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Date : 20020327

Dossier : T-996-01

Référence neutre : 2002 CFPI 346

Ottawa (Ontario), le mercredi 27 mars 2002

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :

                                                            CHIH SHENG LIN

                                                                                                                                               appelant

                                                                          - et -

                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                                    intimé

                             MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LE JUGE DAWSON

[1]                 L'appelant, M. Lin, interjette appel d'une décision rendue par un juge de la Cour de la citoyenneté, le 28 mars 2001, dans laquelle ce juge a rejeté la demande de M. Lin visant à obtenir la citoyenneté canadienne.


[2]                 La question soulevée dans le présent appel consiste à savoir si le juge a erré en décidant que M. Lin n'avait pas satisfait aux exigences de l'alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi). L'alinéa 5(1)c) de la Loi est ainsi libellé :


5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:

[...]

c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:

(i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,

(ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent.

5. (1) The Minister shall grant citizenship to any person who

[...]

(c) has been lawfully admitted to Canada for permanent residence, has not ceased since such admission to be a permanent resident pursuant to section 24 of the Immigration Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:

(i) for every day during which the person was resident in Canada before his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one-half of a day of residence, and

(ii) for every day during which the person was resident in Canada after his lawful admission to Canada for permanent residence the person shall be deemed to have accumulated one day of residence.


[3]                 Les faits pertinents, en bref, consistent en ce que M. Lin est arrivé au Canada à titre de résident permanent le 22 août 1996, accompagné de son épouse et de ses trois enfants. La mère, la soeur et les deux frères de ce dernier sont demeurés des résidents de Taïwan. M. Lin a complété une demande de citoyenneté le 22 août 2000, laquelle a été reçue par le ministre responsable le 11 septembre 2000 ou vers cette date.


[4]                 La période de temps qui peut être comptabilisée aux fins de la résidence de M. Lin au Canada est donc celle qui va du 22 août 1996 au 22 août 2000, une période de 1 460 jours. D'après les renseignements que M. Lin a fournis, celui-ci a été présent physiquement pendant 685 jours au Canada. Le temps d'absence s'élève à 775 jours. Par conséquent, il manque 410 jours aux 1 095 jours exigés par la Loi.

[5]                 On a expliqué les périodes d'absence aux motifs que M. Lin avait besoin de temps pour se départir de biens après son arrivée au Canada, qu'il avait promis de former sa soeur et son frère à gérer l'entreprise qu'il leur avait vendue, que sa mère avait besoin de sa présence à Taiwan et qu'il était en train de développer des sources d'approvisionnement pour une nouvelle société commerciale qu'il avait établie au Canada et qui ne progressait pas aussi bien qu'il l'aurait espéré.

[6]                 M. Lin a été interrogé par le juge de la Cour de la citoyenneté le 5 mars 2001. Le 28 mars 2001, le juge a rendu une décision défavorable.


[7]                 Dans un document intitulé « Motifs de décision en matière de résidence » , le juge a écrit qu'en décidant si M. Lin avait démontré que le Canada était le pays dans lequel il avait centralisé son mode d'existence, celui-ci a tenu compte des questions posées par le juge Reed dans l'arrêt Re: Koo, [1993] 1 C.F. 286 [1re inst]. Le juge a ensuite examiné les questions suivantes :

1.          Le requérant était-il physiquement présent au Canada durant une période prolongée avant de s'absenter une première fois?

2.          Où résident la famille proche et les personnes à charge du requérant (et sa famille élargie)?

3.          La forme de présence physique du requérant au Canada dénote-t-elle que ce dernier revient dans son pays ou, alors, qu'il n'est qu'en visite?

4.          Quel est l'étendue des absences physiques?

5.          L'absence physique est-elle imputable à une situation manifestement temporaire?

6.          Quelle est la qualité des attaches du requérant avec le Canada : sont-elles plus importantes que celles qu'il a avec un autre pays?


[8]                 L'avocat de M. Lin a signalé, au cours de sa plaidoirie, deux erreurs commises par le juge. D'abord, le juge n'a pas appliqué adéquatement les principes énoncés dans l'arrêt Koo, précité. En fait, il a été dit que le juge a rejeté d'une manière désinvolte les indicateurs passifs de résidence comme les dossiers d'impôt, les dossiers médicaux ainsi que les relevés bancaires et il n'a pas énuméré tous les indicateurs auxquels s'est fié M. Lin, omettant certains éléments comme les sommes versées aux organismes de charité et l'assurance invalidité. En second lieu, les notes manuscrites de l'entrevue, écrites sur un questionnaire qui énonce les critères de l'arrêt Koo, soit ne semblaient pas répondre aux critères, soit étaient vierges.

[9]                 Une décision rendue par un juge de la Cour de la citoyenneté sur la question de l'interprétation à donner à l'alinéa 5(1)c) de la Loi doit être examinée d'après la norme de la justesse de la décision. Ce critère a été précisé par le juge Lutfy, tel était alors son titre, dans l'arrêt Lam c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 164 F.T.R. 177 (C.F. 1re inst) au paragraphe 33 dont voici l'extrait :

Cependant, lorsqu'un juge de la citoyenneté, dans des motifs clairs qui dénotent une compréhension de la jurisprudence, décide à bon droit que les faits satisfont sa conception du critère législatif prévu à l'alinéa 5(1)c), le juge siégeant en révision ne devrait pas remplacer arbitrairement cette conception par une conception différente de la condition en matière de résidence.

[10]            À mon avis, rien n'indique, dans la présente cause, que le juge n'a pas su bien appliquer le critère établi dans l'arrêt Koo.


[11]            Le juge de la citoyenneté a ensuite correctement déterminé les principes énoncés dans l'arrêt Koo. Je ne suis pas prêt à tirer une conclusion d'après les notes manuscrites rudimentaires de l'entrevue du juge; j'ai plutôt analysé son document complet intitulé « Motifsde décision en matière de résidence » . Les faits énoncés dans ce document par le juge de la citoyenneté étaient susceptibles d'étayer la conclusion de la Cour voulant que M. Lin n'avait pas centralisé sa vie au Canada.

[12]            Le juge n'était pas obligé de citer chaque élément de preuve soumis par M. Lin et je n'estime pas que le juge a mal qualifié ou a considéré des indices passifs de la résidence.

[13]            Pour ces motifs, l'appel est rejeté.

[14]            Cela étant, je ferai le commentaire additionnel suivant.

[15]            En général, la jurisprudence actuelle de notre Cour relative aux appels en matière de citoyenneté applique la décision du juge Lutfy dans l'arrêt Lam précité et, plus particulièrement, les commentaires de ce dernier au paragraphe 14 :

[...] le juge de la citoyenneté peut adhérer à l'une ou l'autre des écoles contradictoires [Traduction] [de la jurisprudence en matière de résidence] de la Cour, et, s'il appliquait correctement aux faits de la cause les principes de l'approche qu'il privilégie, sa décision ne serait pas erronée.


[16]            Il est important de reconnaître qu'en écrivant de la sorte, le juge Lutfy a appuyé ses opinions sur le fait que le projet de loi C-63, comme on l'appelait à l'époque, proposait l'adoption d'une nouvelle Loi sur la citoyenneté au Canada visant à clarifier les conditions de résidence. Les motifs de ce dernier invoquaient, par conséquent, une « période d'incertitude » , « une période unique de transition probable » et une norme de contrôle applicable « pendant que la loi actuelle est encore en vigueur et malgré la fin des procès de novo » .

[17]            Toutefois, la nouvelle Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27, non encore en vigueur, au paragraphe 228(1) modifie simplement comme suit l'alinéa 5(1)c) de la Loi :


228. (1) Le passage de l'alinéa 5(1)c) de la même loi précédant le sous-alinéa (i) est remplacé par ce qui suit :

(c) est un résident permanent au sens du paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :

228. (1) The portion of paragraph 5(1)(c) of the Act before subparagraph (i) is replaced by the following:

(c) is a permanent resident within the meaning of subsection 2(1) of the Immigration and Refugee Protection Act, and has, within the four years immediately preceding the date of his or her application, accumulated at least three years of residence in Canada calculated in the following manner:


[18]            Par conséquent, la phase de transition sur laquelle s'est appuyé le juge Lutfy et à laquelle il a fait référence, n'existe plus.


[19]            Il ne peut y avoir plus d'une interprétation correcte de l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Je ne fais que reprendre avec respect les commentaires du juge, tel était alors son titre, dans l'arrêt Chen c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2001 FCT 1229; [2001] A.C.F. no 1693, selon lesquels la proposition avancée dans l'arrêt Lam, précité, ne permettra pas d'obtenir des résultats justes et équitables.

[20]            Il est fondamentalement injuste que deux personnes puissent demander la citoyenneté à partir de faits identiques et qu'elles obtiennent des résultats opposés selon que les principes énoncés dans l'arrêt Re: Pourghasemi (1993), 19 Imm. L.R. (2d) 259 (C.F. 1re inst.) ou dans l'arrêt Re: Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (C.F. 1re inst.) sont appliqués.

[21]            Seul le Parlement peut remédier à cette situation en exprimant clairement sa volonté concernant l'exigence de la résidence.


ORDONNANCE

[22]            PAR LES PRÉSENTES LA COUR ORDONNE QUE :

1.          l'appel soit rejeté.

   

                                                                                                                       « Eleanor R. Dawson »   

                                                                                                                                                      Juge                     

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL. L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                                               SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                                                 AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                   

DOSSIER :                                           T-996-01

INTITULÉ :                                        CHIH SHENG LIN et LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                 VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L'AUDIENCE :              LE 19 MARS 2002

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE PAR MADAME LE JUGE DAWSON

DATE DES MOTIFS :                      LE 27 MARS 2002

COMPARUTIONS:

ALFRED WOO                                                                POUR L'APPELANT

EMILIA PECH                                                                 POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

ALFRED WOO                                                                POUR L'APPELANT

RICHMOND

MORRIS ROSENBERG                                                 POUR L'INTIMÉ

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL

DU CANADA

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