Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision


Date: 19971217


Dossier: T-2875-96

OTTAWA (ONTARIO), LE 17 DÉCEMBRE 1997.

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE JOYAL

ENTRE:

     NANOOSE CONVERSION CAMPAIGN,

     requérante,


et

     LE MINISTRE DE L"ENVIRONNEMENT,

     intimé.

     ORDONNANCE

     La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée.

                                 L-Marcel Joyal

    

                                 J U G E

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.


Date: 19971217


Dossier: T-2875-96

ENTRE :

     NANOOSE CONVERSION CAMPAIGN,

     requérante,


et

     LE MINISTRE DE L"ENVIRONNEMENT,

     intimé.

     MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE JOYAL

[1]      Il s"agit de la demande de contrôle judiciaire d"une décision prise le 28 novembre 1996 par le ministre de l"Environnement en vertu des articles 108 et 109 de la Loi canadienne sur la protection environnementale , L.R.C. (1989), ch. C-15.3 (la LCPE). Dans sa décision, le ministre de l"Environnement a jugé que le ministère de la Défense nationale et la United States Navy n"avaient pas à obtenir de permis d"immersion de déchets en mer en vertu de la LCPE pour mener leurs activités au Centre d"expérimentation et d"essais maritimes des Forces canadiennes (le CEEMFC) de Nanoose Bay (Colombie-Britannique).

Les faits :

[2]      La requérante, Nanoose Conversion Campaign (NCC), est un organisme sans but lucratif voué à la conversion du CEEMFC de Nanoose Bay à des fins plus pacifiques.

[3]      Le CEEMFC est un centre d"essai d"armes sous-marin situé dans le détroit de Géorgie et utilisé par le ministère canadien de la Défense nationale et la United States Navy. Les essais ont lieu dans un rayon de quelques 75 milles, le long de la côte est de l"île de Vancouver, à environ 22 km au nord de Nanaimo. Les essais consistent la plupart du temps à lancer, à partir de navires, des torpilles de type Mack 46 et Mack 48 guidées par des fils de cuivre. Les torpilles sont guidées à l"aide d"ondes sonores sous-marines émises par des bouées acoustiques. Lors des essais, les fils de cuivre, les masses de plomb rattachées aux torpilles et le matériel des bouées (qui comprend des piles au lithium) coulent jusqu"au fond de l"océan, à une profondeur d"environ 450 à 550 mètres. Jusqu"à présent, environ 93 000 km de fil de cuivre recouverts d"une gaine de plastique dont on se sert pour guider les torpilles, 8 500 km de fils de bouées acoustiques, 1 300 tonnes de masses de plomb, 60 000 gaines de bouées acoustiques et 51 000 mécanismes de bouées acoustiques contenant des piles au lithium ont été immergés.

[4]      La quantité de fil nécessaire pour guider la torpille dépend de la portée de celle-ci. Les bouées acoustiques, pour des raisons stratégiques et de sécurité, coulent à peu près huit heures après le lancement et, en général, elles ne sont pas récupérées. En 1990, environ 2 000 bouées acoustiques ont été utilisées dans l"aire d"essais.

[5]      En juillet 1996, la requérante a demandé la tenue d"une enquête relativement à ces activités en vertu des articles 108 et 109 de la LCPE, en prétendant que les débris en question avaient été immergés en contravention des articles 67 et 70 de cette loi.

[6]      Le 11 septembre 1996, le directeur régional a avisé la requérante que l"affaire avait été soumise à la Section des enquêtes. Un inspecteur a visité le CEEMFC, interrogé le commandant, examiné le rapport d"évaluation environnementale relatif aux essais effectués et conclu que les dispositions de la LCPE en matière d"immersion de déchets en mer ne s"appliquaient pas aux activités faisant l"objet de l"enquête.

[7]      Dans une lettre datée du 28 novembre 1996, le ministre a avisé la requérante que le ministère canadien de la Défense nationale et la United States Navy n"avaient pas contrevenu aux articles 67 et 70 de la LCPE et qu"ils n"avaient pas à obtenir de permis d"immersion de déchets en mer.

La question en litige :

[8]      La requérante prétend que le ministre de l"Environnement a commis une erreur de droit lorsqu"il a conclu a) que le CEEMFC n"a pas contrevenu aux articles 67 et 70 de la LCPE et b) que le ministère canadien de la Défense nationale et la United States Navy n"avait pas à obtenir de permis d"immersion de déchets en mer.

La loi :

[9]      Les dispositions pertinentes en l"espèce sont les articles 66, 67 et 70 de la partie VI (Immersion de déchets en mer) de la LCPE et les articles 198 et 109 de la partie VII (Dispositions générales) de cette loi. Voici le texte de ces dispositions :

                 66.      (1)                 
                 [...]                 
                 " capitaine " Est assimilé au capitaine quiconque a le commandement ou la responsabilité d'un navire, sauf le pilote.                 
                 [...]                 
                 " immersion "                 
                 a) Rejet délibéré de substances en mer, à partir de navires, aéronefs, plates-formes ou autres ouvrages, notamment par incinération ou emploi d'autres moyens de dégradation thermique;                 
                 b) est assimilé à l'immersion le rejet de substances sur les glaces de la mer dans les zones de mer visées aux alinéas (2)a) à e);                 
                 c) sont exclus de la présente définition:                 
                      (i) les rejets consécutifs à l'utilisation normale d'un navire, d'un aéronef, d'une plate-forme ou autre ouvrage " ou de leur équipement ", sauf les rejets de substances effectués à partir d'un tel matériel lorsque celui-ci est affecté à cette fin,                 
                      (ii) les déversements consécutifs à la recherche, à l'exploitation ou au traitement en mer des ressources minérales sous-marines.                 
                 [...]                 
                 " navire " Tout engin flottant qui sert ou peut servir, exclusivement ou partiellement, à la navigation maritime, qu'il soit pourvu ou non d'un moyen propre de propulsion.                 
                 [...]                 
                 " propriétaire " Quiconque a, de droit ou par contrat, la possession et l'utilisation d'un navire, d'un aéronef, d'une plate-forme ou de tout autre ouvrage.                 
                 67.      (1) Sous réserve du paragraphe (2) et de l'article 68, il est interdit de procéder à l'immersion de substances à partir_:                 
                 a) de navires, aéronefs, plates-formes ou autres ouvrages, dans toute zone de mer visée aux alinéas 66(2)a) à f);                 
                 b) de navires ou aéronefs canadiens, dans toute zone de mer visée aux alinéas 66(2)g) ou h);                 
                 c) de navires ou aéronefs non canadiens, dans toute zone de mer visée aux alinéas 66(2)g) ou h), si le chargement des substances à leur bord s'est effectué au Canada.                 
                      (2) L'immersion de substances est autorisée_:                 
                 a) dans les cas prévus aux alinéas (1)a) ou c), avec un permis délivré en vertu de l'article 71;                 
                 b) dans le cas prévu à l'alinéa (1)b), avec un permis délivré en vertu de l'article 71 ou accordé conformément à la Convention par une partie contractante autre que le Canada.                 
                 70.      (1) Il ne peut être procédé à l'abandon, dans une zone de mer visée aux alinéas 66(2)a) à f) d'un navire, d'un aéronef, d'une plate-forme ou de tout autre ouvrage que conformément à un permis délivré en vertu de l'article 71.                 
                      (2) Il ne peut être procédé à l'abandon d'un navire ou d'un aéronef canadien, dans une zone de mer visée aux alinéas 66(2)g) ou h), que conformément à un permis délivré en vertu de l'article 71 ou en application de la Convention par une partie contractante.                 
                 108.      (1) Deux personnes âgées d'au moins dix-huit ans et résidant au Canada peuvent demander au ministre l'ouverture d'une enquête sur tout fait constituant selon elles une infraction à la présente loi.                 
                      (2) La demande est accompagnée d'une déclaration solennelle qui énonce_:                 
                 a) le nom et l'adresse des demandeurs;                 
                 b) la nature de l'infraction reprochée et le nom des personnes à qui elle est imputée;                 
                 c) un bref exposé des motifs à l'appui de la demande.                 
                 109.      (1) Sans délai, le ministre accuse réception de la demande et fait enquête sur tous les points qu'il juge indispensables pour établir les faits afférents à l'infraction reprochée.                 
                      (2) Dans les quatre-vingt-dix jours suivant la réception de la demande, le ministre informe les auteurs de celle-ci du déroulement de l'enquête et des mesures qu'il entend prendre.                 
                      (3) S'il estime que l'infraction reprochée ne justifie plus la poursuite de l'enquête, le ministre peut l'interrompre.                 
                      (4) En cas d'interruption, le ministre rédige un rapport écrit exposant l'information recueillie et les motifs de l'interruption et en envoie un exemplaire aux auteurs de la demande et aux personnes dont le comportement fait l'objet de l'enquête.                 

La prétention de la requérante :

[10]      La requérante a fondé son argumentation sur la LCPE, qui interdit explicitement l"immersion de substances à partir d"un navire sans avoir préalablement obtenu un permis ministériel. En bref, la requérante prétend que les activités des navires de guerre ne sont pas visées par les exceptions prévues par la loi, que l"immersion de plomb et de fils de cuivre et de plastique constitue des rejets délibérés de substances en mer et que de tels rejets ne sont pas [TRADUCTION] " consécutifs à l'utilisation normale des navires ".

[11]      L"avocate de la requérante soutient que l"objectif de la loi dont la Cour est saisie vise à protéger l"environnement, que ce soit en milieu marin ou ailleurs. La requérante se fonde sur une telle interprétation de la loi en fonction de son objet, vu les dispositions interdisant le déversement de déchets dans l"environnement que contenait la législation antérieure, dont la Convention sur la prévention de la pollution des mers résultant de l"immersion de déchets de 1972, en vigueur depuis 1975; pour une analyse détaillée de ce domaine, voir l"article d"Elaine Hughes paru dans l"Annuaire canadien de droit international1. La requérante prétend que dans les circonstances, la loi devrait être interprétée en fonction du système général de réglementation qui y est prévue et de façon à permettre à celle-ci d"atteindre son objectif.

[12]      En outre, l"avocate de la requérante soutient que la conclusion selon laquelle " les rejets consécutifs à l'utilisation normale " d'un navire de guerre comprennent l"immersion de munitions ou de butin de guerre constitue une erreur de droit. De l"avis de l"avocate, les rejets consécutifs à l'utilisation normale d"un navire de guerre doivent se limiter aux objets habituellement rejetés dans le cadre des opérations d"un tel navire, tels les déchets de cuisine, l"eau qui s"accumule au fond de la cale et les déchets provenant du nettoyage du navire, ce qui exclut les déchets provenant de la mise à l"essai d"" ogives nucléaires " et du lancement de bouées acoustiques. La Cour présume que cette allusion à des ogives nucléaires est purement hypothétique. En effet, il ressort du dossier dont je dispose que les deux types de torpilles utilisées dans le cadre des essais n"ont pas de têtes explosives.

[13]      Enfin, la requérante prétend que l"esprit et l"objectif de la LCPE visent à imposer une interdiction totale. Il s"agit d"une loi préventive et non réparatrice. L"immersion de déchets en mer ne peut se faire qu"après avoir obtenu un permis.

La prétention de l"intimé :

[14]      L"avocat de l"intimé soutient que la décision du ministre était tout à fait légitime et que ce dernier a exercé son pouvoir discrétionnaire en tenant compte des faits de l"espèce et des dispositions législatives pertinentes. En ce qui concerne les faits, le ministre a conclu :          [TRADUCTION]

                 1.      La torpille de type Mark 46, qui est lancée à partir d"un navire, d"un aéronef ou d"une plate-forme est munie de masses de plomb qui corrigent le déséquilibre engendré par le retrait de la tête explosive. Lors des essais, ces masses se détachent, ce qui permet de récupérer la torpille qui, autrement, se perdrait dans les flots ou coulerait au fond du détroit de Géorgie. Après avoir coulé au fond du détroit de Géorgie, dans l"aire d"essais, les masses de plomb se couvrent des sédiments mous qui s"y trouvent. Les tentatives de récupération des masses de plomb ont échoué parce qu"il s"avère impossible de localiser celles-ci dans les sédiments.                 
                 2.      La torpille de type Mark 48, qui est lancée à partir d"un navire ou d"une plate-forme, est munie d"un mince fil de cuivre recouvert d"une gaine de plastique qui permet d"en guider les mouvements pendant l"essai. Les tentatives de récupération de ce fil à la fin des essais ont échoué parce que le fil se casse.                 
3.      Les bouées acoustiques, qui sont lancées à partir d"un aéronef ou de navires, servent à fournir des renseignements de nature acoustique sur les mouvements sous-marins de navires ou de torpilles. Ces bouées ont été conçues de manière à couler dans un délai de huit heures, et ce pour éviter qu"elles ne posent un danger pour la navigation et, en cas de conflit, pour empêcher que l"ennemi ne les récupère. Les tentatives de récupération des bouées acoustiques ont échoué parce que la plupart de celles-ci n"ont pu être localisées avant de couler dans l"aire d"essais, qui mesure 75 milles carrés2.

[15]      En prenant sa décision, le ministre a également tenu compte de l"évaluation environnementale que le Pacific Marine Technology Centre a faite, en mars 1996, concernant les essais de Nanoose Bay. Cette évaluation a par la suite été examinée par le chef des enquêtes de la Direction générale de la protection de l"environnement du ministère de l"Environnement, qui a conclu que les débris provenant des essais d"armes n"avaient pas d"impact mesurable sur l"environnement. Le rapport de mars 1996 faisait remarquer que l"accumulation de débris constituait davantage un problème esthétique qu"un problème d"impact physique sur l"environnement.

[16]      Tenant compte de ce qui précède, l"avocat de l"intimé soutient que la décision finale du ministre était dûment autorisée par la LCPE et conforme à celle-ci. Selon l"avocat :

     1.      la décision était conforme à l"art. 66 de la LCPE, lequel définit le terme " immersion " et est particulièrement pertinent en ce qui concerne les dispositions prévues aux art. 108 et 109 de cette loi en matière d"enquêtes faisant suite au dépôt de plaintes;         
     2.      la LCPE exige que l"on détermine d"abord s"il y a eu ou s"il y aura une immersion; si, de l"avis du ministre, il n"a pas été satisfait à ce critère préalable, le système de réglementation prévu dans la loi ne s"appliquera évidemment pas.         

L"analyse :

[17]      L"article 109 accorde au ministre le pouvoir de faire enquête relativement aux infractions définies dans la LCPE. Il est intéressant de noter que le par. (3) prévoit que s'il estime que l'infraction reprochée ne justifie plus la poursuite de l'enquête, le ministre peut interrompre celle-ci.

[18]      Il est également intéressant de prendre connaissance de la définition du terme " immersion " qui figure à l"art. 66 et des interdictions en matière d"" immersion " prévues à l"art. 67. Il est clair, à mon avis, que ces dispositions visent l"immersion de substances qui ont un effet négatif sur l"environnement marin et font partie d"un système de réglementation traitant de telles immersions.

[19]      Selon le ministre, un navire de guerre est un navire. Or, la définition d"" immersion " à partir d"un navire qui figure au par. 66(1) exclut les rejets consécutifs à l'utilisation normale de ce navire. Le ministre conclut donc logiquement, compte tenu de ce qui précède, que le lancement de torpilles d"essai et de bouées acoustiques de même que les rejets ultérieurs des masses, fils et autres débris mentionnés précédemment constituent des rejets consécutifs à l"utilisation d"un navire de guerre muni de tubes lance-torpilles et dont la fonction, au Centre de Nanoose Bay, est de mettre à l"essai des armes marines et du matériel marin en général.

[20]      Ceci étant dit, des questions peuvent être posées. Quelle est l"étendue du pouvoir discrétionnaire que le paragraphe 108(2) confère au ministre? Le ministre commet-il une erreur de droit en concluant que les activités menées à Nanoose Bay ne constituent pas de l"immersion?

[21]      La Cour, invitée à faire des remarques sur ces deux questions, doit faire preuve d"une certaine retenue. En effet, il s"agit en l"espèce d"une demande de contrôle judiciaire et non d"un processus d"appel au sens général. En outre, l"étendue du pouvoir discrétionnaire que la loi confère au ministre a, depuis longtemps, été interprétée comme étant plutôt vaste. Dès 1946, le juge Thorson disait :

                 [TRADUCTION] L"idée directrice de la présente affaire est que lorsque le Parlement confie à une autorité autre qu"un tribunal une fonction administrative qui implique l"exercice d"un pouvoir discrétionnaire, l"autorité doit pouvoir s"acquitter de sa fonction libre de toute intervention directe ou indirecte de la part des tribunaux. Les tribunaux n"ont pas le droit d"examiner l"avis d"une personne qui a la compétence pour émettre un tel avis et agir en conséquence, ni les considérations sur lesquelles la personne s"est fondée; ils n"ont pas la compétence pour examiner l"exactitude d"un tel avis3.                 

[22]      Le juge Thorson a également fait d"autres commentaires pertinents dans l"arrêt Pure Spring , à la p. 502 :

         [TRADUCTION] [...] à mon avis, il ressort très clairement de la jurisprudence et de la doctrine que le ministre, lorsqu"il prend une décision de nature discrétionnaire en vertu du par. 6(2), n"est pas tenu d"avoir à l"esprit les mêmes considérations que celles qui guident le tribunal qui doit rendre une décision judiciaire; loin d"être obligé de ne tenir compte que des faits pouvant être établis ou de la preuve admissible, il peut obtenir des renseignements de toute source qu"il estime digne de foi; il peut appliquer ses propres connaissances ou encore celles des fonctionnaires de son ministère auxquels il a confiance et il peut profiter des conseils de ces derniers; à l"égard de toute matière que la Parlement lui a confiée en exclusivité, il est libre d"agir comme le ferait le Parlement lui-même; il peut se servir de son propre jugement et, ainsi, se fier à son " intuition laquelle, développée au fil des années, surpasse l"analyse ", comme l"a dit le juge Homes; il peut mettre à contribution tous les éléments qui lui permettront de définir et de mettre en oeuvre de son mieux la politique que le Parlement lui a confiée.         

[23]      Des points de vue similaires ont été exprimés dans d"autres arrêts4. En outre, l"exposé du droit que le juge McIntyre de la Cour suprême du Canada a fait dans l"arrêt Maple Lodge Farms Ltd. c. Canada5, est maintenant bien connu de tous :

                 C"est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s"ingérer dans l"exercice qu"un organisme désigné par la loi fait d"un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la cour aurait exercé ce pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s"est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l"objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.                 

[24]      Le ministre a-t-il commis une erreur lorsqu"il a conclu qu"un navire de guerre était visé par l"expression " navires, aéronefs, plates-formes " qui figure à l"al. 66(1)a ) de la Loi? Plus loin, l"art. 66 définit le terme " navire " de la façon suivante : " navire " - tout engin flottant qui sert ou peut servir, exclusivement ou partiellement, à la navigation maritime, qu'il soit pourvu ou non d'un moyen propre de propulsion. [En français dans le texte.] La définition qui figure dans la version française de la Loi a une portée plus englobante que celle qui figure dans la version anglaise. Avec égards, je suis d"avis qu"un navire de guerre constitue effectivement un engin flottant qui sert à la navigation maritime.

[25]      On pourrait penser que l"avis du ministre selon lequel les rejets de fil de cuivre, de masses de plomb et d"autres substances de cette nature sont consécutifs à l'utilisation normale d'un navire de guerre ou de l"équipement de ce dernier est encore plus grave. À première vue, il semblerait que cela confère un nouveau sens aux termes utilisés dans la Loi. Cependant, un examen plus approfondi m"incite à conclure autrement:

     1.      Le pouvoir discrétionnaire prévu au par. 109(3) en vertu duquel le ministre peut interrompre l"enquête s'il estime que l'infraction reprochée n"en justifie plus la poursuite a une très grande portée et son exercice est fermement à l"abri de toute intervention judiciaire.         
     2.      Le ministre a pris acte de l"évaluation environnementale très approfondie selon laquelle l"accumulation de débris avait une incidence minimale sur l"environnement. [TRADUCTION] " À l"instar des déchets qu"on trouve sur la terre ferme ", dit le rapport, " l"accumulation de déchets suite aux activités qui ont cours au centre d"expérimentation est essentiellement une question de gestion interne qui porte davantage sur un problème esthétique qu"un problème d"impact physique sur l"environnement ".         
     3.      Les documents sur l"état de l"environnement ne visent pas à camoufler quoi que ce soit. En effet, ils font état de certaines conséquences néfastes engendrées par les activités menées à Nanoose Bay et recommandent des moyens en vue d"atténuer ces conséquences.         
     4.      Des essais d"armes ont lieu depuis plusieurs années à Nanoose Bay et la cote de sécurité de cet endroit a toujours été " excellente ".         
     5.      Bien qu"il ressorte d"études environnementales que les activités menées à Nanoose Bay satisfont aux normes environnementales applicables ou vont au-delà de ce qu"exigent celles-ci, l"esprit et l"objectif du règlement concernant l"immersion de déchets en mer ou les pêches en général doivent toujours être respectés. Le maintien d"une approche prudente est de mise.         

[26]      Les points qui précèdent ne sont qu"un résumé des éléments dont le ministre devait tenir compte en prenant sa décision. Avec égards, je suis d"avis qu"il pouvait conclure que la perte de fils de cuivre, de masses de plomb rattachées aux torpilles, de bouées acoustiques et de piles au lithium ne constituait pas une immersion de déchets, mais qu"il s"agissait plutôt d"une perte consécutive à l'utilisation normale d'un navire de guerre ou de l"équipement de ce dernier. En outre, j"estime qu"aucune erreur susceptible de contrôle n"a été commise étant donné que le ministre pouvait, vu les faits de l"espèce, conclure qu"il n"était pas nécessaire de pousser plus loin l"enquête ouverte suite au dépôt de la plainte.

Conclusion

[27]      La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. La Cour a grandement apprécié les dossiers de la demande, fort utiles, qui ont été déposés par les avocats des deux parties.

                                 L-Marcel Joyal

    

                                 J U G E

O T T A W A (Ontario)

le 17 décembre 1997.

Traduction certifiée conforme

Bernard Olivier, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

    

NO DU GREFFE :              T-2875-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Nanoose Conversion Campaign c. Le ministre de                      l"Environnement

LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (Colombie-Britannique)
DATE DE L"AUDIENCE :          le 6 novembre 1997

MOTIFS DE L"ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE MONSIEUR LE JUGE JOYAL

EN DATE DU :              17 décembre 1997

ONT COMPARU :

Mme E. Jane Luke              pour la requérante

M. Paul F. Partridge              pour l"intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

E. Jane Luke

avocate

Vancouver (Colombie-Britannique)      pour la requérante

George Thomson

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)              pour l"intimé

__________________

1      vol. XXVI, 1988, à la p. 155.

2      Ce paragraphe, tiré du dossier de la demande de l"intimé, reprend le par. 8 de la déclaration sous serment de Robert Gordon Thompson, faite le 29 janvier 1997 (onglet no 1).

3      Pure Spring Company Ltd. v. MNR, (1946) Ex.C.R. 471.

     4      Voir Calgary Power Ltd. et al v. Clarence Copithorne , (1959) R.C.S. 24; Associated Provincial Picture Houses v. Wednesbury Corporation, (1947) 2 All E.R. 680.

5      (1982) 2 R.C.S. 2.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.