’opérateur radio, une forme d’autorisation de radiocommunication octroyée par le Ministre. Le défendeur a bien entrepris des démarches pour en obtenir un, mais en raison de son comportement sur les ondes, le Ministre a refusé sa demande en avril 2016.

[5]  Toujours dans le cadre de l’enquête lancée par le Ministre sur les activités du défendeur, les inspecteurs du Ministre ont obtenu, depuis 2016, trois mandats auprès de la Cour du Québec dans le but de perquisitionner la résidence du défendeur et de saisir le matériel radio infractionnel, notamment les appareils radio dont il se servait pour contrevenir à la Loi. Les perquisitions ont effectivement permis aux inspecteurs de saisir les équipements du défendeur et de lui remettre sept constats d’infractions, l’accusant d’avoir, sans détenir une autorisation de radiocommunication, installé, fait fonctionner ou possédé un appareil radio en violation du paragraphe 4(1) de la Loi.

[6]  Malgré ces perquisitions, saisies et accusations pénales, le défendeur s’est rééquipé à chaque occasion et a continué d’opérer un appareil radio sans détenir les autorisations requises.

[7]  Non moins de 120 de plaintes en provenance de 28 personnes différentes, dont des radioamateurs, ont été reçues par le Ministre concernant l’exploitation illégale, par le défendeur, d’appareils radio.

[8]  En juin 2018, le Ministre a, en vain, mis le défendeur en demeure de cesser de faire fonctionner ou de posséder un ou plusieurs appareils radio sans une autorisation de radiocommunication.

[9]  Le 3 août 2018, le Ministre a déposé une requête en injonction interlocutoire dans le cadre des présentes procédures. Bien que cette requête fût également signifiée au défendeur en bonne et due forme, celui-ci n’a ni participé, ni manifesté son intention de participer, aux procédures.

[10]  Le 14 septembre 2018, le juge Mosley a accordé la requête du Ministre. Il a ordonné au défendeur de :

Cesser d’installer, de faire fonctionner ou de posséder tout appareil radio, soit un dispositif ou assemblage de dispositifs destinés ou pouvant servir à la radiocommunication, sans une autorisation de radiocommunication, soit une licence ou autorisation et tout certificat visés à l’alinéa 5(1)a) de la Loi sur la radiocommunication émise par le ministre de l’Industrie jusqu’à jugement final au présent dossier de la Cour.

[11]  En octobre 2018, le défendeur a été déclaré coupable des sept chefs d’accusation portés contre lui pour des infractions commises au paragraphe 4(1) de la Loi. La Cour du Québec a imposé au défendeur une amende de 2 500 $ et a ordonné la confiscation du matériel saisi lors des perquisitions effectuées par les inspecteurs du Ministre.

[12]  La jurisprudence a établi que le rôle de la Loi est de « régi[r] l’utilisation d’appareils radio et de matériel radiosensible pour assurer le développement ordonné et l’exploitation efficace de la radiocommunication au Canada » (X (Re), 2017 CF 1047 au para 82; voir aussi Loi, art 5). Pour ce faire, le législateur a conféré au Ministre la mission d’octroyer des autorisations de radiocommunication et de prendre toute mesure propre à favoriser l’application efficace de la Loi (Loi, art 2, 5(1)a), 5(1)n)).

[13]  L’alinéa 10(1)a) et les paragraphes 10(4) et 10(5) de la Loi confèrent à la Cour le pouvoir d’émettre une injonction visant à faire cesser une activité qu’elle estime constituer une infraction à la Loi. En l’espèce, le Ministre allègue que le défendeur contrevient plus particulièrement au paragraphe 4(1) de la Loi, lequel se lit comme suit :

Interdictions

4 (1) Il est interdit, sans une autorisation de radiocommunication et sans en respecter les conditions, d’installer, de faire fonctionner ou de posséder un appareil radio autre :

 

Prohibitions

4 (1) No person shall, except under and in accordance with a radio authorization, install, operate or possess radio apparatus, other than

a) qu’un appareil exempté au titre d’un règlement pris en application de l’alinéa 6(1)m);

(a) radio apparatus exempted by or under regulations made under paragraph 6(1)(m); or

 

b) qu’un appareil qui ne peut que recevoir de la radiodiffusion et n’est pas une entreprise de distribution.

(b) radio apparatus that is capable only of the reception of broadcasting and that is not a distribution undertaking.

[14]  Dans l’affaire Canada (Ministre de l'Industrie) c Thomson, 2004 CF 265 [Thomson], cette Cour a résumé les critères à satisfaire pour obtenir une injonction en vertu du paragraphe 10(4) de la Loi:

[16]  Aux termes du paragraphe 10(4) de la Loi, la Cour fédérale peut accorder une injonction si elle est convaincue qu'une infraction à l'alinéa 10(1)a) se commet ou est sur le point d'être commise. L'alinéa 10(1)a) stipule que toute personne qui contrevient à l'article 4 de la Loi a commis une infraction. Par conséquent, pour accorder une injonction en l'espèce, la Cour doit être convaincue que le défendeur commet ou est sur le point de commettre un acte qui contrevient à l'article 4 de la Loi.

[17]  Afin de déterminer si le défendeur contrevient à l'article 4 de la Loi, il faut répondre à deux questions distinctes. Tout d'abord, le support en cause est-il un « appareil radio » pour les fins de l'article 4 de la Loi? Si elle conclut que le support n'est pas un « appareil radio » ou qu'il est soustrait à l'application de l'article 4 de la Loi, alors la Cour ne pourrait pas conclure que le défendeur contrevient à l'article 4. Toutefois, si elle conclut que le support tombe sous l'application de l'article 4, la deuxième question se pose; c'est-à-dire de savoir si le défendeur a installé, a fait fonctionner ou possède l' « appareil radio » conformément à son autorisation?

[15]  Le premier élément matériel de l’infraction prévue au paragraphe 4(1) de la Loi est l’acte « d’installer, de faire fonctionner ou de posséder un appareil radio ». L’article 2 de la Loi définit un « appareil radio » comme étant un « [d]ispositif ou assemblage de dispositifs destiné ou pouvant servir à la radiocommunication ».

[16]  Les alinéas 4(1)a) et 4(1)b) de la Loi créent des exceptions à l’interdiction d’installer, de faire fonctionner ou de posséder un appareil radio sans une autorisation de radiocommunication. L’alinéa 4(1)a) renvoie notamment aux dispositions du Règlement qui en énumère les exemptions. La preuve présentée par le Ministre ne permet pas de croire qu’une des exceptions s’applique en l’espèce, et, encore une fois, le défendeur n’est jamais intervenu dans l’instance pour prouver le contraire.

[17]  Selon l’affidavit de Daniel Nadeau, inspecteur nommé en vertu de la Loi pour le compte du Ministre, les perquisitions ont permis de révéler que le défendeur était en possession d’appareils radio, au sens de la Loi, à au moins trois reprises depuis la fin 2015, lesquels appareils radio nécessitaient l’obtention d’une autorisation de radiocommunication pour pouvoir les opérer (Affidavit de Daniel Nadeau aux para 12, 22, 30, 33). Par surcroît, en 2018, le défendeur a été déclaré coupable d’avoir, sans une autorisation de radiocommunication, installé, fait fonctionner ou possédé un appareil radio en vertu du paragraphe 4(1) de la Loi (Affidavit supplémentaire de Daniel Nadeau au para 9).

[18]  Le second élément matériel de l’infraction prévue au paragraphe 4(1) de la Loi est l’omission du contrevenant d’être titulaire d’une « autorisation de radiocommunication ». Celle‑ci est définie à l’article 2 de la Loi comme étant « [t]oute licence ou autorisation et tout certificat visés à l’alinéa 5(1)a) ». Comme on l’a vu, la preuve du Ministre démontre sans équivoque que le défendeur n’a jamais possédé de telles autorisations.

[19]  Je suis donc satisfait que le défendeur a commis l’infraction prévue au paragraphe 4(1) de la Loi et qu’il y a lieu, par conséquent, d’émettre l’injonction sollicitée.

[20]  Le Ministre souligne, à bon droit, que le comportement du défendeur est non seulement illégal, mais aussi dangereux, plus particulièrement quand il entrave la radiocommunication réservée au réseau d’urgence. Dans une affaire pénale où un individu avait été accusé d’avoir enfreint la Loi pour avoir vendu des appareils radio dont la programmation était modifiée pour pouvoir utiliser n’importe quelle fréquence, le juge Michel Boissonneault, de la Cour du Québec, rappelait ceci :

Lorsque l'on analyse la portée de la Loi sur la radiocommunication et de ses règlements, on comprend que la protection du public est la priorité. Les ondes hertziennes ne sont pas un terrain vacant où n'importe qui peut s'installer. Une fois leur programme modifié, les appareils radio du défendeur permettaient une transmission sur n'importe quelle fréquence dont celles réservées exclusivement aux services de protection publique. On pense ici aux services ambulanciers, service de police, aviation civile, compagnie de télécommunication ou autres. En distribuant des appareils radio modifiés donnant accès à toutes les fréquences, le défendeur pouvait indirectement mettre la vie en danger.

[Je souligne]

(Directeur des poursuites criminelles et pénales c Audet (Communication LG enr), 2011 QCCQ 12563 au para 20)

[21]  Ces propos sont tout aussi applicables aux circonstances de la présente affaire.

[22]  En terminant, la jurisprudence a établi qu’un des motifs qui peut sous-tendre l’émission d’une injonction aux termes de la Loi est « l'intérêt du public à ce que le droit soit dûment appliqué » (Thomson au para 23). La présente instance est un cas clair où un tel principe devrait s’appliquer.

[23]  Il s’ensuit que la demande en injonction permanente du Ministre est bien fondée. La preuve démontre que le défendeur commet l’infraction au paragraphe 4(1) de la Loi, en faisant fonctionner et en possédant un ou des appareils radio sans détenir une autorisation de radiocommunication, tel que la Loi le requiert. Il est donc tout à fait indiqué que la Cour ordonne au défendeur de cesser toute activité liée à l’infraction prévue au paragraphe 4(1).


JUGEMENT au dossier T-1456-18

LA COUR :

  1. ACCUEILLE la demande en injonction permanente;
  2. ORDONNE au défendeur de cesser d'installer, de faire fonctionner ou de posséder tout appareil radio, soit un dispositif ou assemblage de dispositifs destinés ou pouvant servir à la radiocommunication, sans une autorisation de radiocommunication, soit une licence ou autorisation et tout certificat visés à l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur la radiocommunication émise par le ministre de l’Industrie;
  3. Le tout avec dépens.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1456-18

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE L'INDUSTRIE c MARC BLANCHETTE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 AVRIL 2019

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

 

DATE DES MOTIFS :

LE 1er MAI 2019

 

COMPARUTIONS :

Me Pavol Janura

 

Pour le demandeur

 

Blanc

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

Aucun

 

Pour le défendeur

 

 

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