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     IMM-3305-96

ENTRE :

     CARLOS HUMBERO GONZALES FARIAS

     YAZMINA FRANCIS ARANCIBIA LOYOLA

     Requérants

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Intimé

    

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE LUTFY

     Les requérants font partie d'une " association des voisins ", un groupe de contestataires politiques en banlieue de Santiago au Chili, pour en devenir éventuellement parmi les principaux organisateurs.

     En avril 1994, deux de leurs collègues sont arrêtés par les forces policières. L'un d'eux se retrouve dans un état de coma et hémorragie interne suite aux coups reçus à la tête et à la poitrine. Il meurt quelques heures plus tard.

     En juillet 1994, on arrête le requérant lors d'une altercation entre certains jeunes du quartier et les forces de sécurité. Il est détenu, battu et libéré trois jours plus tard. La surveillance du quartier par la sécurité augmente. Les forces policières interrompent d'autres manifestations. Les requérants sont convaincus que le commissariat protège les distributeurs et les vendeurs de drogue dans le secteur.

     En juin 1995, les requérants recherchent l'appui de leurs concitoyens afin de demander le démantèlement du commissariat du secteur aux autorités supérieures de Santiago. De nouveau, les requérants sont arrêtés, soumis à interrogatoire, menacés, battus et harcelés. Ils sont libérés le lendemain de leur arrestation. Deux jours plus tard, les requérants se rendent à une station de radio afin de dénoncer publiquement le comportement des policiers. Selon leur formulaire de renseignements personnels, les requérants ont déclaré ce qui suit:

     Nous parlons les premiers pour dennoncer (sic) la vente de drogues dans notre quartier. Nous dennonçons (sic) surtout la complicité des forces de sécurité du secteur dans tel (sic) affaire. ... Nous dennonçons (sic) les carabiniers du secteur d'être responsables de tortures, de détentions arbitraires, de faits de violence contre la population, etc. Nous demandons ouvertement au gouvernement central de terminer avec la corruption institutionnelle, avec l'impunité envers les groupes armés qui agissent dans le pays comme si le Chili était leur propriété personnelle. Nous demandons que la population soit entendue et que le commissariat en question soit fermé. Nous responsabilisons les autorités de tout fait de violence contre nos personnes et contre les voisins du secteur.         

Durant les heures qui suivent cette dénonciation, les policiers se mettent à la recherche des requérants et de l'un de leurs collègues. Ils retrouvent ce dernier, l'amènent au commissariat et le battent. Les requérants le croient maintenant disparu. En fin juin 1995, ils demandent le statut de réfugié au Canada.

     Lors de l'audition, les membres de la section du statut ne posent aucune question concernant ces événements. Après avoir reproduit le formulaire de renseignements personnels des requérants sur huit des neuf pages de sa décision et en ne faisant aucun commentaire concernant leur crédibilité, la section du statut conclut que les requérants ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention. Les motifs de cette décision sont exprimés assez brièvement :

     Nous avons mis en relief qu'au Chili le droit d'association est permis ainsi que des élections libres. Les abus des carabiniers ont été déclarés, certains ont même été congédiés et on peut également demander la protection des autorités si on se sent menacé.         
     Monsieur nous dit qu'il a demandé la protection pour l'association des voisins pour laquelle il défendait les intérêts mais quand est venu le temps de le faire pour lui, il ne l'a pas fait. Il faisait les démarches nécessaires pour faire respecter les règles et les besoins de cette association. Il se dit victime d'actes répréhensibles, mais jamais il n'a agi en conséquence. Comment peut-il reprocher aux autorités de ne pas l'avoir protégé s'il n'a pas demandé cette protection. De plus, nous pouvons nous questionner sur sa crainte d'être persécuté compte tenu qu'aucune démarche n'a été faite auprès des autorités chiliennes afin de le protéger alors que la documentation nous démontre qu'à plusieurs niveaux, une protection peut être accordée à des individus qui en ont besoin.         
     Nous estimons que Monsieur ne s'est pas déchargé du fardeau que lui impose la loi de nous démontrer qu'il a une crainte raisonnable d'être persécuté advenant son retour au Chili et il en est de même pour Madame qui base sa revendication sur celle de son époux.1         

     Dans l'affaire Canada (Procureur Général) c. Ward, [1993] 2 R.C.S. 689, la Cour suprême du Canada a établi les lignes directrices pour démontrer l'incapacité de l'État de protéger ses ressortissants et le caractère raisonnable du refus du demandeur de statut de réfugié de solliciter réellement cette protection. Le juge La Forest s'est exprimé comme suit aux pages 724-6 :

     ... l'omission du demandeur de s'adresser à l'État pour obtenir sa protection fera échouer sa revendication seulement dans le cas où la protection de l'État [TRADUCTION] "aurait pu raisonnablement être assurée". En d'autres termes, le demandeur ne sera pas visé par la définition de l'expression "réfugié au sens de la Convention" s'il est objectivement déraisonnable qu'il n'ait pas sollicité la protection de son pays d'origine; autrement, le demandeur n'a pas vraiment à s'adresser à l'État.         
     ... il faut confirmer d'une façon claire et convaincante l'incapacité de l'État d'assurer la protection. Par exemple, un demandeur pourrait présenter le témoignage de personnes qui sont dans une situation semblable à la sienne et que les dispositions prises par l'État pour les protéger n'ont pas aidées, ou son propre témoignage au sujet d'incidents personnels antérieurs au cour desquels la protection de l'État ne s'est pas concrétisée.         

     ...

     Une crainte subjective de persécution conjuguée à l'incapacité de l'État de protéger le demandeur engendre la présomption que la crainte est justifiée. Le danger que cette présomption ait une application trop générale est atténué par l'exigence d'une preuve claire et convaincante de l'incapacité d'un État d'assurer la protection.         

     La section du statut ne s'est pas prononcée sur la crédibilité des requérants. En conséquence, les événements qu'ils ont relatés doivent être tenus pour avérés pour les fins de ce contrôle judiciaire. Selon leur version, les requérants ont établi le décès et la disparition de deux de leurs co-contestataires suite aux interventions policières. Les requérants et leurs collègues ont été victimes de persécution par les agents de l'État. Ils ont fait certaines démarches auprès du commissariat et sur les ondes publiques sans résultat positif. Au contraire, les menaces et interventions policières ont continué.

     À mon avis, en acceptant la crédibilité des requérants, la section du statut devait préciser les démarches concrètes additionnelles que les requérants auraient dû, selon elle, entreprendre pour obtenir la protection de l'État. Ici, les agents de persécution sont ceux de l'État, ce qui n'était pas la situation dans l'affaire Ward, supra. La section du statut reproche aux requérants de ne pas avoir entrepris de plus amples démarches auprès du même appareil étatique responsable des agents de persécution sans préciser, ni lors de l'audition, ni dans leur décision, les moyens qui leur étaient objectivement et raisonnablement disponibles. L'omission de la section du statut à cet égard exige l'intervention de cette Cour.

     Dans l'affaire Mehterian, [1992] F.C.J. no 545, la Cour d'appel a conclu :

     Le paragraphe 69.1(11) de la Loi sur l'immigration impose à la section du statut l'obligation de "motiver par écrit" toute décision défavorable à l'intéressé. Pour satisfaire à cette obligation il faut que les motifs soient suffisamment clairs, précis et intelligibles pour permettre à l'intéressé de connaître pourquoi sa revendication a échoué et de juger s'il y a lieu, le cas échéant, de demander la permission d'en appeler.         

Dans le présent cas, les motifs sont quelque peu plus étoffés mais pas suffisamment pour rencontrer le seuil énoncé par la Cour d'appel. De plus, nous aurions mieux compris ces motifs si les plus amples démarches requises par la section du statut auraient fait l'objet de discussion lors de l'audition.

     Pour ces motifs, cette demande de contrôle judiciaire sera accueillie. La décision de la section du statut est cassée et l'affaire renvoyée à une autre formation pour une nouvelle audition et décision.

     Les parties n'ont pas suggéré que cette affaire soulève une question grave de portée générale.

     Allan Lutfy

     Juge

Montréal (Québec)

le 3 octobre 1997

                 IMM-3305-96

     CARLOS HUMBERO

     GONZALES FARIAS ET AL

     Requérants

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION

     Intimé

          MOTIFS D'ORDONNANCE

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     NOMS DES AVOCATS ET DES PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

NO. DU DOSSIER DE LA COUR:      IMM-3305-96

INTITULÉ DE LA CAUSE:          CARLOS HUMBERO GONZALES FARIAS

                         YAZMINA FRANCIS ARANCIBIA LOYOLA

                                     Requérants

                         ET:

                         LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                         ET DE L'IMMIGRATION

                                     Intimé

LIEU DE L'AUDITION:              Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDITION:              le 29 septembre 1997

MOTIFS DE L'AUDITION PAR L'HONORABLE JUGE LUTFY

DATE DES MOTIFS DE L'AUDITION:

                         le 3 octobre 1997

ONT COMPARU:          Me Marie-Josée Houle          pour les requérants

                 Me Édith Savard              pour l'intimé

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER:

         HOULE, TETLEY                  pour le requérant

         Montréal (Québec)

         George Thomson                      pour l'intimé

         Sous-procureur général du Canada

         Ottawa (Ontario)

        

__________________

1      La section du statut n'a pas tenu compte des réponses à leurs propres questions à l'effet que les requérants ne sont ni époux ni conjoints de fait.

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